La revue lacanienne n°3 : Le Silence en psychanalyse

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L’automatisme mental est notre lot et c’est pour nous rassurer que nous n’en soulignons que le versant psychotique.

Ça ne cesse pas de parler en nous et ce long ruban ininterrompu vient doubler le discours courant de la vie sociale. La règle dite de l’association libre est d’abord une invite au silence. Elle vise à suspendre les historioles qu’on se raconte en boucle, les fausses questions dont on a la réponse, les commentaires usés jusqu’à la corde. Il s’agit de ne plus s’écouter parler mais d’entendre ce qui n’a jamais été dit ainsi. Le silence est arrêt et scansion ; alors seulement l’équivoque fait jaillir des significations inouïes. Des espaces blancs se détachent le noir des lettres. Entendre dans le silence est la chance qu’offre une psychanalyse. Quand l’inconscient se referme et se tait ce n’est pas du silence. Il existe une clinique du mutisme. Un enfant peut décider un beau jour de ne plus parler à son père et de se tenir longtemps dans ce défi lancé à une instance obscure. Les grandes folies secrètent, de la paranoïa à la mélancolie, des mutismes invincibles. Énigmatiques aussi sont les longs moments de démence silencieuse qui succèdent au génie créateur. Nietzsche restera plus de dix ans dans un mutisme mortel. Plus quotidienne l’adresse d’une femme à son homme : « Tu ne me parles pas ! » Il existe une tradition du silence. C’est bien entendu du côté des religions et des sagesses que nous trouvons témoignages et transmissions. Le vœu de silence accompagne avec plus ou moins de sévérité la vie monastique. L’hindouisme et le bouddhisme véhiculent également des modes d’enseignement où le Maître montre plus qu’il ne parle. La pensée chinoise de l’Antiquité invente le terme « son réduit » pour désigner ce qu’on ne peut entendre en prêtant l’oreille, musique silencieuse de la véritable harmonie. Toute théorie du langage – qui est étymologiquement aussi bien praxis – inclut un certain traitement du nom de Dieu. Il est ainsi remarquable, dans la tradition juive, que le nom (shem) se dérobe au champ acoustique et devienne, comme il est dit « imprononçable ». Il est aussi intéressant de souligner le silence quasi total du prêtre israélite dans le rite classique. Le Rabbi reste muet au cours de son office ; c’est sans un mot qu’il accomplit ses tâches. Ainsi c’est le pouvoir du verbe par lui-même et toute dimension magique d’une formule prescrite qui se trouvent écartés. Est-ce donc par analogie que Lacan propose un « discours sans paroles » ? Le silence analytique devrait en tout cas trouver là source de réflexion car son vide n’est pas prière, appel d’une réponse salvatrice ou consolatrice. Si Lacan met l’objet écrit a comme agent du discours psychanalytique, c’est aussi manière de faire taire la si séduisante plainte hystérique et plus encore de couper la voix du Maître. Il n’y a pas d’Autre pour répondre de ton destin, pour te guider, pour parler à ta place. Écoute ou plutôt lis ce qui t’ordonne et agis en connaissance. Reste encore une surprise : pourquoi la pratique analytique devient-elle si bavarde ? Nous avons en principe renoncé aux explications psychologisantes, au schéma narratif historisant, aux constructions que Freud proposait. Certains prétendent que c’est la clinique d’aujourd’hui, son aspect décousu et dispersé qui nécessite des mots pour tenir le propos et contenir les comportements. Un bord quasi pédagogique serait le préalable à une symptomatologie sans bord, des jouissances sans limites. Nous soutenons a contrario que la psychanalyse perdrait le principe de son action à se fondre dans le bruissement ambiant. Le déliement et le nouement sont le silence.

Détails

Edition érès
Parution : 1 juin 2008
EAN : 9782876120761
La revue lacanienne
Thème : Psychanalyse

17,00