Charles Melman n’aimait pas les éloges funèbres.S’il dut en écrire quelques-uns, il n’hésitait pas à faire surgir le trait de vérité importun et à bousculer les bons sentiments. La nostalgie n’était pas au programme. Le mot d’esprit était son arme la plus affutée pour tenir bon dans la vie comme dans la pratique analytique.

Je me suis embarquée dans la psychanalyse avec lui, il y a 40 ans. Jamais je n’aurais lu Lacan si je ne l’avais pas entendu lire à voix haute « Kant avec Sade » lors de son séminaire à l’Ecole Freudienne. J’ai eu la chance d’être invitée par lui, en juin 1982, à l’acte de fondation de l’Association freudienne et d’être la secrétaire, avec Marc Darmon, du premier bureau.

Le travail collectif était au fondement de l’engagement qu’il exigeait de nous. Les revues, les journées, les colloques, les séminaires, les voyages aussi, qu’il initiait, nous mettaient sans répit au travail de devoir dire le point où nous en étions. Il nous entrainait à transmettre à sa suite la rigueur du « gai savoir », invitant à travailler avec nous les spécialistes d’autres disciplines sur des sujets comme Foi et Raison chez Saint Thomas ou Jean Jacques Rousseau.

Il savait conclure les Séminaires d’été d’une façon lumineuse et nous extraire des confusions savantes pour nous recentrer sur la logique de l’inconscient. Ses séminaires, ses conférences, ses interventions diverses nous sortaient de l’autoroute psychanalytique sans jamais rien lâcher sur l’enseignement de Lacan. Il alliait la discipline de lecture et l’art du bien dire à la conviction indéfectible d’une transmission possible.

Pendant les trois années de présidence de l’ALI, j’eus la chance de déjeuners hebdomadaires avec lui au cours desquels j’ai pu apprendre et vérifier comment le désir de l’analyste transcende les embarras institutionnels, les conflits et constitue une ligne de force éthique.

Ma dette à son égard est indissociable de mon engagement et de ma pratique de la psychanalyse.

Martine Lerude