Léonard de Vinci : la psychiatrie pseudo-scientifique a encore frappé !

BON Norbert
Date publication : 17/07/2019

 

Léonard de Vinci : la psychiatrie pseudo-scientifique a encore frappé !

 

Norbert Bon

 

« Passant au marché des oiseaux, il les sortait de leur cage, payait le prix demandé et les laissait s’envoler, leur rendant la liberté perdue. »

Vasari, La vita di Leonardo da Vinci.

 

En ces temps de commémoration des cinq cents ans de sa mort, Léonard de Vinci est un créneau porteur. Paraît entre autres, dans la revue Brain, un article d’un certain professeur de psychiatrie au King’s college de Londres, Marco Catani et de Paolo Mazzarello, de l’université de Pavie1, qui nous en content une bien bonne sur Léonard de Vinci, sous le titre « Léonard de Vinci : a genius driven to distraction » : Léonard présentait les caractéristiques typiques du trouble du déficit de l’attention et de l’hyperactivité, TDAH en français, ADHD en anglais. Marco Cantani le commente ainsi dans une interview rapportée par Science magazine 2 : « Il est impossible de poser un diagnostic post-mortem à une personne qui vivait il y a 500 ans, mais je suis convaincu que le TDAH est l'hypothèse la plus convaincante et la plus plausible scientifiquement pour expliquer la difficulté de Léonard à finir ses travaux. » Impossible mais faisable pour nos psychiatres modernes. Et ils s’appuient sur des traits depuis longtemps relevés, notamment par Freud il y a plus d’un siècle 3: sa procrastination, ses nombreux projets divers et souvent inaboutis (la Joconde, elle-même ne serait pas terminée), des témoignages selon lesquels il aurait été un enfant agité et dispersé, etc. Mais aussi et conjointement animé d’une curiosité vorace qui l’a stimulé et l’a conduit à l’extraordinaire créativité qu’on lui connait. Mais là où Freud resitue ces éléments comportementaux dans une analyse fine des écrits de Léonard, les conditions de sa naissance illégitime et de son enfance avec une mère aimante à qui le père l’arrache vers quatre ans, avec les modalités particulières d’identification qui s’ensuivent, la curiosité infantile qui en découle, etc. Là où Freud invente le concept de sublimation et trouve illustration de ses analyses de la pulsion de savoir, le professeur Catani, spécialiste de l’anatomie du cerveau, et son comparse Mazzarello, ne se cassent pas tant la tête, après avoir rappelé succinctement et sans la discuter l’analyse de Freud, ils l’écartent simplement, d’un : « Mais la neuropsychiatrie moderne pourrait avoir une explication différente. Léonard pourrait-il avoir eu un trouble du déficit de l’attention et hyperactivité (ADHD) ? » Et, après en avoir rappelé les caractéristiques, ils les retrouvent chez Léonard : il était toujours « on the go », dormait peu, il était gaucher, écrivait en miroir et avait sans doute d’autres caractéristiques des personnes atteintes de deficit disorder : il était probablement dyslexique et avait une dominance linguistique du côté droit du cerveau !!! Cette dominance droite expliquerait-elle aussi « l’inversion » sexuelle de Léonard dont l’article ne fait pas mention ? Là où Freud tente de rendre compte de l’articulation complexe entre un organisme biologique et les interactions avec son environnement collectif et singulier, les auteurs rabattent la complexité de sa description sur une causalité unique et unidimensionnelle dispensant d’en passer par la case psychisme. A l’inverse de la démarche de Freud dans son Esquisse d’une psychologie 4 qui, pour rendre compte de la clinique se voit contraint d’interposer entre le cerveau et les stimuli externes et internes, un appareil psychique pour les traiter. Un grand saut en arrière.

Puis, là où Freud tente de comprendre une dynamique subjective, nos psychiatres scientifiques s’appuient sur des analyses de la littérature pour trouver confirmation statistique de leur hypothèse dans la fréquence de ces différents traits chez les personnes atteintes d’ADHD. Alors que ce sont précisément ces traits qui ont servi à postuler ce « syndrome » dont l’inventeur du sigle lui-même, le psychiatre américain, Léon Eisenberg, a reconnu dans une déclaration avant sa mort au magazine Der Spiegel que l'ADHD est "l'exemple même d'une maladie fictive. " 4 ! Et, non content d’élever ainsi au carré le « biais de confirmation » comme méthode démonstrative, ils saupoudrent leur analyse de références neurologiques telles que : « Les études d’imagerie neuronale d’enfants et adolescents avec ADHD indiquent des différences dans les régions du lobe frontal et du ganglion basal responsable des fonctions exécutives et du contrôle des impulsions. » Le cerveau, vous dis-je, le cerveau ! Molière reviens !

Pourtant, le professeur Catani semble animé de bonnes intentions, il se désole que l’on ait une vision péjorative des enfants atteints de TDAH et il espère que son travail sur Léonard pourra combattre cette stigmatisation : tous ne sont pas de faible intelligence et certains peuvent s’épanouir de façon ingénieuse si on laisse libre cours à leur créativité. Il y aurait en France 4% de TDAH chez les enfants d’âge scolaire et 3 % chez les adultes. Parmi eux se cache sans doute un Léonard de Vinci moderne qui ne demande qu’à terminer le portrait de Mona Lisa. Ce que notre optimiste psychiatre oublie, c’est que si Leonard avait été déclaré TDAH lors d’un dépistage précoce, il aurait été mis sous ritaline et n’aurait certainement même pas commencé le portrait de Mona Lisa ! N’est-ce pas d’ailleurs à ce supposé inachèvement, cette suspension du geste de l’artiste, que l’œuvre doit sa valeur énigmatique et la fascination qu’elle suscite depuis des siècles ?

Qu’importe, la soi-disant découverte : « Léonard de Vinci était probablement atteint de TDAH », est largement reprise comme un scoop sur de nombreux sites internet par des journalistes scientifiques, vidéos d’imagerie du cerveau à l’appui, et dans diverses chroniques radiophoniques, dont celle de Mathieu Vidard dans son « Edito carré » du 11 juin sur France Inter 6, fut-ce quant à lui, avec le bémol du conditionnel. Ainsi va la science alternative ! Alors, pour ne pas être en reste, je livre au buzz médiatique, le scoop de ma récente découverte : Lucy, notre charmante ancêtre australopithèque, manifestement agitée et instable, toujours « on the go », n’arrêtant pas de sauter et de courir dans sa forêt natale du Rift, avez-vous remarqué cette petite dissymétrie de la boîte crânienne, là, côté droit ? Eh oui, elle n’était pas « in the sky with diamonds » comme l’imaginaient les Beatles, elle était TDAH ! Et voilà pourquoi elle est tombée de son arbre. Les circonstances de la dite chute ont été établies par  un groupe de chercheurs américains et éthiopiens à partir de l’analyse au scanner des fractures des os fossilisés de Lucy, dans un  article publié en 2016 par la revue Nature. Jusqu’à ce que d’autres chercheurs, dont l’un de ceux qui ont découvert Lucy, estime que l’état des os correspond tout simplement à ce qui se passe pour un squelette resté trois millions deux cent mille ans sous terre ! D’où le journaliste Tom Phillips, qui rapporte l’affaire, met en garde les experts renommés qui croient « avoir publié une étude révolutionnaire dans la revue la plus prestigieuse qui soit [...] C’est quand vous pensez avoir tout résolu que le spectre toujours présent des conneries peut frapper. » 7 Et vous faire tomber de votre chaise !

Références

1 Catani M., Mazzarello P., 2019, « Leonardo da Vinci : a genious driven to distraction », Brain, 2019, p. 1842-1846

2 Science magazine, https://www.santemagazine.fr/actualites/actualites-sante/leonard-de-vinci-aurait-pu-souffrir-de-tdah-4091426.

3 Freud S., 1910, Un souvenir d’enfance de Léonard de Vinci, Paris, Gallimard, folio bilingue, 1991.

4 Freud S., 1895, Esquisse d’une psychologie, Toulouse, érès, 2011.

5 Diener Y., 2017, "TDAH, La maladie inventée pour remplir les poches des labos", Charlie Hebdo, 1314, 27/09/2017, p. 2-3.

6 Vidard M., 2019, « Léonard de Vinci avait-il un trouble TDAH ? », https://www.franceinter.fr/emissions/l-edito-carre/l-edito-carre-11-juin-2019

6 Phillips T., 2018, Et merde ! Comment l’histoire montre que l’erreur est humaine, Paris, Vuibert, 2019, p.

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