Commentaire du livre d’Anne Joos de ter Beerst
Commentaire du livre d’Anne Joos de ter Beerst
PMA et familles contemporaines Ne pas céder sur l'altérité
Geneviève Schneider : Pendant que vous vous installez, je vais vous présenter pour tout le monde. Donc Anne Joos vous êtes psychanalyste en Belgique, vous êtes membre de l’Association Lacanienne Internationale et de l’Association Freudienne de Belgique dont vous avez été présidente. Ce livre se situe dans la continuité de vos formations premières d’infirmière et de sage-femme après un parcours institutionnel en tant que psychanalyste en maternité, PMA et médecine génétique. Vous avez, également, publié Génétique et temporalité chez L'Harmattan et La clinique du quotidien avec Jean Pierre Lebrun, ici présent. Donc votre livre PMA et familles contemporaines, avec un sous-titre très important, Ne pas céder sur l'altérité, qui pourrait presque être le titre, va nous être présenté par Danièle Lévy. Danièle Lévy vous êtes philosophe et psychanalyste, vous avez été membre de l’Ecole Freudienne de Paris puis de l’Association Freudienne après la dissolution. Vous avez travaillé pendant dix ans, dix années avec l’APEUI, Association Pour Une Instance fondée par Serge Leclerc, entre autres, qui avait pour objectif d'affirmer la spécificité de la psychanalyse et sa place dans la société. Vous êtes aujourd'hui membre du Cercle Freudien et de l’Association actualité de la psychanalyse à Troyes. Vous avez écrit des communications pour des congrès médicaux avec André Lhemann, psychanalyste en cancérologie et collaboré à son livre : L'atteinte corporelle chez Erès en 2014 et nous vous remercions beaucoup d'être venue de Troyes, cet après-midi.
Danièle Lévy : Merci. Bonjour, désolée du retard mais quelques fois, l'âge ralentit. Pour commencer, j’avais envie de me remettre dans mes vieilles chaussures de philosophie et rappeler Descartes puisqu'il en a été question à l’instant. Mon Descartes qui parle du présent, il parle du présent d'une façon incroyable, d'une méthode, la direction de l'esprit, je crois, diviser la difficulté en autant de parcelles qu'il se pourrait. C’est exactement ce que font les ordinateurs, c’est exactement ce que fait la modernité dont Anne nous parle et le résultat, c’est qu'on ne s'y retrouve plus, plus rien ne fait métaphores, il n’y a plus que des métonymies. Alors voilà le responsable de tout ça, c’est l’inventeur qui s’était trouvé avec le cogito, une forme de psychothérapie, il avait bien vu ce qui nous attendait. Alors le livre d' Anne maintenant, d' abord, je tiens à dire que c' est une chose précieuse, c' est un livre qui m' a paru important et au fond, ce que j' ai prévu de faire, c' est surtout vous dire, essayer de vous décrire le travail qui conduit à ce à quoi elle parvient, qui est du bien dire ou, peut-être quelque chose, peut-être, c' est du bien dire, peut-être, c' est le mot juste, ça passe par le mot juste mais je voudrais essayer de retracer un petit peu le travail qui conduit au mot juste. Après pour le bien faire, je ne sais pas comment ça suit mais ça à l’air de suivre, qu’on trouve le mot juste, quelque chose se passe dans l’acte. Alors ça commence par un avant-propos où elle raconte l'histoire de sa recherche. Il s'agit d'une recherche qu'elle a menée pendant plus de vingt ans, concernant la PMA et qui se divise en deux périodes. Une première période dans laquelle on lui avait demander d'essayer de faire comprendre pourquoi et comment certaines PMA ne marchaient pas et une deuxième période qui est très différente, qui est apparue lorsque la PMA, à la suite d'un changement dans les mœurs et dans la loi, le changement dans les mœurs, c'est que, auparavant, en 87, ça commence en 87, n'est-ce pas ? 87 jusque vers 2000, ce sont des couples qui viennent, des couples hétérosexuels, on est obligé de le préciser maintenant, qui viennent demander ce qui se passe, si on ne pourrait pas les aider à avoir un enfant parce que à eux deux, ils n'y arrivent pas. Et puis, la deuxième période, c’est après qu'il y ait eu cette espèce de généralisation de la PMA qui fait que, on peut demander l’assistance de la médecine pour faire un enfant, quelques soient vos motivations. C’est pas juste parce que le mari n’y arrive pas ou la femme n'y arrive pas mais « Ça me dit rien, je ne veux pas, je suis une femme seule, nous sommes un couple de femmes et nous voulons faire un enfant ». Et ça va même jusqu'à l’exemple qui est magnifique, c’est deux femmes qui vivent en couple ou qui se présentent comme un couple et qui arrivent pour demander chacune son enfant. Donc la deuxième période, c’est celle-là, c'est les répercussions, j'utilise un terme que notre amie commune Andrée Lhemann a inventé pour décrire les répercussions psychiques des maladies graves, qui est le terme, de justement, de répercussions psychiques, qui permettaient de sortir de la question de la causalité, pour dire que quelques soit ce qui a causé, ce qui a déclenché la maladie, le malheur, il y a des répercussions psychiques, quelques soit la cause. Alors donc il s'agit dans ce deuxième temps de la recherche, des répercussions psychiques de cette généralisation de la PMU, euh... de la PMA et (rires dans la salle), les lapsus, c'est rare que ça ne soit pas bienvenus ! Qu'est-ce que ça a fait aux personnes et qu'est-ce que ça fait aux équipes puisque pour cette nouvelle formation sociale, disons, Anne a eu une mission de recherche. Alors comment ça commence maintenant ? Si j’essaye de vous décrire le travail qu’elle a fait, c'est que, qu'est-ce qui se passe dans cette recherche qui inclut des psychanalystes, un psychanalyste mais dans une équipe médicale et c'est déjà une façon, dit Anne, remarque Anne, de faire intervenir un discours Autre dans un discours qui se constitue. Et c'est presque la clé de tout le livre puisque c'est la présence de l’altérité qui permet de découvrir ce qu'on ne savait pas expliquer et qu'on ne savait même pas voir avant. Donc elle a eu, elle était déjà en place à l'hôpital et elle a eu la chance qu'un médecin demande une analyste pour l’aider à comprendre ce qui le dépassait, ce dont il n'arrivait pas à trouver des raisons. Donc, elles y vont et la première chose, la première remarque qu'elle fait dans son compte-rendu, c'est la rencontre de questions encombrantes. Donc la question était : « pourquoi est-ce que les PMA ne marchent pas toujours ? Même quand toutes les conditions physiologiques, chimiques, mécaniques sont présentes, pourquoi est-ce que ça ne marche pas toujours ? La première réaction, questions encombrantes, je n'ai pas assez dit que, pourquoi ce livre est précieux, c'est parce qu’il nous fait sortir d'un embarras que nous ne savions même pas dire. C 'est-à-dire sur la PMA quand elle est apparue, elle a donné lieu à des discussions toniques mais c'était toujours, on est pour ou on est contre. Et ce genre de discussions n'a jamais d'issue, ne fait jamais rien apparaître de nouveau ou de façon rarissime. On s'aperçoit, une fois qu'elle a commencé à expliquer ce qui se passe, enfin, à décrire ce qui se passe dans l’à peu près et pas sans les concepts de l'analyse, certains concepts de l’analyse, il faut choisir, pas n'importe lesquels, on s'aperçoit qu’il y avait de l'embarras avant, l'embarras c'est-à-dire une forme d'angoisse, une forme atténuée de l'angoisse.
Anne Joos : Tout à fait.
Danièle Lévy : De l'angoisse. Comme Lacan nous l'a appris depuis longtemps, on ne savait pas qu'on était incapable d'en parler, on pouvait juste prendre position. Alors les questions encombrantes, c'est quoi ? Et bien c'est justement ce qui va aller contre l'équipe médicale, les convictions attribuées à l'équipe médicale, c'est-à-dire, est-ce qu'il y aurait d'autres facteurs que la physiologie, que le biologique dans les échecs de l'entreprise de l'insémination artificielle ? Et tout de suite, elle introduit un de nos concepts essentiels qu’elle appelle : la dépendance foncière de l'humain au langage. Parce qu'elle a bien idée qu'il y en a d'autres des facteurs physiologiques mais qu'est-ce que ça va nous permettre de voir, elle énumère ce qui ne va pas, les différentes formes de ces échecs. La plus voyante, c'est quand la réussite est technique, tout s'est bien passé mais sauf qu'il n'y a pas de conception ou bien que l'embryon ne tient pas. Donc ça réussi mais ça rate. Une autre difficulté paradoxale mais qui inquiète beaucoup les médecins, c 'est que des couples qui ont voulu un enfant qu'ils ont obtenu par cette voie, se séparent. Les médecins se demandent s'ils ont bien fait, s'ils n'auraient pas dû, s'ils ont rempli leur vocation d'aider les pauvres gens. A ce moment-là, vient une autre idée, je dis toujours comment elle note, une autre idée qui est celle de l'impossible. Peut-être aussi, un de nos concepts, peut-être qu'il y a une dimension d'impossible dans ces trucs qui marchent mais qui ne marchent pas. Sauf que ce n'est pas l'idée qui vient aux non psychanalystes, l'idée qui leur vient, c'est que c'est une incapacité, ce sont des incapables, on n’a pas réussi, on n’a pas mis les choses qui fallait, les moyens qu’il fallait et cette idée d'incapacité, elle va obtenir un développement dans la suite parce qu'on va voir à quel point, elle vient de l'idéologie contemporaine. Un des mérites de ce livre, c'est de nous montrer comment s'articule, se trace, se tisse, se tresse généralement mal, l'évolution de la société, les représentations auxquelles elle donne lieu et le discours social et puis, le fondement, le fonctionnement psychique singulier, comment ça s'encombre l'un l'autre, tout en s'influençant. Alors, d'autres difficultés apparaissent après ces premières remarques, si on considérait la stérilité comme un symptôme, on se rapproche encore un peu de la pensée analytique. La pointe émergée de quelque chose qui fait qu'on n’y arrive pas, que c'est impossible même quand on met tous les moyens qu'il faut. Et dans cette perspective, ce qui est vécu comme incapacité est à entendre comme un déni de l'impossible, on peut l'entendre comme ça. Et puis, il y a aussi, les cas embarrassants pour l'équipe, quand les couples renoncent, par exemple, ils renoncent à l'insémination, ils décident d'adopter un enfant ou bien, ils décident de ne pas avoir d'enfant ou bien, le couple se dissout pour donner lieu à un nouveau couple ou à une nouvelle forme de vie des deux. Il me semble que le mérite de ce premier travail, le même que ce qui va suivre, c'est-à-dire qu’analyser la difficulté, en repérer les éléments, sans prétendre, sans se laisser embarquer dans la question de la solution. Alors que les notions analytiques pourraient nous dire : « alors oui mais ça, c'est un symptôme, ça, c'est ceci, ça, c'est cela » en invoquant, je ne sais quelle structure psychique. Non, ça n'est pas ce qui se passe, une fois qu'on a repérer précisément, nommer les points d'achoppement, on a fait un travail et ça se termine, ça, c'est la première partie mais la deuxième dont je vais parler maintenant va se terminer par une notation qui me paraît extrêmement importante et qu'il faudrait savoir par cœur, c'est la fin de l'avant-propos : « sans le temps d'élaboration, une clinique ne peut ni se développer, ni se transmettre, ce temps nécessaire pour penser la clinique, l'écrire, la proposer aux remarques critiques des collègues, fait partie inhérente de la clinique ». Il faut arrêter de penser que la clinique, c'est intuitif, qu'on le sent... ça demande un temps d'élaboration avec un long temps de latence, de recherche des points dont on peut dire quelque chose, un travail de description, d'observation et de description. Alors, deuxième temps, voilà que les couples homosexuels et les femmes seules peuvent demander à ce qu'on leur fasse un enfant par pipette. Pensez cette apparition, la question de l'impossible était envisagée dans la première recherche, dans la deuxième, apparaît un nouveau possible, une nouvelle possibilité, on ne savait pas faire ça avant, donc un changement technologique qui ouvre des choses qu'on croyait impossibles avant et ça va avoir des effets sur, non seulement, sur les actes des gens, c'est-à-dire que les gens vont se précipiter pour, alors qu'ils ne le pouvaient pas avant, ils vont se précipiter pour l’obtenir mais ça va changer les représentations et leurs rapports à la régularité. La première question que ça fait surgir, c'est bien sûr, la question de la parenté parce que si c'est deux femmes ou si c'est une femme seule, qu'est-ce que c'est qu'un père, qu'est-ce que c 'est qu'un donneur, qu'est-ce qu'on entend par fonction paternelle, qu'est-ce que c'est qu'un couple, un couple parental et c'est quoi la fonction parentale ? Donc c'est des grandes questions voilà qui restent ouvertes. Là-dessus intervient sur cette question bien sûr qui nourrit bien sûr beaucoup de temps de réflexions, de discussions, de séminaires, de choses comme ça, apparaît, en Belgique, une loi qui introduit une formulation inouïe sur ce que c'est qu'un parent, on appelle, on parle dans ce cas-là, dans le cas d'insémination artificielle, on parle d'un auteur du projet parental. Donc là, on n’est pas simplement dans le social, on est dans le juridique ; ça s'appelle, quelqu'un qui demande un enfant de cette façon, ça s'appelle un auteur du projet parental. Il peut être seul, il peut être unique donc l'enfant n'est plus nécessairement l'enfant d'un couple et puis, il n'y a pas d'indication de sexe donc il y a effacement de la différence des sexes. C'est là-dessus que leur vient, lui vient, Anne qui travaillait toujours avec d'autres, est-ce que c'est à ce moment-là que tu travailles aussi avec un clinicien d'enfants ?
Anne Joos : Ça s'est passé durant les deux années de recherches plus spécifiques autour de cette question.
Danièle Lévy : C'est après 2007 ? c’est après la loi ?
Anne Joos : Oui, oui.
Danièle Lévy : Après que cette loi bizarre ait été inscrite, on se demande, comme chaque fois qu’il apparaît des lois, comment ces formulations sont venues aux auteurs.
Anne Joos : J'ai une petite idée.
Geneviève Schneider : Peut-être préciser la loi, j'entends des personnes dans la salle qui ne savent pas de quelle loi il s'agit ?
Anne Joos : C'est une loi belge que j'ai mise, j'ai voulu qu'elle soit en annexe de ce livre-là parce que c'était quand même une question importante, il faut savoir que depuis 1987, en Belgique mais en France en 85 et en Angleterre en 83, il y eu les premiers enfants issus de la PMA. Mais en Belgique, on a fonctionné de 1987 à 2007 sans aucune législation, ça ne veut pas dire qu'on faisait n'importe quoi bien sûr parce que dans les centres, on tentait quand même de penser un peu la clinique, néanmoins il y avait une attente par rapport à cette législation, on se disait : « Mais enfin, ils vont nous dire ce qu'on peut faire, ce qu'on ne peut pas faire, où sont les balises etc. » Et puis la Belgique, c 'est comme ça. Il y a eu un truc ouvert à 180° avec cette formulation : l'auteur du projet parental. Donc alors qu'on en attendait quelque chose qui allait enfin nous dire, ben voilà, les demandes qu'on pouvait accepter et bien quoi non, rien du tout ! Avec une toute petite ligne, en bas, quelque part dans la loi comme c'est toujours le cas, en disant : « Néanmoins si les centres veulent restreindre les demandes, ils peuvent le faire, à une condition, c'est qu'il faut respecter les procédures et le transmettre au demandeur en toute transparence ». Donc voilà, donc on avait les nouveaux signifiants à la mode : la transparence, la procédure etc… Ce qui veut dire que notre attente par rapport à cette législation, elle a été déçue et, en même temps, voilà ça nous a obligés et c'est la suite, c'est, entre autres, c'est ce bouquin-là, c'est de se dire : « Bon, voilà ça va être quoi notre axe de travail, comment est-ce qu'on va travailler ? » A partir de 2007, ça avait déjà commencer en 2000, on avait déjà une pratique de recevoir pas mal de couples. Les demandes de couples homosexuels, mais là, pas seulement en 2007, les PMA sont rentrées dans le cadre des remboursements par ce qu'on appelle en Belgique, la sécurité sociale, en 2003. Donc à partir de 2003, ça a fait « boom » au niveau des demandes.
Danièle Lévy : Et puis les femmes françaises qui voulaient aller en Belgique...
Anne Joos : Oui il y a eu énormément de femmes françaises, avec la différence entre la Belgique et l'Espagne par exemple, parce qu'on a eu des couples qui hésitaient entre aller en Espagne ou aller en Belgique et, alors j'ai eu, on a eu plusieurs échos et des échos, certains ont dit, nous on va en Espagne parce que là, il n'y a pas d'entretiens préalables, on nous donne un devis, on peut signer ça sur Internet et ça se fait et pas besoin de parler et d'autres qui, au contraire, ont été très choquées par cette affaire du devis comme si la question était commerciale. Et moi je pense que pour nous, commerciale ça a avoir avec commerce, donc la question, au fond, liée au sexuel, enfin c'est une de mes questions dans ce livre-là parce qu'on parle beaucoup de, enfin j'y reviendrai juste après, c'est comme si c'était, justement, trop présent cette affaire du devis, on signe un devis, on va acheter un enfant, enfin, quelque chose comme ça dans les représentations et donc pas mal de couples qu'on a rencontrés enfin, que moi, j'ai rencontrés, nous disait combien le fait que cette demande soit obligatoirement, parce que c'est pas dans la loi belge aussi, nous dans notre centre, on avait imposé qu'il y ait quand même quelques entretiens avant, mais comment le fait de cette demande ne soit pas que technique mais qu'elle soit prise dans un réseau où il y avait à s'adresser au médecin et puis, enfin quand même, que ce soit parlé ! Voilà, voilà la question de la parole, que ce soit parlé pas dans une parole évacuante mais une parole où, à ma manière, j'ai quand même tenté justement que ces couples qu'on a pu recevoir se décollent tant bien que mal de l'idéologie paritaire, égalitaire très circulante dans notre discours contemporain mais finalement ils étaient assez soulagés de cette possibilité, de cette obligation qui devenait une possibilité d'en dire quelque chose et, au fond, de faire un peu récit de pourquoi elles venaient, par ce biais-là, concevoir un enfant et je pense que ça n'est pas sans importance cette nécessité du récit, c'est cette question que je pose, ça serait quoi un enfant qui arriverait comme ça sans qu'il y ait même du récit. Et quand je dis récit, je l'entends aussi, c'est aussi la manière dont on le travaille nous ici, c'est RSI, c'est quand même un nouage entre le Réel technique, entre la manière dont ça va être parlé et l'Imaginaire qui est là pour nouer le Réel et le Symbolique dans un Imaginaire propre à chaque couple. Il y a des couples qui ont besoin d'imaginer des choses par rapport au donneur ou d’imaginer, enfin, voilà, il y a un imaginaire qui se construit et qui vient nouer Réel et Symbolique, ça, ça me paraît important.
Danièle Lévy : Alors que le commerce, ce que tu appelais tout à l'heure le commerce, c'est l'acceptation sans parole.
Anne Joos : Ah oui.
Danièle Lévy : C'est un produit, tu payes, tu prends.
Anne Joos : Il suffit de surfer sur Internet, vous allez bien voir des tas de lieux en Europe où vous faites quelques clics et voilà, il y a des couples qu'on a reçu et qui nous disaient avoir fonctionné comme ça, leur colis postal leur était arrivé, une pipette, enfin, il y avait...
(Paroles dans la salle.)
Danièle Lévy : Les Espagnols, c'était les commerciaux.
Geneviève Schneider : Juan, pour les questions, on demande le micro, s'il vous plait, sinon sur zoom, ils n'entendent pas du tout.
Juan Drouet : C'est les Espagnols qui étaient plutôt dans le commerce.
Anne Joos : Alors je ne peux pas dire tous les Espagnols, c'est un couple qui habite près de la frontière espagnole, dans le sud de la France, on s'était demandé pourquoi ils venaient dans le nord de la Belgique alors que l'Espagne était beaucoup plus proche géographiquement, voilà, c'était ce couple-là qui nous avait dit : « Mais nous, on nous a proposé un devis mais pour nous, c'est impensable de concevoir un enfant comme ça, de cette manière-là, contractuelle, purement contractuelle ». Je ne veux pas dire tous les Espagnols ! C'est parce qu'il y a une clinique qui est très développée du côté de Barcelone et qui fonctionne comme ça.
Danièle Lévy : Mais ça, comme ça, ça répond tellement bien au sentiment d'urgence qui est généralisé, faut que ça aille vite quoi ! Que si ça n'est pas partout, ça tend à s'étendre.
Anne Joos : C'est le sentiment d'urgence mais pas seulement le sentiment d'urgence, c'est aussi, on a eu aussi pas mal de couples qui venaient, qui étaient assez fort sur la défensive, pensant qu'elles avaient à justifier leur demande par a plus b alors que la proposition de venir parler la question, ce n'est pas ce dont il est question, ça n'est pas de l'ordre d'une justification justement, c'est tenter de venir ouvrir ce qui se passe pour elles et alors je pense là à deux petits exemples que j'ai amenés dans ce livre, c'est comment, à partir de ce discours très contemporain mais qui allait aussi de pair avec cette justification, je pense à ce couple que je rencontre et qui dit dès le début de l'entretien : « Voilà, nous sommes un couple, nous sommes deux femmes, nous avons le même désir. », et, il faut dire que, bon voilà il faut dire qu'à force de travailler l'oreille, l'oreille est un peu avertie et donc je dis : « Un même désir? » « Mais oui, un même désir ». Bon, je fais quoi, moi, en entretien avec ça, hein, un même désir ! On est tellement dans cette idéologie de la mêmeté, de l'égalité, de la parité, c'est un peu un bloc monolithique qu'on reçoit comme ça en entretien donc il faut tenter d'ouvrir ces choses-là et je dirais même (inaudible). Au fond, laquelle de vous deux en a parlé la première à l'autre ? Ah, voilà, là, il y a quelque chose qui s'ouvre. Il y a un début d'histoire, un début de récit qui vient se faire pendant l'entretien. « Ah c'était moi, moi, il y avait longtemps que je voulais un enfant mais je ne lui en parlais pas parce que je savais qu'elle n’était pas prête. » Et alors voilà, il y a quelque chose qui vient là se dérouler etc... Il faut du temps pour ça, il faut du temps, il faut de l'attention mais c'est un peu ce que je me dis, je me dis comment rester attentif, attentive à la position singulière, on pourrait dire à la dimension du sujet tapi dans les aléas de la demande, voilà, hein, c'est ça qu'on essaie de faire. C'est moi, ce que j'ai essayé de faire, c'est de me dire, à un moment donné, cette question du même, ça revient trop souvent et donc, je vais te laisser poursuivre, on continuera.
Danièle Lévy : Je trouve que cette expression : tapi, le sujet tapi, ça ne parle pas que de ces situations-là.
Anne Joos : Non, non.
Danièle Lévy : C'est un de ces bien dire dans ce petit livre qui n’a l'air de rien. Alors donc deuxième recherche. Introduction d'un nouveau concept justification, enfin, qui explique le sous-titre. Vous avez, à ce moment-là, déjà l'idée qu’un enfant ne peut être accueilli correctement que dans un, par un couple ou pas un couple mais enfin un endroit, dans un endroit où il y a de l'altérité, où l'altérité a une place. Et, du coup, la question des parents, des machins, des..., qu'est-ce que c'est qu'un parent ? qu'est-ce que c'est qu'un couple ? et tout ça, elle se repose en termes non pas de qu'est-ce qu'il y a dans cette notion ? qu'est-ce que l'autre pense que c'est en termes de place ? Or cette distinction de la place et de l'occupant de la place est essentielle pour nous parce que c'est la distinction entre Symbolique et Imaginaire. Ou je ne sais pas si on met un peu de Réel là-dedans mais voilà. En tout cas, c'est de l'ordre du Symbolique. Et c'est là-dessus que démarre la seconde recherche. Donc les analystes, l’analyste écoute les gens, les gens qui viennent parler avec lui, les signifiants singuliers, mais toujours en se posant la question aussi de la place et de la position de chacun. Et c'est là, si j'ai bien compris, où intervient avec le travail avec un clinicien d'enfants qui est, et peut-être que l'idée est venue par lui, qu’un enfant ne pouvait être accueilli correctement que dans un lieu où il y a place pour l'altérité.
Anne Joos : Il était attentif, lui, en tant que clinicien d'enfants à cette question qui était : « Mais comment est-ce qu'un enfant peut être accueilli dans son altérité ? » ça, c'était sa question et la mienne, c'était si dans le couple, il n'y a pas de place pour l'altérité dans le couple, voilà.
Danièle Lévy : Comme les femmes avaient le même désir.
Anne Joos : Oui enfin c'est comme ça qu'elles le disaient mais après c'est pas vraiment comme ça que ça se passait, voilà, c'est ça. D'où, au fond, ma difficulté parce qu’après un certain temps, je tentais de souligner, avec elles, quand bien même elles se présentaient en tant que couple de femmes, de dire, oui mais au fond, comment est-ce que vous pourriez penser vos différences entre l'une et l'autre et je me suis rendue compte que le mot différence était extrêmement mal accueilli, au point qu’il suscitait parmi les femmes auxquelles j'adressais la question de la différence, soit une méfiance, soit même, une forme d'agressivité donc je me suis beaucoup interrogée, nous nous sommes beaucoup interrogés sur ce que ce mot véhiculait à notre insu et ça c'est quand même une question très contemporaine, comment ce mot différence est entendu dans un sens unique ? je pensais à ce que tu disais, ce matin, Jean-Pierre, tu disais l'autorité n'a plus de sens, ne fait plus sens. Et je me disais, en t'écoutant, je ne sais pas si l’autorité ne fait plus sens mais elle est entendue dans un sens unique, comme dans un sens d'abus d'autorité, une question comme ça. Avec le mot différence, c'était un peu pareil. La différence était entendue uniquement en termes de droits : « Comment il va y avoir de la différence, je ne vais pas avoir autant de droits que l'autre. » Dans une différence comptable alors que ça n'était pas de ça, ça n'était pas ça qu'on essayait de faire émerger au sein de ces entretiens, c'était plutôt quelque chose qui était relatif à une différence de position avec en arrière fond, nous, bien sûr, nos fameux schémas de la sexuation ou schémas des jouissances, gauche/droite, S1/S2, bon voilà, comment ça circule dans ce couple ? Avec cette idée que, alors là c'est une idée de, depuis ce matin, je m'interroge là-dessus, si tout le monde est situé à droite où et comment ça va circuler dans le couple, moi, il me semble que ce qui est intéressant, pas droite/gauche mais S1/S2, j'en suis avec le schéma de la sexuation mais on pourrait dire, ma crainte en vous entendant ce matin, je me disais, mais si tout le monde est logé que d'un côté, on va être dans une juxtaposition. Comment on va s'accorder, comment ça circule ? Que ce soit au niveau du désir, que ce soit au niveau conjugal mais on pourrait même le penser de manière plus sociétale, mais comment on va faire ? C'est une question, je trouve que voilà, comment à partir de cette clinique de la PMA, j'en arrive en effet à des questions qui sont peut-être un peu plus larges ; ça concerne autant les couples hétérogènes, enfin, les couples hétérogènes ! Beau lapsus ! Hétérosexuels ! Mais ça nous concerne dans la manière dont les choses circulent, je crois, je m'appuie sur la façon dont Charles Melman a fait lecture du séminaire Encore, mais il insiste beaucoup dans son séminaire sur la façon d’introduire la clinique psychanalytique aujourd'hui, il insiste sur cette circulation entre S1et S2. Moi ça m'a aidé pour soutenir les entretiens, dans cette clinique, d'avoir ça quand même en arrière fond et de pouvoir tenter d'entendre de quelle place chacun s'énonçait et c'est aussi, un article que Pierre Arel avait écrit à ce sujet où il parle, voilà, comment l'un s'énonce de ce lieu du S1et l'autre s'énonce en objectant au S1 donc voilà. Mais ça, il faut un peu de temps pour le déplier en entretien. Et, finalement, pour pouvoir renvoyer à ces couples qui se présentaient quasi avec un logo, nous sommes deux mêmes, identiques, paritaires, tous les mots à la mode aujourd'hui, pour leur dire : « Vous savez, moi, ça fait ¾ d'heure que je vous écoute et je ne vous trouve pas si pareil que ça dans ce que vous dites. » Au fond, vous dites ceci et puis vous, vous dites cela. Ouf ! Et à refaire circuler et puis finalement, au fond, elles repartent avec ça, elles font mille kilomètres, elles reviennent quelques semaines plus tard et elles viennent dire : « Oui, c'est vrai, on n’est pas si pareilles que ça, d'ailleurs, si on était si pareilles que ça, ça serait insupportable de vivre ensemble. » ; enfin vous voyez, c'est comme si on avait à ouvrir, comme ça, ce sillon.
Danièle Lévy : On a à ouvrir ce sillon mais ça n'est pas si facile parce que vous êtes à ce moment-là aux prises avec les idéaux sociaux de parité et d'égalité, qui sont pris dans le sens le plus large universel et c'est une de ces intrications, enfin, de pas d’intrications justement, de répercussions du social sur le psychique, qui produit des représentations, comment dire, peu compatibles avec nos concepts, avec notre expérience, avec ce que c'est que le fonctionnement psychique des humains. Alors c'est toute une bataille, une bagarre, je ne sais pas, avec un fils à trouver et le concept analytique, il vous donne un fil, il vous aide à trouver et vous dites, plusieurs fois d'ailleurs, que ce genre de clinique non homogène à nos habitudes, nous incitent ou nous obligent à redéployer les concepts. Donc on les retrouve mais sous une autre forme, pas de la façon dont on est habitué à les penser et, néanmoins, conservant toute leurs valeurs, validité même, c'est un des avantages de ce bouquin.
Geneviève Schneider : Mais si je peux me permettre, ce que j'ai beaucoup aimé, c'est quand vous parlez de faire travailler les écarts, à propos de concepts et de travailler l'altérité des positions et d’apporter la position maternelle et la fonction paternelle. Et je trouve que c'est pas quelque chose qui est très présent dans le vocabulaire lacanien et qui peut introduire cette différence de position justement que ce soit entre deux femmes, deux hommes, qu'est-ce que vous en pensez ?
Anne Joos : Faire travailler les écarts, c'est une formule qui ne vient pas de moi mais de François Julien et ça, je lui suis très reconnaissante de m'avoir, c'était une discussion dans un taxi, avec lui et il m'a dit : « Mais vous ne devez pas utiliser le mot différence, vous devez faire travailler les écarts ». Et donc il déplie ça très, très bien dans son livre : L'écart et l'entre, qui est sa leçon inaugurale à la chaire d'altérité justement. Et je crois que ça m'a, en effet, aidée à comprendre pourquoi ce mot était si malvenu, hein, j'ai même marqué, la différence du malnommé. Alors je pense que position maternelle, fonction paternelle et même fonction paternelle, est-ce que c'est seulement une fonction nommante ? ou est-ce que c'est comme nous la travaillons bien d'avantage, c'est quoi la question d'insister sur la question du Père Réel. Je crois qu'on a à reprendre ces catégories, à la lumière de la clinique d'aujourd'hui, pas pour faire rentrer la clinique dans nos petits tiroirs mais, au contraire, réouvrir nos tiroirs et dire, voilà, comment va-t-on penser les choses comme ça. J'ai assisté, je donnerai les références et je ne sais si tout le monde peut avoir accès aux documents mais il y a eu un document qui est passé chez nous en Belgique, qui s'appelait Familles. Il y a trente ans, c'est un document qui reprenait les enfants issus de la PMA depuis trente ans. Et donc c'était assez intéressant de voir, entre autres, un père qui était issu d'une insémination entre le couple que formait sa mère et sa compagne. Cet homme avait trente ans, était père, déjà, de deux enfants et dans ce que je pouvais entendre dans un documentaire, voilà, je ne pouvais que penser, voilà, les questions, position maternelle, fonction paternelle, je ne sais pas, je ne l'ai pas lu en entrant, sur le divan mais visiblement les choses avaient été mises en place. Une petite formule que j'ai retrouvée, je pense que c'est Marie-Charlotte Cadeau qui écrit ça, elle dit : « Comment penser dans ces modalités contemporaines ? », ah non, c'est moi qui ai écrit ça : « Comment penser dans ces modalités contemporaines, la condition pour qu'il puisse y avoir une place sexuée pour avoir un enfant et, aussi, qu'il soit introduit au lieu de l'Autre ? » Voilà, c'est ça, une place sexuée et qu'il soit introduit au lieu de l'Autre. Là visiblement, ça avait pu se faire, je trouve que nous avons à être très attentifs et à ne pas fonctionner avec des a priori. À au moins écouter les gens et à entendre comment ça s'est mis en place pour eux, comment eux s'en sont débrouillés. On ne sait pas toujours ce qui va faire Père Réel pour un enfant, on ne peut pas le savoir à l'avance, tout comme on ne peut pas savoir quand on est un couple quel genre de mère, on va être et quel genre de père va être le compagnon qu'on a etc... Est-ce qu'on va être la même mère pour le premier, que pour le second, que pour le troisième, enfin il y a plein d'éléments qui vont jouer. Donc je crois que ça nous oblige à repenser les choses et, je dirais, que ce type de travail m'a aussi permis, dans l'après coup, d'entendre autrement, la demande de certaines personnes qui viennent en analyse et qui sont, parce qu'aujourd'hui, les gens que nous recevons sont pris dans ce, sont baignés dans le discours contemporain. Nous aussi d'ailleurs, nous aussi, on n’en n’est pas exclus, on n’est pas dans une position de méta comme ça...
Danièle Lévy : On essaye, on essaye de se reculer, on n’y arrive pas toujours. »
Anne Joos : « On essaie mais on est pris dedans aussi et donc enfin moi, ça m'importe de tenter de continuer à penser ces choses-là avec d'autres aussi. Jean-Pierre ?
Geneviève Schneider : Il y a une question Jean-Pierre ?
Danièle Lévy : Comme ça, vous faites travailler la langue comme un instrument de recherche, c'est une méthode de recherche, c'est une méthode de recherche la parole.
Jean Pierre Lebrun : Danièle vient de rappeler tout à l'heure en début que le sous-titre aurait pu être le titre. Ne pas céder sur l'altérité, ça aurait pu être le titre, bon, c'est tout à fait important, je crois. Moi j'étais, j'ai quand même été surpris quand tu as ramené ce sous-titre, pour des raisons de, ça parle de la PMA, peut l'appeler la PMA, c'est pas ça mais je trouve que le sous-titre que tu donnes, a donné est vraiment important parce qu'il répond exactement à la question que tu as posée tout à l'heure. Comment est-ce qu'on est au « un par un », qu'est-ce qu'on fait ? Eh bien, à ce moment-là, la question de l'organisation imposée ne marche plus.
Anne Joos : Oui.
Jean Pierre Lebrun : En revanche, ce qui marche, c'est la rencontre avec l'autre, pour autant que l'autre ne cède pas sur autorité, altérité, antériorité, pour moi. On avait dit ça à une soirée, on avait dit mais je crois que c'est tout à fait juste, c'est vraiment une modalité de substitution, une exception qui impose quelque chose dans nos modèles à gauche qu'on n’a plus aujourd'hui mais on peut très bien dans la rencontre, avec l'autre, ne pas céder là-dessus. C'est pour ça que ce sous-titre, moi, m'a été très très important, on peut l'étendre, on peut le réfléchir parce que par la négative, c'est pas en imposant quelque chose à quelqu'un mais c'est en ne cédant pas, parce que soi-même, on est pris dans cette dynamique-là et il n'y a pas, il n'est pas question de lâcher là-dessus. Il me semblait être une réponse à ce que tu demandais à ce moment-là.
Anne Joos : Oui, oui.
Danièle Lévy : En effet, ne pas céder sur l'altérité, c'est la solution pour sortir du marais où nous ne savions pas que nous étions engoncés. C'est la solution.
Geneviève Schneider : Alors nous allons passer à, quelqu'un a son téléphone allumé, si vous voulez bien l'éteindre, s'il vous plait. Parce que ça parasite et nous allons passer aux questions, je vous rappelle que les personnes qui nous suivent par zoom, vous pouvez mettre la petite main jaune ou parler directement comme vous voulez.
Danièle Lévy : Enfin je n'ai parlé que de ce qu'il y a dans l'avant-propos, qui nous a emmené un petit peu mais je voudrais, quand même, signaler que ça va nettement plus loin, ce livre. Il y a cinq chapitres. Un qui parle, qui rappelle que faire un enfant, ça n'est pas faire du même, ça s'appelle procréation et pas reproduction chez l'humain et que le langage a sa place là-dedans. Un deuxième chapitre, qui est : est-ce qu'il s'agit d'un droit ? puisqu’il faut un droit pour qu'il y ait une possibilité de PMA à quiconque le souhaite, un droit, une demande ou un désir ? Le troisième chapitre c'est justement ce dont on vient de parler, faire travailler les écarts et non pas s'en tenir à la différence qui permet à n'importe qui de penser n'importe quoi. Un quatrième chapitre sur la famille contemporaine, c'est-à-dire, les places et la façon de les occuper, on peut dire comme ça. Le mythe de la transparence et, enfin, un dernier, que je n'ai pas bien compris, que, peut-être, tu peux résumer ? La famille contemporaine homotopique ou hétérotopique. Et je relance cette question parce que justement, il me semblait que dans l'idéologie sociale, elle efface les places.
Anne Joos : Oui.
Danièle Lévy : Ce dont vous parlez, place de l'autorité, elle est effacée dans l'idéologie contemporaine ou alors quand c'est le Président de la République, elle est occasion de dédain. Mais c'est comme si c'était une place qui devait être ramenée à celle de n'importe qui. Donc la spécificité des places, souvent, le social, ça fait ça. Alors que le social traditionnel, il y avait la place du Roi, la place du Duc, la place du Juge, la place du manant, la place du pendu, bon… Homotopique ou hétérotopique.
Anne Joos : Oui mais quand on...
Danièle Lévy : C'est assez subtil, c'est un bouquin à travailler ; ça ne se lit pas comme un roman de gare.
Anne Joos : Non mais justement, quand il s'agit de places, il ne s'agit pas de places, justement, sociologiques, mais bien de pouvoir penser, on voit bien que le terme parentalité qui a surgi dernièrement déjà depuis une dizaine d'années, mais c'est un mot qui vient effacer, qui maintient comme ça une indistinction tant sexuelle que justement de spécificité de l'un et de l'autre, le nombre de fois qu’en entretien, j'ai eu à rappeler, j'ai dit mais vous savez, si dans la langue française, on parle de l'un et de l'autre ou de l'une et de l'autre, ça dit bien que ça n'est pas, ce n'est pas identique et que justement, moi, j'ai pris hétérotopie et homotopie pas au sens mathématique mais au sens vraiment de l'étymologie grecque, c'est à dire est-ce qu'il y a de l'hétéros au niveau du topos ou est-ce qu'on est pas dans de l'hétéros voilà. Parce que je pense qu'il y a un vœu d'homogénéité quand même parmi les parents que je reçois aujourd'hui, beaucoup, enfin il y a tout un travail à faire pour essayer de resouligner ce que vous, vous nommez position maternelle et fonction paternelle alors à nous de tenter de trouver les mots justes pour tenter de nommer ça mais que ce ne sont peut-être pas les mêmes positions et que c'est intéressant pour un enfant qu'il y ait des positions différentes même lorsqu'il a une mère seule, lorsqu'une mère seule doit élever un enfant seule, elles le disent parfois, moi j'ai entendu ça souvent quand elles disent : « Moi, j'ai dû faire le père et la mère ». Quand on va un peu plus loin et qu'on dit : « Mais au fond, ça veut dire quoi, pour vous ? » « J'ai dû renoncer à un des deux pour l'autre, enfin, je n'ai pas pu faire les deux en même temps. » Quelque chose comme ça.
Danièle Lévy : Tous à la même place, c'est le marécage.
Geneviève Schneider : Est-ce qu'on fait les deux en même temps, c'est pas nouveau, les femmes de marins qui ont élevé leurs enfants depuis très longtemps, avant d'avoir inventer la PMA et...
Danièle Lévy : Bien sûr.
Geneviève Schneider : Et des mots comme parentalité, je pense qu'il y a une fonction maternelle au sens de prendre soin de l'enfant, de ses premiers besoins et une fonction paternelle au sens de la coupure...
Danièle Lévy : Bien sûr.
Geneviève Schneider : Et de venir apporter le langage et qu’une femme seule, peut, peut-être, assumer ces deux fonctions, sans être Une, unique, voilà c'est une proposition...
Anne Joos : Elle va être divisée, elle va le dire d'ailleurs.
Geneviève Schneider : Mais je pense qu'on peut, peut-être, rejoindre quelque chose, aider ces enfants issus de parents identiques, en remettant comme ça, des fonctions dans des couples trop, où il n'y a pas assez de différences. Justement en les faisant réfléchir à ça, il me semble que c’est ce que vous faites. En fait ou je me trompe ?
Anne Joos : Non, non, tout à fait, c'est tenter de décoller les choses un peu, de ce vœu, de ce vœu non seulement identique mais aussi de cette harmonie, qui, bien sûr, n'est pas de mise, il n'y a pas d'harmonie et il n'y a pas d'harmonie entre les deux fonctions fussent-elles soutenues par la même personne, c'est ça que j'essaie de soutenir. Comme toutes les femmes de marins alors que les hommes étaient partis à la guerre et, malheureusement, c'est de nouveau le cas, aujourd'hui, enfin, on le sait bien, non ? C'est ce qu’on appelait le père dans la tête de la mère. Oui, c'est bien ça, c'est la question de la référence aussi.
Geneviève Schneider : C'est pour ça que je pense que vous l'avez très bien dit au début, c'est qu’il ne s'agit pas d'être pour ou contre parce que ça donne des débats stériles mais effectivement de voir les mots, c'est une recherche sur les mots.
Danièle Lévy : Par les mots.
Geneviève Schneider : Par les mots. Par l'échange de mots. Aujourd'hui, on ne peut pas faire une demande de subvention à la CAF sans qu'il y ait le mot parentalité dans le dossier. S'il n'y a pas le mot parentalité, c'est refusé.
Anne Joos : C'est vrai ?
Geneviève Schneider : Ce sont des mots qui sont imposés par l'administration. Donc comment en écoutant les personnes et en parlant avec elles, on peut remettre d'autres signifiants, peut-être ?
Anne Joos : C'est des mots qui sont parfois un peu creux et à nous de tenter de les ouvrir...
Danièle Lévy : Disons que parentalité, ça efface la parenté, la parenté qui était un système de places, qui existe, qu'elles soient occupées ou non. La femme de marin, la place du père elle est faite, le père au lointain, c'est une place, c'est une place de Père. Ce qui n'est pas du tout la même chose que les personnes homosexuels masculins, c'est encore plus évident que chez les femmes, nous sommes le même, nous sommes indissolubles, nous voulons la même chose et l’amour parera à toutes les difficultés. Là, il n'y en a plus d'altérité, elle est effacée, c'est-à-dire, il n'y a pas de places pour les deux places, il n'y a pas de possibilité pour deux places distinctes, deux fonctions distinctes.
Anne Joos : Je rajouterai, elle est, peut-être effacée dans un premier temps du discours.
Danièle Lévy : Sauf si quelqu'un intervient pour dire : « Vous êtes sûrs que vous êtes pareils ? »
Anne Joos : C'est ça. C'est un peu ça que je veux amener, c'est comme la question de la déconnexion entre procréation et sexualité et là, c'est vraiment une invitation que je fais à nos collègues analystes et, particulièrement, à nos collègues analystes d'enfants. Je ne suis pas si sûre que ça soit déconnecté au niveau de l'inconscient. Mais ça, ça n'est qu'à travers la question des rêves ou des dessins d'enfants qu'on pourrait savoir, au fond, est-ce que c'est une déconnexion uniquement technique, c'est une déconnexion qui a des effets jusque dans les représentations, est-ce que ça reste au niveau conscient ou est-ce que c'est une déconnexion jusque sur le plan de l'inconscient ? ça, je n'en sais rien, je ne sais pas, on va le voir avec ces enfants qu'on aura en analyse, je ne sais, parce que c'est toi qui me disais ça, hier encore, c'est que, quand même, la question du sexuel, c'est toujours l'énigme, d'où viennent les enfants ?
Danièle Lévy : Ça, c'est Freud, j'ai le sentiment que ça m'a toujours paru un petit peu une attache un peu lâche. Freud qui dit comment le sexuel se relie-t-il, avec quoi, avec la procréation. Le lien, c'est, les enfants s'intéressent au sexuel, à partir de leur question : d'où viennent les enfants, ça, c'est une liaison entre sexualité et procréation.
Anne Joos : Oui.
Danièle Lévy : Mais c'est aussi, une façon d'échapper à leur horreur de la sexualité parce que, est-ce que ça vient de là ? Est-ce que ça vient d'ailleurs ? Le trouble que le sexuel introduit dans la vie de tout un chacun.
Anne Joos : Oui.
Danièle Lévy : Il y a un mot que je ne retrouve pas mais qui, à mon avis, est quelque part, dans Les trois essais sur la théorie sexuelle. La pulsion sexuelle est impérieuse, elle s'impose, c'est pas un besoin, ça s'impose, c'est comme si elle avait de l'autorité mais ça n'est pas non plus de l'autorité. Si ça ne passe pas par ici, ça passera par là. Pour dire qu'on peut peut-être considérer le lien entre sexualité et procréation, comme, pas si sûr que ça. Il y avait déjà un peu de division entre les deux avant que cette division s'inscrive dans le social.
Anne Joos : Oui, c'est ça.
Geneviève Schneider : Je vous propose de rester sur ce questionnement et nous allons passer au troisième livre et merci beaucoup Anne Joos et Danièle Lévy.