Freud fait son droit
Il est notable que les psychanalystes ignorent le Droit. Pas seulement parce qu’il est rare qu’ils se recrutent à partir de cette formation universitaire, mais aussi parce qu’ils méconnaissent en général celui qui, sans être jamais nommé comme tel, s’impose à quiconque est engagé dans un discours.
C’est celui-ci pourtant qui dispose les places des locuteurs, du type de jouissance qui en relève, du sacrifice que celle-ci coûte, de leur échec à s’accomplir comme homme et femme. Il n’est pas nécessaire d’être juriste pour savoir que le droit est ce qui codifie les répartitions qui, autrement, seraient laissées à l’arbitraire du plus fort. Dans diverses circonstances historiques le Droit a pu ainsi régler le fonctionnement de l’État alors même que le pouvoir s’avérait défaillant sinon absent.
Pourtant l’analyse ajoute au Droit deux éléments essentiels, sans être certaine pour autant de pouvoir l’enrichir.
D’abord le fait qu’un sujet, divisé, a un pied dans un camp, l’autre dans l’Autre, et que c’est la division sociale entre maître et serviteur, entre sciant et scié, qui forclot le fait que la castration porte sur les deux, et que la jouissance n’est pas forcément du côté que l’on imagine. Il y a ensuite qu’il se trouve un discours qui expose les locuteurs à la guerre pour se faire réciproquement reconnaître, exposant le Droit à une casuistique dont le principe n’a pas meilleure justification que les évolutions de l’opinion publique : c’est le discours hystérique.
Mais le discours analytique pourrait-il en revanche faire valoir entre partenaires un Droit qui, au contraire, serait de principe ? Une réponse hâtive le niera puisque l’attrait du plus-de-jouir, légitimé en outre par sa venue en place de maîtrise, justifie le refus de toute limite. Il faudrait donc passer outre l’inconscient pour, se référant à la propriété qu’a le langage d’imposer la castration, rendre la jouissance compatible avec le maintien de la vie. Ce dont, bien sûr, se moque allègrement, le culte de la consommation.
Mais le fait qui retient est que par un mixage entre discours analytique et discours du maître la vie des groupes analytiques semble radicalement manquer de Droit. Faute d’un insigne spécifique, le déchaînement des passions pour y acquérir celui du maître est remarquable. Au détriment de la discipline, devenue un prétexte.
On peut retenir que de même qu’un État sans Droit est livré au caprice de son maître, de même une organisation sans Droit est à la merci du populisme.
Ch. Melman - 17 mai 2018