Philopater

MAJSTER Nathanaël
Date publication : 10/07/2023

 

Philopater

Rien de plus étrange que les appels gouvernementaux de ces derniers jours sur la responsabilité morale - mais aussi pécuniaire et pénale – des parents d’enfants casseurs et émeutiers malgré leur très jeune âge. Etrange car un peu de logique lacanienne, augmentée du commentaire de notre Maitre Charles Melman, suffit à décrypter l’absurdité de la situation.

C’est en effet l’Etat lui-même, venant rompre avec une tradition antique et médiévale (le droit familial naturel) qui a défait l’organisation de la famille autour de la puissance paternelle (1971) en lui substituant l’autorité parentale. Cette première étape a établi une autorité bicéphale et asexuée (c’est-à-dire aussi bien déjà homosexuelle), le couple parental étant dorénavant porté à un conflit permanent et sans autre recours que la figure du juge, tiers régulateur et arbitre de situations privées qu’il ignore et ne peut comprendre. À la loi symbolique organisant une distribution des places injuste mais efficace, venait répondre celle de ces jeunes femmes, juges déléguées par l’Etat pour dissoudre l’organisation familiale et fixer les réparations au nom du droit positif réel.

Aujourd’hui à la place de cette autorité parentale, le législateur pense instituer la notion de « responsabilité familiale » faisant de la famille une association égalitaire de membres dont les rapports sont strictement définis et codifiés, ainsi que sanctionnables. L’enfant devient un sujet entier de droits opposables à ses parents – dont le rôle est proprement lié à son entretien mais pas à sa formation, ni morale ni spirituelle ni disciplinaire. La lignée familiale s’en trouve définitivement abolie.

Il est vrai qu’en imposant des sanctions pénales ou pécuniaires aux parents d’enfants délinquants l’Etat veut les traiter comme des fonctionnaires fautifs. Les désigner comme des délégués de l’Etat après les avoir abolis comme ceux d’une instance symbolique directrice extérieure à l’Etat, n’est-ce pas une forme de violence absurde autant qu’inefficace ?

Dans sa préface aux œuvres complètes de Marcel Mauss, Levi-Strauss rappelait que la conduite normale était réelle tandis que la conduite anormale (délinquante) était symbolique.

La conduite délinquante à grande échelle des jeunes est bien entendu symbolique de cette absence d’un père dans la famille, leur affrontement avec les forces de l’ordre valant contact avec une limite qu’ils n’ont pu rencontrer. De n’avoir pas été symbolisée cette limite est recherchée dans le réel.

A ce schéma très simple s’ajoute néanmoins une complexité liée au fait que les jeunes en question relèvent dans la majorité d’une filiation issue d’une immigration en provenance de pays du Maghreb fortement axés autour de la figure paternelle. La violence de leur insurrection tient également dans la volonté de se battre pour un père national bafoué par l’histoire et non reconnu dans la culture d’accueil et pour lequel leur sacrifice pourrait être un prix exigé à moins qu’ils ne parviennent à l’imposer aux hôtes.

Cette révolte philopaternelle encourage en miroir dans le milieu d’accueil la résurgence tout aussi décidée d’un père national muet mais dont la voix sera entendue du peuple au travers de celle de ses édiles populistes. En son fond la première révolte l’est tout autant contre une société qui ignore le père, au nom donc de l’islam comme principe d’organisation politique et social, et venant de jeunes qui ne savent désormais plus de qui attendre la délégation des signes de virilité que l’instance tierce, autrement nommée père par la religion, assurait. De la violence de cette révolte, les milieux populistes ou nationaliste sauront entendre l’appel formé. Nul doute également que dans les rapports sociaux quotidiens elle ne s’impose comme nouvelle norme.

Que le général (le mot est parfait ici) puisse être rétabli contre les particularismes bruyants, rebelles et revendicatifs est la réponse habituelle de l’histoire. Sans doute pourra-t-on rappeler que le père rétabli par la force n’a plus les mêmes traits que le père d’origine, celui qui fut défait et qui veillait de façon bienveillante à la formation de l’enfant et à son introduction aux règles et disciplines sociales.

Nous sommes donc à un moment passionnant, à voir comment pourra se résoudre la crise que traversent les représentants de l’autorité, qui ne s’estiment plus, pour des raisons morales et historiques, bien fondés à occuper places et fonctions. À défaut le coup de balai risque d’être violent.

Nathanaël Majster

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