Référence au séminaire du transfert dans le séminaire de l’angoisse.
26 juillet 2023

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DEBROIZE Jean-Philippe
Journées des cartels
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Référence au séminaire du transfert dans le séminaire de l’angoisse.

Jean Philippe Debroize

 

J’ai voulu interroger pour ce travail les références récurrentes au séminaire du transfert qu’on trouve dans le séminaire de l’Angoisse, références qui me semblaient insister sur le questionnement de la place de l’analyste, dans le prolongement de mon travail de l’année dernière autour du transfert.

Pour Lacan, l’angoisse est la seule voie d’approche subjective de l’objet a, son invention, c’est pourquoi il tient à en préciser les coordonnées. L’objet a c’est ce reste de la constitution du sujet dans sa relation avec le grand Autre, objet cause du désir que Lacan va proposer à l’analyse du transfert pour dépasser le roc de la castration où s’est arrêté Freud dans ses analyses.

C’est un objet « à situer comme tel au champ de l’Autre, » nous dit-il. « Et non seulement il est à y être situé mais il y est situé par chacun et par tous, et c’est cela qu’on appelle la possibilité du transfert ». [1]

Dans le schéma optique on voit pourtant que cet objet a se situe à gauche du miroir, au champ du sujet et que c’est la place de son reflet inexistant (puisque non spéculaire) qui est situé au champ de l’Autre, à droite. C’est cette place d’un manque dans le champ de l’Autre qui serait opérante dans le transfert et qu’il me semble intéressant d’interroger.

Au début de la leçon 4 du séminaire de l’Angoisse Lacan repose le schéma optique. L’étude de l’objet a doit passer « par des chicanes » dit-il, ne peut s’aborder directement. S’appuyant sur les propriétés de l’investissements narcissique dans la relation spéculaire, il vient placer à droite du miroir (-phi), la castration imaginaire comme résultat de cette fonction spéculaire. En effet entre l’investissement narcissique i(a) et l’investissement imaginaire libidinalisé du corps dans le miroir, i’(a), il y a un reste. Ce reste c’est le blanc du phallus qui apparaît en moins, comme coupé, dans l’image spéculaire. Au niveau symbolique ce -phi va tenir une fonction privilégiée car c’est autour de lui, de ce vide, signifiant manquant de la fonction phallique que vont venir s’ordonner, se polariser les différents objets a.

Dans un deuxième temps, il souligne que cette place, qu’il désigne par un X, est aussi celle de l’angoisse, angoisse de castration en l’occurrence. « Ce qui, vous ai-je dit la dernière fois, peut venir se signaler à cette place ici désignée par le (-phi), c’est l’angoisse, et l’angoisse de castration dans son rapport à l’Autre », « cette place que j’ai déjà désigné comme constituant un certain vide, l’angoisse y apparaissant de tout ce qui peut se manifester à cette place, nous dérouter, si je puis dire, quant à la fonction structurante de ce vide. »[2].

            Il existe donc une topologie commune à l’angoisse et au -phi, topologie qui désigne le lieu d’un manque, d’un vide structurant, qui serait dans le grand Autre.

Dans le séminaire du transfert, la leçon 25 Lacan aborde l’angoisse dans son rapport au désir. L’angoisse est un signal au niveau du moi selon Freud, signal d’un danger. Lacan, tout en précisant ce au « niveau du moi » qu’il va situer dans l’image du moi i(a), va ajouter que c’est un signal qui est de l’alter ego, de l’Autre. « Et si ça s’allume au niveau du moi c’est pour que le sujet, on ne peut pas appeler cela autrement, soit averti de quelque chose » [3]. C’est un signal qui avertit d’un danger (d’un désir) et qui dans le même temps maintien le lien à l’objet cause de ce désir : « Sa fonction ne s’épuise pas dans l’avertissement d’avoir à se trotter. Tout en accomplissant cette fonction, le signal maintient le rapport avec l’objet du désir ». [4]

Dans le séminaire l’Angoisse on peut lire p 148 que « c’est cette liaison, coordination de l’objet avec son manque nécessaire là où le sujet se constitue au lieu de l’Autre, c’est là que se structure, que se situe ce que dans notre analyse du transfert j’ai produit devant vous par le terme d’agalma. C’est pour autant que cette place vide est visée comme telle que s’institue, que ce constitue cette dimension, toujours, et pour cause, plus ou moins négligée du transfert. »

L’agalma c’est cette brillance, ce supposé savoir dans l’Autre. C’est ce que Lacan va aussi appeler le piège à Dieux, une illusion puisque ce qui serait agalma n’est que la place de l’objet a projeté au champ de l’Autre. C’est la fonction de l’objet partiel, objet du désir mais dans sa dimension de fétiche, comme accentuation de l’objet. Et c’est la visée de cet objet à cette place vide qui permet l’installation du phénomène du transfert.

Reste à savoir où doit venir se placer l’analyste pour pouvoir répondre correctement à cette « duperie ». C’est tout le questionnement de Lacan dans son séminaire sur le transfert, et l’objectif de la topologie du phénomène amoureux qu’il met en place dans l’étude du banquet de Platon.

« C’est parce qu’il faut partir de l’expérience de l’amour, comme je l’ai fait l’année de mon séminaire sur le transfert, pour situer la topologie où ce transfert peut s’inscrire, c’est parce qu’il faut partir de là qu’aujourd’hui je vous y ramène. »[5]

Place d’Erastes et d’Eroménos, passage de l’un à l’autre réalisant la métaphore de l’amour (la bûche qu’enflamme la main qui se tend et d’où sort une main qui vient rejoindre la première) sauf pour Socrate qui, comme l’analyste, sait qu’il n’a rien à cette place de désirable, aucun des agalmas qu’Alcibiade prétend qu’il possède. Socrate reste en place de désirant (Erastès) et interprète l’amour de transfert d’Alcibiade en lui indiquant que tout son discours s’adresse en fait à Agathon.

 Le désir ne vise pas l’objet aimé, vise toujours ailleurs que cette place projetée où il est pourtant amené à fonctionner dans le transfert.

Pour Lacan la question de la place de l’analyste, centrale dans le transfert, est celle du désir de l’analyste car c’est comme désirant qu’il va pouvoir tenir à cet endroit vide, comme semblant d’objet a, agalma. « Apprivoiser les dieux dans le piège du désir et ne pas éveiller l’angoisse ».[6]

Le désir de l’homme c’est le désir de l’Autre, désir à la place où est l’Autre, dans cette aliénation au rapport avec le langage. « Il faut que nous tenions la place vide où est appelé ce signifiant qui ne peut être qu’à annuler tous les autres, ce F dont j’essaye pour vous de montrer la position, la condition centrale de notre expérience. »[7]

La place de l’analyste c’est donc cette place du désir de l’Autre qui se signale de l’angoisse, un désir « qui ne me reconnaît ni ne me méconnaît mais me met en cause, m’interroge à la racine même de mon désir à moi, comme petit a, comme cause de ce désir et non comme objet. »[8]


[1] J.Lacan, l’Angoisse, p500
[2] J.Lacan, l’Angoisse, p80
[3] J.Lacan, L’angoisse, p248
[4] J.Lacan,Le transfert, p428
[5] J.Lacan, L’angoisse, p250
[6] J.Lacan, L’angoisse, p419
[7] J.Lacan, le transfert, p319
[8] J.Lacan, L’angoisse, p249