Du changement dans le malaise
Du changement dans le malaise
Freud estimait qu’une levée de la répression sexuelle soulagerait des névroses et permettrait une vie sexuelle plus épanouie. Il pensait cependant que cette libération s’accompagnerait d’un malaise accru dans la civilisation, avec un lien social rendu plus violent et précaire. Où en sommes-nous ?
Le vœu freudien de libération sexuelle a été largement exaucé dans nos pays occidentaux, et une partie au moins de ses prévisions s’est réalisée : le « vivre ensemble » s’est détérioré, les invectives ont remplacé les discours, le retour d’une autorité sous des formes totalitaires – réelles plutôt que symboliques – s’observe de plus en plus.
Mais cela a-t-il au moins permis un meilleur épanouissement sexuel ? La clinique nous montre certes une pratique de la sexualité souvent plus ludique, avec moins de troubles spécifiques. Mais elle nous montre aussi son désinvestissement au profit d’autres jouissances plus simples et directes, voire même sa dénonciation grandissante en raison notamment de sa dimension d’asymétrie à une époque prônant l’égalitarisme.
Un fait marquant devrait nous retenir : la sexualité n’engage souvent plus un sujet, elle est récréative, se consomme volontiers entre partenaires rencontrés sur le Net une heure plus tôt selon critères et pseudos. Et quand les jeunes s’investissent dans une vie amoureuse (car l’amour, lui, fait toujours rêver), il est fréquent que celle-ci s’appuie rapidement sur un relatif renoncement à la sexualité au profit d’une meilleure harmonie et d’un partage enfin symétrique des jouissances (Netflix, Instagram, produits toxiques...).
Cette mise à l’écart du sexuel, toujours complexe, amène cependant d’autres difficultés. Car si le trou lié au langage « ne condamne pas forcément la créature à faire que ce trou concerne le sexe » (Melman, L’homme sans gravité), si donc la castration n’opère plus forcément pour orienter un désir sexué, qu’est-ce qui peut alors vectoriser un désir pour un sujet ? Les névroses structurées semblent bien avoir reflué (Freud avait là aussi vu juste), mais c’est au profit d’autres problématiques, dépressives, addictives, victimaires, traumatiques… L’errance subjective tend ainsi à prendre le relais de la division subjective conflictuelle.
Au malaise dans la civilisation s’est donc ajouté un malaise dans la subjectivation, le deuxième n’atténuant aucunement le premier. La psychanalyse, pourtant pratique centrée sur le sujet, y a d’ailleurs malgré elle contribué. Quelles nouvelles réponses va-t-elle pouvoir inventer face au nouveau malaise ?
Thierry Roth, Président de l'ALI