Étude du séminaire XI Les Fondements de la psychanalyse, J. Lacan - séance plénière du 17/10
Stéphane Thibierge - Nous avons déjà un petit peu parlé à la première plénière de cette entrée de Lacan dans ce séminaire. Je reprends les choses de la façon suivante, assez simplement. Moment de crise donc, très grave, je n’y reviens pas. Mais sauf quand même pour dire ce qui vous est, j’espère, je suppose, apparu, c’est-à-dire Lacan, dans cette première leçon, est à la fois extrêmement précis et sûr dans son avancée, et en même temps il ne laisse pas du tout, il ne cache pas du tout le caractère difficile de ce dans quoi, ce à partir de quoi il est amené à parler. Autrement dit c’est un propos qu’il a, qui est très remarquable. C’est-à-dire c’est le propos de quelqu’un qui se trouve, et d’ailleurs il le dit dans la leçon, à un moment donné, dans une position véritablement d’analyste, avec ce que ça suppose, de scabreux. De scabreux, vous voyez ce que ça veut dire scabreux. Position qui comporte quelque chose de scabreux, ça veut dire une position dont l’établissement même, dont le fait même comporte la survenue de quelque chose qu’on n’avait pas imaginé au rendez-vous, mais qui se trouve accompagner nécessairement cette position.
Et il va le désigner à un moment donné comme la dimension du comique pur, et il va le mettre en relation avec le fait qu’on peut tout à fait enseigner quelque chose à des gens, et se trouver tout à fait, dans le même temps en position d’analyser des gens, et dans le même temps, se trouver dans la position d’être par eux traité comme un objet de négociation. Et il dit à un moment donné cette phrase : « les psychanalystes savent cela », et il le met en relation avec la dimension du comique pur. Alors, bien sûr, je ne devrais pas avoir besoin de commenter ça parce que je suppose que vous avez tous élucidé ce qu’il entendait par là. Mais ça nous intéresse beaucoup. Ça nous intéresse beaucoup puisque ça suffirait s’il le fallait, à distinguer l’enseignement de la psychanalyse, la formation et le souci de la formation des analystes, de tout enseignement qui se présente comme un enseignement simplement de savoir étayé sur des concepts. L’enseignement de la psychanalyse suppose une position, une position tenue, qui a rapport avec ce que Lacan désigne donc à un moment donné de la leçon comme cette dimension du comique pur, dont il dit que ce n’est pas une mauvaise façon que de le prendre avec humour, mais enfin, on entend bien à la façon dont il en parle que ça n’est pas non plus sans comporter quelque chose, on peut le dire comme ça, d’extrêmement difficile, même s’il ne donne à ça aucune dimension pathétique, pas du tout. Il est parfaitement digne dans son attitude Lacan, il ne se plaint pas. Vous remarquerez qu’il n’a pas un mot de critique à l’égard des gens. Il ne dit même pas le mot « trahi ». Alors que à un moment donné il dit, « dans d’autres milieux ça s’appelle… » et il ne dit pas le nom. Il ne le dit même pas.
Et il dit, cette position dans laquelle je suis, actuellement, moi qui vous parle, donc Lacan, en ce début de l’année 64. Je suis dans cette position, de n’être ni dans la psychanalyse puisque je viens d’en être exclu - je suis donc pas tout à fait dedans - et je ne suis pas non plus tout à fait dehors puisque je me présente devant vous en ayant l’ « ouï-dire », dit-il, c’est-à-dire en ayant, en étant précédé par le fait que, l’on sait que depuis dix ans je me suis entièrement voué à un enseignement de séminaire qui fait que j’ai, de ce fait, quelques titres, que j’ai quelques motifs à me trouver dans la position de vous parler de la psychanalyse, de vous parler de sa praxis et de vous parler de ses fondements. Voilà, mais ceci pour vous dire que c’est une leçon qui est extraordinairement, d’un niveau d’énonciation…- c’est toujours le cas chez Lacan - d’un niveau d’énonciation particulièrement tenu sur une ligne de crête, qui n’est pas facile, où Lacan est à la fois comme je le disais à l’instant, il est à la fois dehors et dedans, et - je n’aurai pas peine à vous le montrer j’espère - mais où il est dans une position très affine avec cet objet qu’il a, dans le séminaire de l’année d’avant, écrit et dont il fait mention pendant la leçon, cet objet qui est par lui désigné, écrit comme l’objet petit a. Il est dans une position, d’objet petit a. C’est-à-dire, j’y reviendrai, position assez scabreuse, comme je disais au début.
La réponse donc, à la crise très grave que traverse Lacan et avec lui la psychanalyse. Je n’y reviens pas puisque on en a parlé suffisamment lors de la première réunion en plénière. Cette crise qui avait donc ce caractère d’extrême difficulté pour Lacan, il y répond vraiment d’une manière saisissante, dans les trois premières lignes, il ne met pas longtemps à répondre : « Mesdames, Messieurs, dans la série de conférences dont je suis chargé par la sixième Section de l’École pratique des hautes études, je vais vous parler des fondements de la psychanalyse ». Vous voyez, il ne tourne pas autour du pot pendant cent mille ans. Dans la situation actuelle, je vous parle des fondements de la psychanalyse. Alors nous allons voir comment il infléchit, comment il va articuler ce propos à travers cette leçon. Et alors il va se présenter. C’est normal, quand on commence un enseignement devant des gens qu’on ne connaît pas, on se présente. Mais lui, il va se présenter d’une manière assez singulière. Il va se présenter en disant qu’il est - alors il y a toute la partie où il remercie les gens grâce auxquels il a pu obtenir d’avoir un lieu d’asile pour son enseignement - ce sont des remerciements qui sont bien sûr formels, qui ont un caractère formel, mais pas seulement formels. Puisque, et nous l’avions dit aussi, j’y insiste juste un petit peu – puisque ce fait de pouvoir enseigner à partir d’un lieu c’est très important. Puisque vous ne pouvez pas faire un enseignement si vous vous retrouvez sous les ponts… Ou alors, cela a peut-être déjà été fait mais ça demande quand même des conditions un petit peu acrobatiques. Vous ne pouvez pas enseigner sans lieu. Et, comme vous le savez sans doute, la question du lieu d’où l’on parle est pratiquement aussi importante que ce que l’on a à dire. Ce que l’on dit est une chose, bien sûr, mais le lieu d’où l’on le dit est une chose tout aussi importante dans ce que l’on dit. Et bien, mon séminaire, dit Lacan, mon séminaire participe de cette question des fondements de la psychanalyse puisque ce séminaire que je tiens depuis dix ans et que je continue aujourd’hui donc, grâce au soutien de quelques personnalités, de quelques amis, ce séminaire de formation des analystes participe des fondements de la psychanalyse. Autrement dit, dans les fondements de la psychanalyse se trouve impliquée la question de la formation des analystes et c’est à ça que je voue mon enseignement, dit Lacan. Il le rappelle ici.
Salle : Vous posez la question du lieu mais il y a aussi la question de l’adresse puisque ce ne sont pas des analystes dans cette assemblée-là ?
ST : Alors, oui vous avez tout à fait raison.
Salle : [Inaudible], l’adresse ce n’est pas à n’importe qui.
ST : Non, ce n’est pas à n’importe qui. C’est vrai que l’adresse de Lacan a changé à la faveur de ce déplacement à l’Ecole Normale Supérieure. Mais il s’adresse toujours à des analystes. Il s’adresse toujours à des analystes et il n’a jamais cessé de s’adresser aux analystes. Simplement, il l’a remarqué plusieurs fois, y compris dans le résumé de cet enseignement qu’il a donné à l’Ecole des Hautes Etudes. Il souligne que son enseignement, jusqu’alors réservé aux analystes, à un public d’analystes, était reçu de façon un peu difficile du fait que les chemins, les voies de formations, par où on aboutit à la psychanalyse ne favorisent pas du tout le maniement approprié de ce à quoi on a affaire en analyse. La dernière fois, je me souviens que j’avais évoqué notamment la médecine et la philosophie comme deux voies assez classiques, avec la psychologie aussi, d’arrivée à la psychanalyse et combien c’était mal approprié. Ça ne peut être que mal approprié. Il n’y a pas de formation adéquate, qui serait la bonne formation pour arriver en analyse – il n’y en a pas. Il n’y en pas d’autre que symptomatique, que ce soit le symptôme comme enseignement ou que ce soit le symptôme individuel. Comme enseignement, c’est-à-dire que l’enseignement médical fait symptôme d’une certaine manière, l’enseignement philosophique aussi fait symptôme, tout comme l’enseignement de la psychologie fait symptôme.
Alors, vous voyez, il dit - alors pour l’édition de l’A.L.I., page 10 : J’aborde donc après les remerciements les fondements de la psychanalyse. « Pour ce qui est des fondements de la psychanalyse mon séminaire y était, si je puis dire, impliqué ». Impliqué – c’est-à-dire pas seulement ‘mon séminaire s’en occupait, comme ça, parce que ça m’intéressait’. Non, il y est impliqué. « Il en était un élément, dit Lacan, puisqu’en somme il contribuait à la fonder [la psychanalyse] in concreto, puisqu’il faisait partie de la praxis elle-même, puisqu’il y était intérieur, puisqu’il était dirigé vers ce qui est un élément de cette praxis, à savoir la formation des psychanalystes ». Et tout au long de cette leçon vous remarquerez que la question de la formation des analystes court par en dessous, et parfois même de façon explicite avec la question de la psychanalyse didactique.
Donc vous voyez, Lacan arrive certes devant un nouveau public, un public de philosophes -principalement de normaliens et pour beaucoup des philosophes - mais bien sûr il module un peu son adresse à leur intention, mais il ne cède strictement rien sur le fil des questions qu’il travaille, et qu’il poursuit. Il évoque d’ailleurs là - juste en passant mais c’est intéressant de le relever - à propos de la formation des analystes, il dit de façon humoristique : « J’ai pu définir la psychanalyse comme ce qu’on attend d’un psychanalyste ». C’est tout à fait dans le style de Lacan, il renvoie la responsabilité du côté de l’analyste. C’est quoi la psychanalyse ? ‘Et bien c’est ce que l’on attend de vous ! C’est ce qu’on attend de toi qui te pose comme analyste ! La psychanalyse c’est ce que l’on attend de toi. Donc la balle est dans ton camp, à toi de travailler !’
Et bien il dit qu’il a évoqué cette remarque dans un texte, que je vous recommande, qui peut être lu tout à fait en accompagnement de ce séminaire. Variantes de la cure type, article qui a été demandé à Lacan par Henri Ey pour l’encyclopédie et qui a été tellement bien reçu qu’au bout de cinq ans il a été retiré, malgré le fait que Henri Ey avait pu essayer de le défendre. Je ne sais pas si Henry Ey l’avait beaucoup défendu, l’histoire ne le dit pas, mais en tous cas il n’est pas resté longtemps, au bout de cinq ans c’était terminé, par un comité de rédaction composé de psychanalystes. Il va ici préciser, et c’est un point important, que la psychanalyse, la question qu’elle pose, la question : « Qu’est-ce que la psychanalyse ? » est une question, dit-il, « chauve-souris ». C’est-à-dire une question dont on ne sait pas tout à fait si elle est de jour ou de nuit, si elle est dans la clarté du jour ou dans l’obscurité de la nuit. Et effectivement, si on l’examine au jour il y a quelque chose qui en échappe nécessairement, et si on l’examine disons de nuit il y a quelque chose qui en échappe non moins nécessairement.
Le changement de place qui se trouve être celui de Lacan au moment où il commence ce séminaire, c’est-à-dire où il n’est plus tout à fait dans la psychanalyse, puisqu’il a été exclu, et il n’est pas, évidemment, tout à fait dehors ; ce changement de place est illustratif de, justement, la praxis, le réel de la pratique de la psychanalyse. Ce qui fait que, une fois qu’on a bien entendu, si je puis dire, ce point qu’il souligne au début de la leçon, que son séminaire, que son enseignement participe de cette question des fondements de la psychanalyse, et bien on peut entendre que dans ce séminaire, dans cette première leçon, Lacan se présente, comme je le disais tout à l’heure. Mais il se présente, alors c’est ça qui est quand même très remarquable dans cette présentation, elle n’a rien de formel, il se présente véritablement au titre d’une position réelle qui est la sienne, réelle, et que son séminaire illustre, que son dire illustre, que son implication dans son séminaire illustre et donc du rapport au réel qui est marqué, qui est remarqué aussi par cette position qui est la sienne. C’est pour ça.
Alors il n’est donc ni dedans ni dehors, je vais droit au but, il est, il parle depuis cette… - je le dis d’une façon un petit peu… un petit peu … pas tranchée mais un peu directe mais je crois que c’est vrai - il parle depuis cette position d’exclusion interne qui est celle précisément de l’objet petit a. Et ça c’est quand même pas banal. C’est quand même pas banal qu’on puisse se présenter comme ça et qu’il le fasse. Et c’est pourquoi il dit, …c’est pour cette raison, le fait d’être situé ni dedans ni dehors, c’est pour cette raison dit-il que vous me permettrez de rappeler quelque chose qui n’est absolument pas une anecdote, qui n’est absolument pas une circonstance comme ça, contingente, mais qui est un fait, il appuie là-dessus, c’est un fait que mon enseignement a été désigné par un organisme qui s’appelle l’« International Psychoanalytic Association », comme un enseignement à proscrire, qui doit être, cet enseignement, considéré comme nul maintenant et pour toujours ! Si les gens de la société à laquelle j’appartiens, enfin j’appartenais, veulent pouvoir être affiliés donc recevoir tous les tampons de validation, et bien mon enseignement devait être frappé de nullité maintenant et pour toujours ». C’est ce qu’il va appeler l’excommunication majeure et il va dire, encore avec cette différence que dans l’excommunication dont a été marqué également Spinoza, qu’il prend donc comme comparaison non sans motif très valable, et bien dans le cas de Spinoza il y avait dans le cas du Kherem, comme il le dit - pardonnez-moi si je prononce mal - et bien il faut dire ce n’était pas tout à fait sans possibilité d’un retour. Alors que dans, moi, la mesure dont j’ai été l’objet, il n’y a pas de possibilité de retour.
Salle : Il a parlé de l’impossibilité du retour pour Spinoza. L’objet du Shammata qui consiste à y ajouter cette condition de l’impossibilité du retour.
ST : Oui c’est vrai, vous avez raison.
Vous voyez, et alors, il y a là, il souligne ce point parce que tout au long de la leçon, enfin tout au long de cette première présentation, il va souligner par beaucoup d’aspects, je trouve, très parlants, pas du tout obscurs. Vraiment c’est du Lacan pas simple mais pas non plus, pas du tout non plus hors de portée. C’est pour ça que cette première leçon est très importante pour donner un petit peu le ton et la ligne de ce qui va suivre. Il va montrer dans cette première leçon comment sa position réelle à lui Lacan, à partir du point où il est et d’où il parle, est un élément qui éclaire sur la praxis, la pratique de la psychanalyse et son enseignement. Ce n’est pas du tout quelque chose de contingent, c’est quelque chose qui est illustratif de la structure même qu’implique le champ psychanalytique.
À un moment donné il est question du champ. Qu’est-ce que c’est qu’un champ ? Et bien un champ, dans une discipline donnée, ce sont les références pratiques et théoriques qui spécifient un certain objet dans ce champ, et une certaine manière de s’y rapporter dans une pratique. C’est ça un champ. Alors là arrive un certain nombre de points posés par Lacan, de grandes conséquences. Donc vous voyez, il se présente, il se présente au sens le plus fort de se rendre présent avec la dimension réelle que ça comporte. Il présente donc, il se présente comme impliqué dans ces fondements de la psychanalyse et il évoque le rapport au réel que ça marque et que ça marque du fait d’une nécessité de la structure et pas d’une pure contingence de l’événement. Et là il va souligner plusieurs points, il va souligner d’abord la question de la religion. La question de la religion revient beaucoup dans cette leçon et il l’évoque d’une manière qui est assez drôle … enfin assez drôle … en tout cas qui comporte un certain humour. La première fois qu’il l’évoque, il dit…
Voilà, après avoir parlé de l’excommunication, je crois vous le verrez donc que ce phénomène – cette excommunication – non seulement par les échos qu’il évoque mais par la structure qu’il implique, introduit quelque chose de très important. Il introduit quelque chose qui serait au principe de notre interrogation concernant la praxis psychanalytique. Autrement dit, ce dont Lacan a été l’objet, c’est-à-dire cette exclusion radicale, ce n’est pas un accident de l’histoire. Ça nous apprend quelque chose sur la structure du rapport… au réel que soutient la psychanalyse. Et alors, il ajoute, non sans ironie et non sans humour : « Je ne suis, bien entendu, pas en train de dire, car ce ne serait pas impossible, que la communauté psychanalytique est une église. » Vous voyez la dénégation – et la dénégation ironique, et en plus, formulée d’une manière une petite peu tortueuse : « Je ne suis pas en train de dire - car ce ne serait pas impossible ! – que la communauté psychanalytique est une église ». Mais, incontestablement, la question surgit de savoir ce qu’elle peut bien avoir et qui fait ici écho à une pratique religieuse… nous y viendrons et verrons que cette voie ne sera pas pour nous inféconde. Là, il est en train d’indiquer, et il y reviendra dans la leçon, il est en train d’indiquer qu’il y a une pente irrépressible, d’une certaine façon, structuralement motivée, de la psychanalyse vers la religion. Ça, c’est un point, quand même, qui nous intéresse…
Collège des psychanalystes en formation. C’est pour ça que je me permettais de vous dire, en commençant, que la scansion entre le travail des petits groupes et le travail en plénière peut tout à fait glisser vers une sorte de liturgie religieuse. On commence par barboter dans le bla-bla multiple et agréablement conversationnel, en sachant très bien que, de toute façon, il y aura, à un moment donné, l’un - ou l’une - qui va de toute manière… qui va, comment dire… calmer tout ça dans la tranquille référence à un savoir dont on va pouvoir jouir. Et ça, c’est vraiment le b.a.-ba de la démarche religieuse. Et le moins qu’on puisse dire c’est qu’on observe tous les jours comment les psychanalystes – et je ne dis pas ça d’une manière qu’il serait trop facilement critique, parce que c’est trop facile de critiquer ça ; on est tous, d’une certaine manière, pris dans ce fonctionnement – et on doit y faire attention parce que, évidemment, en tant qu’analystes, il faut quand même qu’on soit avertis du fait que ce fonctionnement ne va pas de soi en psychanalyse. Même s’il est très fréquemment induit par le travail psychanalytique. Alors, première question que Lacan amène dans le fil de sa présentation, ce que j’appelle sa présentation, comment il se présente. Il se présente en avançant avec lui, si je puis dire, en avançant avec sa présentation, la présentation d’un certain nombre de questions fondamentales, qui intéressent les fondements de la psychanalyse et c’est après avoir évoqué la religion qu’il va évoquer la dimension du comique.
Alors, la dimension du comique, il l’amène à propos de la manière dont il a été négocié. Il commence par remarquer, vous savez, être négocié, se faire négocier, être l’objet de tractations, ce n’est pas du tout quelque chose d’exceptionnel. Quand on est un homme, enfin un humain, on est toujours négocié, on est négocié plus ou moins. « Être négocié, dit-il, n’est pas pour un sujet humain une situation exceptionnelle, ni rare, contrairement » … – ahh ça ! Je ne sais pas ce qu’il dirait aujourd’hui, mais là, déjà, il disait, en ’64 – «… contrairement au verbiage qui concerne la dignité humaine, voire les Droits de l’homme ». Alors là qu’est qu’il dirait ? Là ce n’est plus seulement du verbiage sur la dignité humaine et les Droits de l’homme ce qu’on entend tous les jours, c’est carrément un déluge d’amour, de bienveillance pour l’humanité et de care de toute sorte de modalités. Enfin ! Nous n’avons jamais été si aimants, si bienveillants, si attentionnés à l’égard de notre prochain, de ses droits et de la manière dont nous sommes censés en prendre soin. Sauf que le problème c’est que ça, c’est sur le versant idéal de la chose. Sur le versant réel, nous avons rarement été aussi brutalement dans quelque chose de tout à fait opposé. Mais, on continue d’alimenter cette histoire de ce que Lacan évoque ici comme le discours sur la dignité humaine et les Droits de l’homme. Il tranche là-dessus : « Chacun à tout instant et à tous les niveaux est négociable ». Et aujourd’hui on le sait beaucoup mieux encore qu’à l’époque, et on l’expérimente, dans la vie sociale Bon. Je passe sur ce qu’il dit qui, je pense, ne vous a pas posé spécialement de difficultés, que la politique ce n’est rien d’autre que le fait de négocier les gens par paquet de mille.
Et il dit, alors, quand il évoque -c’est à la page 13 tout ça – il dit que quand il a été négocié par ses élèves, quand il a été ainsi pratiquement trahi – lui, le sachant très bien, ses élèves, le sachant très bien aussi. Pendant deux ans il a supporté ça, il faut quand même…pendant deux ans ! Pendant le séminaire sur l’Angoisse et le séminaire sur l’Identification, tout en faisant son séminaire, tout en recevant ses patients, il savait qu’il y en avait un certain nombre d’entre eux qui le monnayaient, qui le négociaient derrière son dos, tranquillement. Il le savait parfaitement, et il dit là : « La dimension du comique » et il ajoute, il y reviendra, il ajoute… Et là, je me permettrais de poser la question à vous et de ne pas y répondre directement. Il dit : « Je crois que ça ne peut être saisi pleinement que par un psychanalyste ». Je crois que c’est peut-être saisi pleinement que par un psychanalyste.
Pourquoi cette dimension de comique pur, qui surgit du fait d’être négocié par ses propres élèves ? Et il va revenir là-dessus dans la leçon. Il va dire qu’à un moment donné, vous ne pouvez pas imaginer, vous ne pouvez pas concevoir le processus psychanalytique sans qu’il y ait quelque chose de bizarrement ajusté dans le rapport de l’analysant à l’analyste, qu’il fasse qu’il y ait cette dimension scabreuse de comique pur. C’est quoi ce comique pur ?
Salle : Cela me fait penser à Charlot, à Charlot vers la ruée vers non pas vers l’or mais vers le déchet. Ca me fait penser, enfin c’est juste en terme de métaphore.
Le comique ça fait appel au corps surtout, aussi ça fait appel plus au corps, que par rapport à l’humour, le trait d’esprit qui va mettre en jeu le langage, le comique comme Charlot, tel qu’il est habillé, le corps est en jeu.
ST : Oui tout à fait. Mais il va y revenir un peu plus tard dans la leçon. Si vous voulez, si vous me donnez deux secondes, je vais vous le retrouver où il précise un peu cette dimension du comique.
Angela Jésuino : Je crois que c’est à la page 13 elle-même.
ST : Ah oui ! Tu as raison, tu as tout à fait raison, c’est au bas de la page 13.
AJ : Exact, c’est très important ça.
ST : Il dit que, il souligne que finalement la situation dans laquelle il se trouvait n’était pas si extraordinaire que ça, dans la mesure où dit-il : « une saine aperception des choses concernant le sujet, même quand ce sujet est en position de maître » - alors évidemment un analyste c’est pas un maître mais là il veut dire en position d’enseigner quelque chose et d’avoir des élèves - Eh bien « une saine aperception de ce qu’il en est réellement du sujet humain à savoir de ceci » - et ça c’est d’une très grande portée – « que sa vérité n’est pas en lui mais dans un objet (…) à savoir que dans quelque position qu’on soit, cet élément qui est proprement l’élément de comique pur, surgit, lié à la nature voilée de cet objet ».
Et c’est vrai que l’on peut tout à fait dire que l’analyste effectivement, il est en place de ce qui, non pas représente mais de ce qui constitue, mais de ce qui fait réellement l’objet à partir de quoi le sujet en analyse énonce quelque chose de l’ordre de la vérité. Il énonce à partir d’un objet que l’analyste réellement vient, encore une fois non pas représenter, mais dont il présentifie l’efficace. Et de ce fait même surgit l’élément de comique pur, lié à la nature voilée de cet objet bien sûr. « C’est là une expérience dont, sans doute, je crois opportun de la pointer, et de là où je puis en témoigner. Parce qu’après tout peut-être en pareille occasion serait-il l’objet d’une retenue indue, une sorte de fausse pudeur à ce que quelqu’un en témoignât du dehors. Du dedans, je peux vous dire que cette dimension est tout à fait légitime, qu’elle peut, du point de vue analytique, je vous l’ai dit, être vécue » - être vécue – « et même d’une façon qui, à partir du moment où elle est aperçue » - d’une façon à partir du moment où on l’aperçoit cette façon – « peut être surmontée, à savoir vécue sous l’angle de ce que l’on appelle l’humour, qui en cette occasion n’est que la reconnaissance du comique ».
Alors, je vous laisse toujours ma question : Qu’est-ce qui fait que ce comique est particulièrement perçu ? Non mais ce n’est pas forcément une question pour tout de suite.
M. : Je cite Charles Melman qui disait que l’humour en fait c’est une façon aussi de casser l’ordre établi et peut-être que ces gens qui se sont retrouvés avant l’ex-communion, l’écart en mouvement de quelque chose qu’ils ne supportaient pas et qu’ils ont rétablit l’ordre, justement en le mettant dehors. C’est-à-dire quand vous faites de l’humour avec quelqu’un qui n’a pas le même humour que vous, c’est-à-dire qui n’aime pas, si vous cassez quelque chose pas cassable chez l’autre, vous vous faites un ennemi.
ST : En tout cas quand vous évoquez le fait de rétablir l’ordre en mettant dehors quelque chose, vous n’êtes pas loin de ce dont il s’agit. Mais ce n’est pas encore tout à fait cette dimension. Je vous dis ça, puis ensuite je vous laisserai réfléchir. Peut-être d’ici la prochaine fois, ou je ne sais pas… Mais il y a un mot que Lacan se garde de prononcer dans tout ce passage, mais qui est qui est justement le principe de cet élément de comique pur, qui est comique mais qui n’est pas forcément drôle pour autant, ni rigolo, mais qui se joue justement dans ces rapports de profonde ambivalence de l’analysant à l’égard de l’analyste qui apparaissent forcément à un moment où à un autre de la cure.
Et en ce sens quand Lacan dit j’ai été négocié par mes élèves, etc. C’est une façon à lui de dire, il l’explicite
M. : Il le monte sur scène en quelque sorte.
ST : Il le monte comme illustratif de quelque chose.
M. : C’est une façon aussi de faire monter d’autres sur scène.
ST : Mais vous avez tout à fait raison, c’est une histoire de scène. Oui, c’est une histoire de scène avec un petit jeu de guignol.
AJ : Qui se termine mal.
Salle : De grand guignol !
ST : De grand guignol c’est vrai. Et c’est, il parle du voile et c’est un petit jeu qui mime quelque chose qui est voilé.
Salle : Voilé et dévoilé en même temps il n’y a que le comique qui peut faire…
ST : Absolument ! Il n’y a que le comique qui peut voiler et dévoiler en même temps. Mais ce qui est voilé et dévoilé en même temps c’est la nature de l’objet à partir duquel le sujet peut parler en vérité. Enfin, bon, cette question donc je la laisse un tout petit peu en suspens parce que quand même, on en a découvert déjà les trois quarts mais le principal n’a pas encore été évoqué.
AJ : Il est toujours voilé.
ST : (Rires). Oui donc laissons ça en réserve.
Alors, bon, cette remarque que j’évoquais à l’instant la question du sujet, enfin à propos du sujet, la vérité n’est pas en lui, mais dans un objet. Ca écoutez, franchement, ne prenez que cette phrase dans cette leçon et puis travaillez la toute l’année ! Parce que cette phrase, vraiment c’est ce que Lacan apporte à la psychanalyse et il le tient de Freud. Oui ?
Salle : Justement, en effet, ce que Lacan dit souvent notamment et il se répand beaucoup là-dessus dans le Séminaire V, c’est le fait que ce qui se balade, souvent dans le comique, c’est toujours PHI.
Salle : Ce qui est toujours présentifié dans le comique, ce qui se balade le plus efficacement c’est toujours PHI, dans le comique et là vous parlez du sujet en position de maitre…
ST : Mais vous brûlez ! Vous brûlez ! C’est tout à fait proche de…
Salle : C’est lui négocié, comme un « PHI » déchu.
ST : Voilà ! Mais c’est même encore plus que PHI. Mais c’est ça, c’est ça, c’est de çà qu’il s’agit. Et ça, ça a un rapport…je me disais en préparant la leçon pour ce soir, ça a un rapport étroit avec la question toujours actuelle et dont Melman régulièrement souligne l’actualité, vraiment, la question pathétique sans nuance péjorative, de la reconnaissance des analystes. On a l’impression que ce joint difficile entre l’appui pris sur l’objet et le fait de devoir paraitre sur scène de façon décente n’est pas facile pour les analystes. Et du coup que le théâtre et la scène vire vite à quelque chose du plus haut comique. Hélas, parce que ce n’est pas un comique qui nous réjouit.
Alors, comme je vois que le temps passe, alors…Lacan va venir à la question : Qu’est-ce qui fonde la psychanalyse comme praxis ? Au passage, il donne une définition de la praxis très utile, assez générale : « traitement du réel par le symbolique » avec plus ou moins d’imaginaire, mais c’est secondaire. Et là il va poser deux questions : est-ce que c’est une science ? Est-ce qu’elle a à voir avec la religion ? Est-ce qu’elle est du ressort de la science ou est-ce qu’elle est du ressort de la religion ? Je ne m’y attarde pas plus, par ce que j’ai déjà évoqué un petit peu la question. Mais alors…
Je vous rends sensible le fait qu’il a un développement, des remarques vraiment extraordinairement justes sur le caractère misérable, de ce que l’on a appelé depuis les années 60, « la recherche » et ça n’a pas cessé d’empirer depuis. C’est-à-dire vraiment, la médiocrité pour ainsi dire la nullité absolue de ce qui s’est évoqué au titre de la recherche. … Songez qu’il y a en France un Centre National de la Recherche Scientifique, qui se caractérise, quand même, il faut bien le dire, par les deux traits que je disais à l’instant, essentiellement. Et il dit : il y a les domaines où l’on cherche et il y a ceux où l’on trouve ! Et Il dit que cela recouvre très bien ce qui est de l’ordre de la vraie science et ce qui ne l’est pas. Et il va loin, il va même jusqu’à dire que ceux qui sont dans la recherche, d’abord bon, il y a cette espèce de médiocrité généralisée qu’il évoque - et qui depuis l’année 1964 n’est pas allée en s’améliorant - il évoque le fait que dans la recherche, dans cette espèce de complaisance… Vous savez par exemple, à l’Université, ce n’est pas un secret, tout le monde peut le constater, depuis 20 ou 30 ans, on appelle les gens qui enseignent à l’Université d’un terme qui est un terme purement administratif et syndical des « enseignants-chercheurs » ! Des « enseignants-chercheurs »… Alors on les imagine hagards, errant ans les couloirs en train de chercher… Comme si un enseignant digne de ce nom n’était pas évidemment un chercheur ! Et de préférence quand c’est un bon enseignant un trouveur ! Comme si c’était pas évident ! Mais les enseignants-chercheurs, cette espèce de pauvres canards sans tête qui courent partout sans savoir…Bon.
Alors tout ce qu’il dit là a gardé une profonde actualité, mais il va jusqu’à évoquer que ceux qui cherchent reprochent à ceux qui trouvent de rendre impossible qu’on continue à blablater dans le vide, comme çà à l’infini pour l’éternité. Voyez, il y a toute une page, page 16, où il explique que la revendication herméneutique c’est-à-dire la revendication qui voudrait qu’on puisse pérorer à l’infini sur tout, elle est, elle en veut beaucoup à ceux qui trouvent, de lui couper l’herbe sous le pied. Et alors là, il évoque encore le registre religieux et il repose la question de la praxis. Et il dit une chose qui est tout à fait évidente mais qui aujourd’hui ne l’est plus : ce qui spécifie une science c’est d’avoir un objet. Et il dit : on peut soutenir qu’une science est spécifiée par un objet. Mais ça, écoutez, c’est du niveau de la philosophie de la classe terminale, en principe. En tout cas jusque dans les années soixante-dix, quatre-vingt, quatre-vingt-dix, une science est spécifiée par un objet et c’est un objet qui est défini par un certain nombre d’opérations reproductibles qu’on appelle expérience. C’est le b-a ba de l’épistémologie. Bon. En tout cas, il va dire un petit peu plus tard que la science ne se définit absolument pas par le fait qu’elle a des critères mesurables ou quantifiables. Il dit : on peut faire du mesurable et du quantifiable avec absolument n’importe quoi. Combien aujourd’hui, sur ce point, on a régressé : puisque dès qu’on a du quantifiable, on est dans la science ! Si j’interroge chacun de vous en disant : « ce séminaire de ce soir vous a t’il parut très ou peu, moyennement, etc. satisfaisant » ? Je fais 50 questionnaires : 50 réponses, je suis dans la science. J’énonce mon résultat, je suis scientifique. Enfin bon c’est absolument pauvre…
Et alors là, je vais très vite pour aller à la fin et pour permettre à Angela d’ajouter quelque chose si elle le souhaite…mais à la fin Lacan va aller droit au but et va dire : on ne peut pas interroger la psychanalyse comme science si on ne s’interroge pas sur ce qui n’a pas été interrogé jusque-là dans l’analyse c’est-à-dire le désir de Freud, désir que j’allais justement, dit-il, questionner dans le séminaire que je ne ferai pas, celui sur les Noms-du-Père.
Et il va aller droit à la question fondamentale pour la formation des analystes, parce qu’il dit cette question du désir de l’analyste, je ne la sors pas de mon chapeau comme ça parce que ça m’intéresse. Elle est fondamentale pour la formation des analystes. Si la psychanalyse à un titre ou à un autre peut prétendre être une science, la formation des analystes peut prétendre s’appuyer sur quelque chose d’un peu solide. Qu’y a-t-il de plus urgent à questionner - ça il le disait déjà dans le séminaire L’Angoisse et il le dira encore par la suite – qu’y a-t-il de plus urgent à interroger que ce qu’il appelle « le désir de l’analyste », c’est-à-dire un x, c’est une inconnue qui n’est pas évidente…c’est quoi le désir de l’analyste ? Mais en même temps on ne peut pas ne pas poser cette question. A la fin de la leçon, il dit : « nous ne pourrons pas éviter la question du concept ». C’est intéressant comme façon de dire, et c’est lié un petit peu à ce que je vous disais à la toute première leçon, c’est-à-dire que la question du concept, on ne peut pas l’éviter. Ça ne veut pas dire qu’on soit porté dans cette direction d’une manière élective.
L’objet a encore une fois n’est pas un concept et il est pourtant fondamental. Voilà. « Quelque chose dans le désir de Freud n’a jamais été analysé », voilà, et c’est ce qu’interroge bien sûr Lacan. Il continuera à l’interroger dans les séminaires suivants, comme par exemple dans L’Envers de la psychanalyse, entre autres, est un séminaire dans lequel Lacan, dans quelques leçons dont je me souviens un petit peu, évoque des choses très très importantes sur le désir de Freud. Voilà, alors il annonce les quatre concepts qui feront l’objet d’une étude particulière, parce qu’il dit aussi : les concepts de Freud on en a fait n’importe quoi. C’est une régression complète : quand ils sont difficiles, on les met tout simplement de côté, enfin bon…voilà. Il parle aussi du rôle des formules, la « mise en formule », c’est important pour lui, pour justement pouvoir spécifier un champ, d’une manière autre qu’approximative. Je n’ai pas le temps de reprendre tous les éléments de cette fin de leçon, je préfère m’arrêter là parce qu’il est dix heures, et puis de toutes façons on ne peut pas tout dire non plus. Donc je m’arrête là. Angela, je t’en prie…
AJ : Oui, je voulais faire quelques remarques. D’abord te remercier d’avoir mis en exergue cette question de la place dans laquelle il se trouve, Lacan, pour parler des fondements, c’est-à-dire, à cette place d’objet a. Et c’est vrai que toute cette partie de comment il se présente et aussi en se demandant de quoi il s’autorise, et pourquoi il s’autorise à être là. La question d’être dans une place de réfugié, la question de ce qu’il va dire de sa base, c’est son « camp de base » au niveau militaire, c’est-à-dire, c’est vraiment d’une position très affirmée qu’il peut se lancer dans cette nouvelle étape de son enseignement comme il dit. Et puis ce qui m’a beaucoup intéressé, et tu l’as souligné aussi, c’est comment toute cette crise, Lacan va l’analyser du point de vue de la psychanalyse elle-même, pour en sortir quelque chose. Et ça c’est très précieux, y compris dans ce carrefour qu’il fait entre la science et la religion. C’est passionnant de voir comme il tisse le fil de ces deux choses, y compris par rapport à cette question, qu’il oppose un moment donné, d’une façon un peu tarabiscotée, entre l’herméneutique et l’interprétation, qui est quelque chose aussi d’un fil clinique très important. Il ne suffit en effet pas d’expliquer pourquoi votre fille est muette, il faut qu’elle parle ! Et pour qu’elle parle, il faut une interprétation. On peut dire ça comme ça.
ST : Tout à fait.
AJ : Et l’interprétation, ce n’est pas n’importe quoi, ce n’est pas du côté de l’herméneutique, ce n’est pas du côté du sens, mais ça nécessite quelque chose du côté de l’analyste et c’est là aussi qu’entre le x, le désir de l’analyste. Et on sait comme il va développer un peu plus tard cette idée que l’interprétation ce n’est pas du tout quelque chose qui se situe du côté du sens, justement. Et c’est là qu’il fait cette parenté, qui pourrait une parenté entre la religion et la psychanalyse, si on va du côté du sens, car c’est cela la spécificité de la religion : c’est de traiter le réel par le sens. Donc je pense qu’il y a ici des indications très précises y compris cliniquement. Cette question du comique, elle est fondamentale. D’ailleurs tu as bien fait de ne pas tout dévoiler car c’est le mouvement même de Lacan : il voile et dévoile, donc c’est important. Et puis, je crois qu’il y a quelque chose qui m’a aussi intéressée dans la leçon, et aussi dans la façon dont tu parles d’une certaine façon, c’est que même cette question de l’analyse didactique, il va la subvertir. Par rapport à la question du désir de l’analyste, il va dire : l’analyse didactique, c’est de mener le gars à ce point-là du désir du psychanalyste … C’est ça la formation, aussi, ce n’est pas autre chose. Et puis par rapport encore à la question de la religion, on s’était posé la question Stéphane en préparant, qu’est-ce qui faisait qu’il a été exclu à ce moment-là de son enseignement ? On a soulevé l’hypothèse par rapport au fait qu’il était justement en train d’élaborer la question de l’objet, on en a parlé ensemble. Je pense que dans cette leçon Lacan aborde cela de manière très claire quand il dit : par coïncidence, c’est au moment où je suis en train de parler de la question des origines qu’on me met dehors. Et je pense que c’est peut-être ça l’hérésie de Lacan. Et quand je parle d’hérésie, je parle du point de vue religieux. Et c’est là la façon dont Lacan, [inaudible] analytique, a été une église, à ce moment-là pour lui, enfin a fonctionné comme ça…
ST : Tout à fait.
AJ : Parce qu’il a osé mettre en question Freud, son désir, et le fait que quelque chose du désir de Freud, quelque chose, chez lui, n’a pas été analysé… Cette question des Noms-du-Père, c’était une hérésie qui n’était pas supportable. Donc c’est ça le point d’excommunication. Ca m’a paru plus clair en lisant cette leçon et en t’écoutant. Et puis aussi un autre point qu’il critique, c’est-à-dire comme si la position religieuse face à la psychanalyse c’était aussi de ne pas pouvoir interroger les concepts freudiens, mais véritablement, et de les revisiter, il va utiliser ce terme. Et je pense que ça, c’est très important à la fin de cette leçon, parce qu’il va reprendre ces quatre concepts, mais à la lumière de quoi ? Et ça c’est le pas de Lacan, c’est à la lumière de la fonction du signifiant. Il le dit clairement. Donc là aussi, c’est une démarche qui n’est pas du tout du côté de la religion. C’est une démarche véritablement analytique. Qu’est-ce que je pourrais dire d’autre ? Ben je pense que ça suffit, parce qu’il faut aussi…
ST : Tu me fais penser à une chose que je n’ai pas mentionnée, mais à laquelle tu me fais penser. Il a une remarque quand même très très intéressante et très importante sur la manière dont Freud a découvert, et c’est son génie, le désir de l’hystérique comme désir insatisfait. Mais il ajoute, ça laisse entièrement hors du champ la question de savoir pourquoi elle ne peut soutenir son désir que comme désir insatisfait. Et pourquoi elle ne parle, l’hystérique, que dans la condition liée de son désir insatisfait. Ça, cette question-là, reste absolument inentamée. De sorte, et c’est là qu’il amène, « de sorte, dit-il, que l’hystérie nous met sur la trace d’un certain péché originel de l’analyse. Il faut bien qu’il y en ait un, le vrai n’est peut-être qu’une seule chose ». Vous voyez, là il fait la jonction avec le désir de Freud lui-même, à savoir le fait que quelque chose dans Freud n’a jamais été analysé. Là, il y a un enchaînement assez court mais fondamental. Fondamental.
A.J. : Et qu’est-ce qui a permis à Freud de, quand même, malgré ça, inaugurer ce champ de l’inconscient ? Ça reste aussi une question pour Lacan, qu’il va poursuivre. Je vais dire un dernier mot, si tu me permets, sur la question du concept. Parce que ça, c’est très important, il me semble. C’est vrai, il parle devant un public de philosophes, qu’il faut qu’il ménage un petit peu aussi. Même s’il va dire que même en s’adressant à des philosophes, il n’est pas philosophe pour autant, il reste dans sa position d’analyste. Parce que la façon dont Lacan va traiter les concepts, elle est très particulière. Très particulière. Par exemple, si on prend le concept même d’inconscient, ça va être des années plus tard, il va parler d’une traduction, il va traduire Unbewuβt pour « Une-bévue », ce qui n’est pas rien. C’est-à-dire qu’il traite le concept lui-même comme un signifiant. Donc vraiment, le traitement du concept dans le champ analytique n'échappe pas aux prérogatives de la psychanalyse elle-même.
S.T. : Ah mais complètement !
A.J. : Donc ça c’est très important. C’est pas un concept comme on pourrait en parler en philosophie ou d’autres champs de sciences. Le traitement du concept, il est homéomorphe au champ dans lequel il se définit.
S.T. : Au champ du langage.
A.J. : Au champ du langage. Donc ça c’est assez précis et formidable à retenir.
Transcription établie par : Guillaume BATOT, Virginie BARILARI, Rosa BELLEI, Brigitte BRIQUET-DURONI, Anne FLORENNE-VOIZOT, Léa GRILLIS, Aline LAMARQUE-ROTHERMANN, Mélanie MURACCIOLI, Si SHI, Brigitte SABY
Relecture : David GLASERMAN