Discussion après la conférence de Bernard Vandermersch

Date publication : 22/07/2022
Dossier : L'invention de l'objet a : qu'en faisons-nous ?
Sous dossier : Dossier de retour

 

Association lacanienne internationale
Grand Séminaire de l’ALI 2021-2022 - L’invention de l’objet a : qu’en faisons-nous ?
Mardi 28 juin 2022
Conférence de Bernard Vandermersch : Comment j’ai réinventé la psychanalyse. 

Discussion

Th.R. : Merci Bernard. Quelques minutes pour discuter. J’ai l’impression que ce que tu nous dis là c’est le teaser de ce que tu vas nous dire bientôt. Je n’ai pas vu tellement d’aspects qu’on pourrait discuter, mais puisque Jean Brini est notre discutant, on va commencer par Jean et on verra après. Jean ? 

Jean Brini : Tu te rends bien compte que tu nous en as beaucoup dit ! Et du coup j’ai choisi disons, je vais choisir quelques points. Tout d’abord, tout à fait sur la fin : j’ai le souvenir d’avoir reçu d’un certain Bernard Vandermersch une figure que j’ai toujours dans mes cartons, qui n’a jamais été exploitée et qui pourtant constituait une esquisse de ce qui pourrait être un pont entre les écritures basées sur les surfaces et les écritures basées sur les nœuds. Il s’agissait de la preuve par l’écrit, par le dessin, du fait qu’un nœud borroméen pouvait parfaitement être tracé sur un cross-cap, alors qu’il ne le peut pas sur un tore. Un nœud borroméen ne peut pas être tracé sur un tore à moins qu’on y fasse trois trous. Et je m’étais à une époque, justement dans cette perspective-là, orienté vers quelque chose qui s’appelle la théorie topologique des graphes et dans laquelle il y a une démonstration qui concerne les nœuds bien que ça n’en porte pas le nom, qui démontre que n’importe quel nœud et n’importe quel entrelacs peut toujours être tracé sur un tore, sous réserve qu’on y pratique un nombre suffisant de trous. C’est un théorème. En revanche, le théorème concernant le tracé des nœuds sur les cross-cap, je ne sais pas. Il y a quelque chose que tu avais esquissé, et il y a certainement une recherche à faire sur les relations entre les surfaces non orientables et les nœuds. Peut-être que Vappereau pourrait nous en dire plus là-dessus.  

B.V. : Marc Darmon avait proposé aussi à la demande de Charles Melman je crois, le lien entre le nœud à trois et les surfaces et il avait montré que la surface - comment dit-on ? - la surface co-bordante, l’objet petit a pouvait en effet être figuré par l’ensemble de trois disques reliés chacun par trois ponts tordus. 

J.B. : Bon mais enfin tout ça, c’est bien, mais c’est ça que je veux dire : et alors ? Une fois qu’on a défriché la technique, une fois qu’on a défriché les maths des ensembles, on en fait quoi ? C’est ça qui est difficile à mon avis, et que Lacan fait avec énormément de précaution et de prudence et sur lequel, bon ! 

Ça c’est le petit côté… mais il y a un point sur lequel j’ai été sensible dans l’ensemble de ton exposé, c’est un certain nombre de formules que je trouve extrêmement pertinentes, extrêmement originales, par exemple cette notion que c’est pas le sujet qui surgit, qui jaillit de la coupure signifiante exercée sur le cross-cap mais c’est au contraire l’objet petit a qu’on va tenter d’insérer dans la fente, dans la coupure, cette inversion à laquelle tu procèdes et qui t’est propre, de mettre de l’écriture,  non ce n’est pas la coupure signifiante qui sépare le cross-cap en deux parties dissymétrique dont l’une est l’objet petit a et l’autre le sujet, mais c’est le sujet qu’on va pouvoir insérer ou non, non c’est l’objet petit a qu’on va pouvoir insérer ou non dans la fente, et je trouve aussi très passionnant ce que tu soulignes, l’absence totale de Dasein du sujet. 

B.V. : Cette remarque est de Lacan mais ça m’a bien frappé.

J.B. C’est formidable d’insister là-dessus et de dire que finalement  ce qui fait ce qu’on appelle la présence, et à quoi on est confronté en permanence avec ces histoires de Zoom – « Est-ce qu’ils sont présents les vingt-cinq, et s’ils sont présents sous quelle forme le sont-ils ? leur mode de présence ou de non-présence » – et tu nous donnes quelque chose que je trouve extrêmement précieux, ce n’est pas une question, c’est pour dire que ça me plaît, le sujet sans nul Dasein propre, tire son poids sa présence, voire sa luminescence, de la présence d’un manque. 

B.V. : D’un manque, oui. Mais j’insiste, d’un manque spécifié, le manque de quelque chose qui n’est pas n’importe quoi. Pour que l’objet petit a vienne dans la fente subjective il faut bien qu’il vienne de quelque part. Et il vient de l’investissement narcissique du sujet. Dans les relations de l’enfant à la mère il y a de la jouissance qui se partage, la voix, le regard, le sein, etc, c’est banal. Le fantasme n’est pas là à l’origine, il se construit dans l’enfance, enfin c’est mon point de vue, et pour qu’il se construise il faut qu’il y ait cette cession de l’objet narcissique pour qu’il puisse tomber tout naturellement dans la fente subjective et alors quelque chose répond pour le sujet. Mais vous voyez mon embarras, c’est d’avoir choisi [pour écrire l’article du dictionnaire] cette formule dès le départ, c’est presque comme si j’atténuais la responsabilité du sujet. Mais Lacan ne dit pas la responsabilité du sujet, il dit que « de notre position de sujet nous sommes responsables ». Tout le monde ne peut pas répondre, d’ailleurs il y a des moments où il est irresponsable, quand il est saoul comme un cochon, quand il est drogué à mort, quand il est pris par des hallucinations psychotiques etc. Il faut que quelque chose puisse répondre pour le sujet. Bien sûr, ce sont aussi tous les idéaux. Mais est-ce la même chose de mettre au cœur d’une conduite la réponse à un idéal ou de suivre la voie d’un désir envers et contre tous les idéaux, avec ou sans les idéaux. Il y a manifestement chez tout sujet humain une distorsion, une division entre désir et idéal. La psychanalyse avait fonctionné un moment comme idéal. Du coup, ça ne marche pas très bien. Si le psychanalyste fonctionne comme idéal, non pas qu’il se prenne comme idéal, mais s’il est sous l’emprise d’un idéal, ça ne va pas faciliter sa tâche, et il est important de noter que, comme dit Lacan, la psychanalyse, c’est ce qu’on y met.  

L’important c’est de se tenir à ce qu’il appelle le désir de l’analyste qui n’est pas si facile que ça à définir. J’avais tenté de le faire dans notre bouquin commun avec Christiane et Roland,  d’un tressage de trois désirs freudiens en fin de compte, et plus récemment dans le Grand séminaire, j’avais parlé de construction du désir de l’analyste à partir de la pulsion d’emprise, conçue non pas comme une pulsion spécifique, mais comme le Drang de toute pulsion, la dimension, Freud aurait dit énergétique, la dimension de jouissance qu’il y a dans toutes les pulsions et que, en somme, le désir de l’analyste n’est pas d’avoir une emprise sur quelqu’un, ni non plus d’être sous l’emprise de quelqu’un, mais de se donner, de s’offrir comme prise pendant un temps en attendant la déprise que l’analysant fera. Une position d’objet d’une pulsion non spécifiée en quelque sorte. 

J.B. : Non spécifiée, en attente de spécification ? 

B.V. :  Pour le patient, elle est spécifiée, il a son fantasme et ce n’est pas n’importe quoi. Mais pour l’analyste qui essaie de soutenir son désir – s’il se soutient de son propre fantasme, ce qu’il est bien obligé de faire aussi, il est là un sujet désirant – mais quand même dans cette visée que, s’il soutient cette position d’objet pour le patient, c’est en tant qu’objet non spécifié, objet polyvalent. Ça reste un petit peu idéal comme idée, si je puis dire. 

Thatyana Pitavy :  Idéal, Bernard, on se prête à l’analysant, on s’y prête, et l’analysant va prendre ce qu’il veut là-dedans, on ne sait pas ce qu’il prend mais on s’y prête. Si on ne s’y prête pas, il n’y a rien qui se passe. 

B.V. : Voilà. Oui, oui. Mais j’ai été amené aussi, pour moi-même à distinguer entre « se faire le support de » cet objet petit a, et « ne pas se prendre pour » l’objet a, et ne pas supporter n’importe quoi. Supporter le transfert ne veut pas dire supporter la douleur du transfert, etc, etc., pas dans une perspective un peu chrétienne où l’idéal est quand même l’homme en train de souffrir sur la croix pour racheter les péchés. Bon, cette figure a tendance à s’évanouir un peu, mais elle est quand même au fond de notre culture, il faut faire un peu attention. 

Th.P. : Une fois en contrôle avec Czermak, il m’avait dit : il ne faut pas que le pathos vous fatigue ! Ça rejoint cette idée, il ne faut pas que ça vienne nous coûter, à cet endroit-là. 

B.V. : Oui, moi j’avais avancé l’idée qu’il ne faudrait pas que le patient après la cure puisse penser qu’il avait eu prise sur notre jouissance, qu’il ne puisse pas sortir en disant : Hi ! Hi !

Je l’ai bien eu ! Non pas parce qu’on en souffrirait, que ce ne serait pas bien, mais parce que l’analyse serait ratée d’une certaine façon. 

J.B. : J’avais une autre, pas interrogation, mais peut-être une demande de confirmation sur cette question du réel. Tu te souviens des nombreuses conversations qu’on a pu avoir sur les deux réels du nœud borroméen, il y a le réel du registre et il y a le réel du nouage, et donc il y a deux abords du réel qui sont présentés dans le nœud. J’ai été intéressé par ce que tu décris comme ta réponse symptomatique, ou plutôt l’interprétation que tu donnes de ta réponse symptomatique, à propos du corps. Je te raconte une petite histoire, Il n’y a pas très longtemps, j’ai redécouvert cet article de Freud qu’il a écrit en français pour Charcot, et où il était chargé par Charcot de rechercher la lésion supposée organique liée aux paralysies hystériques. Il nous fait un article extrêmement scientifique, et il nous donne la nature de cette lésion. Lésion dont il dit qu’elle est présente bel et bien, mais pas dans le système nerveux, mais dans le réseau des associations. Et il dit que ce n’est pas un bras anatomique qui est paralysé, c’est un bras populaire. Alors on s’était fait la réflexion à ce moment-là sur le paradoxe suivant : D’accord, le bras populaire ce n’est pas le bras anatomique, parce que l’hystérique ne connaît pas l’anatomie. Mais qu’en serait-il d’un anatomiste hystérique ? Est-ce qu’il aurait des paralysies qui seraient plus accordées avec ce qu’il connait du système nerveux ? Et la réponse était évidemment non, il serait paralysé comme tout le monde.  

B.V. : Évidemment non ? Pourquoi ? J’ai un doute. 

J.B. : Alors voilà ! Tu as un doute et tu le manifestes dans ce que tu nous as raconté, tout à fait. Je me posais cette question : le populaire il varie. Par exemple tu peux dire que dans les addictions, le pharmakon sature les neurones. Et j’ai été tenté à ce point-là, est-ce que ces neurones, ce sont des neurones anatomiques ou des neurones populaires ? 

B.V. : Pour ce qui est de la toxicomanie, ce sont des neurones anatomiques, il y a des circuits de récompense qui sont assez bien construits. 

J.B. : C’est devenu populaire.

Th.R. : Ça n’empêche pas que ça sature aussi le manque. 

B.V. : A partir du moment où il sature le réseau, il n’y a plus de possibilités, parce que c’est le même réseau. La jouissance qu’on dit phallique, ou la jouissance autre, celle qui est vécue dans le corps, pour que ça passe il y a des interprétants de la jouissance, il y a des circuits pour ça. Je ne les connais pas très bien, il y a des gens qui s’occupent de ça. Ce n’est pas très facile, ce n’est pas la même jouissance donc il y a forcément des circuits un petit peu différents. Ce qui est sûr, ça c’est clinique, quand les gens sont complètement blindés, il n’y a pas de place pour le fantasme, ça débloque. On est dans une jouissance qui peut alors à ce moment-là aller à des excès… 

Th.P. : Mais ce n’est pas sans fantasme. C’est vrai que c’est paradoxal. La position, elle se trouve quand tu dis que ça débloque, la position de reste, peut-être qu’il y a cette figure de l’objet qui prend tout le corps comme tu disais tout à l’heure. Ce n’est pas un fantasme, c’est une position fantasmatique. Tout à l’heure tu disais qu’on était quelque part responsable, quelqu’un qui est imbibé, ce n’est pas sans responsabilité. C’est ça qui est très difficile cliniquement, c’est d’introduire ça chez eux, ce n’est pas sans responsabilité quand quelqu’un boit, se drogue et commet un passage à l’acte.  

B.V. Évidemment, ce n’est pas la même chose. J’entends bien.  D’abord les structures sont variées comme tu le dis très bien. Il y a des gens qui ont des fantasmes névrotiques, des fantasmes pervers, mais si ça aide à réaliser le fantasme qui d’ailleurs du même coup n’est plus tout à fait le fantasme soutien du désir, il s’agit carrément d’une tentative d’aller au fond des choses, d’épuiser le fantasme. 

Th.P. : …ou d’être réduit à cet objet du fantasme. Quelqu’un par exemple qu’on va ramasser dans le caniveau, qu’est-ce que c’est que ce corps là que tu ramasses ? 

B.V. : Ça fait sauter le fantasme névrosé qui est pour moi le prototype, évidemment on peut l’élargir. En tout cas c’est quelque chose qui se constitue à partir d’un certain sacrifice, en tout cas d’une certaine amputation de la jouissance orificielle, le sein, la voix, etc.  Il y a des situations où cette jouissance ne se cantonne plus aux orifices, elle envahit le corps entier, c’est ce qu’on voit dans la mélancolie, c’est le corps entier qui est investi d’une sorte de jouissance tragique. Le jeu se trouve entre ce qui fonctionne comme jouissance orificielle à quoi moi je souhaiterais réserver le terme d’objet petit a. Alors vous me direz : Oui mais c’est embêtant Bernard, parce que l’objet-déchet qu’on voit dans la rue, alors tu dis c’est un objet petit a, parce que c’est un objet rejeté. 

Th.P. : Imaginairement. Il va jouer la scène de son fantasme qui est de se retrouver dans ce caniveau, réduit à cet objet-là, c’est le sacrifice qu’il fait à l’Autre. 

B.V. Mais quand on pense au fantasme masochiste, le type qui veut se faire battre ou humilier de telle ou telle façon, d’ailleurs bien précise, on voit ça dans le film Belle de nuit, pardon, de jour, je ne sais pas si c’est extrêmement fidèle, je ne fréquente pas ces maisons, mais c’est assez démonstratif qu’il s’agit vraiment de réaliser un fantasme, dans lequel il est un déchet si on veut, c’est un chien qu’on bat, ou… mais quel est l’objet en question ? Lacan dit que c’est la voix, ça reste un objet. Quand quelqu’un est dans la rue, au titre de déchet, est-ce que c’est encore un objet petit a ou un grand malheur tout simplement ? 

Th.P. : Si on prend ça dans la cure, dans le transfert, évidemment on peut resituer l’objet fantasmatique. Si on voit ça de dehors, on peut dire que c’est un malheureux. Mais si c’est pris dans le transfert et dans la répétition, ça va se faire toujours de la même façon, on voit la dimension symptomatique qui se met en place l’agissement, l’adresse. 

B.V. : Il y a peut-être quelque chose de commun avec le fonctionnement de la psychose, où l’objet petit a sort de cette dimension orificielle pour envahir tout le corps. Mais quand tout le corps fonctionne comme objet petit a, peut-être qu’il y a un continuum, peut-être qu’il faut l’accepter, mais en tout cas il y a quelque chose qui ne fonctionne plus, ce n’est plus un objet partial et partiel.  

Th.P. : Ça prend toute la place.  

Th.R. : Est-ce que tu dirais Bernard que dans les addictions – je ne parle pas des addictions occasionnelles ou un peu moins graves – dans ces grosses addictions dont tu parlais, on quitte le domaine de la névrose. La dimension du manque et de l’objet petit a est obturé par autre chose. Tu dis que ce n’est pas un objet petit a mais ça vient prendre la place. 

B.V. : Ça en prend la place, oui. D’ailleurs, beaucoup le soulignent, quand on est dans l’addiction sévère, on n’arrive plus très bien à distinguer les structures. La structure névrotique se dissout, sauf si l’addiction s’arrête.  

Th.R. : Et alors apparaît la structure dont on ne sait pas au départ ce que ça va être.  

B.V. : Il y a évidemment des degrés de gravité, mais je ne pense pas que ce soit déterminant. Je ne suis vraiment pas spécialiste, j’ai une expérience très limitée de ces cas. 

Th.P. : C’est une situation extrême et il faut aller là au bout de cette logique. 

Th.R. : Tout le monde ne finit pas dans le caniveau tous les soirs, et généralement ceux-là ne vont pas en analyse. Déjà aller jusqu’au bout… je dis que c’est assez rare d’aller du caniveau au divan.  

B.V. :  Et du divan au caniveau. On pourrait installer le divan à côté du caniveau à ce moment-là ! 

Th.R. : Ils vont plutôt du divan à la boulangerie, ce n’est pas rare ! 

Jean-Luc Cacciali : Mais tout de même Lacan fait remarquer que la culture, c’est les égouts. 

B.V. : La culture, c’est les égouts, mais pas seulement. Il y a aussi les tuyaux, et même les livres ! 

J-L.C : C’est quand même pour la question du déchet. Je voudrais simplement revenir sur ce que tu disais à propos du cross-cap. Est-ce que c’est la même chose de dire qu’il faut qu’il y ait la chute d’un objet pour qu’un sujet soit divisé ? 

B.V. : Non, la division du sujet est coextensive au fait que l’être humain découvre dans le langage des unités signifiantes, et donc il y a un sujet potentiel qui est là, il y a une division, mais qu’est-ce qui donne un corps à ce sujet ? 

J.L.C. : Excuse-moi, est-ce que ce n’est pas la chute de l’objet qui divise le sujet ? 

B.V. : Je ne pense pas que ce soit ça. La chute de l’objet, d’abord c’est une façon de parler parce qu’il est resté rudement accroché, surtout s’il vient s’insérer dans la fente subjective. Mais c’est lui qui maintient la fente ouverte, qui garantit le désir en maintenant l’ouverture. Il garantit la présence du manque. Mais il y a d’autres choses qui peuvent venir, les idéaux aussi peuvent saturer la division subjective, mais au prix d’une sorte d’asservissement à l’idéal. Ça n’est plus le sujet désirant qui fonctionne. C’est compliqué parce qu’on est pris entre son idéal et son désir. Il y a une division dans une division. 

J-L.C. : Par exemple ce qu’évoquait Thierry Roth dans les grosses addictions, à ce moment-là où l’objet vient boucher le trou, pour schématiser un peu, à ce moment-là, il n’y a plus de sujet du coup. Pourtant la chaîne signifiante peut fonctionner comme chaîne signifiante sans pour autant qu’il y ait un sujet divisé. 

B.V. : Sans qu’il y ait de sujet du tout, d’ailleurs.  

J-L.C. : Le sujet pour nous est le sujet divisé. Ce qui a contrario nous montrerait que pour qu’il y ait un sujet divisé il faut qu’il y ait la chute d’un objet. 

B.V. : Je dirais un tout petit peu différemment : pour qu’il y ait un sujet qui ne soit pas une  pure hypothèse, une pure définition. Un signifiant représente un sujet pour un autre signifiant, il y a une hypothèse qui est là. Mais pour qu’il y ait un corps, enfin une présence au monde, il y faut quelque chose. Ce n’est pas vrai pour tout le monde, ce n’est pas vrai tout le temps, mais ce qui fonctionne, c’est l’objet petit a comme manque, ce qui suppose qu’il ait été cédé quelque part au niveau de la jouissance narcissique pour venir dans la formule du fantasme comme S barré, dans la division du sujet.  Mais il faut bien qu’il soit là payé quelque part, c’est peut-être un peu chrétien [de penser] qu’il faut un sacrifice, mais je crois que c’est vrai, il y a un prix pour l’accès au désir. 

J.B. : Il y a une boucle temporelle dans ce que tu dis. Tu l’entends ? 

B.V. : J’espère qu’elle va s’arrêter ! 

J.B. : Non, mais il y a une boucle temporelle, en ce sens que tu construis ta démonstration d’une manière rétroactive, avec un nachtraglich

B.V. : Ce n’est pas un pur cercle logique alors ? Moi ce qui m’ennuie c’est que la formule que j’ai donnée il y a bien longtemps, quant à la responsabilité du sujet. Je dis il faut que quelque chose réponde pour lui. 

Roland Chemama : On peut parler ? Puisqu’on a commencé à donner la parole à la salle virtuelle. Bernard, je voulais te dire que j’ai été très intéressé par la façon dont tu as engagé les choses en posant les choses au niveau de l’énonciation d’une manière très nette de ton engagement d’analyste : comment j’ai réinventé la psychanalyse. Tu as présenté un parcours avec au départ la psychosomatique, avec à la fin les psychoses et peut-être au milieu tout ce qui tourne autour de l’objet petit a avec l’écriture de cet article pour le dictionnaire. Bon, je trouve ça très bien, et je me demande si on ne pourrait pas s’en inspirer un peu pour mettre en chantier d’autres formes de travail que celles qui nous sont habituelles, et inciter des collègues à montrer comment ils y ont été d’une réponse symptomale au niveau de la psychanalyse, dans leur travail. Maintenant, certains d’entre nous doivent avoir une idée de ce qu’ils ont fait pendant des années, voire des décennies de travail analytique.  

Peut-être une question un peu naïve, Bernard. Tu manifestais une sorte d’agacement par rapport au mot « pur » dans plusieurs occurrences, mais à la fin concernant la paranoïa, tu l’emploies toi-même de façon naïve, non critiquée, est-ce que tu pourrais en dire un peu plus ? Est-ce que pour la paranoïa le signifiant pur convient ? 

B.V. : Le signifiant pur convient très bien dans la paranoïa mais effectivement je l’ai utilisé naïvement dans ce cas. Je voulais parler des psychoses de type passionnel ou interprétatif, dans lesquelles n’intervient jamais l’hallucination, c’est-à-dire le retour dans le réel de ce qui serait forclos. D’ailleurs, Melman dans son séminaire sur les paranoïas sur deux ans, dans son dernier, tout à la fin, dit qu’il y a une paranoïa pure, quoique je ne sais pas s’il emploie ce mot-là. La vraie ? Qu’on dise vraie ou pure, on ne s’en sort pas très bien. 

Th.R. : Je crois qu’il dit authentique. 

B.V. : Authentique, ça m’étonnerait. Il y a manifestement une différence clinique, même si ces paranoïas « pures » … Mais pourquoi ça m’énerve, pur ? Justement parce que c’est toujours l’absolu, ça ne préserve pas ce qui fait la vie possible, ce qui rend la vie possible. Ah oui ! Il y a un livre de Mohamed Mbougar-Sarr, Des hommes purs, je crois, qui parle de la condamnation de l’homosexualité au Sénégal sur un mode romanesque. Je ne sais pas si ça correspond à la réalité mais c’est vraiment effrayant ! Quand on veut vraiment éradiquer l’impureté…Bref, on ne va pas retirer ce mot de la langue française, il est magnifique.  Mais c’est bizarre, je ne sais pas s’il y a une communauté étymologique d’indo-européen, mais πυρ en grec c’est le feu. Alors est-ce que la pureté ne va pas avec l’usage du feu ? 

Th.R. : Écoute Bernard sur cette question, nous allons nous arrêter. 

B.V. : Eh bien merci de votre écoute.  

Th. R. : Bonsoir et à un prochain Grand Séminaire. 

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