Hommage à Charles Melman

LEBRUN Jean-Pierre
Date publication : 18/11/2022
Dossier : Hommages à Charles Melman

 

Charles Melman n’est plus. Avec lui disparait celui dont on peut dire qu’il a transmis à toute une génération, l’oeuvre de Lacan. Après avoir été responsable de l’enseignement à l’Ecole Freudienne de Paris, il a fondé avec quelques autres en 1982 l’Association Freudienne devenue plus tard Association Lacanienne Internationale (ALI) ; il nous a ainsi permis de pouvoir nous référer à cet enseignement d’une richesse conceptuelle inouie.

Ce qui caractérisait Charles Melman, c’était d’abord et surtout son sens clinique. A aucun moment, on ne le percevait se détourner de ce que la clinique au jour le jour pouvait lui apprendre. Il restait ainsi fidèle sans doute au psychiatre qu’il avait été et était toujours, même si tout cela s’était profondément transformé au contact de la psychanalyse freudienne d’abord, lacanienne ensuite.

Mon premier contact avec lui a été sa présentation, à ce qui était à l’époque l’Ecole Belge de Psychanalyse, du devenu célèbre “schéma de la sexuation” élaboré dans le séminaire “Encore”. J’avais été ébloui par la profondeur et l’intelligence de ce que sa fréquentation du travail de Lacan lui permettait de nous restituer.

Et surtout comment au travers de concepts reconnus comme difficiles, il parvenait à donner de ces derniers une lecture claire et accessible au béotien en la matière que j’étais à l’époque.

Les dés étaient jetés : Melman me permettait à moi et à de nombreux autres d’avoir accès à l’enseignement de Lacan et ce dernier pouvait nous donner des outils pour rendre compte, tant que faire se pouvait, de la clinique rencontrée au jour le jour.

Manière de faire entendre que ce que Melman se chargeait à l’époque de transmettre est ce qui manque cruellement aujourd’hui à la psychiatrie. Cette dernière, pour des raisons qu’il ne s’agit pas ici de développer davantage s’est détournée de trouver dans la psychanalyse freudienne mais aussi lacanienne de quoi orienter sa pratique quotidienne et laisse de ce fait beaucoup de jeunes et moins jeunes collègues dans un désarroi qui ne pourra que grandir. C’est toute la référence à la psychodynamique qui risque de s’en retrouver comme devenue étrangère à la psychiatrie.

La détermination de Charles Melman pour transmettre l’enseignement de Lacan a été sans faille tout au long des quarante années d’existence de l’association qu’il a fondé avec quelques autres dont Jean Bergès, Claude Dorgeuille, Marcel Czermak … au point même qu’il s’est chargé de veiller à la publication de l’ensemble des séminaires de Lacan dans une version qui s’en tient rigoureusement aux paroles énoncées.

Mais le travail de Melman ne reculait pas devant la mutation sociétale qui était en train de nous atteindre, celle-ci n’étant pas sans avoir des conséquences éminemment cliniques.

J’ai eu la chance de rencontrer son élaboration de ce qu’il a appelé la “nouvelle économie psychique” moi-même étant particulièrement sensible à cette problématique. C’est ainsi qu’il a accepté avec une très grande simplicité de répondre à mes questions dans ce qui est devenu “L’homme sans gravité”. Rappelons à cette occasion que Melman avait l’art des formules qui cernaient en quelques mots tout un cheminement de pensée : dire le moins possible pour dire le mieux possible et laisser ainsi son interlocuteur décider de ce dont il voulait bien s’approprier.

Ce fut une grand chance pour moi de pouvoir le fréquenter de près pendant la rédaction de cet ouvrage et c’en fut une seconde lorsqu’il accepta, vingt ans plus tard, de prolonger l’échange autour de la dysphorie de genre.

Certes Melman n’était pas sans traits de caractère qui lui valurent des défections, des combats, voire même des oppositions féroces mais même si ceux-ci sont loin de s’être éteints, ils ne viendront pas à bout de la trace qu’il a laissée dans le coeur de ceux qui l’ont fréquenté.

Il ne reste aux membres de l’Association Lacanienne Internationale (ALI) qu’à tenter de poursuivre la tâche qu’il s’est lui-même donnée sans compter, celle de transmettre l’enseignement de Lacan en essayant encore et toujours de faire passer ce qui en a constitué la trame cent fois remise sur le métier.

Pour finir, un regret malheureusement bien dans l’air de notre temps : très peu d’évocation de sa disparition dans la presse des quotidiens et des hebdomadaires. Mais il est vrai qu’il faut aujourd’hui un sacré courage – voire un courage “sacré” - pour reconnaître la place que Charles Melman a tenue et occupée et ne pas se laisser aller à la lâcheté sociale ambiante. Mais à quoi bon aujourd’hui encore rappeler que certains ont existé avant nous et même qu’ils continuent de nous inspirer.  

Jean-Pierre Lebrun

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