Archives des Billets - Association Lacanienne Internationale https://www.freud-lacan.com/categories/billets-dactualite/ Thu, 22 May 2025 07:52:28 +0000 fr-FR hourly 1 https://wordpress.org/?v=6.8.1 https://www.freud-lacan.com/wp-content/themes/freudlacan-front/assets/content/2023/05/Calque_1.png Archives des Billets - Association Lacanienne Internationale https://www.freud-lacan.com/categories/billets-dactualite/ 32 32 Starter Pack : objet petit tas https://www.freud-lacan.com/documents-ged/starter-pack-objet-petit-tas/ Mon, 14 Apr 2025 05:53:39 +0000 https://www.freud-lacan.com/?post_type=documents-ged&p=80020538 Depuis quelques jours, un petit phénomène a envahi les réseaux, prenant l’apparence anodine d’un jouet pour enfant. L’apparence seulement. Cette image d’un jouet pour enfant est un jouet qui n’existe pas, une figurine emballée avec ses objets ressemblant à s’y méprendre à une figurine version poupée achetable en magasin de jouets. Mais ce jouet n’existe […]

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Depuis quelques jours, un petit phénomène a envahi les réseaux, prenant l’apparence anodine d’un jouet pour enfant. L’apparence seulement. Cette image d’un jouet pour enfant est un jouet qui n’existe pas, une figurine emballée avec ses objets ressemblant à s’y méprendre à une figurine version poupée achetable en magasin de jouets. Mais ce jouet n’existe pas. Il est créé de toutes pièces par des applications ayant recours à l’intelligence artificielle afin de créer sa propre effigie miniaturisée emballée. Et cela emballe les réseaux qui voient fleurir une armée de poupées bien empaquetées représentant chaque être humain ainsi manufacturé, chatgptisé. Ces images portent le nom de Starter Pack, pack de démarrage en français, se définit par un ensemble d’items : biens, outils, même idées, correspondant à une situation ou à une attribution. On parle de starter pack pour un kit de cuisine dans une maison en location comme pour un ensemble d’idées liée à une attribution comme les idées « starter pack » de la féminité. C’est un ensemble d’outils ou d’idées préétablies pour emploi, une notion utilitariste de ce qui forme les éléments-clefs de chaque attribution.
Si un signifiant représente le sujet pour un autre signifiant, ainsi que l’avança Lacan, ici c’est comme si l’effigie représentait l’objet mis en série avec chaque autre effigie, formant une foule monumentale de petits êtres sous plastique, comme autant d’objets-petits-tas. La transformation de soi en objet et la jubilation associée se répand comme une traînée de poudre, une « trend » selon le terme usité sur les réseaux. Une tendance tel un véritable petit feu de joie du discours du capitalisme, celui-là même qui mène à la crevaison, non peut-être sans en passer au préalable par une petite fétichisation. Le fétiche de sa propre image sous latex, de son image fétichisée en objet pour s’emballer. Etape préliminaire comme chacun le sait au déchet. Là où la sublimation élève l’objet désiré à la dignité de la Chose, en tant qu’elle est l’objet dernier du désir, ici la réification ravale chacun au rang d’objet sous emballage, en séries qui plus est. Où chacun en plus en jouit, de se voir ainsi, sous plastique avec ses petits objets condensés, lathouses comprises, réduit. En poupées miniaturisées, (phallu-)ciselées, désirables et jetables dans la foulée.

Anthony Huard est psychanalyste membre de l’ALI

 

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Emilia Perez vise juste https://www.freud-lacan.com/documents-ged/emilia-perez-vise-juste/ Fri, 22 Nov 2024 13:08:54 +0000 https://www.freud-lacan.com/?post_type=documents-ged&p=80018599 « Sur fond de Mexique et de narcotrafics, un chef de cartel hyper violent et sans scrupule, Manitas, va mettre son pouvoir et son argent au service de la seule cause qui l’anime : devenir la femme qu’il se sent et se sait être. Marié et père de deux enfants, il organise le simulacre de […]

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« Sur fond de Mexique et de narcotrafics, un chef de cartel hyper violent et sans scrupule, Manitas, va mettre son pouvoir et son argent au service de la seule cause qui l’anime : devenir la femme qu’il se sent et se sait être. Marié et père de deux enfants, il organise le simulacre de sa propre mort pour disparaître de leur vie, puis se fait opérer et devient la femme qu’il attend d’être : Emilia. Quelque temps plus tard, sous sa nouvelle identité féminine et dans sa nouvelle vie, il fait revenir sa femme et ses enfants auprès de lui. Mais lorsque sa femme désire refaire sa vie et emmène les enfants avec elle, Emilia découvre ne pouvoir renoncer à son lien de père à ses deux enfants, et ce drame précipite la fin violente et sans issue du film.
Film sur le bord : de la jouissance et de la mort en arrière-plan des narcotrafics, du sexe et de l’identité dans la transition, du récit classique et de la comédie musicale, inattendue mais juste dans le rapport à la voix et à la danse.
Sur la transition, le cinéaste donne à entendre avec finesse ce que le débat contemporain recouvre trop souvent sous des clichés moralisants ou compassionnels. Rien de tel ici, mais une justesse poétique et clinique qui mérite l’hommage. »

 

Illustration : Emilia Perez est un film réalise par Jacques Audiard avec Zoe Saldana, Karla Sofiá Gascoń

Musique : Camille & Clément Ducol

 

 

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Questions au Professeur Jean-Gabriel Ganascia sur l’Intelligence Artificielle https://www.freud-lacan.com/documents-ged/rencontre-avec-le-professeur-jean-gabriel-ganascia-questions-sur-lintelligence-artificielle/ Wed, 20 Nov 2024 09:00:28 +0000 https://www.freud-lacan.com/?post_type=documents-ged&p=80018557 A la suite d’une rencontre au Medem avec le Professeur Jean-Gabriel Ganascia, organisée par le collectif La parole, L’institution, le politique, animé par les psychiatres et psychanalystes Louis Sciara, Patrick Belamich, Jean-François Solal, Emile Rafowicz, j’ai été invité à lui poser un certain nombre de questions qui concernent les psychanalystes au sujet des développements de […]

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A la suite d’une rencontre au Medem avec le Professeur Jean-Gabriel Ganascia, organisée par le collectif La parole, L’institution, le politique, animé par les psychiatres et psychanalystes Louis Sciara, Patrick Belamich, Jean-François Solal, Emile Rafowicz, j’ai été invité à lui poser un certain nombre de questions qui concernent les psychanalystes au sujet des développements de l’I.A.

Enseignant à la Sorbonne, et chercheur, le Professeur Ganascia, qui fût longtemps président du Comité d’Éthique du CNRS, a écrit depuis plus de trente ans une quinzaine d’ouvrages sur l’Intelligence Artificielle, sur ce que l’homme pouvait en attendre, et sur ses dangers pour l’humain.

 

Bonjour à tous, merci à Louis Sciara de m’avoir invité à être le discutant de Jean-Gabriel Ganascia, et tout d’abord, je souhaite vous remercier de votre initiative en créant ce collectif, je suis familier avec un certain nombre d’entre vous, je vois des visages connus, mais pas avec tous, et je trouve cette exogamie interassociative, que tu as instauré avec quelques autres, Louis, en ces temps où la psychanalyse est attaquée et menacée de toute part, et de tout côté, tout à fait bienvenue.

 

Je vais essayer de ne pas être trop long, et surtout de poser les questions spécifiques à notre discipline, et de ne pas tomber dans les questions pour lesquelles tu n’es pas venu, Jean-Gabriel, à savoir les sempiternelles questions tout-venant concernant les dangers de l’IA.

 

Pour ce faire, tous les journaux en sont remplis, il n’y a qu’à les lire, jusqu’à saturation, il y a des livres qui sortent tous les jours, des magazines, phénomènes et publications montrant tout de même la diffusion, la généralisation d’une certaine angoisse face à l’incertitude du devenir de chacun, tant au regard de son destin personnel, que professionnel, et bien sûr sociétal.

 

Craintes et peurs qui ne sont pas que fantasmées, devant l’évolution exponentielle de ces capacités nouvelles que permettent les avancées de l’IA, dont tout le monde se réjouit de manière évidente, consensuelle, moi le premier, et dont les usages sont immédiatement visibles et applicables.

 

Pour reprendre une expression d’un de mes amis grenoblois, psychiatre et psychanalyste, Alexis Chiari, un nouvel ordre mondial a pris en mains le progrès, et il reste difficile à ce jour de savoir s’il s’agit d’une marche d’émancipation, ou d’assujettissement.

 

Bien malin qui saurait se prononcer sans avoir la certitude d’avoir à se renier dans l’avenir. Il s’agit encore d’un indécidable, à ce jour au grand bonheur des futurologues et des Cassandre.

 

Tu évoques souvent la loi de Moore, dont rien ne prouve en effet, qu’il ne s’agisse pas d’un argument technico-commercial au départ, elle n’a jamais fait l’objet de la moindre démonstration scientifique, du doublement des capacités de l’IA tous les six mois. Tu en publies d’ailleurs un diagramme dans Le mythe de la singularité, qui montre bien son essoufflement.

 

Néanmoins il y a bien une expansion croissante et accélérée des capacités de l’IA, échappant aux capacités d’adaptation humaine, le titre même de tes ouvrages rend compte de ces craintes partagées, qu’il s’agisse de Intelligence artificielle, vers une domination programmée, paru en 2017, ou encore Servitudes virtuelles, 2022.

 

Que ces craintes soient fantasmées ou exagérées, conduisant à échéance à la disparition de l’homme, à son obsolescence, nous apprenons grâce à toi, dans Le mythe de la singularité qu’il existe de par le monde de nombreux think-tanks, des institutions dédiées à cette question, et aux noms formidablement évocateurs, par exemple un Institut sur le Futur de l’Humanité, ou un Institut du Futur de la Vie, tous instituts initiés et financés comme il se doit par les industriels de l’Intelligence Artificielle eux-mêmes, dont sans surprise Elon Musk, ou encore un Centre pour l’étude du risque existentiel à l’université de Cambridge, qui étudie les risques d’extinction de l’espèce humaine, etc.., toutes perspectives extraordinairement réjouissantes, déléguées à leurs bons soins, c’est-à-dire qu’elles sont déléguées à l’initiative privée, que l’État dans ces affaires est largué, hors-jeu, marginalisé, ces questions ne passent pas par une régulation publique, qui n’en a d’ailleurs ni volonté, ni moyens.

 

Cela était vrai jusqu’à ces derniers jours, puisque la récente nomination d’Elon Musk au gouvernement fédéral, à la suite de l’élection de Donald Trump à la tête des Etats-Unis, n’augure rien de bon.

 

Sommes-nous justifiés à redouter qu’avec l’Intelligence Artificielle, soit mise en place une barrière infranchissable entre le pouvoir politique et les citoyens, qui n’auraient plus en face d’eux que des chatbots pour interpeller le politique?

 

Toutes les instances intermédiaires de régulation et de contrôle s’en trouveraient ainsi court-circuitées et marginalisées, devenues obsolètes. Ne pourrions-nous relire, à la lumière de cette nomination et de cette si grande proximité d’Elon Musk avec Trump, la prise du Capitole par ses partisans, non pas comme une tentative de prise de pouvoir, mais comme le symbole que ces institutions sont devenues obsolètes et inutiles, et donc à détruire.

 

Si ce questionnement concerne naturellement tout un chacun, tout un chacun citoyen, je vais quand même essayer d’aborder avec toi les choses à partir de ce qui fait peut-être une petite différence avec les discussions auxquelles tu es ordinairement convié, à savoir notre place spécifique de psychanalyste.

 

Tout d’abord la question de lespace privé.

 

Michel Wiewiorka, qui était ici le mois dernier, rappelait dans son préambule que la psychanalyse ne pouvait se concevoir en dehors d’un cadre démocratique.

 

C’est assez remarquable, il faut le signaler, qu’il faille que ce soit un sociologue qui vienne rappeler à des psychanalystes les conditions de leur exercice.

 

Seulement, de définition de la démocratie, il y en a absolument autant qu’on veut, République démocratique d’Iran, République démocratique de Corée du Nord, etc.., et même chez nous, en France, la notion de démocratie a pris le tour d’une définition très extensible et à géométrie variable, propre à chacun en fait. Selon un récent sondage IPSOS d’ailleurs, près d’un quart des jeunes français ne veut rien savoir de ce qu’il doit à la démocratie, et s’accommoderait avec soulagement de l’instauration d’un régime autoritaire.

 

Pour les psychanalystes, il existe néanmoins une définition tout à fait acceptable, et qui est que la démocratie, c’est l’exercice d’une politique de l’espace public qui s’arrête à la porte de l’espace privé.

 

Une politique qui ne cherche pas à légiférer l’espace privé, car elle en délègue la responsabilité et le crédit confiant à chacun citoyen, à l’exception notable tout de même de la maltraitance et de la protection de l’enfance, ainsi que de son exploitation sexuelle.

 

Mais on ne légifère pas la vie psychique, à partir du moment où elle ne remet pas en cause l’existence d’autrui, ni l’ordre public.

 

Exemple, parmi tant d’autres, les lapsus publics des hommes politiques, révélant publiquement le fond de leur pensée, à savoir l’exact contraire de ce pourquoi ils ont été élus, et qu’ils étaient pourtant en train de déclarer solennellement, n’ont jamais tiré à conséquence, en dehors de quelques ricanements, gênés quand il s’agit des partisans du même bord, sur l’air du « je vous l’avais bien dit », quand il s’agit de l’opposition.

 

C’est à l’aune des actes publics, mais ni des fantasmes ni des vœux de mort inconscients, que les choses sont jugées.

 

A cette délimitation bilatère, espace privé d’un côté, espace public de l’autre, Lacan donnait un tour moebien en énonçant en 1967 que « l’Inconscient, c’est le politique ».

 

Ou la politique, le politique ou la politique, ça dépend des transcriptions sur lesquelles les uns et les autres s’appuient.

 

A savoir que le politique forgeait finalement l’espace intérieur de chacun, que le destin des deux était intimement lié dans la continuité d’un même ruban unilatère, retourné sur lui-même, et que la réciproque était également vraie, que l’aspiration à la liberté de consciences individuelles qui cherchaient à se débarrasser d’un carcan qui les opprimait et les bridait jusqu’ici pouvait donner lieu à une dynamique plus large d’émancipation collective, qui venait alors spécifier une culture, un souffle constitutif d’un style, du style d’un peuple, d’une nation, des individus qui en sont issus.

 

C’est ce qui s’est passé à Vienne dans les années 1900.

 

C’est également la recherche de ce qu’on a appelé, dans les mouvements révolutionnaires, soviétiques notamment, un homme nouveau.

 

C’est ce qui est arrivé au moment où Lacan énonçait cette phrase, et qui fait que Lacan, voyant les évènements de Mai 68, redoutait d’en être à l’origine.

 

C’est ce à quoi il semblerait que nous assistions également aujourd’hui, nous en constatons des prémisses, des frémissements, à l’écoute de nos patients, jeunes adultes, adultes jeunes, mais également les enfants et les adolescents.

 

Donc, ce sera l’objet de ma première question, comment va selon toi se façonner, se remanier, l’espace privé, à toi qui a présidé les travaux de la Commission Nationale d’Éthique du CNRS pendant de nombreuses années, et à quelles conséquences pouvons-nous nous attendre ?

 

Il faut souligner que cette question parcourt l’ensemble de ton travail depuis quarante ans, depuis L’âme machine, en 1990, et trouve son illustration qui peut nous amuser parce qu’elle est caricaturale, mais il ne s’agit pas d’une fiction, avec la Chine, cette Chine 2.0, où les citoyens sont suivis en permanence dans l’espace public par les systèmes les plus perfectionnés de reconnaissance faciale, puis, s’ils sont un peu défaillants ou transgressifs selon les critères établis de la sociabilité, s’ils traversent en dehors des clous, disons – mais cela commence par le simple fait de jeter un mouchoir dans la rue – ils perdent alors un certain nombre d’avantages sociaux, assez conséquents d’ailleurs, mais que cela ne concerne pas seulement eux, puisque pour donner un exemple, leurs amis ne peuvent plus les joindre directement par téléphone, ils reçoivent lorsqu’ils composent leur numéro un message émanant des autorités, leur déconseillant de si mauvaises fréquentations, et les menaçant d’être eux-mêmes inquiétés et marginalisés s’ils persistent à vouloir maintenir une relation amicale et sociale avec de tels délinquants.

 

Moins exotique, moins caricatural, nous subissons sans nous en offusquer plus que de raison le tracking, le profilage de nos recherches et quêtes diverses sur Internet, dont tout un chacun peut faire l’expérience, puisque nous nous voyons imposer avec insistance quasi-persécutante ce que l’IA a pu retracer et compiler de nos centres d’intérêt, avec une pertinence infaillible.

 

Tant qu’il ne s’agit que de nous faire convoiter des objets, après tout, ce sont les règles de la société capitaliste, cela ne va pas bien loin, mais justement cela va plus loin, puisqu’avec l’IA et la fabrication de fake news, de fausses images, de faux discours, c’est l’ensemble de nos émotions et de nos réactions qui est ici détecté, mis sous contrôle des algorithmes, et orienté, comme on le constate d’une manière extrêmement banale désormais, et où le temps de la démocratie, justement, le temps du recul et de la réflexion, de l’argumentation, de la dialectisation, de la temporisation, est court-circuité et évacué pour la fabrication d’une fausse vérité, créatrice d’affects d’indignation, c’est le mot d’indignation qui a remplacé le débat public. Il faut lire le dernier ouvrage d’Olivier Mannoni., Coulée brune, mais aussi, je crois un ouvrage majeur, Giorgio di Empoli,  Les ingénieurs du chaos.

 

Dans cette affaire, ce n’est pas tant l’algorithmisation par l’IA des émotions du sujet, et son instrumentalisation, c’est que l’IA est toujours plus forte, puisqu’elle anticipe ce que l’autre est censé vouloir voir ou entendre. Une communication d’outrance qui remplace une vision.

 

Et s’emparer ainsi d’un désir qui n’est plus modelé par le fantasme, mais entièrement structuré par l’IA.

 

La question de la Dette  

 

Disons et j’en viens tout naturellement à mon deuxième point, je vais essayer d’être très bref, qu’il existe pour la psychanalyse, très schématiquement, mais c’est un point de doctrine, en tous les cas pour les lacaniens, qui repose sur le postulat d’un manque fondateur, d’un espace troué, un vide inaugural, qu’il convient de cerner, de serrer, et c’est l’affaire de toute une vie, mais en aucun cas de combler, puisque c’est de la consistance de cet espace troué, précisément, et de la manière dont nous l’abordons, que nous entretenons ce qui pour nous est le plus important chez l’homme, et que nous appelons son désir.

 

C’est cette incomplétude même qui nous donne notre consistance.

 

Autrement dit le désir humain n’est pas quelque chose d’inné, et nous le vérifions tous les jours en clinique, et nous pouvons même dire qu’il s’agit de ce qu’il y a de plus fragile en l’homme, de ce qui est le plus facilement brisable en lui.

 

Mais pas seulement.

 

Il est aussi ce qu’il y a de plus convoité.

 

Qui tient le désir de l’autre tient le monde.

 

C’est ce que les femmes, mais aussi les dictateurs, les dealers, entre autres, savent d’emblée.

 

Mais c’est aussi le savoir-faire des mécanismes de l’IA.

 

Savoir-faire dans lequel l’espace du manque au sein de chacun est à considérer comme un espace à combler là où, pour le psychanalyste, il s’agit au contraire de garantir son maintien.

 

Charles Melman, dans un ouvrage paru il y a plus de vingt ans, L’homme sans gravité, jouir à tout prix, avait magistralement décrit comment nous étions entrés dans une société qui ne tolérait plus aucun manque, et que le paradoxe tenait à ce que cette abolition du manque passait par le manquement.

 

Le manque-ment.

 

Le manquement à la dette.

 

Alors, on le constate notamment avec Chat-GPT, la dette, c’est-à-dire l’effort, qui n’est rien d’autre au final qu’une des déclinaisons parmi d’autres de la dette, il y en a de nombreuses, vient remodeler totalement le rapport à l’enseignement, au Maitre, et à la transmission.

 

A qui les générations à venir devront-elles leur savoir ?

 

Et qu’auront-elles à transmettre, délestées du devoir et de la charge de son énonciation.

 

Nous n’en sommes qu’à la première génération, je ne parle pas seulement des collégiens ou des étudiants, cela concerne absolument tous les corps de métiers, enseignants, juristes, médecins, etc…

 

Dans le roman Leurs enfants après eux, sur lequel mon attention a été attirée par Yann Diener, et qui se situe pourtant dans une génération précédant celle à venir, celle des adolescents d’il y a vingt, trente ans, dans les années 1990, Nicolas Mathieu pose à sa façon cette question du vide qui vient emplir une vie quand il n’est pas bordé par le manque.

 

C’est une question qui concerne déjà deux générations avant celle en cours.

 

C’est la question, pour nous, psychanalystes, des ravages sur l’humain de ce que nous appelons le discours du capitaliste, dont nous avons suivi les prémisses à la fin de la première guerre mondiale en Amérique, avec l’apogée du taylorisme, qui a conduit à la crise de surproduction de 1929, puis qui a explosé après la seconde guerre mondiale en Occident, où l’avoir et la jouissance de l’avoir ont supplanté l’être.

Dans ton ouvrage, Ce matin, Maman a été téléchargée, roman d’anticipation que tu as voulu plutôt drôle, plutôt léger, et que tu as écrit sous pseudo, tu développes cet enjeu précisément sous cet angle de la dette, à savoir à savoir la mort réelle du père, c’était le problème dans lequel se débattait l’homme aux rats, pour que nous puissions advenir à cette dette, faute de transmission symbolique.

 

Tant qu’il est vivant, c’est là un constat d’une grande banalité clinique, nous l’entendons chaque jour de nos patients, nous restons les enfants éternels de nos parents, mus par la frustration et la revendication les plus infantiles.

 

C’est une affaire très sérieuse, que masque l’affect, la douleur morale de la perte, que Freud appelait le deuil, et qui fait l’objet dans les sociétés tribales ou religieuses, de pratiques ritualisées dans le temps, non pas destinées seulement à réguler la douleur, ou à rendre hommage au défunt, comme on s’y arrête trop souvent, mais qui ont pour objectif de définir un temps où placer le vivant face à ses responsabilités, lui dire « Allez maintenant il est temps. Il est temps de prendre ta place dans la succession et les responsabilités d’une génération, tu n’as que trop tardé jusqu’ici ».

 

J’ai dans mon bureau une statuette des tribus Jaraï du Vietnam, qui sont des tribus nomadisantes, sur les Hauts-plateaux, et qui avant de transhumer placent à côté du défunt une statuette de bois putrescible, à taille humaine, la mienne fait un mètre vingt, environ, une pleureuse. Quand elles reviennent, après la mousson, le bois a disparu, s’est délité. Il est alors temps, pour les hommes comme pour les femmes, d’ensemencer à nouveau, qui dans les rizières, qui dans les couches de la hutte conjugale.

 

C’est une question de survie de la tribu à laquelle chacun se doit de contribuer.

 

A partir de quelques extraits vidéos et enregistrements sonores, l’Intelligence  Artificielle est aujourd’hui en mesure de pouvoir reconstituer, à l’intonation de voix près, un véritable dialogue avec les défunts, et propose déjà tous les services qui permettent d’abolir le travail de deuil nécessaire à la mise en place chez un sujet de la reconnaissance de sa dette à l’égard de la spécificité de l’espèce humaine, qui va bien au-delà de la simple reproduction, ni même de l’exercice d’un travail bien rémunéré et reconnu socialement.

 

Tu écris que Ray Kurzweil, un futurologue américain très écouté aux Etats-Unis, pour ses capacités d’analyse anticipatoire, puisqu’il avait prédit l’apparition de l’IA générative vingt ans avant tout le monde, prévoit pour 2045 la capacité de téléchargement des consciences sur les machines.

 

Alors, si les parents sont immortels, et que nous n’avons plus à aller chercher en nous-mêmes les réponses à nos questions sur le sens de l’existence, s’il n’y a plus de manque fondateur, et que l’IA nous déleste du poids de la dette des générations dont nous n’avons plus à nous emparer pour nous-même avant de la transmettre aux générations qui vont suivre, si nous en déléguons le soin à une machine, nous permettant le libre cours à une Jouissance sans plus d’entrave, nous avons donc évacué grâce aux progrès de l’IA qui fait reculer l’impossible – merci Hilberg – les soubassements les plus embarrassants mais qui font la consistance de l’humanité.

 

Il s’agit bien là donc des questions de la vie, de la mort, et du sexe.

 

Un monde sans dette.

 

Le voilà bien l’homme nouveau, dont nous parlions tout à l’heure, affranchi de toute dette.

 

Mais, au fait, nous le connaissons, cet homme nouveau, il est déjà parmi nous.

 

Nous le voyons avancer fièrement, à l’avant-garde révolutionnaire, déjà hégémonique dans les universités américaines, et prêt à prendre d’assaut la totalité de nos lieux de transmission de savoir occidentaux, si ce n’est déjà fait.

 

Uni à l’IA dans une communauté de destin et d’intérêt, et qui surtout ne veut rien avoir à devoir aux générations qui l’ont précédé.

 

Une humanité débarrassée de ses impossibles.

 

Une humanité propre, débarrassée de son passé peu reluisant, le colonialisme, le racisme, n’endossant pas cette responsabilité, et bien évidemment de celles de ses religions qui elles se sont construites sur le poids de cette dette.

 

Dans son ouvrage, LQI, la langue quotidienne informatisée, le psychanalyste Yann Diener, qui a passé une année de séminaire à réfléchir sur la question de l’Intelligence Artificielle, n’arrête pas de se demander pourquoi, lorsqu’il veut parler de l’IA, il ne cesse d’écrire les codes nazis.

 

Il fait allusion à Thüring, et au rôle fondateur qu’il a eu pour craquer les algorithmes de la marine militaire allemande.

 

A la vérité, on sait depuis peu, il s’agit de nouveaux travaux d’historiens, mais Yann Diener ne pouvait pas le savoir, que les mêmes codes ont été utilisés dans la Shoah pour permettre aux nazis de communiquer entre eux.

 

Moi-même, dans le dernier numéro de La Revue Lacanienne, dont le thème est « A l’impossible nul n’est tenu », dernier numéro d’une série initiée par son rédacteur en chef, Marc Morali, sur les grandes questions cliniques contemporaines, je rappelais que c’était à un psychiatre, Nathan Kline, peut-être le plus respecté à l’époque aux Etats-Unis, inventeur de traitements révolutionnaires pour la schizophrénie et la dépression, à qui les scientifiques de la Nasa, ceux-là même qui avaient été repêchés en 1945 des laboratoires nazis par l’US Army lors du programme Paperclip, s’étaient adressés pour lui demander de mettre au point un programme d’amélioration des conditions de survie des astronautes en milieu hostile, et que cela avait donné lieu à la création du terme de cyborg, d’homme augmenté.

 

Mais à vouloir dépasser l’impossible, ou plutôt éradiquer l’impuissance, selon la loi de Moore, en plus, jusqu’où nous mènera le transhumanisme ?

 

Bien évidemment, ma question ouvre un certain nombre de questions cliniques, notamment la question trans, pour laquelle trop souvent, nous nous bornons aux questions de genre, d’assomption sexuée, sans voir qu’il s’agit là pour de nombreux jeunes, de la pointe la plus avancée et la plus visible du transhumanisme, c’est-à-dire de l’évaporation pure et simple de la question de la castration, censée lester l’existence humaine.

 

Nous avançons dans ce XXIème siècle compliqué avec les idées simples du XIXème…

 

Ne s’agit-il pas, et j’en termine, dans cette affaire, d’en finir avec la race humaine pour créer une nouvelle race disciplinée et ayant définitivement déléguée ce qui la constituait et dont elle portait la responsabilité, aux génies de la machine, d’éliminer toute trace des fondements de l’humain, en en éliminant l’héritage de ses aspects les plus déplaisants, pour finalement mieux la voir réapparaitre sous une forme aseptisée mais cependant implacable, celle du cyborg sans déchet et sans production de CO 2.

 

Un monde sans les embarras et les contradictions que causerait le dysfonctionnement du corps et le trouble de sa sexualité.

 

C’est donc toute la question du malaise dans la civilisation que tu poses, et que posait déjà Freud dans son troisième chapitre, et qui je crois est celle qu’ont voulu poser les organisateurs de ce séminaire.

 

À deux reprises, et à quinze ans d’intervalle, une première fois dans la préface qu’il fait à l’éducateur autrichien August Eichorn, Enfances à la dérive, en 1922, puis une nouvelle fois en 1937, en rédigeant Analyse finie et Analyse infinie, Freud va nommer trois tâches impossibles, gouverner, éduquer, psychanalyser, et dont il va substituer pour finir le dernier terme par soigner.

 

Freud ne nous dit pas que ce sont des tâches impossibles à atteindre, il n’a pas du tout en tête cette question, il nous dit que dans ces trois domaines, et en1937, il renouvelle sa mise en garde, il ne saurait être question de viser la totalité, et que nous devons au contraire à chacun de ces domaines laisser une place libre de toute ambition de conquête et de maitrise.

 

Nous ne pouvons en aucun cas nous rendre maitre de l’espace privé, en ce qui concerne le politique.

 

Nous ne pouvons en aucun cas biberonner le savoir pour l’autre, mais ambitionner de lui ouvrir la soif d’apprendre et de continuer pour lui-même.

 

Quant à soigner, l’exemple des guerres et l’histoire des haines, nous enseigne que nous n’éradiquerons jamais les pulsions de mort et de destruction, et que celles-ci sont inhérentes à la condition humaine. Nous ne pourrons nous améliorer que si nous reconnaissons cette condition comme fondatrice, et que nous renoncions au bonheur de l’humanité, c’est à dire à vouloir instaurer le souverain Bien.

 

Voilà, je m’arrête là, juste un dernier mot encore sur le langage qui pour nous autres psychanalystes, ne vaut pas communication, il ne vaut que par ce qu’il recèle de jouissance, de jouissance associée à un signifiant, et que sans cette jouissance qui lui est liée, la parole ne fait jamais que successions de signes, c’est à dire d’injonctions et d’ordres.

 

N’est-ce pas Elon Musk, encore, qui prédisait pour 2045 la fin du langage humain?

 

Décidément le nazisme est une obsession qui ne passe pas…

 

« Le langage n’est pas un code, disait Lacan le 10 Mars 1965, dans Les problèmes cruciaux, précisément parce que dans son moindre énoncé, il véhicule avec lui le sujet présent dans l’énonciation ».

 

 

 

 

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Remarques préliminaires au séminaire d’été https://www.freud-lacan.com/documents-ged/prolegomenes-au-seminaire-dete/ Thu, 18 Jul 2024 12:53:10 +0000 https://www.freud-lacan.com/?post_type=documents-ged&p=80016795 Quelques constatations: 1-La psychanalyse n’est pas révolutionnaire, mais elle est subversive : Elle procède au cas par cas de l’histoire d’un sujet en faisant le long d’une cure table rase des identifications, signifiants–maîtres et idéaux.   2-Le discours du maître est mort. Plus rien, désormais ne fait autorité. Figure politique tutélaire idéologie, instance juridique ou […]

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Quelques constatations:

1-La psychanalyse n’est pas révolutionnaire, mais elle est subversive : Elle procède au cas par cas de l’histoire d’un sujet en faisant le long d’une cure table rase des identifications, signifiants–maîtres et idéaux.

 

2-Le discours du maître est mort. Plus rien, désormais ne fait autorité. Figure politique tutélaire idéologie, instance juridique ou constitutionnelle. Ce que Charles Melman  avait bien pressenti en intitulant un de ses derniers séminaires « qu’est ce qui fait autorité ? » : La réponse est rien, ou personne. Vaste liquidation du symbolique.

 

3-Nous sommes à l’ère de la « société liquide »  selon l’expression  de Zygmunt Bauman. Vie incertaine, frénétique, précaire, désarrimée du symbolique  Vie flottante, livrée à la contingence de rencontres qui ne percutent pas, ne font ni sens ni inscription : Comme me le dit une analysante : « c’était fluide ». Fluide, certes, mais flou, lui rétorquai- je, ce qu’elle reconnut bien volontiers.

 

4- un discours de l’hystérique qui tourne à plein, mais à vide (avide) qui,  faute de la garantie d’un père introuvable, s’en prend  aux figures du père réel : Me too comme attaque face à un phallus persécuteur, victimisation généralisée.

 

5- La Pulsion de mort en acte via une violence massive et généralisée : Démocratisation du Djihadisme à coups de couteaux, menaces et insultes débridées sur les réseaux sociaux. La pulsion pure sans refoulement, et sans travail du fantasme.  Plus de « signe et substitut d’une jouissance non advenue » comme le disait Freud (inhibition, symptôme  et angoisse) mais des passages à l’acte  non transférisés et non fantasmatisés.

 

Bref, le ciel est sombre. La question est de savoir ce que peut la psychanalyse face à la pulsion de mort. Et surtout : y a t’il un discours psychanalytique qui peut être audible ?

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Font toujours parler d’eux. https://www.freud-lacan.com/documents-ged/font-toujours-parler-deux/ Tue, 16 Jul 2024 13:13:51 +0000 https://www.freud-lacan.com/?post_type=documents-ged&p=80016561 Le 20 février 2019  Charles Melman écrivait à propos de l’antisémitisme, qui comme toujours sévissait en France, un édito pour notre site (qui peut donc se consulter) dont le titre était : « Font encore parler d’eux » et je l’avais interrogé à ce propos au cours de l’un de nos entretiens [1]. Il me parait très important, […]

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Le 20 février 2019  Charles Melman écrivait à propos de l’antisémitisme, qui comme toujours sévissait en France, un édito pour notre site (qui peut donc se consulter) dont le titre était : « Font encore parler d’eux » et je l’avais interrogé à ce propos au cours de l’un de nos entretiens [1]. Il me parait très important, en ces temps d’orages, de rappeler sa réponse.

 

Il avançait une thèse originale, disant que dans la tradition religieuse qui est la nôtre, nous pourrions ajouter culturelle, le juif est ancestral et qu’en chaque chrétien il y a du juif et que c’est justement le juif que la tradition chrétienne a rejeté pour célébrer le fils, le fils martyr par amour pour le père. Le fils venant se faire rejeter à la place du père que le mythe religieux rejette lui-même. Il y a donc en chacun de nous, en tant que chrétien, du juif ancestral à rejeter et à rejeter en tant que figure paternelle – puisque la religion juive est la première et originaire religion si l’on peut dire – la figure paternelle c’est-à-dire ce qui se trouve inéluctablement lié au sexuel, à la violence, à l’impératif. On conçoit dès lors, même s’il n’y a plus de peuple juif, qu’il y ait néanmoins des juifs partout puisqu’ils sont en chacun de nous, que c’est la part que chacun, ne serait-ce qu’à suivre le mythe religieux, a à expulser.

 

 Il considérait que l’éradication opérée par les nazis pendant la dernière guerre avait réussi, que les populations Juives d’Europe avaient disparu – la culture ashkénaze est éteinte en Europe -, s’il n’y avait pas eu les séfarades qui, du fait de l’histoire, ont dû s’exiler et venir en Europe. Il ajoutait que son ami Jorge Semprun avait l’habitude de dire que ce qui manquait à l’Europe ce sont ses juifs. Les travaux anthropologiques montrent qu’il n’y a pas besoin d’ exterminer tous les membres d’une communauté, d’une tribu,  pour provoquer son extinction, le meurtre de l’ancêtre fondateur peut suffire.

 

Et puis il était tentant, mais pouvait-il le faire ? disait-il, de voir dans ce que l’on appelle « le déclin du Nom du père » une opération qui marque à la fois la réussite de cette expulsion et en même temps la dissolution du christianisme puisque celui-ci se maintient grâce à ce rejet même.

 

Il y aurait bien sûr à évoquer aussi  les relations du troisième monothéisme, l’Islam, avec les deux autres mais je souhaitais dans ce très court texte rappeler cette thèse de Melman.

 


 

[1] Flâneries avec Lacan dans l’atmosphère polluée des esprits et de la ville.

Charles Melman, entretiens avec Jean-Luc Cacciali.

Edition Langage

 

 

 

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« De quoi nos enfants sont-ils le symptôme ? » https://www.freud-lacan.com/documents-ged/de-quoi-nos-enfants-sont-ils-le-symptome/ Mon, 08 Jul 2024 07:59:33 +0000 https://www.freud-lacan.com/?post_type=documents-ged&p=80015524 « De quoi nos enfants sont-ils le symptôme ? » est le titre d’un article à paraitre dans Le journal des psychologues de septembre prochain 1. Les cliniciens relèvent en effet qu’ils ont de plus en plus affaire, chez les enfants et les adolescents qu’ils reçoivent à des enfants-symptômes plus qu’à des symptômes d’enfants, pour reprendre une distinction […]

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« De quoi nos enfants sont-ils le symptôme ? » est le titre d’un article à paraitre dans Le journal des psychologues de septembre prochain 1. Les cliniciens relèvent en effet qu’ils ont de plus en plus affaire, chez les enfants et les adolescents qu’ils reçoivent à des enfants-symptômes plus qu’à des symptômes d’enfants, pour reprendre une distinction amenée en son temps par Maud Mannoni. Et, de ce fait, non pas, selon la dynamique du symptôme freudien, un signifiant refoulé et coupé de ses connotations imaginaires qui vient se dire de façon énigmatique dans le réel du corps, de la pensée ou de l’espace, selon les organisations dominantes des 19ème et 20ème siècle, mais des conduites réalisant l’imaginaire (anorexie, boulimie, passages à l’acte violents…) ou imaginarisant le symbolique (acting out, monstrations corporelles ou vestimentaires…). Ce sont évidemment l’évolution de la société capitaliste d’une société de production vers une société de consommation et les transformations des modalités éducatives qui s’en sont suivies qui sont en cause. « Nous sommes passés en quelques générations d’une logique du désir à mettre en œuvre, au prix d’une élaboration, d’un temps nécessaire, d’un travail, d’un effort, à une logique de la jouissance immédiate qui ne supporte ni délai, ni contrariété, ni intrusion de l’autre avec qui il y aurait à composer ou à partager. Du coup, ce n’est plus la parole qui prévaut, qui règle symboliquement les échanges, mais la méfiance et l’évitement de l’autre et, si nécessaire, l’agression. » 2 Ce que le philosophe Marcel Gauchet commente ainsi : « Cette perception de l’autre comme intrinsèquement menaçant me semble un trait typique de la mentalité hyper contemporaine ».3 En attestent les débordements pulsionnels de ces enfants qui crient ou frappent à la plus timide frustration de leurs exigences par des parents inhibés par le prosélytisme de « l’éducation positive », puis ces jeunes adolescents qui manient sans contrôle le couteau aussi bien que le phallus. Ainsi ces deux adolescents de 13 ans mis en examen pour le viol d’une jeune fille de 12 ans, aggravé de menaces de mort et de propos antisémites. C’est en ces termes que cet évènement a d’abord été relaté avant d’être relayé comme une agression d’abord et essentiellement antisémite par les médias à sensation qui tiennent désormais le haut de nos écrans et vivent du clivage et de l’activation des antagonismes et tombait fort à propos dans le cadre de la campagne électorale.

Certes le viol des femmes est une arme de guerre primitive ordinaire et régulièrement mise en œuvre dans les conflits actuels au Moyen-Orient ou à l’Est de l’Europe mais que des jeunes français de cet âge puissent avoir une telle détermination antisémite me paraît assez surprenant (l’un des deux, ex petit ami de la jeune fille d’après la presse, lui aurait reproché de ne pas lui avoir dit qu’elle était juive !). Me paraît plus surprenant encore, et du coup éludé, qu’ils puissent pratiquer le viol à un âge où leurs grands-parents boomers en étaient à peine au bisou et attendaient seize ans, selon Françoise Hardi, pour se promener dans la rue deux par deux, « les yeux dans les yeux et la main dans la main, sans peur du lendemain », tandis qu’au cinéma le mot fin venait suspendre le baiser de Jean Marais à son aimée dans les films de cape et d’épée… Quant à la connaissance visuelle du corps de l’autre sexe, et surtout du sexe féminin, elle se limitait aux nus de la statuaire ou de la peinture, dans les limites autorisées par le concile de Trente, et de la censure au cinéma, jusqu’au début des années 1970 en France. L’origine du monde de Courbet, peinte en 1866, restera voilée au public, y compris chez Lacan à Guitrancourt, jusqu’à son exposition au musée d’Orsay en 1995.

 

 Evidemment, les adolescents et même les enfants d’aujourd’hui sont confrontés très jeunes à la pornographie sur internet dans l’espace privé de leur smartphone ou de leur tablette dans le déduit de leur chambre individuelle, là où les dits boomers devaient partager le seul téléviseur du séjour, hors films signalés par le carré blanc. Ainsi, la levée de la censure sociale sur le sexuel, suivie d’une vague de films pornographiques entrainant leur classement en film X et leur diffusion dans des salles spécialisées en 1995, peut avoir pour effet la levée de la censure intrapsychique responsable du refoulement névrotique et la promotion du clivage régissant les fonctionnements pervers.  On voit ainsi comment les déterminants de la vie sociale pénètrent l’organisation psychique individuelle, comme l’analysait déjà Roland Chemama dans Clivage et modernité 4 après l’analyse plus générale de Charles Melman dans L’homme sans gravité 5. À méditer, à l’heure où le Je préfèrerais pas 6 de nos enfants coexiste avec le Je sais bien mais quand même 7 de leurs parents à l’égard de l’histoire tragique du 20ème siècle.

 

 


Notes

1 Bon N., 2024, « De quoi nos enfants sont-ils le symptôme ? », Le Journal des psychologues, à paraître.

2 Bon N., opus cit.

3 Gauchet M., 2002, Essai de psychologie contemporaine I et II, La démocratie contre elle-même. Tel/Gallimard, p. 260)

4 Chemama R., 2003, Clivage et modernité, Humus/érès.

5 Melman Ch., 2002, L’homme sans gravité. Jouir à tout prix, Denoël.

6 Lebrun J. P., 2022, Je préfèrerais pas. Grandir est-il encore à l’ordre du jour ?, érès.

7 Mannoni O., 1969, « Je sais bien mais quand même », Clefs pour l’imaginaire, Seuil, p. 9-33.

 

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Futuribles https://www.freud-lacan.com/documents-ged/futuribles/ Mon, 13 May 2024 10:16:55 +0000 https://www.freud-lacan.com/?post_type=documents-ged&p=80014751 Le Président, entouré de ses précieux conseillers, a annoncé cette semaine la création d’un devoir de visite qui s’appliquerait aux pères récalcitrants à exercer leur droit de visite. Immédiatement le chœur social des associations féministes et les voix progressistes a regretté une mesure qui imposerait aux femmes-courages (les mères) et aux pauvres créatures qu’elles abritent (les […]

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Le Président, entouré de ses précieux conseillers, a annoncé cette semaine la création d’un devoir de visite qui s’appliquerait aux pères récalcitrants à exercer leur droit de visite. Immédiatement le chœur social des associations féministes et les voix progressistes a regretté une mesure qui imposerait aux femmes-courages (les mères) et aux pauvres créatures qu’elles abritent (les enfants) la présence d’hommes violents, abusifs voire pire encore.

 

On est donc pris entre deux, à se demander s’il vaut mieux un père sous contrainte de l’Etat – sorte de probationnaire purgeant une peine sous surveillance – ou son éradication. Simple question d’ingénierie sociale en fin de compte.

 

Dans le même temps notre généreux Président – dont je ne voudrais pas préjuger ce que serait le rapport à la paternité car l’époque, sympathique avec le recul, où Gérard Miller analysait les politiques et leur psyché a disparu, l’emportant lui aussi – nous annonçait qu’il souhaitait élargir le recours à la PMA. L’argumentaire parait solide : il a été mesuré qu’il y avait un désir d’enfant s’élevant à 2,2 enfants par femme mais un taux de fécondité de 1,6 enfants par femme. Il y a donc un écart qui manifeste un défaut dans la rencontre de l’offre et de la demande et il convient donc de le combler en rendant plus abondant le matériel reproductif. Dans le même message l’appel à la conservation des ovocytes des jeunes femmes est souligné, engageant le vaste mouvement émancipateur à venir. Ça tombe d’autant mieux que le secteur privé n’attend que cela.

 

La GPA reste pourfendue mais il est rappelé que les parents qui y ont eu recours sont des « parents aimants » et que l’enfant doit être protégé et accueilli par le droit au titre d’adopté malgré l’illégalité du procédé originaire, dont on comprend qu’il est ainsi de facto légalisé.

 

C’est toujours un miracle de voir combien les prédictions de nos maitres se réalisent, et rapidement de surcroit.

 

La reproduction devient le fruit d’un appareillage technique qui impliquera très rapidement de moins en moins le lit.

 

Grâce au tri pré-implantatoire et à l’application des techniques du génie génétique comme Crispr/cas9 il est devenu possible de définir au mieux les enfants lorsqu’ils sont conçus dans le cadre des procédures de PMA, c’est-à-dire de les designer pour qu’ils conviennent à la fois aux attentes des parents et développent les résistances aux maladies que l’on peut souhaiter. Il semble même que la création d’un sperme de synthèse soit possible à partir d’une cellule souche, ce qui signifie à terme que le matériel génétique d’une femme pourra suffire à l’engendrement – le sien, réalisant ainsi la parthénogénèse dont Platon avait donné le mythe – ou celui de sa compagne. Si ce dispositif permettait, on l’imagine aisément, de choisir le sexe de son enfant, la naissance des hommes ne deviendrait plus nécessaire qu’au titre d’espèce protégée – à moins que certaines spécificités sociales utilitaires et différenciées, comme l’entretien d’une armée par exemple, ou de souhaiter les services qu’un père peut rendre à l’enfant et qu’il faudrait louer, imposent un quota dans leur naissance. Je ne me souviens plus du titre du livre de Robert Merle qui explorait déjà ce scénario dans les années 50.

 

On pourrait se demander comment pourra s’établir la relation entre des parents (admettons qu’il en reste – au moins dans un temps provisoire dont il n’est pas possible de fixer la limite dans le temps) et l’enfant conçu et maturé par l’apport de technologies privées, pouvant inclure une redéfinition des déterminations génétiques propres à chaque donneur. Il aurait en effet le statut d’un bien manufacturé puisque porteur d’une incidence – non pas médicale mais algorithmique, c’est-à-dire venant agir au niveau du code lui-même – d’optimisation des dispositions naturelles qui pourraient sinon le lester. Son éducation relèvera-t-elle d’un contrat incluant des bonnes pratiques que le fabriquant pourra recommander et pourquoi pas imposer à des parents qui exerceront ainsi sous licence, puisque le matériel acquis ne prolongera plus dorénavant leurs propres codes, ou en tous cas formera un hybride sur lequel l’exercice du droit moral sera partagé avec le détenteur des brevets. Il conviendra de repenser le cadre nosologique de la maladie car une partie des contrariétés biologiques relèveront de la défectuosité du produit et non de la maladie – ouvrant droit à divers recours juridiques.

 

Une dernière remarque concerne la façon dont la jeunesse vit déjà et anticipe ces progrès. Dès lors que les fonctions sexuelles primaires sont sous-traitées à des laboratoires, les caractéristiques sexuelles secondaires deviennent de purs apparats, aspects d’un décor corporel qui marquent la tribu d’appartenance et sensualisent la participation à la fête sociale. Les bloqueurs de puberté et les hormones croisées sont ainsi disponibles sur demande, délivrés par des médecins qui préfèrent favoriser cette fête sociale sur une morale dépassée.

 

Il parait qu’il faut une conclusion à un texte. Si vous avez une idée à me proposer pour celui-ci, n’hésitez pas à me la faire connaitre.

 

Nathanaël Majster

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« Dézoomons » et la livre de chair https://www.freud-lacan.com/documents-ged/dezoomons-et-la-livre-de-chair/ Mon, 18 Mar 2024 13:18:32 +0000 https://www.freud-lacan.com/?post_type=documents-ged&p=80013973 Auxerre, le 25/02/2024.   Chair Président,   En lisant votre « Dézoomons nous », le 22 février dernier, ce texte s’est imposé à moi comme la « moitié d’un bien-dire » et m’a évoqué, je cite : « Comme le rappelle dans ses Structures élémentaires Lévi-Strauss, ce qui peut être l’enjeu du pacte, ce ne peut être, et ce n’est que […]

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Auxerre, le 25/02/2024.

 

Chair Président,

 

En lisant votre « Dézoomons nous », le 22 février dernier, ce texte s’est imposé à moi comme la « moitié d’un bien-dire » et m’a évoqué, je cite : « Comme le rappelle dans ses Structures élémentaires Lévi-Strauss, ce qui peut être l’enjeu du pacte, ce ne peut être, et ce n’est que cette livre de chair », comme dit le texte du Marchand, « à prélever tout près du cœur ».

 

Nous entendons là où Lacan fait référence au marchand de Venise (1).

 

Et lisons ma référence à notre collègue décédé, Patrick Valas.

 

Aujourd’hui, le temps de la sidération contrainte du réel dudit Covid commence, il est heureux, à dater.

 

Une circularité des trois registres pour chacun de nous. En effet. De son temps logique et quand bien même nous en serions qu’une moitié de marionnette…

Je me souviens de cet élan, une excitation, j’ose l’écrire, dans mon corps, lorsqu’il a été possible de revenir à l’ALI. Jouissance circulante, j’éprouvais un corps autre. D’un Autre à l’autre ? Nous étions, enfin, autorisés. J’en ai été traversée par la joie !

 

Enfin, j’ allais remettre mon réveil à 5 heures du matin, reprendre ce TER Bourgogne-France Comté de 6 heures 17 à destination de l’ ALI (les jours où les pulsions de mort de certains ne les ont pas jeté sous cet objet, qui sera arrêté, inévitablement, en rase campagne, pour une durée indéterminée, disent-ils ; ce qui demeure constant depuis des décennies, pulsion acéphale jusqu’à une butée dernière…), j’ allais pouvoir me dépêcher de reprendre le métro pour arriver à la station Rue du Bac pour marcher, le cœur vivant, jusqu’à la rue de Lille.

 

Sourire niaisement, le nez au vent, ravie de retrouver les corps désirants, je l’imagine, au 25.

 

Ainsi, comme nous l’offre Patrick Valas (2) citant Lacan dans la leçon 1 du 12 novembre 1958 de son séminaire Le désir et son interprétation, je cite : « Et pourtant cette théorie analytique… au centre de laquelle il est suffisant d’indiquer que la notion de libido se situe, qui n’est point autre chose que l’énergie psychique du désir, c’est quelque chose – s’il s’ agit d’énergie – dans quoi… je l’ai déjà indiqué en passant, rappelez-vous autrefois la métaphore de l’usine… certaines conjonctions du symbolique et du réel sont nécessaires pour que même subsiste la notion d’énergie. Mais je ne peux pas ici, ni m’arrêter ni m’appesantir… cette théorie analytique repose donc toute entière sur cette notion de libido, sur l’énergie du désir ».

 

Alors, revenir humer le 25, rue de Lille. Mon corps désirant, jouissant, libidinal en mouvement, en acte. Revenir renifler un lieu, sentir quelques autres. Autres selon. A quelques pas du 5. Une voie du désir ? Rue ruisselante de libido ? Mais pas que.

 

Qui nous coûte. Pas que symbolique, n’est-ce pas ! RSI. C’est chair.

 

Retrouver quelques autres. Le regard, la voix, le toucher. On y revient.

 

Une main sur un avant-bras par ci, une bise par là.

 

Une parole adressée concernant un analysant envoyé de ma petite province à un collègue psychiatre parisien, membre de l’ALI, présent, lui aussi, ce jour-là, si précieux pour ma clinique.

 

C’est, dans cet instant, une géographie, mon littoral. Et ça m’est chair !

 

(Mes collègues, à mon écoute, se reconnaîtront et je témoigne, ici, de ma reconnaissance lorsque le désert provincial d’où je parle m’embarrasse et que je peux adresser quelques-uns de mes analysants.)

 

Oui, la circularité des échanges m’est chair. Et si le grand A de l’ALI était au cœur du nœud ? Nouage de mon désir ? Un bord du lieu ?

 

Le transfert, c’est, dans Télévision, nous dit Lacan, « de l’amour ». Et du travail, ensemble.

 

Alors, chair Président, oui, j’ai une pensée émue lorsque je passe (…) la porte du local de l’ALI.

 

Qu’il neige, qu’il pleuve, qu’il vente. C’est un chair lieu.

 

Je m’y remémore Charles Melman, arrivant, à son rythme, les mois qui ont précédé sa mort.

 

Je m’y remémore la venue de Marcel Czermak. Et, de quelques autres.

 

Oui, je ne doute pas (quelle prétention !!) qu’il y faille (c’est le cas de le dire ou le trait du cas, le nôtre, peut-être ?) un lieu. Du réel. Un Heim. Un Heim de chair.

 

En effet, comme nos collègues belges payent leur billet d’Eurostar pour arriver à nos précieuses journées et séminaires, ce qui vaut, bien entendu, pour quelques autres non parisiens, je désire qu’il m’en coûte, pour venir à l’ALI, pour des siècles des siècles. Encore.

 

Parce que la fatigue, les mouvements (répétés) de grève sur la ligne Dijon-Paris, la ligne 14 fermée, le coût des hôtels, des restaurants, des couchers tard après nos soirées, des levers tôt pour nos matinées et j’en passe, n’en viendront pas à me mener par le bout du nez, à me clouer derrière un écran.

 

Parce que le Zoom, « béné-diction » depuis le Covid et les investissements de l’ALI, pour nous faire bénéficier des enseignements jusqu’alors interdits, à nous provinciaux, la semaine, demeure un bienfait.

 

Parce que je l’interrogerai comme une lathouse.

 

Parce que le plaisir pris, le matin, autour d’un café, offert des sourires de Malika et Corine, pour démarrer la journée à retrouver et à parler avec nos collègues, n’a de coût de la chair que ce que nous nous devons.

 

Laissant le mot de la fin, pour introduire, aux années à venir, ensemble, rue de Lille ou ailleurs, à Lacan (3) : « Plus on est de saints, plus on rit, c’est mon principe, voire la sortie du discours capitaliste – ce qui ne constituera pas un progrès, si c’est seulement pour certains ».

Alors à bientôt chairs ami(e)s !

 

Sophie Perrot

Membre correspondant de l’ALI

 

 


(1) Le marchand de Venise : http://www.valas.fr/Jacques-Lacan-Les-sources-de-ce-qu-onappelle-LE-SENTIMENT-ANTISEMITE,441)

(2) page 4 sur 337, http://staferla.fre.fr/S6/S6%20LE%20DESIR.pdf

(3) page 21 sur 68, http://www.valas.fr/IMG/pdf/LACAN_Television.pdf

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Nouveau site de l’ALI (texte corrigé) https://www.freud-lacan.com/documents-ged/nouveau-site-de-lali/ Mon, 04 Mar 2024 12:33:56 +0000 https://www.freud-lacan.com/?post_type=documents-ged&p=80013208 Chers collègues, chers amis,   Nous avons un nouveau site internet !   Suite à une longue réticence – et même opposition – Charles Melman avait accepté que notre Association ouvre un site internet. Avant même son Homme sans gravité, il craignait déjà, à juste titre, les dérives d’internet, des premiers forums, et l’effacement de la dissymétrie des […]

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Chers collègues, chers amis,

 

Nous avons un nouveau site internet !

 

Suite à une longue réticence – et même opposition – Charles Melman avait accepté que notre Association ouvre un site internet. Avant même son Homme sans gravité, il craignait déjà, à juste titre, les dérives d’internet, des premiers forums, et l’effacement de la dissymétrie des places aujourd’hui actée par les réseaux sociaux. Il doutait de notre capacité à utiliser cet outil numérique devenu incontournable. Puis il confia, il y a un peu plus de vingt ans, la conception d’une première version de ce qui ressemblait davantage à une « revue en ligne » (on se souvient de son intérêt pour les publications) à un petit groupe autour de notre collègue et ami Patrick Petit, seul compétent pour lancer et soutenir un tel projet, avec la complicité d’Alain Dufour et moi-même.

 

D’autres collègues se sont succédés pour faire vivre notre site : nous avons ensuite fait équipe Denise Vincent, Pierre-Christophe Cathelineau et moi, réunissant un large comité de rédaction chez elle ; puis Esther Tellermann en devint la responsable, suivie par Marc Morali, pendant cinq ans, et enfin Thierry Roth jusqu’à l’automne dernier. Depuis le début, nombre de collègues ont prêté main forte à la lecture, la rédaction et la correction, dans un travail éditorial soutenu pour que notre site ne soit pas le « cloaque » que prédisait Charles Melman.

 

Ce petit historique doit être complété par les développements importants qu’a pu connaître notre site. D’une compilation plus ou moins organisée d’articles et billets, nous sommes passés à une plateforme qui nous permet, en plus, d’avoir un agenda de toutes nos activités, mais aussi de vendre et acheminer nos publications papier, de nous inscrire à nos journées d’étude et même de payer nos cotisations !

 

Le nouveau site comptera toujours sur un comité de rédaction qui sera bientôt annoncé et qui veillera encore sur nos axes de travail. Ce patrimoine documentaire fait une belle place à la rubrique « Rue des Archives », clin d’œil mais surtout recueil de l’œuvre de Charles Melman, regroupée et mieux organisée pour faciliter la recherche et les effets de son enseignement.

 

Cette nouvelle mouture développe également l’un des tissages cruciaux de notre transfert de travail, au cœur de notre Association, lacanienne et internationale : notre nouveau site est conçu pour accueillir des textes dans d’autres langues et favoriser ainsi les échanges avec nos collègues non francophones, copains de labeur et enfants d’une même référence transférentielle.

 

Il me reste à saluer la décision de notre Bureau actuel qui, pour la première fois dans l’histoire de notre site, a fait le choix de ne plus continuer à empiler les rustines techniques et a choisi de passer par un prestataire, nommé Pulsar, afin de donner une cohérence à l’architecture de tout notre site. Cet investissement permettra aux responsables suivants et aux Bureaux qui viendront, de reprendre, d’améliorer, de compléter et de faire évoluer notre outil.

 

Une reconnaissance incommensurable enfin pour notre collègue Geneviève Schneider, l’une de nos secrétaires générales, et pour Malika Aarab, notre responsable administrative, qui ont été au cœur de la machine, jour et parfois nuit, pour écrire notre cahier de charges, pour éplucher de centaines (oui, des centaines !) de textes, pour passer au peigne fin le contenu, veillant à la clarté des éléments, en dialogue avec notre prestataire. Sans leur intelligence et implication, cet énorme chantier n’aurait simplement pas abouti.

 

Je suis navré par la longueur de cette invitation mais le contexte vous dit la valeur de cette étape. Alors allez-y ! Consultez notre site, faites-le d’abord sur ordinateur pour une navigation plus agréable et puis, dans quelques jours la version adaptée à nos téléphones suivra. Nous considérerons les remarques que vous adresserez à notre secrétariat, qui nous permettront de compter sur un outil de travail de qualité.

 

Omar Guerrero

Responsable du site internet et trésorier de l’ALI

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Dézoomons ensemble ! https://www.freud-lacan.com/documents-ged/dezoomons-ensemble/ Sun, 25 Feb 2024 18:17:08 +0000 https://www.freud-lacan.com/?post_type=documents-ged&p=80011924 Dézoomons ensemble !   Chers collègues, chers amis,    La crise de la Covid qui nous est tombée dessus en 2020 nous a fait découvrir le zoom, cet outil technologique formidable qui nous a permis de rester en contact mais à distance, à un moment où la présence des uns avec les autres était proscrite. La possibilité de […]

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Dézoomons ensemble !

 

Chers collègues, chers amis,

   La crise de la Covid qui nous est tombée dessus en 2020 nous a fait découvrir le zoom, cet outil technologique formidable qui nous a permis de rester en contact mais à distance, à un moment où la présence des uns avec les autres était proscrite. La possibilité de se réunir à nouveau s’est faite progressivement, avec jauges et masques, de sorte que l’ALI (comme beaucoup d’autres associations) a investi dans les possibilités de séminaires et congrès en hybride, à la fois en présentiel et en distanciel.

 

   Il apparaît aujourd’hui que les psychanalystes ne sont pas plus prémunis contre les effets pervers de la science – que pourtant ils dénoncent souvent – que les autres. Certes nous pouvons nous réjouir de voir de nombreux collègues travaillant loin de Paris assister et parfois participer aux séminaires du 25 rue de Lille, via Internet. Mais notre local s’est vidé ! Environ 90% des parisiens ne se déplacent plus le soir dans nos locaux – dont le loyer fort cher est ainsi devenu injustifié. Et l’on découvre ainsi que l’on peut parler à la tribune sans savoir à qui l’on s’adresse, et que l’on peut écouter une conférence en dînant chez soi en famille, en pyjama dans son lit, ou souvent caché derrière un écran noir.

 

   Alors que l’on sait tous que se rendre à une pièce de théâtre, un événement sportif ou un office religieux implique une participation et un investissement psychique très différents que de regarder le même évènement depuis sa télévision, comment peut-on estimer que le travail de transmission et de recherche en psychanalyse pourrait se faire sérieusement par écrans interposés ?

 

   Ceux parmi nous qui se connaissent depuis longtemps se sont parfois convaincus qu’on pouvait travailler à distance et se retrouver trois fois par an lors de grands congrès ou à l’occasion de petits groupes de travail. Mais comment transmettre aux plus jeunes, que de fait on ne connaît même plus ? Comment leur permettre de rencontrer leurs aînés, de développer des transferts de travail ? Comment plus généralement faire un travail commun de recherche et de débats en distanciel ? Je revois encore, avec une certaine honte, le visage tellement surpris de quelques nouveaux membres ou de collègues anciens venus de loin, au moment où ils entraient dans notre grande « salle Freud » pour y voir à peine 10 personnes – mais 300 sur zoom semble-t-il, invisibles et muets pour la plupart.

 

   Faisons donc enfin du zoom une utilisation rationnelle ! Il n’est certes pas souhaitable de supprimer cet outil nouveau et l’on se réjouit avec eux de voir nos collègues vivant loin pouvoir participer à nos enseignements parisiens. Mais nous ne pouvons nous résoudre à devenir une association sans lieu, accueillant et formant les plus jeunes – c’est à dire la relève de notre discipline – à distance, travaillant ensemble chacun derrière son écran, sans parler des nombreuses réunions de travail et d’organisation, nécessaires à notre Association, dont la fluidité s’évapore dans le nuage… Le problème est d’ailleurs identique dans certaines écoles régionales ou nationales.

 

   Les appels à revenir dans nos locaux étant restés jusqu’à présent sans résultat, nous avons pensé, au Bureau, à la solution radicale de ne plus donner les codes zoom aux parisiens (sauf quelques rares dérogations) afin de retrouver l’esprit des échanges, de la transmission, de la camaraderie, du transfert de travail. Et quand on ne vient pas, on ne vient pas… A une époque guère lointaine on appelait cela le manque, ou le réel. Après une réunion (en présentiel !) avec notre Doyennat, nous avons finalement décidé de faire d’abord le pari de la responsabilité et du désir de nos collègues, plutôt que celui d’une simple décision d’autorité. D’où cette lettre, qui invite chacun à contribuer activement à la reprise de nos rencontres.

Bien amicalement,

Thierry Roth

Président de l’ALI

 

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La parole est-elle soluble dans le numérique ? https://www.freud-lacan.com/documents-ged/la-parole-est-elle-soluble-dans-le-numerique/ Sun, 25 Feb 2024 18:14:38 +0000 https://www.freud-lacan.com/?post_type=documents-ged&p=80011922 La parole est-elle soluble dans le numérique ? Olivier Coron[1] La pandémie mondiale que nous avons traversé a accéléré la place de la technoscience dans notre existence, en privilégiant l’usage informatique et en favorisant le « distanciel » : télétravail, télé-enseignement, téléconsultations en tout genre ; pratiques qui ont persisté une fois la pandémie passée et qui sont présentées aujourd’hui […]

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La parole est-elle soluble dans le numérique ?

Olivier Coron[1]

La pandémie mondiale que nous avons traversé a accéléré la place de la technoscience dans notre existence, en privilégiant l’usage informatique et en favorisant le « distanciel » : télétravail, télé-enseignement, téléconsultations en tout genre ; pratiques qui ont persisté une fois la pandémie passée et qui sont présentées aujourd’hui comme une option intéressante en réponse par exemple aux déserts médicaux ou, pour ce qui nous concerne, aux facilitées de suivi de patients très éloignés géographiquement, ou encore soucieux de mobilité réduite. Si durant les années qui ont précédé la pandémie bon nombre d’analystes pouvaient se montrer réfractaires aux psychanalyses à distance, voire ironiques lorsqu’elles étaient engagées par des collègues, – ceci au nom du fait qu’un tel dispositif contreviendrait au bon déroulement de la cure – force pourtant est de constater que la pandémie a changé la donne et à conduit certains à poursuivre les cures via la téléconsultation, une majorité y revenant néanmoins lorsque le ciel fut plus clément, tandis que d’autres l’ont partiellement maintenue comme option possible, ne jugeant pas la présence du corps du patient (et de l’analyste) indispensable au bon déroulement des séances.

Face à cette absence de consensus des psychanalystes, une question se pose alors, en quoi l’utilisation des outils de communication contreviendrait à la parole ? En quoi seraient-ils un frein à l’au-delà de ce qui se dit dans ce qui s’énonce ? En quoi l’énonciation serait incompatible avec le numérique ? En quoi encore un enseignement ou une réunion de travail par écran interposé contreviendraient à la valeur de la parole énoncée ? La question est de taille : la parole est-elle totalement soluble dans la tuyauterie numérique ou bien quelque chose de ce qui fait sa valeur se perd à en passer par une machinerie ? Et ce « quelque chose » quelle en est sa nature ?

Ces questions ne concernent pas spécifiquement le champ de l’analyse, comme on l’a vu c’est l’ensemble du champ social qui est en effet concerné par la dématérialisation des échanges, qu’il s’agisse du télétravail, du téléenseignement, des téléconsultations médicales ou même de la prise de rendez-vous via une application dédiée. Relevons que ce dernier procédé semble rencontrer une limite que les technophiles n’avaient pas anticipé : celui des rendez-vous médicaux non honorés[2] (27 millions par an) et qui témoigne que l’engagement par clic sur un écran ne vaut pas celui d’une demande adressée à un humain, même par téléphone.  Relevons aussi que si la visiophonie a presque un quart de siècle [3], son adoption récente dans le social, dans le champ professionnel et dans le soin témoigne qu’une invention a besoin d’une dynamique culturelle particulière, d’un terreau imaginaire et symbolique compatible pour être adoptée. A titre d’exemple, si la téléconsultation médicale fait aujourd’hui partie des usages et n’est plus perçue par bon nombre de médecins comme un pis-aller, c’est en partie lié au déclin progressif de la consultation clinique au bénéfice des examens paracliniques et notamment de l’imagerie numérique qui dirait le vrai face à l’interprétation humaine d’une palpation.

Interroger les limites engendrées par les outils de communication sur la fonction de la parole – et ce d’autant plus que les progrès techniques permettent une transmission parfaite – prend le risque d’être taxé de rétrograde tellement l’idéologie du progrès prévaut aujourd’hui, idéologie qui cavale depuis un bon moment déjà et que rien ne semble pouvoir ralentir. L’enjeu de cet article n’est pourtant pas d’inviter à un retour à la chandelle, mais de désigner ce qui, de la parole, peut être affecté, voire empêché lorsqu’elle en passe par la tuyauterie numérique : la cure analytique étant le lieu où la dimension de la parole est poussée avec la plus grande rigueur (car elle est le seul moyen pour accéder à la vérité du désir inconscient),  cela donne alors de facto toute légitimité à la psychanalyse pour désigner ce qui fait le sel de la parole et pour dégager ce qui se perd lorsque la parole est dématérialisée.

L’exemple de l’émission télévisée « Le jour du Seigneur », diffusée en France depuis 1949 et destinée à l’origine à ceux ne pouvant pas assister à la messe, illustre les limites d’un procédé de transmission qui transmet beaucoup mais rate l’essentiel. Dans une interview au journal La Croix, un professeur de théologie souligne cette limite : « Du point de vue de Dieu, la messe lui sert à lui, pour se donner à nous dans l’Eucharistie et à la télévision, il n’y arrive pas [4] ! ». Au cours de la messe, le croyant présent dans l’église n’est pas un spectateur, il n’applaudit pas après un sermon, une homélie ou un chant liturgique, il ne filme pas non plus le prêtre sur son téléphone ; le croyant participe activement à un rite qui œuvre à faire exister le corps du Christ absorbé symboliquement dans la communion : la messe est une expérience de partage, de dialogue et de rencontre des corps. Cette comme-union avec l’esprit Saint échoue devant l’écran de télévision, en témoigne la passivité du téléspectateur qu’on aurait du mal à imaginer se lever de son fauteuil au cours du rituel de la messe ou à conclure par un « amen » les oraisons du prêtre. Il assiste certes à une cérémonie en direct, livrée à domicile, mais sans implication, la télévision faisant écran à ce que la parole du prêtre lui soit adressée ; à travers la télévision en effet, le prêtre parle à la cantonade et l’auditeur ne se sent aucune responsabilité vis-à-vis d’un message qui ne lui est pas spécifiquement adressé, ni vis-à-vis de l’orateur d’ailleurs pour lequel aucune marque d’intérêt ou de respect pour sa parole n’est nécessaire.

Ajoutons qu’au-delà de l’impossibilité à transmettre ce qui relève d’une dimension imaginaire mais aussi symbolique, la diffusion de la messe à la télévision, son insertion dans une grille de programmes divers et variés, banalise ce moment sacré de la liturgie catholique. Les vifs débats qui ont agité l’église à la fin des années quarante autour de cette question, témoignent que la trivialisation induite par la retransmission électronique était déjà parfaitement perçue, le directeur des programmes de la télévision française de l’époque, Jean Darcy, écrivait d’ailleurs : « Le monde se déchristianise et nous portons peut-être la responsabilité d’accroître cette déchristianisation par nos programmes, mais comment faire des programmes dans le monde tel qu’il est, alors que l’on nous demande avant tout d’être des témoins, de retransmettre [5] ? ».

C’est toute la question de la transmission d’un message via un dispositif numérique qui se dégage ici, au-delà de cet exemple particulier. L’esprit Saint n’est certes pas porté par les ondes hertziennes mais la valeur d’un enseignement à distance semble aussi être affectée lorsque c’est la télétransmission qui est privilégiée. Durant son séminaire « Sujet, Savoir [6] », Jean-Paul Hiltenbrand a pris exemple sur l’échec de l’enseignement de masse en ligne (« Moocs »), aux Etats-Unis pour souligner combien la transmission d’un savoir ne relevait pas seulement d’une communication de connaissances (dont l’enseignant ne serait qu’un agent interchangeable), mais impliquait une relation, un transfert et que cette dimension ne pouvait se nouer virtuellement.

Présentés en deux mille dix comme une solution pédagogique alternative aux enseignements traditionnel et intéressante économiquement, les « Moocs » connurent un succès considérable mais les abandons en cours de route furent nombreux (la moitié des inscrits ne consultait qu’une seule séance et seulement 4% suivaient le cursus dans sa totalité [7]), quant aux résultats des examens, ils furent calamiteux. Les partisans d’un tel dispositif (qui s’est rependu durant le confinement), n’ont pas vu dans cet échec le signe d’un nouage impossible entre transmission du savoir et virtualité, mais plutôt comme une invitation à perfectionner un dispositif trop proche de l’enseignement classique ; aujourd’hui, les Moocs se résument le plus souvent à de courts modules d’infographie animée commentées par une voix off.

Jean-Paul Hiltenbrand va insister tout au long de son séminaire sur le fait que la transmission du savoir implique une relation subjective, dimension du transfert aux fondement de tout enseignement donc et sur laquelle le dispositif des Moocs fait l’impasse. Transfert non pas à l’enseignant – souligne-t-il – mais transfert au savoir, prenant son origine « dans la prise de conscience chez le sujet de son incomplétude, de la dimension de la béance [8] » or, précise-t-il : « Internet ne transmet pas du savoir comme on pouvait le croire, Internet ne transmet que de l’information, mais ce déluge d’informations de manière continue vient recouvrir, voiler ce défaut de savoir [9] ». Ainsi l’accès numérique favorise la saturation du manque, favorise aussi un déplacement de l’adresse puisqu’un moteur de recherche peut venir palier instantanément au défaut de savoir.

Mais si la prévalence du média numérique dans notre existence affecte le manque au savoir, en quoi ce dernier concernerai-t-il plus les Moocs que les enseignements sous une forme traditionnelle ? Jean-Paul Hiltenbrand souligne alors que l’enseignement à distance rate une autre dimension essentielle à la transmission du savoir, c’est celle de la demande de reconnaissance : « l’élève – précise-t-il – veut avoir un contact avec le maitre si c’est possible, ou bien il veut avoir un contact au moins sur la qualité de son savoir et que le maitre lui fasse cette reconnaissance [10] », demande au niveau de l’être donc, que l’anonymat du dispositif et la distance viennent forclore.

Soulignons que l’adoption de la visioconférence dans l’enseignement n’est pas seulement lié à des préoccupations économiques ou à l’attrait pour de nouvelles technologies, il n’est pas non plus consécutif au fait que le dispositif fonctionne correctement grâce à la généralisation du haut débit, mais il doit plutôt s’entendre comme l’illustration d’une mutation dans le rapport au savoir et donc d’un changement de statut de l’enseignant devenu un agent de transmission des connaissances et non plus en place d’énonciation d’une parole ; sa personne, sa présence étant alors secondaire au regard de « l’acquisition des compétences » à transmettre et que des QCM viendront valider. Si la crainte d’une tête bien pleine plutôt que bien faite faisait déjà partie des préoccupations des précepteurs (il y a deux mille ans, le philosophe Plutarque soulignait que « l’esprit n’est pas comme un vase qui a besoin d’être rempli ; c’est plutôt une substance qu’il s’agit seulement d’échauffer ; il faut inspirer à cet esprit une ardeur d’investigation qui le pousse vigoureusement à la recherche de la vérité [11] »), l’utilitarisme étant passé par là, cette préoccupation de former les âmes est moins à l’ordre du jour, Hannah Arendt en relevait d’ailleurs déjà les prémisses dès la fin des années cinquante dans son essais « La crise de la culture [12] ».

L’excès d’informations qu’évoque Jean-Paul Hiltenbrand dans son séminaire ne se limite pas aux sites d’actualités, aux réseaux sociaux ou aux moteurs de recherches mais concerne aussi la digitalisation de tout ce qui est digitalisable, qu’il s’agisse des livres, de la musique ou encore des œuvres d’art. A ce titre, là où l’œuvre imposait que l’on aille à elle, car elle était unique – c’était par exemple la fonction du musée – que l’on s’y recueille parfois et qu’on lui rende hommage. Aujourd’hui, la frénésie photographique dans les galeries (convertissant l’œuvre en image), semble privilégier la captation et la possession à la contemplation[13]. La digitalisation généralisée trivialise toute création de l’esprit en la convertissant en flux, ralliant une masse infinie sans distinction de valeur, accessible sans effort et consommable immédiatement, ne laissant plus de place pour l’indisponible. L’offre sans limite satisfait l’appétit pulsionnel pour des images, de la musique ou des films, qui – comme dans le cas de la boulimie alimentaire – ne valent que comme bouche-trou d’un appétit vorace et sans distinction de qualité. A ce titre, l’horizontalisation induite par l’Internet, qui agglomère le bon grain et l’ivraie, n’est pas sans effet sur ce qu’on appelle « la crise de la culture » qui impliquait autrefois une échelle verticale des valeurs, du beau et du laid, du sacré et du profane, de la qualité ou de la pacotille. Soulignons néanmoins que ce déclin culturel – qui est un des effets du relativisme ambiant– est antérieure au réseau des réseaux qui n’a fait qu’amplifier ce relativisme.

Que l’économie numérique participe au changement de monde, cela semble ne faire aucun doute, mais la question est de savoir si ces bouleversements apportés par l’Internet (dans laquelle le capitalisme s’est engouffré comme source supplémentaire de profits), relèvent d’un saut quantitatif dans l’expérience humaine ou d’un saut qualitatif. Car si la digitalisation des créations évoquées plus haut est un procédé récent, la reproduction à l’infini était déjà le propre de l’industrie capitaliste et cela depuis plus de deux cent ans ; en effet la fonction du mouvement industriel étant toujours d’aller vers la prolifération et par là de conduire à la banalisation ; quant aux écrans, ils prolifèrent et subvertissent la culture depuis plus d’un demi-siècle[14]. Autrement dit, le numérique ne fait-il que permettre toujours plus de confort en nous apportant le monde à nos pieds (comme les machines omniprésentes dans notre quotidien) ou bien introduit-il une dimension nouvelle ?

Il ne semble pas excessif de postuler que les technosciences via les technologies digitales permettent de s’émanciper des contraintes liées à la dimension de la parole, « la technoscience – affirme Gérard Amiel – nous propose un moyen de mettre de côté le savoir, ce fameux savoir qui était là sous-jacent dans les relations humaines et qui impose d’être pris dans des relations d’aliénation réciproques et de paroles les uns avec les autres pour supporter la vie (…), la technoscience invente donc des gadgets pour notre confort qui nous permettent d’être de plus en plus autonome et de circuler sans cette nécessité vitale de l’autre (…), vous êtes pris dans un univers qui vous dispense de cette fonction de la parole, la fonction de la demande vous y êtes finalement dispensés et vous pouvez circuler grâce à ces gadgets qui vous autonomisent [15] ». Dans un numéro intitulé « Sexe et amour 2.0 », la revue Books relatait les propos d’un jeune New Yorkais se félicitant qu’avec les applications de rencontre « je peux baiser gratuitement avec une fille différente tous les soirs sans avoir à bouger de mon fauteuil  [16] ».

A l’hôpital, la digitalisation permet au professionnel un accès facile au dossier du patient et ce à partir de son propre bureau, il peut aussi ajouter ses commentaires sans avoir à se déplacer jusqu’à la salle de soin, comme cela se faisait autrefois. Les demandes de consultations diverses et variées peuvent se réaliser d’un clic, sans avoir à s’adresser directement à un professionnel et sans avoir à discuter avec lui des spécificités du cas, ce dernier sera notifié sur son écran d’une nouvelle demande à laquelle il pourra répondre par le même canal et cela sans qu’aucune parole ne soit échangée entre les soignants : la prolifération du numérique facilite la dématérialisation des échanges et le travail solitaire.

Dans ce même séminaire, Gérard Amiel souligne un autre point, capital, induit par la dématérialisation des échanges : « Notre technoscience et ses gadgets nous poussent à croire que nous pouvons nous dispenser des fonctions de la parole et que nous sommes des individus autonomes, c’est de la folie furieuse ! Nous ne sommes pas autonomes car ce qui nous est vital pour que nous ne traversions pas notre vie comme des momies, c’est la rencontre de ce désir du grand Autre qui ne peut se sécréter que dans la parole et si nous ne sommes pas dans ce rapport et bien cette fonction du désir de l’Autre ne risque pas d’émerger [17]». A ce titre, même le plus progressiste des analystes peut manifester un certain agacement face au SMS d’un patient nous informant de son absence ou encore de son départ définitif. Rompre avec son compagnon ou sa compagne… ou son analyste par SMS, c’est refuser de s’inscrire dans un échange, c’est se dégager sans le risque d’avoir à soutenir sa décision au regard de la demande ou du désir de l’autre. Relevons que la rupture, lorsqu’elle provient d’une lettre manuscrite, témoigne d’un effort qui sous-tend une reconnaissance pour celui à qui elle s’adresse, dimension venant alors témoigner que quelque chose à compté, même si la lettre vient solder le compte. Ce petit exemple témoigne alors que l’outil numérique ne permet pas seulement de faire l’économie d’une parole (une lettre postale la fait aussi), mais qu’il permet aussi d’éviter d’avoir à porter la responsabilité de sa parole. Ajoutons que les options proposées par les applications digitales permettent même d’économiser l’envoi d’un SMS en proposant de « ghoster » l’éconduit qui devient alors incapable de communiquer avec son partenaire devenu inaccessible.

L’outil numérique est parfaitement adapté pour informer, transmettre ou partager, à ce titre, il répond pleinement aux critères définissants les théories de la communication qui reposent sur une lecture utilitariste de la langue, c’est-à-dire au service de la transmission d’un message, ce que le philosophe Robert Redeker résume d’une formule lapidaire : « la communication veut réduire la langue au rang de servante docile [18] ». Cette réduction n’est d’ailleurs pas sans effet sur notre rapport à la structure de la langue elle-même, sur le respect de sa syntaxe et de sa grammaire ou encore sur la prolifération des acronymes par exemple, car si ce qui importe c’est de transmettre une information, le bien dire et le bien écrire relèvent alors du superflu : « La marginalisation actuelle de la poésie, sa survivance clandestine, sa réduction minimaliste à l’école, figurent parmi les symptômes les plus dramatiques de cette soumission de la langue aux impératifs de la communication [19] ». Dans son séminaire, Jean-Paul Hiltenbrand souligne lui aussi cette dynamique : « L’homme contemporain sort du langage et de sa fonction [20] », fonction au-delà de la communication qui est celle de situer la place du sujet de l’énonciation et de son désir : « La fleur du désir se développe sur le sol du langage [21] » écrit-il. Dès lors, la formule « déclin de la fonction de la parole » que bon nombre d’analystes peuvent aujourd’hui utiliser pour désigner la dynamique contemporaine ne concerne pas la parole qui informe, qui communique (celle-ci ne s’est jamais aussi bien portée), mais la parole en tant que support du désir, dans l’entre-deux des mots. « La psychanalyse – écrit Jean-Paul Hiltenbrand – persiste à affirmer que l’homme ne parle pas seulement pour communiquer, ni pour uniquement transmettre des savoirs ou des informations mais qu’il parle tout court, parfois pour ne rien dire certes, mais parole pourtant essentielle, vitale pour son existence [22] ».

Ainsi, rien de ce qui constitue « la communication », telle qu’elle est théorisée depuis soixante-dix ans n’est en défaut via les outils modernes, puisque pour communiquer, peu importe que l’on soit présent ou non, l’important étant que le message soit transmis, transmission du message qui peut concerner deux humains mais qui vaut aussi entre un humain et une machine ou encore deux machines entre elles. Il est intéressant de noter que si lesdites théories prennent en compte les freins à une bonne communication, ces freins résultent plus du fait de paramètres environnementaux ou techniques (bruits ambiant, friture sur la ligne, mauvaise connexion…) que de la structure même du langage ou de paramètres propres à la subjectivité humaine ou encore des effets d’un dialogue à distance sur la qualité du dialogue lui-même. Dès lors, ce qui échappe à ces théories, c’est que la parole excède la communication, que l’on peut certes parler pour informer et communiquer mais qu’au-delà de cette fonction phatique (qui certes permet un semblant de lien humain), la parole est aussi ce qui noue, ce qui engage un sujet dans son dire.

Un renversement s’opère alors car si la parole engage, c’est qu’elle n’est pas seulement un outil au service de la communication, mais qu’elle constitue un ordre auquel nous acceptons d’appartenir et qui nous dépasse. Postulons alors que ce que les outils de transmission ne transmettent pas, c’est justement ce que les théories de la communication ignorent, c’est-à-dire en premier lieu l’Autre et l’axe symbolique au profit du semblable et de l’axe imaginaire. Précisons que si l’axe symbolique est la condition nécessaire pour que puisse advenir le sujet de l’inconscient, au-delà de cette spécificité propre à la cure analytique il est aussi ce qui permet que toute parole ne soit pas un verbiage sans conséquence. « La communication – souligne Jean-Paul Hiltenbrand – exclut l’Autre, c’est là le problème ! Lorsque vous mettez des nourrissons devant la télévision, vous mettez des images humaines sans Autre [23] », à ce titre aucun enfant n’a jamais appris à parler en regardant la télévision et cette affirmation ne relève pas d’un postulat idéologique des psychanalystes, elle est soulignée tout au long du livre de Michel Desmurget, chercheur en neurosciences, qui peut écrire par exemple : qu’« Il ne suffit pas de donner un ordinateur à des gamins illettrés pour que ceux-ci s’éduquent seuls et apprennent à lire par eux-mêmes, sans enseignement [24] » et qui rajoute plus loin « Pour que la magie relationnelle opère, il faut que « l’autre » soit physiquement présent. Pour notre cerveau, un humain « en vrai » ce n’est pas la même chose qu’un humain en vidéo (…) ce manque de réactivité face à un écran a depuis été largement généralisé à l’espèce humaine et touche aussi bien l’enfant que l’adulte [25]», le langage ne s’apprend pas, il se parle.

La prévalence de l’axe imaginaire induit par les échanges virtuels s’illustre par la prolifération des faits divers de harcèlements sur les réseaux sociaux illustre, favorisée par l’isolement de l’internaute derrière son écran, par la possibilité d’une réponse instantanée et par la généralisation d’une navigation sous pseudonyme procurant l’illusion de l’anonymat et autorisant des propos sans engagement, du tac au tac « grâce à la machine, vous échappez à la castration [26] » affirme Jean-Paul Hiltenbrand, celle en particulier qui vient borner l’idéal de toute puissance narcissique.

Il n’est pas sans intérêt de relever que bon nombre de psychothérapeutes et psychanalystes non lacaniens ayant publié sur les téléconsultations, tout en la défendant au motif qu’elle « permet des interactions réelles (…) sans altération de la réalité psychique [27] » constituant alors « une alternative tout à fait valable à la séance de psychothérapie et même à celle de la cure analytique [28] », conviennent néanmoins que le procédé ne peut se substituer durablement aux rendez-vous en cabinet mais cela pour des motifs n’ayant rien à voir avec les conséquences d’un dialogue à distance sur la parole elle-même. Pour certains auteurs, les difficultés évoquées concernent les risques de contrôle des écoutes par les gouvernements totalitaires ou encore celles liées à l’absence du corps dans sa « polysensorialité [29] », (mouvements sur le divan, odeur du patient…), limitant alors le champ des interprétations possibles ; chez d’autres c’est le dispositif lui-même et le changement de cadre qui entrainent de nouvelles difficultés pour le thérapeute liées à la communication via un écran (« zoom fatigue ») ou bien de nouvelles contraintes (qui téléphone ? Comment arrêter l’entretien d’une façon qui ne soit pas trop brutale ?) ou encore l’emplacement de la caméra au-dessus de l’écran qui modifie le regard ; certains soulignent que ce mode d’échange nécessite « de plus grandes manifestations d’empathie verbale afin de compenser la perte des sensorialités [30] », inflations de manifestations qui, à la longue, fatiguent le thérapeute ou dérange son attention flottante. Le fait que ces auteurs soient éloignés de la référence lacanienne et de sa poétique de la parole, n’est probablement pas un hasard, les rendant peut-être mieux disposés vis-à-vis d’un dispositif permettant la communication. Plusieurs auteurs vont même jusqu’à interroger le refus de certains patients durant le confinement de poursuivre les consultations via un dispositif numérique, l’interprétant comme lié à « une problématique de l’incestuel, les rapprochant d’un fantasme transgressif impensable et ininterprétable [31] », oubliant peut-être que pour (se) dire des choses importantes la parole seule ne suffit pas, qu’il faut se déplacer pour porter ce que l’on a à dire et pour se faire entendre.

Durant son séminaire « Retour sur la fonction de la parole », qui s’est déroulé durant le premier confinement, Colette Soler a voulu relativiser les conséquences du distanciel au motif que si le procédé freudien est celui d’une parole libérée des contraintes de la bienséances couplée à l’interprétation, tout le reste, qu’il s’agisse du nombre et de la durée des séances, du paiement des rendez-vous manquées ou encore de la présence physique du patient (le « setting »), « tout cela qui – précise-t-elle – a son importance dans chaque cure ne définit pas la chose[32] ». Soler réduit alors l’analyse à l’os du dispositif tel que Freud pouvait déjà le formaliser : « un échange de parole entre l’analysé et le médecin [33] ». Lors de la séance suivante du même séminaire, elle interroge alors ce qui ferait défaut à un dispositif de communication électronique : « On l’a entendu à propos des analyses à distance par Skype ou par téléphone, que certains récuseraient car elles élident la présence du corps de l’analyste en trois dimensions (…), la question est dès lors la suivante : est-ce que la cause analysante a un corps ? Autrement dit, comment l’objet « a » se présentifie-t-il à l’expérience ? [34] ». La question est légitime car dans la formalisation lacanienne du Discours de l’Analyste ce dernier en effet est en place de dépositaire de l’objet pulsionnel du patient, mais cet objet n’est pas le corps, il en est séparé, chuté du corps peut-on dire. Cette distinction amène alors Soler à critiquer la référence à la présence du corps de l’analyste pour invalider l’intérêt des téléconsultations : « Si l’analyste incarne l’objet dans sa variante pulsionnelle, la distance des corps n’est pas un inconvénient et même une absence complète des corps [35] ».

L’année suivante, elle revient sur la place de l’analyste comme semblant d’objet et souligne qu’à l’occasion d’une conférence donnée aux USA, Lacan – dans son mathème désignant le Discours de l’analyste – a substitué à l’objet petit a le mot « silence ». Pour Soler, Lacan indique alors que « si l’analyste donne présence à l’objet, ce n’est pas par sa présence de corps, mais par son dire spécifique d’interprétation [36] ». Une question se dégage alors : l’étoffe du silence de l’analyste est-elle la même selon qu’il est présent ou à l’autre bout de la ligne ? L’expérience commune semble témoigner d’une grande différence, car si le silence de l’analyste « in vivo » s’inscrit sur fond de présence (même si le patient peut dire qu’il pourrait parler à l’identique seul chez lui), celui de l’analyste en ligne apparait sur fond d’absence, au point d’ailleurs qu’il n’est pas rare dans une conversation commune que l’auditeur silencieux soit interpelé afin de témoigner… de sa présence. Les analystes pratiquant les consultations en ligne soulignent parfois cette nécessité de « traitement du silence très différente de l’analyse en personne, imposant à l’analyste le besoin de témoigner, par des sons ou par des remarques, la réalité de sa présence et de son écoute [37]», procédé qui témoigne d’une impossibilité propre au dispositif d’articuler à la parole de l’analysant la présence réelle de l’analyste, c’est à dire comme le souligne Jean Bergès, « de celui qui incarne le réel de ce qui va s’articuler dans la séance, car à défaut de ce réel, on aurait le défilé d’une chaine signifiante qui ne se soutiendrait de rien d’autre – et il ajoute – cette présence réelle de l’analyste soutient la vérité de ce qui est dit, de ce que fait entendre l’analysant  [38], c’est donc à partir de la place qu’il occupe dans le transfert mais aussi à partir de son « désir de l’analyste » que l’analyste – même si il reste silencieux – est le garant de ce qui est dit au-delà de ce qui s’énonce, or cette présence de l’analyste n’opère pas lorsqu’il est dématérialisé.

« Il y a une petite tendance à raisonner des hommes et du monde humain comme s’il s’agissait de lunes [39] » nous dit Lacan, autrement dit à oublier par exemple que ce qui nous différencie des autres êtres vivants c’est que si, comme eux, nous sommes faits de chair, cette chair est parlante, transformée, dénaturée par le verbe qui fait de nous des être manquants, habités d’une perte. « La parole nait d’une faille – souligne Jean-Paul Hiltenbrand – d’une béance et cette faille se détermine d’un lieu où dysharmonie et dissymétrie sont premières, ce sont là les caractéristiques du parlêtre[40] », cette faille, c’est celle produite chez l’enfant par ses demandes dont les réponses échouent toujours à satisfaire son vœu de complétude. Il est habituel de répéter que l’enfant est un être parlé avant qu’il ne parle, ce n’est pas faux, mais pour lui c’est originellement par la demande qu’il entre dans le langage, d’ailleurs chez n’importe quel adulte l’apprentissage d’une langue étrangère en passe par un dialogue vivant et spontané et pas par l’audition de phrases sur un magnétophone ou d’émission de radio. L’écrivain Akira Mizubayashi – malgré son amour inconditionnel de la langue française – a d’ailleurs précisé combien cette dernière méthode l’avait rendu apte à parler mais de façon désincarnée : « Je ne suis pas un habitué de cette langue, ce n’est pas elle qui m’a nourri, ce n’est pas elle qui m’a élevé. C’est une grande maison que je contemple de l’extérieur et même si elle est belle et confortable, je ne m’y sentirai pas à l’aise ni à ma place (…), c’est comme une femme inabordable, je la trouve belle, je la désire. Mais je sais que je la regarderai toujours de loin, qu’elle ignorera mon existence, qu’elle ne sera jamais ma femme même si je parviens à la connaitre un peu [41] » ; pas de corps à corps avec la langue française pour Mizubayashi, faute d’un corps à corps inaugural avec une française, c’est-à-dire faute que le français ne soit sa langue maternelle.

C’est dans la relation avec la mère (ou son représentant) que l’enfant entre dans la parole, La mère, c’est celle qui éveille les sens de l’enfant, provoque une mise à feu pulsionnelle : bain de soins, de caresses et bain de mots aussi : « La mère prend soin de l’enfant, s’active plus spécialement à le nourrir, c’est-à-dire à entretenir cette pulsion orale et à la satisfaire – nous dit Jean-Paul Hiltenbrand – cette activité pulsionnelle s’accompagne de paroles diverses destinées à accompagner pour l’enfant ses satisfactions orales ; il y a donc dès le départ une concaténation entre la priorité de la parole, le plaisir de la parole et les satisfactions orales [42]». La parole ne s’origine donc pas d’un apprentissage abstrait et désincarné, elle n’est pas le produit d’une bonne « communication », elle se noue dans le champ pulsionnel à partir de ce lien au grand Autre primordial. « La parole – rajoute-t-il dans la leçon suivante – c’est à la fois du signifiant et du corps [43] », or, précise-t-il, cette part pulsionnelle nouée à la parole ne peut circuler à travers les machines, hétérogènes – on l’a vu – à la dimension du grand Autre, dénaturant du même coup la puissance de l’incidence du langage : à titre d’illustration, l’énonciation d’un analyste ne produit pas les mêmes effets selon qu’elle est formulée dans son cabinet ou par téléphone, elle « ne touche pas » pourrait-on dire, de la même manière.

Le confinement consécutif à la pandémie mondiale, s’il a normalisé le « distanciel », nous a aussi permis de prendre massivement la mesure de ce lien entre présence du corps et fonction de la parole. L’égarement contemporain est d’avoir oublié d’où s’origine cette dernière, de vouloir la réduire à une pure abstraction, un outil à notre service, hétérogène au parlêtre, désincarnée, alors que la parole est originellement articulée avec le champ pulsionnel car elle a émergé dans le corps à corps avec la mère. « Lorsque nous parlons – nous dit le poète – au fond des paroles, il y a le souvenir de ce premier partage dans le noir. Il y a un son caché et une présence invisible, un fragment, l’échange et le passage de l’un à l’autre d’une part de nuit dans le moindre mot [44] ». Le numérique, en nous permettant de communiquer à distance, loin d’un rapport direct à notre interlocuteur, force la parole dans le champ de la sublimation, enlevant sa chair au verbe, mais l’opération n’est pas sans effet car la parole en perd alors la racine de ce qui l’a fondé originellement, dans un nouage indéfectible à l’Autre primordial. Elle communique certes, mais faute d’une présence vivante elle est alors amputée de la part qui touche à l’être, la part manquante.


[1] Psychanalyste, Président de l’Ali-Rhône Alpes

[2] Article du « Point » du 26 juillet 2022, « Les médecins alertent sur le nombre de rendez-vous non honorés »

https://www.lepoint.fr/sante/les-medecins-alertent-sur-le-nombre-de-rendez-vous-non-honores-26-07-2022-2484425_40.php#11

[3] En France, les premières expérimentations datent des années 80.

[4] https://croire.la-croix.com/Definitions/Lexique/Messe/La-messe-a-la-television-suffit-elle

[5] Évelyne Cohen, « La pensée de Jean d’Arcy entre religion, politique et communication », in « Jean Darcy, Penser la communication au XXe siècle », sous la direction de Marie Françoise Lévy, éditions de la Sorbonne, 2014, p43

[6] Jean-Paul Hiltenbrand, « Sujet, Savoir », Séminaire 2014-2016, Editions de l’Ali Rhône-Alpes, 2016

[7] Marine Miller, « Les Moocs font pschitt », « Le Monde » du 22 octobre 2017

[8] Opus cité p42

[9] Idem

[10] Ibid p41

[11] Plutarque, Œuvres morales et œuvres diverses Tome I, livre 3, Elibron Classic, 2002, p520

[12] Annah Arendt, « La crise de la culture », Folio Essais, Gallimard, 1972

[13] Dans les années cinquante, le philosophe Günther Anders soulignait déjà cette frénésie photographique que le numérique n’a fait qu’amplifier en permettant un stockage à moindre coût.

[14] En 1947, l’écrivain Barjavel avait co-réalisé un documentaire fiction (« La télévision, œil de demain »), mettant en scène le futur d’une télévision omniprésente, imaginant même un écran de la taille d’un… smartphone, toujours à portée de main, hypnotisant son propriétaire focalisé par les images…

[15] Gérard Amiel, séminaire « Le graphe du désir », leçon du 16 janvier 2009, inédit

[16] Nancy Jo Sales « Tinder c’est trop ! », Books N°82, avril 2017, p44

[17] Gérard Amiel, idem

[18] Robert Redeker, l’école fantôme, Desclée de Brouwer, 2016, p23

[19] Robert Redeker, opus cité, p24

[20] Jean-Paul Hiltenbrand, Séminaire « La tripartition objectale », éditions de l’Ali Rhône-Alpes, séance du 15 novembre 2012

[21] Jean-Paul Hiltenbrand, opus cité p15

[22] Jean-Paul Hiltenbrand, « La condition du parlêtre », Eres 2019, p25

[23] Jean-Paul Hiltenbrand, « Sujet, Savoir », opus cité, leçon du 20 mai 2015, p103

[24] Michel Desmurget, « La fabrique du crétin digital », ed du Seuil, 2019, p57

[25] Michel Desmurget, Opus cité p257 et 258

[26] Jean-Paul Hiltenbrand, séminaire « L’homme aux loups », leçon du 13 novembre 2019, éditions de l’Ali Rhône-Alpes

[27] Guy Lesoeurs, « Motivations, freins et limites de la psychothérapie et de la cure à distance », revue Hegel, ALN éditions, 2021, N°3, p259

[28] Idem p263

[29] Alain Gibeault, « La psychanalyse en Chine et les enjeux de l’analyse à distance », Revue Française de psychanalyse, vol 75, 2011, p1030

[30] Serge Tisseron, « Comprendre et soigner l’homme connecté », in Santé Mentale 2022, éditions Eres, p180

[31] Desmarez, Francks et Bogliatto, « Quelques réflexions sur les dispositifs à distance en psychanalyse de l’enfant et de l’adolescent et dans les entretiens familiaux », Le Carnet psy, N°241, 2021, p33

[32] Colette Soler, « Retour sur la fonction de la parole », Editions Nouvelles du Champ Lacanien, 2019, p70

[33] Sigmund Freud, « Introduction à la psychanalyse », petite bibliothèque Payot, 1978, p7

[34] Colette Soler, opus cité, p80

[35] Colette Soler, opus cité p81

[36] Colette Soler, « Le transfert, de l’amour au sexe », Editions Nouvelles du Champ Lacanien, 2020, p122

[37] Alain Gibeault, « La psychanalyse en Chine et les enjeux de l’analyse à distance », opus cité, p1032

[38] Jean Bergès et Gabriel Balbo, Psychothérapie d’enfants, enfants en psychanalyse », Edition Eres, 2004, p12

[39] Lacan, séminaire « Le moi dans la théorie freudienne et dans la technique de la psychanalyse », séance du 25 mai 1955

[40] Jean-Paul Hiltenbrand, « La condition du parlêtre », opus cité p48

[41] Akira Mizubayashi, Une langue venue d’ailleurs, ed Gallimard, 2012, p250, 251

[42] Jean-Paul Hiltenbrand, séminaire « Le transfert », éditions de l’ALI Rhône-Alpes, leçon du 9 février 2022

[43] Jean-Paul Hiltenbrand, opus cité, leçon du 11 mai 2022

[44] Valère Novarina, « Devant la parole », POL 1999, p26

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Intro Onglet Séminaire d’été 2011 https://www.freud-lacan.com/documents-ged/intro-onglet-seminaire-dete-2011/ Mon, 12 Feb 2024 20:33:24 +0000 https://www.freud-lacan.com/documents-ged/intro-onglet-seminaire-dete-2011/  Les journées de l\’A.L.I sur l\’étude du Séminaire XXI de Jacques Lacan \ »Les non -dupes errent\ » se tiendront du 27 août au 30  août à Paris. Ces textes en constituent le dossier préparatoire.

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Les journées de l\’A.L.I sur l\’étude du Séminaire XXI de Jacques Lacan \ »Les non -dupes errent\ » se tiendront du 27 août au 30  août à Paris. Ces textes en constituent le dossier préparatoire.

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Comme c’est terrible de savoir! https://www.freud-lacan.com/documents-ged/comme-cest-terrible-de-savoir/ Mon, 12 Feb 2024 20:33:05 +0000 https://www.freud-lacan.com/documents-ged/comme-cest-terrible-de-savoir/ Comme c’est terrible de savoir! Gaetano Romagnuolo   La tragédie d’Œdipe Célèbre dans le monde entier comme interprète infaillible du Dieu Apollon, le devin Tirésias, dès son arrivée en présence d’Œdipe, le roi de Thèbes qui a résolu les énigmes du Sphinx, se laisse aller à une surprenante exclamation :  » Ah, comme c’est terrible […]

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Comme c’est terrible de savoir!

Gaetano Romagnuolo

 

La tragédie d’Œdipe

Célèbre dans le monde entier comme interprète infaillible du Dieu Apollon, le devin Tirésias, dès son arrivée en présence d’Œdipe, le roi de Thèbes qui a résolu les énigmes du Sphinx, se laisse aller à une surprenante exclamation :  » Ah, comme c’est terrible de savoir ! A la fin de la tragédie, Jocaste, épouse et mère d’Œdipe, lui fera écho : « malheureuse, puisses-tu ne jamais savoir qui tu es ».

Le thème de la connaissance est plus que jamais un lieu commun de la tragédie classique : mais chez Œdipe Roi, ce thème devient l’architrave du drame. De tout le mythe d’Œdipe, Œdipe Roi ne rapporte que la conclusion : la découverte de la vérité, le suicide de Jocaste et l’aveuglement d’Œdipe.

De toute la tragédie, Sophocle choisit de mettre en scène un seul aspect : le voyage pénible de la découverte de la vérité factuelle, qui conduit le protagoniste Œdipe à prendre progressivement conscience de sa vérité effective en tant qu’homme.

La connaissance n’est donc pas seulement posée sur le sujet, mais elle est elle-même le drame : Œdipe Roi est le drame de la connaissance de la vérité. L’accès à la vérité y est loin d’être libérateur ou harmonisant, mais est plutôt représenté comme une impuissance féroce. Dans cette tragédie, il s’agit de traduire et de transmettre la faiblesse désolante de l’homme, sa misère, dans l’expérience théâtrale.

C’est pour cette raison qu’Œdipe Roi est un paradigme de la condition humaine.

Il croit être sujet d’une autorité mais il est en vérité objet de cette autorité écrite qu’est la loi divine, qui fait de son destin quelque chose de déjà scellé. Sa puissance issue directement de son savoir, de sa supériorité intellectuelle qui lui fut accordée pour vaincre le Sphinx et lui ouvrir les portes du trône thébain, est en vain.

Castration d’Œdipe

Chez Œdipe la vérité est en effet sa castration, dans la mesure où le savoir se met en rapport avec la jouissance. La connaissance est une jouissance et c’est ce qui sous-tend l’effet tragique de la révélation. Si Œdipe ne pensait pas détenir le savoir, il ne s’étonnerait pas d’en subir l’incohérence en découvrant la vérité de ses actes.

Freud lit le mythe d’Œdipe comprenant le rapport à la jouissance comme essentiellement réglé par le meurtre du père. Du meurtre et non de la mort.

De cet acte serait instituée l’interdiction de jouissance, interdiction pour faute. Ce serait précisément ce sentiment éprouvé par la horde meurtrière, qui constituerait une fraternité d’enfants sous le nom du père. Il y aurait donc une culpabilité à la base de l’établissement de la loi au nom du père. Même dans la tragédie de Sophocle, il semblerait que les choses se passent ainsi : si Œdipe n’avait pas tué son père Laïos, il n’aurait pas pu profiter de Jocaste, sa mère.

Mais la jouissance d’Œdipe, est-elle au prix de ce meurtre qui l’obtient ?

En fait, il semblerait que non. La jouissance, comme le montre clairement la tragédie, Œdipe tire de sa connaissance. Il l’obtient essentiellement pour avoir réussi à libérer les habitants de Thèbes de la famine, en ayant résolu l’énigme du Sphinx grâce à son savoir. C’est en supprimant l’attente anxieuse du peuple qu’introduit la vérité, qu’il devient le roi, le άρίστος, le meilleur.

La question de la vérité semblerait donc ainsi réglée.

Mais comme on le sait, ce sera à l’origine même de son drame, en effet il anticipe sa fin à son insu, c’est le début.

La question du savoir par rapport à la vérité le place au centre de la question qui le mènera à connaître la vérité qui le mènera à sa fin.

Être le champion de la vérité le rendra personnellement impliqué dans la révélation de cette vérité qui le révèle coupable de ses actes. Alors la question de la vérité, à partir de son amour pour elle, se pose à lui sous la forme la plus tragique, l’interrogeant à son insu précisément sur ses actes. Pour sortir de la malédiction qui frappe sa ville, Œdipe doit savoir qui a assassiné son père. Sa position par rapport à la vérité, comme celui qui sait la résoudre, le placera plus que quiconque par rapport à elle. Il devra révéler l’auteur du meurtre de son père, qu’il a lui-même commis et dont il n’a pas connaissance.

Ainsi la question œdipienne semble s’articuler dans la tragédie sur deux axes : la jouissance liée au savoir (et la castration qui en résulte) et la vérité qui est substantiellement la vérité de l’acte et donc inconsciente. On s’éloigne ici de la lecture freudienne du complexe d’Œdipe, entendu, comme nous l’avons dit, essentiellement comme une disposition de jouissance.

Le point central présent dans la tragédie nous montre que pour Œdipe la question de la vérité se renouvelle et qu’elle atteint ce que l’on peut identifier à quelque chose qui a au moins un rapport avec le prix payé pour une castration. Le rapport à la vérité qui se renouvelle pour Œdipe l’amène à devoir constater sa castration à la fin du parcours. C’est là le point clé de la tragédie de Sophocle : l‘hybris qui naît de l’illusion de détenir la vérité est la cause de l’aveuglement de l’homme qui l’empêche de vraiment la détecter.

Mais comme nous le savons, Œdipe ne subit pas seulement la castration, il est en tant que mythe la castration elle-même.

Il est ce qui reste lorsqu’il disparaît de lui sous la forme de ses yeux, l’un des supports privilégiés de l’objet a ; il est un misérable reste sans l’illusion de pouvoir parvenir à une connaissance qui ne soit pas déformée par ce que l’on veut voir.

Il paie le prix de son arrogance, qui l’a amené au trône, du fait qu’en résolvant l’énigme du Sphinx, il lui a fait croire qu’il pouvait annuler la question de la vérité.

Une vérité qui se révèle dans le mythe non seulement sous la forme des événements terribles dont le protagoniste s’est fait l’auteur, mais surtout parce qu’il s’est fait l’auteur à son insu.

Sa castration consistera en son atroce révélation, par laquelle, pour symboliser la position de départ, il deviendra aveugle en s’arrachant les yeux. Il deviendra aveugle pour pouvoir enfin voir ce que, à cause de sa cécité narcissique, il n’a pas pu voir malgré ses yeux. Sa castration est voilée par sa vue aveugle, par le fait qu’il voit ce qu’il voulait seulement voir.

D’une castration imaginaire à une castration symbolique

À partir de la lecture d’Œdipe Roi, Lacan recentre la question de la castration sur le savoir et la vérité, l’assignant ainsi non à un effet imaginaire mais symbolique. En fait, Lacan ne se limite pas à considérer la castration comme une impossibilité de révéler une vérité factuelle, mais comme quelque chose qui se rapporte structurellement à un impossible.

Si la vérité est quelque chose d’impossible à révéler et qu’elle repose sur le fait que son obstacle est le langage, alors la jouissance elle-même, qui surgit comme sa réalisation, le sera également.

Si nous comprenons que la révélation ultime d’une vérité à travers la parole est impossible, nous devons également supposer que nous ne pouvons y accéder qu’en surmontant la condition même de la parole. La jouissance est précisément ce dépassement, dépassement qui donne accès à la connaissance. Il s’agit du rêve du névrosé, c’est-à-dire de cet accès à un Tout Connaître et sans obstacles. Ce rêve, comme il est facile de le supposer, peut se matérialiser à une seule et unique condition : être mort.

Mais la mort est avant tout quelque chose qu’on ne peut pas connaître.

Si la mort est inconnaissable, c’est seulement en étant vivant. Ne pas savoir qu’il était mort (qui est le noyau logique du rêve « il ne savait pas qu’il était mort », que Freud réalise à la mort de son père) est le rêve qui place cette question au centre pour Freud.

Le mythe freudien, tel qu’il s’exprime au niveau du Totem et du Tabou et non plus au niveau du tragique, est l’équivalence entre le père mort et la jouissance. C’est dans le réel de sa mort que le père a la garde de la jouissance. De là découle effectivement l’interdit de la jouissance, c’est-à-dire qu’on ne peut l’obtenir qu’à la condition d’être mort.

«Le réel est l’impossible. Non pas comme un simple obstacle auquel on se heurte, mais comme un obstacle logique à ce qui est déclaré impossible dans le symbolique. C’est de là que surgit la réalité ».

L’exception à la castration est ce qui la voile

A ce niveau, nous reconnaissons un opérateur logique très spécifique dans la théorie de Freud : le père réel. Cet opérateur met un terme d’impossible au centre de l’énoncé de Freud.

Le meurtre du père par rapport à cette question (d’où part Freud), résonnerait alors non pas tant comme accès à la jouissance, mais plutôt comme dispositif pour voiler ce problème.

Le meurtre du père ferait en effet penser à la possibilité de disposer de sa jouissance, là où – comme nous l’avons mentionné – c’est une impossibilité.

Le meurtre du père s’inscrit alors dans une logique qui place son agent au centre du problème : le père réel.

L’agent de castration est le père réel et précisément dans le sens où il est supposé avoir le phallus au sens imaginaire. Mais il est agent non pas dans le sens d’opérer la castration en termes factuels, mais dans le sens d’accomplir le travail de maître d’agence. Le vrai père n’est pas, comme on pourrait le croire, le père en chair et en os. C’en est une autre, elle est l’agent de castration à partir de sa supposée toute-puissance. C’est justement cette prétendue toute-puissance (supposée du sujet bien sûr) qui détermine logiquement sa conséquence : la castration du sujet. Si tel est le cas, il est vrai que pour cet opérateur il ne s’agit pas de détenir toutes les femmes et donc de jouir. Ce n’est donc pas avec son meurtre que la jouissance peut s’accomplir.

On comprend de là qu’avec le père réel nous avons essentiellement affaire à un opérateur logique. La question de la jouissance est donc contournée par le fait qu’en assumant le sujet comme signifiant maître, la castration est effectivement voilée. Poser une idéalité de figure maîtresse permet d’étayer l’idée que sa place pourrait un jour être occupée par nous, qui nous sentons actuellement soumis à elle comme castrés. Mais nous sommes castrés structurellement, pas à cause de cela.

Par rapport à la jouissance, il s’agit du fait que la castration est placée au début du signifiant maître. Autrement dit, le signifiant maîtrise la voile. C’est pourquoi il n’est pas tout-puissant et tôt ou tard chacun de nous s’en rend compte, à moins qu’il ne soit trop amoureux de la vérité.

Le père réel dont on parle ici en termes d’impossible est le père qui est réel en tant que construction du langage. Il n’est rien d’autre qu’un effet du langage et n’a d’autre réel que celui-là.

Lacan y arrive à partir du mythe d’Œdipe dans le séminaire L’envers de la psychanalyse, à savoir que le signifiant maître, le Père, loin d’être une réalisation, est en vérité un fantasme nécessaire pour voiler la castration du sujet. Cela viendrait en aide au sujet, par rapport au fait que la vérité est inconnaissable. Le père ne serait donc pas le problème, mais la tentative de solution dans la mesure où il la voilerait.

Le discours du maître est l’envers du discours de l’analyste

Il est évident que la figure du psychanalyste se prête bien à occuper cette position dominante. Alors pourquoi ce père réel ne pourrait-il pas être le psychanalyste ? Ne serait-ce pas souhaitable si c’était le cas ? Cela correspond d’ailleurs à la fin de l’analyse pour certaines écoles.

Cela ne pourrait pas être simplement parce qu’il serait de connivence avec le rêve de celui qui a besoin de l’instituer avec ces caractéristiques, c’est-à-dire l’hystérique. C’est l’analysant dans la position de l’hystérique qui l’institue comme tel pour ne pas avoir à faire face à sa propre castration. En effet, ce que veut l’hystérique, c’est un maître. « Il veut un maître qui connaisse beaucoup de choses, mais pas au point de croire qu’il (le sujet) est le prix suprême de toutes ses connaissances. En d’autres termes, il veut qu’un maître règne. Lui (l’hystérique) règne et lui (l’analyste) ne gouverne pas ».

De là apparaît évidente une première considération importante, à savoir que comprendre le psychanalyste comme le lieu d’une vérité est plutôt une résistance dans l’analyse plutôt que sa conclusion. S’identifier à l’analyste comme supposé savoir est en fait une autre manière de voiler la castration.

Chaque fois qu’on demande à quelqu’un ce qu’il veut, la seule réponse possible est un signifiant maître. Un signifiant maître, c’est ce qu’on aime, pas ce qu’on tue. Un père est censé être aimé, pas tué. C’est ce qui voile la vérité comme une impossibilité, c’est ce qui voile la castration. Freud se trompe à ce niveau, le père n’est pas assassiné pour accéder à la jouissance, il est aimé parce qu’il le représente (la jouissance) comme déjà mort.

En ce sens, le discours du maître est à l’envers de la psychanalyse, puisqu’en assumant un agent comme une idéalité par rapport à la jouissance, il voile effectivement la castration. La castration qui est un dépassement nécessaire à l’issue d’une analyse.

Son revers est le discours de l’analyste.« En manifestant la jouissance comme opérateur de son acte, elle sépare le signifiant maître, dans la mesure où on voudrait l’attribuer au père, du savoir de la vérité. L’obstacle qui se détermine, s’établit – par le biais de la jouissance – entre le signifiant maître et le champ dont dispose le savoir en tant qu’il se pose comme vérité. C’est ce qui nous permet d’articuler ce qu’est réellement la castration : le fait que personne ne sait rien de la vérité».

Lacan au séminaire Encore révisera légèrement sa position par rapport à la vérité et à la connaissance. En ce qui concerne le premier, même s’il reste substantiellement considéré comme impossible, il dira que c’est quelque chose de réalisable. On peut l’atteindre comme Œdipe dans la tragédie de Sophocle, mais dans les termes d’une rencontre tragique avec la misère de notre être, avec cet objet de nous-mêmes qui, comme les yeux d’Œdipe, est ce qui tombe misérablement. Cette vérité est visible, mais elle ne nous dit que de l’angoisse.

Ceci, dans la tragédie de Sophocle, est quelque chose qui, si l’on veut, est pris comme un avertissement pour assurer l’obéissance aux lois. Œdipe et sa lignée sont justement l’évidence maudite de l’extraordinaire. Ils sont la défaite répétée de ceux qui voulaient quitter les rangs d’une écriture qui précède le sujet comme destin. La rencontre avec la vérité – qu’il faut éviter – a une valeur pédagogique : elle répond au besoin de consolider les lois de la polis.

Œdipe voulait voir et son entêtement à voir lui donnait accès à ce qui ne pouvait être vu.

Mais la vérité – comme nous le savons grâce au séminaire XVII et aux suivants – est aussi un mi-dire. Un dire qui dépasse son contenu manifeste, qui comme les formations de l’inconscient et le mythe, dit en disant autre chose.

Le savoir ne sera donc pas la connaissance de la vérité, mais sera le savoir inconscient. C’est-à-dire une manière d’écrire comme bord du réel et en même temps comme création répétitive, spécifique de ce sujet. Écrire non pas la vérité, mais le non-rapport avec ce réel inconnaissable qui est au cœur de nous-mêmes.

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De lege Dati » » https://www.freud-lacan.com/documents-ged/de-lege-dati/ Mon, 12 Feb 2024 20:33:03 +0000 https://www.freud-lacan.com/documents-ged/de-lege-dati/  Le Monde du 10 avril 2008 donne un article signé par Mme Dati, Garde des Sceaux, qui se prononce personnellement pour un renforcement des droits du beau-parent. Sans doute a-t-elle bien raison de renforcer l’autorité de celui dont les gosses disaient volontiers : "T’es pas mon père" lorsque le beau-père en question s’avisait de […]

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Le Monde du 10 avril 2008 donne un article signé par Mme Dati, Garde des Sceaux, qui se prononce personnellement pour un renforcement des droits du beau-parent. Sans doute a-t-elle bien raison de renforcer l’autorité de celui dont les gosses disaient volontiers : "T’es pas mon père" lorsque le beau-père en question s’avisait de les gourmander, hélas pas mieux logé que le vrai papa.

Madame La Ministre nous dit que deux millions d’enfants vivent dans des familles recomposées, que le beau-parent devient un second père (ou seconde mère), qu’il participe à la vie de la famille. Or, insiste-t-elle, il n’a pas le droit. Il lui faut une autorisation pour conduire les gosses à l’école. Il convient donc de le faire rentrer dans le droit; pourquoi pas ? Un père in-law.

Citons : "Il est essentiel de faire évoluer l’exercice de l’autorité parentale. LE PARENT TIERS (sic) doit pouvoir accomplir les actes de la vie privée sans autorisation préalable". En droit, le parent tiers sera donc à part entière, soit sera la part en tiers ou la part entière.

Question : Peut-on, sans contrevenir aux lois du langage, avoir une part d’autorité parentale, sans l’avoir ipso facto en entier ? Nos oreilles sifflent, notre vue se trouble. La promotion du droit du parent tiers se fait au détriment du seul tiers parent connu jusqu’alors : le phallus, le père n’étant plus tiers depuis longtemps. Aucune logique dans ce nouveau droit basé sur les liens affectifs et l’intérêt de l’enfant.

L’autorité parentale pourra être transmise au beau-parent, en cas de décès du titulaire ou de la titulaire.

Le mot d’esprit, très juridique mais involontaire relevé par notre lecture, révèle le caractère purement subjectif du droit d’autorité parentale. Nous dirons : le droit à l’autorité parentale, opposé à ce qu’il était jadis : le droit d’autorité, fondé lui, sur l’objet.

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De quoi avons-nous peur? https://www.freud-lacan.com/documents-ged/de-quoi-avons-nous-peur/ Mon, 12 Feb 2024 20:33:03 +0000 https://www.freud-lacan.com/documents-ged/de-quoi-avons-nous-peur/   De quoi avons-nous peur ?  De quoi avons-nous peur ? demande Lacan dans La Troisième, et il répond, de notre corps !  L’homme sans gravité est venu dévoiler une nouvelle économie psychique, la façon du sujet, dit moderne, de jouir sans entrave. Il est clair qu’il y a dans notre contemporanéité une façon de privilégier la jouissance au […]

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De quoi avons-nous peur ? 

De quoi avons-nous peur ? demande Lacan dans La Troisième, et il répond, de notre corps !  L’homme sans gravité est venu dévoiler une nouvelle économie psychique, la façon du sujet, dit moderne, de jouir sans entrave. Il est clair qu’il y a dans notre contemporanéité une façon de privilégier la jouissance au désir, allant jusqu’à les disjoncter, comme c’est souvent le cas dans les addictions.

Or, une question se pose, que faisons-nous, nous psychanalystes face à cette économie psychique de la jouissance, des jouissances ? Autant dire, que le maniement du transfert est rude. Ces sujets ne sont plus dans un rapport de sacrifice à l’endroit de l’Autre, ce qui les rends nettement moins dociles que les névrosés quant au dispositif, obligeant l’analyste à se montrer davantage. Du coup, plus d’acting des deux côtés. Les sujets de la nouvelle économie psychique ne craignent pas leur corps, leur corps est un laboratoire d’expériences, d’éprouvés. Alors qu’est-ce qu’il peut bien venir réguler ce même pas peur, réguler ces jouissances, de plus en plus objectales?

Nous savons que la régulation revient au Nom-du-père, mais de lui, là aussi, même pas peur ! Face aux jouissances décomplexées, la concurrence est grande ! J’ai connu cela pendant mes vingt années d’exercice auprès des toxicomanies lourdes, entre venir parler ou se droguer, la messe était dite. J’ai vite compris que ce n’était pas papa qui allait réguler quoi que ce soit là-dedans, d’autant plus que le papa contemporain est lui-même en peine de se réguler. Alors injecter du père, ça n’avait aucun effet sur eux. C’est alors qu’une éthique de la jouissance s’imposait comme direction de la cure, c’est-à-dire qu’il s’agissait de leur faire entendre que placer l’éthique à ce point de rencontre avec leur propre jouissance visait une régulation interne au sujet, voilà, une jouissance qui lui sera supportable, celle dont il serait prêt à payer le prix. Celà ayant pour principe de les engager à endosser la responsabilité de la façon dont leur corps jouit. Et ça marchait. La régulation n’allait pas venir du médecin addictologue, du psychanalyste, de la police, de l’éducateur, mais d’eux-mêmes. Alors, celà est venu se généraliser dans ma pratique avec tout type de sujet. Car ça serait bienvenu pour les sujets sans gravité et pour les sujets graves aussi de leur rappeler que la jouissance est au cœur de notre condition de parlêtre, ça parle, ça jouit, elle est au cœur aussi de nos désirs. Si nous n’avons pas une position éthique de la façon dont on jouit, là oui, c’est une porte ouverte pour le n’importe quoi par n’importe qui. L’éthique de la jouissance, je reviens, est celle de ne pas décrocher de son désir. Et si le sujet moderne a une pente à décrocher, la psychanalyse est là pour le renouer.

Thatyana Pitavy

 

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