Discussion après la conférence d'Annie Delannoy (24/01/2023)

Date publication : 17/03/2023

 

Discussion après la conférence d'Annie Delannoy (24/01/2023)

 

T.R. : Merci beaucoup Annie pour cet exposé dont je comprends mieux le titre « Une petite pincée d’amour », c’est vrai que l’amour ça pince souvent. C’est un titre d’autant mieux choisi.

J’ai bien aimé aussi votre idée de mise en mouvement de la structure subjective, je crois même qu’au début de la vie on peut dire que l’amour participe à la mise en place de la structure subjective.

Il y a beaucoup de choses avec vos deux cas cliniques, que tout le monde connait, ce qui est un avantage. Et donc je vais demander à Jean-Luc, notre discutant de ce soir de bien vouloir faire ses remarques ou ses critiques.

Jean-Luc Cacciali : Oui, merci beaucoup pour cet exposé un peu difficile à discuter immédiatement. Vous avez pris le parti de nouer, que les trois termes de l’aphorismes sont noués boroméennement, ce qui avait été l’objet déjà d’une discussion. À ce propos simplement une remarque, est-ce que, si on dit qu’ils sont noués boroméennement, est-ce que du coup, ça ne met pas simplement l’amour du côté de l’imaginaire ? Avec la jouissance du côté du réel et le désir du côté du symbolique ? Or vous avez parlé de la question de l’amour justement, pas seulement réduit à sa dimension imaginaire.

Donc l’avènement de la structure subjective où le sujet est un effet de signifiant, et donc vous dites qu’il y a l’entrée du signifiant dans le réel. Bien sûr de façon topologique il y a le nouage, mais quand même, l’entrée du signifiant dans le réel, du coup est-ce que c’est le réel qui est premier ? « Au commencement était le verbe », mais si c’est l’entrée du signifiant dans le réel, cela met en place le réel comme au départ. Ce sont des remarques.

A.D. : Oui c’est toujours un peu difficile de rendre compte comme ça, mais il me semble que ça n’est pas l’un puis l’autre, ce sont des temps logiques et ça précipite, au sens - j’ai envie de dire - chimique du terme, ça met en place le réel autant que … voyez, je l’ai vraiment attrapé comme ça, c’est dans L’Identification que Lacan parle de ça. Du coup ça rejoint, parce que j’ai essayé de mettre en parallèle cette façon qu’il a d’attraper ça dans L’Identification et comment il le retravaille dans L’Angoisse. Il me semble que ça correspondrait, je ne sais pas si on peut le dire comme ça, à ce temps mythique du grand Autre non barré et du sujet non barré et que c’est l’avènement du signifiant qui opère une coupure et qui à ce moment-là, met en place à la fois le réel, le symbolique et puis cette manœuvre de l’imaginaire qui va venir … Voilà, c’est un peu comme ça que j’ai attrapé les choses.

JL.C. : Oui c’était une remarque, parce qu’à ce moment-là, comment entendre ce que Lacan reprend quand il dit qu’il est d’accord avec Saint Jean, « Au commencement était le verbe ».

Alors le point sur lequel vous insistez qui est que le réel est sous-entendu. Comment aborder ce sous-entendu ? Il y a donc l’avènement de la structure subjective, et à partir de là chacun se débrouille avec son propre texte, avec son texte inconscient, c’est-à-dire avec la lettre ? Est-ce que du coup ça ne nous indiquerait pas que l’abord du réel, c’est avec la lettre ? Ce qui rejoindrait cette autre question, Lacan a dit que, avec l’amour on retrouve toujours, et pas seulement dans la littérature, on retrouve toujours la question des lettres d’amour.

Et puis une fois qu’il y a ces coordonnées subjectives mises en place, qu’est-ce qui va animer ces structures ? Vous insistez sur la dimension de l’imaginaire.

A.D. : Ça me questionne tout ça, on va le dire comme ça, ce sous-entendu du réel. je me suis dit, je peux pas me représenter la mise en place, peut-être que c’est moi qui imaginarise trop, mais tout ça pourrait se passer de cette petite pincée d’amour, au sens, il me semble que c’est ce que j’ai essayé de dire, où, on pourrait reprendre la question de l’enlacement de la demande et du désir, c’est-à-dire au sens où ça ne peut que se nouer par ce bord-là, et du coup, cette demande met en route cette question de l’amour. En vous écoutant je l’ai entendu à l’instant comme ça, je me suis dit, oui l’abord par la lettre, la lettre d’amour, mais c’est ce qui choit à ce moment-là, on pourrait presque le dire comme ça. Vous me suivez ?

JL.C. : Mais à ce moment-là, la petite pincée d’amour, est-ce que c’est un amour du côté de l’imaginaire, puisque vous insistez sur la dimension de l’imaginaire pour animer la structure ?

A.D. : Je le dirais en deux temps logiques, et vous voyez que c’est toujours embêtant parce que, amour qu’est-ce que ça veut dire ? Est-ce qu’on ne peut pas penser que ce qui fait ce rapport de la demande du sujet au désir de l’Autre, on pourrait lui donner le nom d’amour, la faille, ce qui porte le doux nom d’Encore. Voyez, à ce moment-là, c’est là que moi je faisais l’hypothèse du versant réel de l’amour, mais qui nécessiterait ce deuxième temps, je pense qu’on peut le dire comme ça, de cette manœuvre de l’imaginaire, sur un versant de l’amour dans sa version imaginaire. Parce que l’amour, voilà, c’est toute ….

JL.C. : Oui, Martine avait commencé, elle, elle avait pris un parti, puisqu’il y a différentes formes d’amour, elle avait pris le parti de cette formule de Lacan « un certain rapport entre deux savoirs inconscients ».

            Alors, Jour de souffrance, et puis Lol V Stein. L’invidia et la jalousie. Est-ce que quand même … Bon l’invidia, le retour de Catherine Millet à l’invidia qui lui permet de revenir à la question de l’Autre si j’ai bien entendu, mais l’invidia, est-ce que ça n’est pas structuralement une relation à deux, non, pas une relation à deux, elle se joue à deux et que la jalousie se joue à trois ?

A.D. : Oui, mais mon hypothèse c’est que l’invidia elle est nécessaire au passage à trois.

Comment ?

Bernard Vandermersch : À la constitution de l’objet. Moi ce qui m’a beaucoup intéressé, c’est que l’amour semble intervenir en deux temps. D’une part à l’origine même de tout sujet, et c’est un point qui est souvent pas souligné, on voit le signifiant qui rentre dans le réel. Mais  qu’est-ce que c’est que l’amour à ce moment-là ? C’est l’amour de la mère pour l’enfant, et dans la mesure où l’enfant est phallicisé, il y a quelque chose de déjà bien en place. Et surtout le deuxième temps, je crois que c’est l’essentiel du propos, c’est : comment l’amour permet d’aller au-delà de la sidération devant la constitution de l’objet en tant qu’il m’échappe, en tant que c’est l’autre qui l’a ?

            Et ce qui est formidable dans Lol V Stein, c’est qu’elle reste dépendante de cette image de complétude, quitte à s’en annuler, c’est-à-dire, en fin de compte être soulagée du désir, mais d’être en même temps esclave de … d’être en miroir de cette image presque, Je crois que c’est un peu ça.

            Tandis que de l’autre côté, il y a un amour mais c’est un amour qui est quand même sexuel pour cette femme, pour Catherine Millet. Comment faites-vous la différence entre le premier amour qui permet qu’un sujet vienne au monde, et ce deuxième amour qui permet à un sujet de lâcher la jouissance pour condescendre au désir. Voilà,  est-ce que c’est le même amour ? Qu’est-ce qu’il y a d’autre éventuellement ? Autrement dit, est-ce que Jacques est une mère pour Catherine Millet ?

A.D. : Non, je ne crois pas ça du tout. Alors peut-être, oui, c’est deux façons d’aborder la question de l’amour. Il me semble que ce qu’on peut dire c’est que Lol, elle tente cette répétition, on peut le dire comme ça, comme elle ne franchit pas cet au-delà de l’invidia, son existence reste conditionnée au maintien de cette image de la complétude, qu’elle fait tout pour maintenir comme ça.

            Alors que la façon dont Catherine Millet déploie son écrit, on entend que ça la renvoie à ce qui pourrait être de l’ordre de l’invidia, et que c’est ça qu’on pourrait appeler les embarras, elle est renvoyée par ses embarras à ce moment. Bon, je ne vais pas déplier toute la partie où elle fait ces liens entre sa cure et ce terme. Ce qui m’avait semblé intéressant, c’est que ça lui fait remonter cette scène qui effectivement amène du sexuel, puisqu’elle voit sa mère embrasser son amant. Et du coup, je ne sais pas comment on peut dire, c’était une question pour moi, oui elle est dans des relations sexualisées avec des hommes, mais pour autant pas forcément dans une altérité, c’est-à-dire qu’elle compte pas jusqu’à trois jusque-là. C’est toujours deux et un, je me suis dit ça comme ça, et du coup, cette contingence, parce qu’elle rencontre, elle tombe sur cette photo, elle décrit très bien comment ça déferle pour elle qui se croyait à l’abri d’un tel sentiment, ça la renvoie à quelque chose de ce moment, peut-être, comme dit Lacan, au début, ce que je citais, au tréfond de son être, du coup, il faut qu’elle refasse ce trajet dans ses embarras. Je ne sais pas si je réponds bien à votre question mais il me semble qu’il y a quelque chose comme ça.

JL. C. : Est-ce que ce n’est pas la jalousie qui réintroduit le trois ? La jalousie se joue à trois. Est-ce que Jour de souffrance est pour Lol, … Marguerite Duras a cette formule à propos de la souffrance, « qu’est-ce à dire qu’une souffrance sans sujet ? » Lol c’est une souffrance sans sujet. Et quand vous dites très justement que pour Catherine Millet, c’est la douleur qui va provoquer, alors à ce moment-là, on pourrait se dire, pour répondre à la question de Bernard, en quoi cet amour est différent ? C’est que là, la douleur, elle fait revenir un sujet à la souffrance, donc on peut dire qu’il n’y a pas de sujet de l’amour, par contre il y a un sujet du désir. Donc en même temps, cette opération qui remet en jeu la question du sujet que vous appuyez sur un retour structural à l’invidia, on ne pourrait pas, à propos de la douleur reprendre le terme de Lacan de la jalouissance ?

A.D. : Oui, elle dit « La jouissance de la douleur ».

T.R. : Est-ce qu’il y aurait des questions dans la salle, ici ? Bernard.

B.V. : Juste une remarque. Dans le terme de Saint-Augustin, c’est vraiment l’objet petit a qui est en question. Alors que dans les scènes d’Anne-Marie Stretter, de Lol V Stein, la question du regard c’est elle qui va l’incarner, il n’y a pas de séparation de l’objet. Dans la jalousie c’est autre chose, c’est phallicisé ; enfin, je n’arrive pas à dire les choses mais ce n’est pas l’expérience de Saint-Augustin dans la jalousie, c’est vraiment autre chose, tout à fait autre chose. Ce n’est pas parce que elle voit son homme avec une autre femme, cette autre femme c’est autre chose que le sein.

Martine Lerude : D’abord l’expérience décrite par Saint-Augustin, Lacan la reprend au moins sept ou huit fois et il va l’analyser à chaque fois différemment. C’est très intéressant ce moment de sidération par l’image tel que Annie l’a isolé, parce qu’effectivement, ces deux situations, il y a deux écritures différentes, il y a l’écriture de Marguerite Duras, et puis l’écriture de Catherine Millet qui est une adresse à Jacques Henric. Catherine Millet écrit ce livre qui s’adresse à l’homme avec qui elle vit, après un succès colossal, La vie sexuelle de Catherine M., qui a été traduit dans cinquante langues, elle est devenue riche, elle est une femme qui est connue, qui est invitée dans le monde entier, et elle doit payer son tribut à cet homme avec qui elle vit. Il est nommé, Jacques Henric, il publie un roman tous les quatre ans, qui doit être vendu à … je ne sais pas. Et tout d’un coup, il y a une espèce de fossé immense entre eux, et là il y a quelque chose entre eux, il y a de l’écriture, qu’elle lui a, par cette souffrance, mise en mots, il y a de la littérature, elle en fait de la littérature, elle en fait un cas clinique dont on se sert, vous vous en servez, je m’en suis servi il y a vingt ans quand elle a publié son livre, j’ai fait un truc à Sainte-Anne avec elle. Bon, voyez, tout de suite elle en fait quelque chose.

JL.C. : Est-ce que ce sont alors, adressées à Jacques Henric, est-ce que ce sont des lettres d’amour ?

M.L. : Je ne sais pas si ce sont des lettres d’amour, mais en tout cas, c’est un texte qui vient s’inscrire sur une scène qui est la scène parisienne, voire la scène nationale, avec des noms qui sont des noms connus, je veux dire il y a quelque chose là, c’est beaucoup plus vaste. Mais en même temps, ce n’est pas pour remettre du doute sur cette souffrance, cette souffrance qui tient à un cheveu. Le moment tout à fait extraordinaire de ce texte, c’est que la jalousie survient quand il va y avoir un cheveu de cette autre femme à l’intérieur de la maison, c’est-à-dire quelque chose du pacte entre eux s’est trouvé, je dirais … (Quelqu’un souffle le mot dans la salle) balayé, et à ce moment-là, c’est ça qui est intéressant, c’est qu’il y a différents niveaux en même temps, et peut-être cette question de l’écrit dont vous avez parlé, c’est-à-dire, cette chose ça ne cesse pas de s’écrire, ça ne cesse pas de s’écrire.

            Bon et puis Lol V Stein, on est dans un autre registre, c’est vrai.

Cyrille Noirjean : D’autant que le texte suivant que publie Catherine Millet c’est son étude sur D. H. Lawrence, sur Lady Chatterley. Voilà, elle file quelque chose.

JL.C. : À propos de la jalousie, Lacan a cette formulation, il dit que la jalousie n’est pas une rivalité vitale mais c’est une identification mentale. Je trouvais que ça allait avec, quand elle dit qu’elle ne peut pas se représenter mentalement Jacques, et qu’il lui faudra ce temps. Et je me demande si ce n’est pas la jalousie qui réintroduit …

A.D. : Oui,oui, non,non, elle ne dit pas qu’elle peut pas se le représenter, elle dit qu’elle n’avait jamais eu à retoucher l’image qu’elle avait de lui.

JL. C. : Oui, elle emploie l’expression « portrait mental », c’est pour cela que ça me fait penser à cette expression de Lacan d’identification mentale.

Nathalie Delafond : Si je peux me permettre, Jean-Luc, comment tu entends ça, identification mentale ?

JL.C. : C’est pour cela que je posais la question, parce que, quand même, … Oui ?

N.D. : Si tu permets, il me semble que s’il y a une identification mentale, ça serait plutôt  identification mentale du tiers, du tiers en question.

JL.C. : Tout à fait mais, là, du coup, ce n’est plus la question de l’objet, à la différence de l’invidia.

N.D. : Oui c’est vrai, tout à fait.

T.R. : Bon, est-ce qu’éventuellement, parmi les gens qui sont sur Zoom, dont je vois quelques-uns mais pas tout le monde, quelqu’un veut s’exprimer ? Le plus simple est d’ouvrir les micros et de parler parce qu’on ne voit pas tout le monde. Qui est-ce qui voudrait intervenir sur Zoom ? Sinon vous vous taisez à tout jamais, c’est le moment. On parle d’amour, alors allez-y. Personne sur Zoom ?

            Oui, Isabelle, je vais essayer d’ouvrir son micro.

Isabelle X : Oui, merci, ça m’a beaucoup intéressée, votre exposé, j’aime beaucoup ces deux textes. Je voulais juste faire une proposition parce que j’ai souvent aussi réfléchi à la question que posait Jean-Luc Cacciali, à propos de « Au commencement était le verbe ». Moi j’ai essayé de penser cette question avec le texte d’Alain-Didier Weill, Un mystère plus lointain que l’inconscient, où il distinguerait deux réels, c’est-à-dire un réel chaos informe, et donc « au commencement était le verbe », c’est le signifiant qui transformerait ce réel chaos informe, Gaïa il l’appelle, puisqu’il prend la métaphore du danseur, en un autre réel qui viendrait après trouer le symbolique. Voilà, c’est juste une petite remarque. Je ne sais pas ce que vous en pensez.

Et l’autre chose que je voulais dire, c’est que ce que je trouve très important dans cette dimension de l’amour, c’est ce que vous avez rappelé, que l’amour c’est donner ce qu’on n'a pas, c’est-à-dire que ce qui est intéressant dans condescendre, c’est qu’on a ce paradoxe du plein et du manque et que dans la jouissance, elle condescend au manque pour arriver au désir. Dans l’invidia on est encore dans le plein, on n’est pas encore dans cet accès au manque qui va permettre de condescendre au désir. Voilà je ne sais pas si ça apporte quelque chose. Merci encore.

A.D. : Oui, je crois que ça rejoint ce que j’ai essayé de dire, donc merci. Sur cette histoire, je n’ai pas en tête le texte des propos d’Alain-Didier Weill dont vous parlez, mais je me disais en vous écoutant que de toute manière, comment dire ?, moi je maintiens cette idée que ça se précipite au moment où le signifiant, voilà, mais de toute manière sans le signifiant, je pourrais dire qu’il n’y a pas de réel puisqu’on ne peut pas le nommer, voilà, je trouve que c’est, c’est, … donc j’aimais bien cette idée que ça restait, c’était un peu de suivre Lacan dans son élaboration parce que c’est un trajet, de ce passage de comment il attrape les choses dans L’Identification , à comment il les attrape ensuite dans L’Angoisse , et puis comment après ça va se poursuivre dans Encore et puis la suite avec le nœud borroméen. Voilà, c’est un peu comme ça que j’ai suivi cela. Peut-être puisque j’ai commencé par là et puis du coup on n’en a pas reparlé, moi ça m’avait interpelée la fin du séminaire d’hiver, la remarque qui avait été faite que si on disait que c’est un aphorisme borroméen, à ce moment-là on pouvait intervertir tous les termes, on pouvait faire une ronde des termes comme ça, je pense que ça doit faire neuf façons de dire l’aphorisme. Il me semblait, ça m’a laissée un peu perplexe, j’avais écrit tout ça avant parce que je ne voulais pas me laisser influencer par ce que j’entendais, et du coup je me disais oui, voilà, il y a quelque chose qui ne va pas là-dedans. En fait je crois que ce à quoi j’ai tenu et ce qui me tient pour penser les choses, c’est quand même cette distinction entre ce qu’il en est de la mise en place de la structure subjective, de l’avènement de la structure subjective, et ça il me semble que c’est le réel du nœud, c’est ce que j’ai essayé de dire, c’est le lieu d’habitat du sujet, et il me semble que ça ne peut fonctionner que « seul l’amour permet à la jouissance de condescendre au désir ». Et qu’après ça se tricote selon les embarras de chacun, peut-être. Il y a des choses à penser, c’est ce que je me suis dit après les remarques à la fin du séminaire d’hiver. Voilà, ça me revenait du coup.

T.R. : Qui voudrait poser une question ou faire une remarque ? Il nous reste quelques minutes. Sur Zoom ou dans le local.

Allez-y, vous ouvrez votre micro et vous parlez.

Claude Lecoq : Ce qui me vient maintenant, au niveau de la discussion, c’est que le cheveu à balayer, c’est quand même de l’ordre du signe, pour Millet qui a ce souvenir qui lui vient en analyse, que sa mère pouvait désirer un homme qui pouvait la désirer. Tandis que Lol, ce qui a permis à Duras de l’écrire c’est que c’est une femme qu’elle a sortie un jour de l’hôpital psychiatrique et qu’elle a suivie partout toute la journée. C’est-à-dire qu’à l’origine, il y avait quelque chose qui pouvait circuler, prendre sens, c’est le signe. Tandis que pour Lol c’est quelque chose d’ailleurs, on va dire, et qui est resté à cet endroit. Bon Duras dit qu’elle ne sait pas du tout si ce qu’elle a écrit c’était la question de la folie d’une femme ou pas. Mais c’est parti quand même de cette expérience qu’elle a eu, de proximité avec cette malade entre guillemets, beaucoup de guillemets pour le mot malade.

A.D. : Oui, moi ce qui m’a intéressée à partir de ces deux récits qui ont à voir l’un avec l’autre, c’était surtout de venir montrer ce moment de la structure et puis comment on pouvait illustrer cet aphorisme, voilà.

B.V. La contingence.

A.D. : Oui la contingence.

JL.C. : À propos de la mise en place de la structure, que ce soit pour Lol ou saint Augustin ou même on peut dire le cheveu, ce qui se trouve mis en jeu, c’est le regard. Donc quelle place vous lui donneriez, au-delà du stade du miroir, dans l’animation de ce que vous avez appelé l’animation de la structure ?

A.D. : Alors je ne sais pas si je vais pouvoir répondre là, il y a un truc que je m’étais dit vouloir travailler, ça m’est revenu plusieurs fois à plusieurs moments, parce qu’effectivement ça m’est venu, cette question. J’ai failli devant la tâche. Dans L’Angoisse quand Lacan reprend le tour avec les objets, il y a ce moment du regard qui est décisif dans la constitution. Voilà. Je reviendrai l’année prochaine.

JL.C. : Dans l’invidia il y a le regard amer, là quand même c’est la vue du cheveu. Et puis Lol, comme le disait Bernard, le regard est peut-être incarné.

N.D. : Est-ce que justement, par exemple pour Lol, est-ce que le regard ne vient pas en place de ce qui aurait pu être le sujet ? C’est-à-dire qu’elle est réduite à ce regard. De même que dans l’invidia le moment d’anéantissement que vous évoquez, c’est le moment où le regard devient prééminent sur la subjectivité.

A.D. : Il me semble, elle tombe, dans le récit de Duras, elle tombe, Lol V Stein, au moment où disparait Anne-Marie Stretter, quand ils s’en vont, quand elle les perd de vue, ce moment où ça ne tient plus. Et je crois qu’elle est dans ce moment, quand elle est à l’orée du champ pour les voir, c’est pour ça que je me suis dit, c’est vraiment le cadre de sa vision là, parce que c’est pas un cadre, c’est pas le fantasme, c’est pas de cet ordre-là. Elle se couche dans le pré, elle est dans cette position, si elle les perd de vue ou si à la fin ça se délite, ce couple, je crois que vraiment, on parlait de ce moment de l’invidia qui serait du côté de l’objet, qui permettrait de réaliser l’objet, la perte de l’objet, il me semble que Lol, elle reste juste suspendue à ce moment-là, c’est-à-dire, il y a soit cette image à laquelle elle reste collée, soit l’image n’est pas et elle choit, il n’y a pas de possibilité de mise en place de la structure subjective, sujet, objet, voilà.

C.N. : C’est la différence de structure entre Lol et Catherine Millet, la narratrice de Jour de souffrance. Lol elle est dans ce champ, je sais plus si c’est de blé ou d’herbe haute, mais c’est quand même un champ qui est sans bord. C’est pour abonder dans ce que vient de dire Nathalie, et çà s’entendait très bien à la fin de ton topo. Catherine Millet, si c’est Jour de souffrance et jalousie, elle est dans la maison et c’est elle qui regarde par la fenêtre. Il y a cette question du fantasme chez Catherine Millet qui est inexistante dans le personnage de Lol, pour les raisons que vient de rappeler Claude Lecoq, c’est-à-dire que Marguerite Duras se sert d’une femme psychotique, on ne peut pas faire sans ça.

T.R. : Vous aviez l’air d’estimer que l’amour était forcément premier, c’est bien ce que vous disiez ou j’ai mal compris ?

A.D. : Je ne sais pas si je dirais premier, je dirais qu’il est indissociable de la mise en place de la …

T.R. : Oui mais il est aussi indissociable de la dimension du désir ou de la jouissance. Si vous voulez qu’une mère aime son enfant il faut qu’elle ait un manque au départ, un manque lié au désir, il faut aussi qu’elle en jouisse un peu de son petit bout, donc c’est quand même toujours noué, par rapport à cette idée-là du nouage.

B.V. : (Fragment inaudible) qui voulait voir le regard sur le cheveu, c’est quand même difficile de penser qu’elle se fait être un cheveu,  ce n’est pas un objet pulsionnel là, c’est un signe. Je crois que le regard là, c’est la vue, ça n’est pas le regard. Bon c’est une blague, alors elle peut se prendre pour un cheveu, mais alors là c’est un peu dur.

T.R. : Est-ce qu’il y a encore une ou deux questions maximum ? Il nous reste cinq minutes pour ceux qui veulent. Nathalie, puis une question sur Zoom et puis après on s’arrêtera.

N.D. : Dans Encore , Lacan fait de l’amour un signe, le signe d’un sujet si j’ai bien compris, c’est assez énigmatique. En quoi est-ce le signe d’un sujet ? Si on part de l’amour de la mère pour son enfant et par lequel l’enfant va prendre place dans le langage grâce à cet amour, il faut bien le dire, si cet amour n’est pas là, il y a un problème quand même. Faire de l’amour le signe d’un sujet, c’est quand même assez énigmatique, je trouve.

A.D. : Est-ce qu’on ne pourrait pas l’entendre là ? Pour faire le joint avec la remarque de Thierry.

M.L. : Lacan dit que l’amour c’est un signe de reconnaissance d’un sujet à un autre sujet, c’est le signe de reconnaissance, il va jouer beaucoup du signe aussi, l’amour c’est le signe d’un changement de discours. Il va l’utiliser de plusieurs façons ce terme de signe, dans une polyphonie tout à fait remarquable.

JL.C ? ; C’est peut-être ce qui fait que, à la fin du séminaire Encore il va changer la conception du signe qui jusque-là était quelque chose pour quelqu’un, et là le signe c’est quelqu’un pour quelqu’un.

M.L. : La fumée n’est plus le signe du feu, elle est le signe du fumeur. Elle est le signe du sujet

JL.C. : Exactement. Et donc là on entend le signe de l’amour.

T.R. : Il y avait une dernière question sur Zoom. Allez-y Madame, il y avait quelqu’un qui voulait poser une question sur Zoom tout à l’heure, Marie-Josée, vous voulez poser une question ?

Marie-Josée Y : Non je ne voulais pas poser de question. On a beaucoup évoqué le regard et l’invidia, c’est juste pour rappeler que invidia dans la mythologie, c’est Méduse. Et Méduse c’est celle qui pétrifie du regard. C’était juste une petite connotation.

T.R. : Bon s’il n’y a pas d’autres remarques je vous propose qu’on s’arrête, d’autant que Bernard le souhaite beaucoup. Il n’y aura pas de Grand Séminaire en février puisqu’une partie des gens seront au ski et les autres ailleurs mais pas ici. Ça sera en mars avec Marc Morali, le dernier mardi, le quatrième mardi de mars. À bientôt.

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