La répétition
20 novembre 2014

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LACHAUD Denise
Dictionnaire
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I – Selon S. Freud

Entre 1892 et 1895, dans son travail avec Breuer à propos de l’hystérie, Freud s’aperçoit déjà que ses patientes souffrent de réminiscences 1.

Dès cette époque, il repère que « c’est dans le langage que l’être humain trouve un substitut de l’acte, substitut grâce auquel l’affect sera abréagi… » 1. Première reproduction repérée sous la forme de l’abréaction et dans/par le langage.

Dans la cure, c’est avec une « netteté hallucinatoire », une « exactitude impeccable », que se revit cette réitération d’événements anciens qui apparaissent dans une « surprenante intégralité et une puissance affective propres aux événements nouveaux ». Il y a donc une répétition d’occurrences, une répétition significative qui mène à des pensées qui échappent.

En 1900, dans le chapitre VII de la Traumdeutung, Freud présente un système qu’il dira autonome : le schéma de l’appareil psychique dont il se sert pour expliquer le rêve. Un « instrument », dit-il, « qui sert aux productions psychiques 2 » et qui est une élaboration plus complète de ses systèmes φ, ψ, ω,mis en place dès 1895 3.

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Ce qui est perçu va laisser des traces et se frayer une voie vers la motricité. Entre perception et conscience, il y aura rétention d’un refoulé qui tendra à la décharge. Du refoulé cherche à faire retour, poussé par une force toute « démoniaque ».

Bien qu’ayant déjà et depuis longtemps repéré et nommé la répétition, c’est en 1914, dans son texte « Remémoration, répétition et élaboration » que Freud dégage un mécanisme : la compulsion de répétition.

La notion de Wiederholungszwang est donc, en 1914, réévoquée et précisée. Le terme allemand que Freud choisit rappelle déjà le mouvement auquel il répond :

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Nous avons, en puissance dans le terme même, ce à quoi Freud a eu à être confronté dans sa pratique :

Une compulsion est quelque chose qui pousse. Cela traduit une contrainte, une nécessité. Outre wieder, encore une fois, holen fait aller chercher dans l’avant, re-chercher et re-prendre. Y est inclus le retour à quelque chose qui est à reprendre et à zwängen, à presser, à serrer, à faire passer et faire sortir de force. Zwang n’est pas seulement la contrainte. Être contraint ne signifie pas qu’il se passera quoi que ce soit. Zwang, c’est le nécessaire, la violence, le « par force » d’une poussée qui pousse à dire quelque chose, à faire quelque chose, à penser quelque chose ; c’est-à-dire l’acte pensé comme nécessaire, et le fait que des pensées s’imposent au sujet tout à fait involontairement sans que ce sujet y puisse quoi que ce soit ou les empêcher de quelque façon. Il est gouverné.

En 1896, Freud donne lui-même la traduction en français de la Zwangsneurose : « La névrose compulsionnelle ». Déjà, pour lui, la compulsion enfonce ses racines très profondément dans l’appareil psychique, et n’a pas seulement cette connotation clinique. Son sens est bien plus important puisque dans une lettre à Fliess il évoque le complexe d’Œdipe et écrit : « La légende grecque a saisi un Zwang que tous reconnaissent parce qu’ils l’ont tous ressenti. 4 » Il évoque également Hamlet, un drame qu’un événement réel a poussé le poète à écrire.

Cette idée du destin inévitable que nous rencontrons ici se retrouvera exactement dans un des derniers usages du Zwang par Freud en 1937 : « La parole de l’oracle qui s’adresse à Œdipe est une parole qui doit recevoir un accomplissement, que le sujet le veuille ou pas 5. »

Il s’agit donc d’un irrépressible reconnu et qui ne peut être empêché quelle que soit la manière dont il survienne.

Le terme de répétition est moins descriptif pour Freud qu’il n’est pris dans la reconnaissance plus précise de l’inconscient. Elle se marque pour lui par :

– le retour du refoulé,

– l’interprétation.

Pour ce qui est de la nature de ce concept, c’est aussi en 1914 et dans ce texte 6 que Freud, pour la première fois, l’introduit dans le temps de la cure. Ce que cet article dès lors met en place et précise, c’est la forme de souvenir que prend la répétition. Répéter, c’est se souvenir. La répétition est à interpréter en fonction de ce qui se répète en elle. Elle se présente dans la cure comme une répétition qui s’ignore. Le sujet ne se souvient pas. Il répète quelque chose sans le savoir.

Comment répète-t-il ?

En traduisant en acte.

Dans cet article, Freud relie la répétition au transfert ; mise en acte, mais en paroles.

Cet automatisme de répétition requiert, dira Freud en d’autres termes, une interprétation qui consiste à dire que la répétition n’est qu’une manière de se souvenir de quelque chose non plus oubliée, mais refoulée ; et ses motifs obéissent au principe de plaisir. Le refoulé fait retour jusqu’à ce que le refoulement ait été levé.

À partir du moment où il se souvient, le patient ne répète plus : il est impossible, à la fois, de répéter et de se souvenir, sauf à évoquer quelque chose de diabolique. La per-élaboration va permettre, dans la cure et dans le transfert, de surmonter la répétition. Ce travail aura pour résultat ceci, que le souvenir remplacera la répétition.

Mais chez le patient, il y a résistance. Il y a donc lieu d’opérer une réduction de cette résistance que Freud découvre si tramée à la répétition.

Il voyait déjà, dans cette attitude, une jouissance ; c’est-à-dire quelque chose à conjurer.

La cause de la répétition devient la résistance ; plus la résistance sera grande, plus la mise en acte se substituera au souvenir. Et nous savons qu’en 1926, pour Freud, la répétition c’est la résistance 7.

La répétition devient un obstacle à l’analyse.

L’idéal de la psychanalyse et de son déroulement, à cette époque et pour Freud, repose sur les points suivants : ce qu’il s’agit d’interpréter dans l’analyse, c’est la répétition dans le sens où elle est un effet de la résistance et qu’elle fait obstacle à la remémoration.

La répétition, donc, jusqu’en 1920, se situe au niveau des fonctionnements dits « primitifs », au niveau du processus primaire. Elle est la mise en jeu et la mise en acte d’une compulsion qui sert d’obstacle et fait barrage à la pulsion : mouvement s’aliénant du principe de plaisir au principe de réalité. Ce qui, en 1920, lui fait produire Au-delà du principe de plaisir 8.

La question s’y repose : qu’est-ce qui se répète ? Avant 1919, ce sont des souvenirs. Et après ?

La répétition va changer de nature : « Il existe, dans la vie psychique, une compulsion de répétition qui se place au-dessus du principe de plaisir 8.» Freud dès lors s’aperçoit que « l’inconscient n’oppose aux efforts de la cure aucune espèce de résistance ». L’inconscient ne résiste pas au procès d’une analyse. L’inconscient insiste.

C’est surtout confronté au problème des névroses de guerre que Freud en arrivera à cette conclusion : il n’y a pas de plaisir, mais quelque chose insiste dans une répétition.

Il découvre que les instincts cherchent le retour à l’inorganique et la fin vers laquelle tend toute vie est la mort : « Le dernier ressort de l’évolution libidinale, c’est le retour au repos des pierres. » C’est ainsi qu’il introduit la pulsion de mort comme quelque chose de profondément conservateur et la vie comme trajet de retour vers la mort.

Le principe de réalité est régi, lui, par un groupe de pulsions que Freud appelle « pulsions d’auto-conservation ». Mais ce sont précisément ces pulsions-là qui forcent à la répétition et Freud ira jusqu’à observer qu’elle est la manifestation de force du refoulé.

Pour illustrer ce qu’il advient de la répétition, dès lors, Freud, à ce point d’élaboration, se sert du jeu répétitif dit du Fort/Da qu’il a observé chez son petit-fils.

Pourquoi le départ de la mère est-il répété ?

L’aliénation est profonde ; il s’agit de la réalisation d’un souvenir.

Freud est alors catégorique : au-delà, au-dessus du principe de plaisir, une force, l’automatisme de répétition, apparaît, plus originaire, plus élémentaire, plus pulsionnelle que le principe de plaisir qu’elle met à l’écart. C’est indépendant. « Au-delà du principe de plaisir, c’est au-delà de la signification. Au-delà de tout rationnel 9. »

Freud a cherché à établir une solidarité évidente entre principe de plaisir et principe de réalité, avec l’objet. Cet objet dont, très tôt, le sujet va se trouver privé. C’est précisément lui, l’objet, qui va faire régner le désordre. Or, il est inéliminable quant à l’abord de la répétition.

Pour définir la répétition qu’il va dès lors considérer comme fondatrice du pulsionnel, Freud va reprendre ce qu’il a élaboré en 1895 à propos de la Bindung, la liaison.

Tout ce qui n’est pas lié se répète. L’automatisme de répétition concerne toute quantité d’excitation non liée.

Parallèlement, Freud redéfinit la pulsion à partir de la répétition dans un déplacement dynamique.

Nous sommes habitués, dit Freud, à voir dans la pulsion un élément de changement, de progrès. Mais, dit-il, ce n’est pas exact.

Il n’y a aucun élément de progrès dans le psychisme au niveau du pulsionnel. La pulsion est l’élément conservateur du vivant. Elle répète. Elle ramène toujours à l’antérieur. Il n’y a pas de but à atteindre. Tout but est suffisamment défini en lui-même pour pousser le vivant vers un progrès. Freud ne nie pas qu’il y ait évolution non plus. Mais cette évolution ne s’appuie pas sur un dynamisme pulsionnel. Et Freud là-dessus est radical. Le but de la vie, c’est la mort : répétition et pulsion de mort sont intimement intriquées.

Freud a tracé là un schéma minimum qui peut être lu en termes symboliques : un temps que l’on pourrait dire vide, où rien ne se passe, un temps plein où quelque chose se passe, ce temps correspondant à celui du retour à l’antérieur et à l’inanimé.

C’est un but à rebours. Que ce soient les pulsions de vie, que ce soient les pulsions de mort, la répétition définit si radicalement le pulsionnel que les pulsions obéissent à son principe.

La poussée qu’implique la pulsion – qui pousse à faire, dire, etc. – ne sert pas un progrès, une marche en avant ; c’est une fuite en avant. C’est d’un effet du refoulement qu’il s’agit puisqu’il faut empêcher une satisfaction immédiate. Il y aura satisfaction substitutive qui est, en fait, l’effet de l’impossibilité radicale de retourner en arrière à cause du refoulement. C’est bien pourquoi cette satisfaction substitutive est insatisfaisante.

Entre la satisfaction recherchée et la satisfaction trouvée, un écart persistera qui aura effet de relance. Manque qui va courir dans ses déplacements et recommencements, et supporter le désir dans sa recherche substitutive. Échec qui va relancer le processus.

Freud part donc de ces observations et de ce qui est venu faire échec à la cure.

À travers ses textes, il nous montre et fait l’expérience de ce que l’automatisme de répétition part d’un échec de l’analyse. Et cette insistance de l’échec va se présenter sous de multiples formes.

Avant 1920, l’antagonisme des systèmes n’était pas insurmontable.

Après 1920, nous avons une véritable opposition entre pulsion de vie et pulsion de mort qui est indépassable.

La répétition est dès lors introduite par Freud comme ce qui vient faire échec à l’idéal optimiste de la cure : ce qui n’était qu’obstacle ou erreur dans la cure est élevé à un échec fondamental tissé à la théorie.

Cet échec, qui lui a permis de mettre en place et la psychanalyse, et sa fin, est le testament de Freud, l’héritage qu’il laisse et que reprend J. Lacan.

II – Selon J. Lacan

La répétition est autrement abordée par J. Lacan qui en fait, en 1964, l’un des quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse 10.

Ce concept traverse toute son œuvre en passage obligé. La répétition y insiste à la façon du texte de S. Kierkegaard – que J. Lacan nous invitait à lire – pour qui elle était « passion de l’absurde» 11.

J. Lacan ouvre le recueil de ses Écrits par un premier texte, le séminaire sur « La Lettre volée » dont la toute première phrase donne le ton : « Notre recherche nous a mené à ce point de reconnaître que l’automatisme de répétition (Wiederholungszwang) prend son principe dans ce que nous avons appelé l’insistance de la chaîne signifiante 12. »

Ce que Freud a appelé compulsion de répétition relève d’un principe que J. Lacan appelle « insistance de la chaîne signifiante » définie par l’instance de la lettre dans l’inconscient.

Dès le début de son élaboration, J. Lacan présente la répétition sans ambiguïté : elle « est quelque chose qui, de sa véritable nature, est toujours voilé* dans l’analyse 10 ». Elle offre une véritable métensomatose en migrant de masque en masque. Ce qui se répète est toujours déguisé. Elle circule à couvert.

Pour tenter de la définir, J. Lacan part de la ré-élaboration des concepts fondamentaux de la psychanalyse par Freud en 1920 dans un recentrage autour de la répétition qu’il n’a plus dissocié de la pulsion de mort.

En 1953, pour J. Lacan, l’objet de la compulsion de répétition, c’est l’inscription dans le temps et dans l’histoire 9 : « Ce qui se répète, c’est ce qui insiste. » C’est ce qui demande à advenir. « La répétition, dans la psychanalyse, ne peut pas résider dans un principe qui soit régi par autre chose que la manière dont la chaîne signifiante insiste. » Et ce qui insiste est quelque chose d’éminemment symbolique puisque c’est du refoulé ; du signifiant au sens où il demande à être historisé : «… ce qui a à se faire reconnaître, nous enseigne Freud, n’est pas exprimé mais refoulé 9. »

En 1953, donc, et pour J. Lacan tout également, la répétition sera indissociable de la pulsion de mort et la condition même du transfert : «… de même que l’automatisme de répétition qu’on méconnaît tout autant à vouloir en diviser les termes, ne vise rien d’autre que la temporalité historisante de l’expérience du transfert, de même l’instinct de mort exprime essentiellement la limite de la fonction historique du sujet 13. » Un instinct de mort qui « …n’est que le masque de l’ordre symbolique 9 ».

À cette date, par conséquent, à la limite de l’histoire, il y a bien l’instinct de mort et la répétition où ce qui se manifeste est le passé réel – car non symbolisé.

J. Lacan met la répétition, dès le début de son élaboration, en articulation avec la structure du sujet : le symbolique, l’imaginaire et le réel.

Dans le langage, la parole doit être libérée. Un événement n’est pas passé dans l’histoire. Il s’agit donc d’un passé comme chose ; et puisqu’il s’agit d’écrire l’histoire, la répétition va permettre cette ré-écriture.

« L’homme est engagé de tout son être… dans un primitif symbolisme qui se distingue des représentations imaginaires. C’est au milieu de cela que quelque chose de l’homme a à se faire reconnaître… ce qui n’est pas venu à temps reste suspendu. C’est de cela qu’il s’agit dans le refoulement… le refoulé est toujours là qui insiste, et demande à être 9. »

Le refoulement va donc nécessiter la répétition.

Dans ce rapport entre le symbolisme et le refoulé, deux idées reviennent chez J. Lacan en 1953 : le rapport du non-être à l’être et de l’absence à la présence. « Le non-être qui demande à être 9 », c’est du refoulé qui insiste et se répète. L’instinct de mort, inéliminable quant à la répétition, n’est que l’insistance de ce refoulé et son retour jusqu’à ce qu’il ait pu s’exprimer, être. Non pas être au sens où il serait, avant, dans le néant, mais au sens où il est un non-être de refoulé. Ce n’est donc pas rien puisque la répétition révèle un savoir : de ce qui ne se savait pas.

Onze ans plus tard, J. Lacan reviendra sur cette formulation pour préciser que « l’inconscient… ce n’est ni être ni non-être, c’est du non-réalisé 10 ».

Le passé réel s’oppose donc au passé symbolisé. « La limite de la fonction historique du sujet… représente le passé sous sa forme réelle, c’est-à-dire le passé qui se manifeste renversé* dans la répétition 13. »

Au non-réalisé Freud a eu accès par ce qu’il a baptisé « voie royale », à savoir le rêve.

Les formations de l’inconscient nous offrent d’autres voies et J. Lacan va reprendre, pour jeter un éclairage sur la répétition, le jeu répétitif du Fort/Da dont Freud s’était servi dans les Essais.

Ce jeu sera pour J. Lacan celui de l’enfant qui naît au langage au moment, dit-il, où le désir s’humanise chez le petit d’homme. Lui ne l’expliquera pas, cette répétition, par « une obscure tendance au repos des pierres » ou le masochisme primordial. J. Lacan ne découvre rien d’autre, dans ce jeu, que le procès d’une symbolisation. L’instinct de mort freudien et la pulsion de mort deviennent la scansion et l’opération de la répétition, « … où la subjectivité fomente tout ensemble la maîtrise de sa déréliction (de l’enfant) et la naissance du symbole ».

Cette maîtrise qui tient au pouvoir du symbole dans une figure du temps qui inclut un devenir, repose tout entière sur une aliénation fondamentale. Dans ce jeu, «… le sujet n’y maîtrise pas seulement sa privation, … mais y élève son désir à une puissance seconde 13 ». Grâce à cette privation – ici, de la mère -, une absence qui se situe d’emblée dans le registre du réel, le sujet porte son désir à la puissance de l’Autre. Dans un double procès identificatoire, la répétition, qui est repérée comme répétition du départ de la mère, devient « cause d’une Spaltung dans le sujet 10 » et produit un reste.

Ce qui est mis en scène dans ce jeu est mouvement inaugurant et amorçant la répétition, acte obligé à l’entrée du petit d’homme dans l’ordre symbolique, l’ordre de la signifiance.

Première mise en scène du déchirement. Ichspaltung pour Freud, refente du sujet dans une répétition où quelque chose s’est perdu, perte constitutive du sujet de l’inconscient – S BARRE – pour J. Lacan.

Le signifiant comme concept analytique est donc impensable sans son reste, à quoi J. Lacan a donné le nom d’objet « petit a ». Objet essentiel sans lequel on ne peut penser ni le signifiant, ni la répétition.

« Freud, lorsqu’il saisit la répétition dans le jeu de son petit-fils, dans le Fort/Da réitéré, peut bien souligner que l’enfant tamponne l’effet de la disparition de sa mère en s’en faisant l’agent 10. » Ce qui va choir dans l’espace précédemment imaginé très concrètement, c’est la bobine où se projette le sujet qui a subi l’opération du signifiant en se constituant comme reste, identifié à ce « petit quelque chose du sujet qui se détache 10 », objet lui-même du meurtre symbolique. L’ensemble de l’activité symbolise la répétition qui n’est définie que dans son rapport à l’objet.

Elle est, pour J. Lacan également, plus qu’un concept. Elle définit et circonscrit aussi un moment en respectant une logique. Pour lui, elle sera toujours un passage obligé pour l’interprétation du transfert dans l’expérience analytique car c’est un terme qui est né dans et par l’expérience analytique du transfert.

La trace de la situation première de l’opération du langage aura pour réfèrent quelque chose de perdu : l’objet « a ». « Cette fois-là » va présentifier cette perte en tant que perte et en tant qu’absence. Si elle vient à se répéter, c’est parce que cette trace renvoie à quelque chose de perdu lors de son inscription, du fait même de l’inscrire, donc de la répéter.

Car l’ordre symbolique implique une mémoire 10 du comptable – comme le montre J. Lacan dans ses Écrits à propos de la nouvelle d’ E.-A. Poe-. A cet égard, il évoquera le Wunderblock que Freud a mis en valeur dans un court article 14 en 1925. Notons les résonances de ce terme eu égard à ce qui nous occupe, à savoir la répétition : wund signifie meurtri, écorché ; die Wunde : plaie, blessure ; das Wunder : prodige, mirage.

Entre l’inscription et ce qu’elle inscrit, il y a coupure et la répétition devient un acte mortel.

Ce qui se répète est ce qui clive l’absence et la présence, le Fort et le Da, c’est-à-dire la coupure.

Ce que J. Lacan repère donc, lui, dans ce jeu « qui est le Repräsantanz de la Vorstellung », c’est aussi le surgissement du trait. Soit « ce qu’il y a de plus détruit, … de plus effacé d’un objet 15 » et c’est de sa destruction absolue que surgit le trait. Et cet acte, le langage l’engage. Un acte rythmique de balancement de la bobine qui tend à occlure une béance introduite par une absence ; cette seule possibilité d’absence asservit le sujet au symbole, ce dernier marquant la nature même du signifiant en introduisant le petit d’homme au meurtre de la Chose. Un trait qui efface la Chose sauf ce qu’elle fut, le Un de sa trace, « tout ce qu’il y a de réel dans le symbolique ». Car le sujet qui a lui-même subi l’opération du signifiant – donc effacé aussi, trait sans compte -, est identifié à ce qui efface la Chose, au trait d’effacement, le Un repéré par Freud : einziger Zug, trait unique en tant qu’exclu.

Dans cette première identification où le sujet s’aliène, s’engrange la formation de l’idéal du moi par le rapt, dans l’Autre, d’un « point suffisant 16 » pour une identification hors champ au lieu d’un vide.

Par cette activité ludique répétitive, par cet acte qu’est la répétition, le sujet se montre capable de se mutiler : coupure lui permettant l’accès à la fonction signifiante en le laissant désormais porteur d’une marque.

Dans ce premier sacrifice symbolique de lui-même, dans cette tout aussi première rencontre avec la mort, le sujet reste privé de quelque chose de lui-même qui prend valeur du signifiant de son aliénation. « C’est l’assomption de la castration qui crée le manque dont s’institue le désir. » Dans cet acte inaugural s’institue le rapport toujours répété du sujet à l’objet perdu où son désir s’aliène. La singularité de la place de la répétition se met donc en jeu dans le vel aliénant du fantasme où le sujet se trouve pris ; un « ou-bien/ou-bien » qui introduit la fonction de la coupure – – par l’intermédiaire de laquelle le sujet est confronté à l’objet perdu. Et ceci grâce à cette identification au trait – einziger Zug – qui se trouve soutenir la répétition. Seul l’Autre sera garant de la fonction du trait en tant qu’absent ou présent.

Ce premier Un supposé, « concept du manque », viendra marquer l’absence de la Chose, cocher la place de l’objet chu, et se répéter, véhiculé par la demande du sujet clivé, donc, dans son rapport à l’objet entre ce qu’il a mis en place d’un idéal et sa quête, son désir dont l’objet qui la cause est perdu. « Le désir s’y présentifie de la perte, imaginée au point le plus cruel, de l’objet 10. »

Ce sujet, « pensé comme répétant », se trouve donc structuré par l’unaire originel, le Un, le trait, dans quoi, dit J. Lacan, s’enracine la répétition qu’il situe en 1972 et dans un texte que l’on peut considérer comme étant le plus élaboré, dans l’ordre du nécessaire : « Il est saisissant… que l’ordre… de la répétition, est passé tout à fait, dans sa nécessité *, inaperçu de mon audience 17. »

Répéter, dès lors, aura pour but de « faire resurgir cet unaire primitif » d’un de ses tours. Unaire qui va permettre une identification d’objets dont il annulera la différence pour les compter, un par un, avec, à chacun de ses tours, un décalage qui fera relance et persistera en tant qu’objet :

la répétition image 3

que J. Lacan a aussi écrit, dans la mesure où, en effet, le 1 est incrémenté :

1+ (1+ (1+ (1+ … )))) 10.

Chaque répétition restera absolument différente de la précédente.

Et dire, comme le fait J. Lacan, que le but de la répétition est de « faire resurgir l’unaire primitif », c’est respecter absolument la visée freudienne. Pour Freud, le sujet est obligé de répéter le refoulé. C’est la notion de nécessaire * que Lacan définira comme ce qui ne cesse pas de s’écrire 18.

Or, quelle est la mémoire qu’implique l’inconscient freudien ? Cet inconscient, « réaffirmé par la découverte de l’automatisme de répétition », dira J. Lacan en précisant que ce que Freud rénove en 1920 avec l’au-delà du principe de plaisir, c’est ce fameux système ψ, c’est-à-dire l’ancêtre de l’inconscient qui ne « … manifeste son originalité de ne pouvoir se satisfaire que de retrouver l’objet foncièrement perdu… cette répétition étant répétition symbolique, il s’y avère que l’ordre du symbole ne peut être conçu comme constitué par l’homme, mais comme le constituant 12 ».

C’est donc bien la structure de la détermination qui est ici mise en question. Le sujet, dès lors, aliéné à ce qui cause son désir est condamné à l’errance autour d’un vide. « Le signifiant exige un autre lieu – le lieu de l’Autre… – pour que la parole qu’il supporte… puisse se poser comme vérité. Ainsi c’est d’ailleurs que de la réalité qu’elle concerne que la vérité tire sa garantie : c’est de la parole. Comme c’est d’elle qu’elle reçoit cette marque * qui l’institue dans une structure de fiction *.

« Le dit premier décrète, légifère, aphorise, est oracle, il confère à l’autre réel son obscure autorité 16. »

Le sujet est alors destiné à la recherche de « l’identiquement identique », la recherche du « poinçon de cette fois-là », soit ce qui manquera toujours, ce qui est à l’origine de l’Urverdrängt. Et « le signifiant étant différent de lui-même, rien du sujet ne saurait s’y identifier sans s’en exclure ». Pas d’identiquement identique. Pas de fusion. Dans les coches que fait le chasseur sur son os, chaque trait, chaque Un, est absolument différent du premier ou de celui qui précède 15 .

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Il marque la différence et ce n’est pas le premier qui fait retour, même s’il supporte la répétition. L’identité échappe et a reste différent de a. Le signifiant reste suspendu à l’absence.

À chacun de ses tours, la répétition instaure un espace, un écart entre ce qui est cherché et ce sur quoi cette recherche tombe et s’arrête. L’intervalle institué structure la chaîne signifiante, garantit et véhicule, par une demande toujours répétée, du désir causé par un écart en reste. Ce qui se répète est chaque fois différent, mais aussi véhicule du même à chaque fois, du réel, dans un échec auquel le sujet retourne, est confronté à chacun – chaque Un – des tours de sa demande. Un ratage qui garantit la persistance du réel à s’inscrire : «… il n’y a de cause que ce qui cloche 10. » C’est sans le savoir – qui porte sur l’objet – que la demande se répète avec, à chaque tour, l’écart de l’objet en moins qui sous-tend la répétition dont le but sera de viser le colmatage de la différence entre ce qui est cherché – et qui se dérobe par nature – et ce qui est trouvé.

Car c’est le sujet lui-même, en tant que reste venant fonctionner au regard de cette perte, le trou dans l’Autre – dernier S A barré – qui tentera de suppléer au manque qui lui est répondu de ce lieu. Un Autre qui sera toujours marqué du sceau de la perte, réel qui stimulera la répétition en tant qu’aucun signifiant ne peut venir combler ce vide.

Dans la structure, la répétition est un acte qui se fait en l’honneur d’une rencontre, essentiellement manquée. « Le réel est… ce qui revient toujours à la même place, à cette place où le sujet, en tant qu’il cogite… ne le rencontre pas 10. »

L’échec de cette rencontre – Tuchè – marque ce qui fait la perte : écart qui agit le processus répétitif et dont l’effet sera de « répéter la marque première 15 ». Ce ne sera « pas-ça » mais ce sera, de toutes façons, une trouvaille qui fera « surprise » en tant qu’elle aura été choisie pour « solution 10 ».

La répétition n’est pas le ratage. C’est le ratage que répète la répétition. Elle répète un échec, lui-même marqué de la répétition. Ce qui est manqué est essentiellement la rencontre. Car elle relève d’un réel qui gît derrière l’Automaton que le sujet est condamné à ne rencontrer que par achoppements, actes dits manqués, rêves, etc.

L’insistance répétitive fonde donc le sujet de l’inconscient – dernier S BARRE – comme barré lors de sa mise en place dans le premier couple de signifiants.

Là est la répétition inaugurale, entre S1 disparu, chu, et S2 dont il n’est pas sûr qu’il sache quoi que ce soit de celui qui le précède mais en implique le savoir. «… C’est justement de ce qui n’était pas que ce qui se répète procède 12. »

La répétition révèle donc et implique un savoir ; dans un Autre lieu, là où je ne suis pas ça sait, et ça sait quelque chose. Un savoir qui justifie et motive ma quête et dont seul l’Autre peut jouir : « Le savoir est la jouissance de l’Autre 19. » Et c’est bien de ce qu’il n’y a pas identité qu’il y a répétition. À chaque répétition, il y a constat que ce dont le sujet a cru pouvoir jouir, il jouit à chaque fois un peu moins. Il y a perte de jouissance dont J. Lacan dit, en 1975, qu’elle contient l’étalon de la répétition comme fonction fondamentale 20; c’est-à-dire la marque que le sujet a mis au monde qui est « conductrice de volupté » et qui le laissera divisé entre le premier signifiant – S1 – de la jouissance et le second – S2 – de savoir, identifié en s’y abolissant à la coupure qui permet la jouissance de quelque chose qui insiste en s’adressant à bon entendeur, et fonde le discours psychanalytique.

C’est ce savoir, dans la mesure où une analyse a à être conduite jusqu’à la place de l’être chu, qui intéresse le psychanalyste : celui que recèle le trait ; car c’est grâce à ce savoir qu’il y aura recherche de jouissance par la répétition. Le savoir de la coupure, seule preuve de l’existence du sujet. « Le Un… n’est posé que pour tenter la répétition, pour retrouver la jouissance en tant qu’elle a… fui 19. »

Car pour le sujet, « ce qui est essentiel, c’est qu’il voie,… à quel signifiant – non-sens, irréductible, traumatique – il est, comme sujet, assujetti 10 ». Et il ne le verra qu’à interpréter la répétition car «… ce qui insiste, c’est ce qui a le plus de sens, et ce sens, c’est de l’ordre de la jouissance 2I »; et c’est le sens de ce qui se répète qui nous conduira à la pulsion.

La répétition se révèle être un acte nécessaire – c’est-à-dire conjugué à l’impossible de la jouissance de la Chose – à toute idée d’inconscient et de structure. Elle répond d’un mécanisme fondamental, une aliénation : retrouver l’objet perdu.

Freud avait repéré son rapport à la mort et à la jouissance, J. Lacan à ce qui en soutient les tours : le Un.

Elle est un des éléments essentiels constitutifs de l’inconscient du sujet : celui qui est supposé savoir.

Dans cette recherche de ce que Freud appelait l’identité de perception, le sujet fait l’épreuve de l’impossible du rapport sexuel. La répétition révèle, en acte, maintient et garantit la béance dans l’Autre. En ce lieu, la répétition est la seule loi.

Répéter, du latin repetere : regagner un lieu, prend en langue classique le sens de réclamer, redemander. «… Et pour le transfini de la demande, soit la ré-pétition, reviendrai-je sur ce qu’elle n’a d’autre horizon que de donner corps à ce que le deux ne soit pas moins qu’elle inaccessible à seulement partir de l’Un qui ne serait pas celui de l’ensemble vide 17 ? »

Le mode d’advenue du signifiant nous guide dans le mode d’advenue du sujet selon la formule freudienne : wo Es war, soll Ich werden. Ou encore ce qu’en a repris J. Lacan : wo Es war, da durch das Eins werde Ich. Là où c’était, par le Un adviendrai-Je.

Adviendra donc le trait qui représente le sujet qui compte, et sa structure en tant qu’elle « est le réel qui se fait jour dans le langage 17 », par la répétition en tant qu’elle peut et qu’elle est le moyen de bascule du discours du sujet.

Le sujet, au-delà de toute Loi, est condamné à répéter.

Dans « La direction de la cure 22 », J. Lacan ne liera pas nécessairement la résistance à la répétition, car pour lui, « du côté de l’inconscient, il n’y a aucune résistance, il n’y a que tendance à répéter 9 » ; ce qui sera déterminant pour définir la fin de l’analyse chez Freud et chez J. Lacan, dans la mesure où elle aura constitué le cheminement du sujet qui est de l’ordre du « Je n’en veux rien savoir », soit le support du symptôme qui lie, tisse au transfert la répétition qui témoigne d’un discours et de ses bascules, en acte.

Encore et en – corps, « nom propre de cette faille d’où, dans l’Autre, part la demande d’amour 18 ».

« C’est la liberté elle-même qui est maintenant la répétition 11

* C’est nous qui soulignons.

Notes

1. Freud & Breuer, Études sur l’hystérie, P.U.F.

2. Freud, L’Interprétation des rêves, P.U.F.

3. Freud, La Naissance de la psychanalyse, P.U.F.

4. Freud, id., Lettre à Fliess.

5. Freud, «Analyse finie et analyse infinie» (inédit).

6. Freud, La Technique psychanalytique, P.U.F.

7. Freud, Inhibition, symptôme, angoisse, P.U.F.

8. Freud, Les Essais de psychanalyse, P.U.F.

9. J. Lacan, Le Séminaire, Livre II, Seuil.

10. J. Lacan, Le Séminaire, Livre XI, Seuil.

11. S. Kierkegaard, « La répétition » in Œuvres complètes, L’Orente.

12. J. Lacan, in Écrits, le séminaire sur La Lettre volée, Seuil. 1966 .

13. J. Lacan, in Écrits, Fonction et champ de la parole et du langage, Seuil. 1966.

14. Freud, Notice sur le bloc-notes magique.

15. J. Lacan, Le Séminaire, Livre IX.

16. J. Lacan, in Écrits, Subversion du sujet et dialectique du désir, Seuil. 1966.

17. J. Lacan, « L’étourdit », in revue Scilicet n° 4, Seuil.

18. J. Lacan, Le Séminaire, Livre XX, Seuil.

19. J. Lacan, Le Séminaire, Livre XVI.

20. J. Lacan, Le Séminaire, Livre XXII.

21. J. Lacan, Le Séminaire, Livre XXI.

22. J. Lacan, in Écrits, La direction de la cure, Seuil. 1966.