De quoi avons-nous peur?
28 septembre 2023

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PITAVY Thatyana
Billets
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De quoi avons-nous peur ? 

De quoi avons-nous peur ? demande Lacan dans La Troisième, et il répond, de notre corps !  L’homme sans gravité est venu dévoiler une nouvelle économie psychique, la façon du sujet, dit moderne, de jouir sans entrave. Il est clair qu’il y a dans notre contemporanéité une façon de privilégier la jouissance au désir, allant jusqu’à les disjoncter, comme c’est souvent le cas dans les addictions.

Or, une question se pose, que faisons-nous, nous psychanalystes face à cette économie psychique de la jouissance, des jouissances ? Autant dire, que le maniement du transfert est rude. Ces sujets ne sont plus dans un rapport de sacrifice à l’endroit de l’Autre, ce qui les rends nettement moins dociles que les névrosés quant au dispositif, obligeant l’analyste à se montrer davantage. Du coup, plus d’acting des deux côtés. Les sujets de la nouvelle économie psychique ne craignent pas leur corps, leur corps est un laboratoire d’expériences, d’éprouvés. Alors qu’est-ce qu’il peut bien venir réguler ce même pas peur, réguler ces jouissances, de plus en plus objectales?

Nous savons que la régulation revient au Nom-du-père, mais de lui, là aussi, même pas peur ! Face aux jouissances décomplexées, la concurrence est grande ! J’ai connu cela pendant mes vingt années d’exercice auprès des toxicomanies lourdes, entre venir parler ou se droguer, la messe était dite. J’ai vite compris que ce n’était pas papa qui allait réguler quoi que ce soit là-dedans, d’autant plus que le papa contemporain est lui-même en peine de se réguler. Alors injecter du père, ça n’avait aucun effet sur eux. C’est alors qu’une éthique de la jouissance s’imposait comme direction de la cure, c’est-à-dire qu’il s’agissait de leur faire entendre que placer l’éthique à ce point de rencontre avec leur propre jouissance visait une régulation interne au sujet, voilà, une jouissance qui lui sera supportable, celle dont il serait prêt à payer le prix. Celà ayant pour principe de les engager à endosser la responsabilité de la façon dont leur corps jouit. Et ça marchait. La régulation n’allait pas venir du médecin addictologue, du psychanalyste, de la police, de l’éducateur, mais d’eux-mêmes. Alors, celà est venu se généraliser dans ma pratique avec tout type de sujet. Car ça serait bienvenu pour les sujets sans gravité et pour les sujets graves aussi de leur rappeler que la jouissance est au cœur de notre condition de parlêtre, ça parle, ça jouit, elle est au cœur aussi de nos désirs. Si nous n’avons pas une position éthique de la façon dont on jouit, là oui, c’est une porte ouverte pour le n’importe quoi par n’importe qui. L’éthique de la jouissance, je reviens, est celle de ne pas décrocher de son désir. Et si le sujet moderne a une pente à décrocher, la psychanalyse est là pour le renouer.

Thatyana Pitavy