A propos de "Psychanalyse avec les enfants " de Frédérique F. BERGER

ROCHEMACÉ DE LA Hubert
Date publication : 07/07/2022

 

A propos de :

PSYCHANALYSE AVEC LES ENFANTS de Frédérique F. BERGER, Paris, L’Harmattan, coll. « Études psychanalytiques », 2022.

 

Hubert de la Rochemacé

 

Comment lit-on Lacan ? Sans doute selon, sa langue, sa formation : universitaire, psychiatrique, mathématique, son transfert à son analyste, ses orientations cliniques, et pourquoi pas le dire sa religion (laïque pour la plupart), son éthique, son âge, sa curiosité, son désir, son symptôme, ses signifiants maîtres. Chacun aura en tête, ou lira Lacan, son Lacan...

Après Symptômes et structure dans la pratique clinique. Du particulier du symptôme de l’enfant à l’universel de la structure du sujet en 2005, Symptôme de l’enfant / Enfant symptôme en 2014 (que Frédérique F. Berger est venue nous présenter au Musée des Beaux-arts d’Orléans en 2016), L’Aventure symbolique. Clinique du sujet et du lien social contemporain en 2016, voici son dernier livre Psychanalyse avec les enfants paru en mai  2022.

Ici le lecteur ne trouvera pas d’arithmétique, peu de mathèmes, pas de topologie ou de nœuds, l’intérêt réside ailleurs, l’auteure revisite les textes et met les concepts et les découvertes de Lacan dans leurs contextes historiques, chronologiques, en rappelant rigoureusement leurs sources.

Le titre Psychanalyse avec les enfants est trompeur puisque Frédérique F. Berger   aborde suivant son projet d’écriture « la subversion du sujet, la clinique du sujet et les devenirs du sujet ». Ce livre ne s’adresse donc pas seulement aux psychanalystes d’enfants, même si ceux-ci trouveront de nombreuses questions et propositions cliniques spécifiques à l’analyse des enfants. Dans ce livre l’enfant est pré-texte dans le sens où il annonce et illustre l’assomption du sujet dans sa psychogénèse psychique singulière dans son cadre familial.

Ce livre est une nouvelle étape dans un travail de recherche entamé depuis de longues années. Frédérique F. Berger, lectrice assidue de Lacan, chercheuse associée au Département de psychanalyse de l’université Paul Valéry à Montpellier, s’adresse aussi bien à l’étudiant qui trouvera matière à se repérer dans la constellation de l’œuvre lacanienne qu’à tout analyste désireux de relire son Lacan. Il peut se lire aussi comme un cours ou un séminaire avec ses 7 chapitres ou leçons, et fait penser à un dictionnaire ou un lexique très pratique tant l’auteure s’est obstinée à partager ses références en citant les auteurs avec précision. Un psychanalyste trouvera sans difficultés à s’orienter grâce aux notes de bas de pages foisonnantes et à la bibliographie à la fin du livre très pratique pour trouver les textes originaux en question.

Dans le premier chapitre, Du père aux Noms-du-Père, il est question du retour à Freud de Lacan et du passage du Nom-du-Père aux Noms-du-Père qui ouvre aux autres la singularité du sujet, « son irréductibilité au signifiant » son symptôme, sa jouissance, grâce aux liens sociaux.

Dans le second chapitre, Le stade du miroir et la fonction du « Je »,  il est question de l’immaturité du sujet-bébé, ce « drame lié à l’état de prématuration de l’infans et son implication décisive dans le dépassement de l’expérience du corps morcelé ». (p. 41)

Dans le troisième chapitre, Les complexes familiaux et la structure du sujet, l’auteure décrit précisément les trois complexes du sevrage, de l’intrusion et l’Œdipe pour déplier les complexes familiaux en pathologie inhérents à la famille. Elle cite l’écrivain François Weyergans Trois jours chez ma mère (Grasset) « lorsqu’il retrace un épisode de son enfance concernant sa rencontre livresque avec un serpent boa, sa capture réelle d’une vipère et l’affolement de la mère qui survit. » (p. 61)

L’organisation névrotique, psychotique, etc., ce que nous appelons communément structure dans notre clinique, s’établit dans ce rapport singulier et pluriel de l’enfant dans sa famille. Les coordonnées du destin de chacun se déchiffreront, ou pas, par la parole dans le cadre de l’analyse grâce aux associations signifiantes émises par le patient pour établir le texte de l’inconscient du sujet.

Dans le quatrième chapitre, Le petit Hans et la relation d’objet, Frédérique F. Berger se sert du cas célèbre de la psychanalyse d’enfants pour revisiter la question du phallus et de la métaphore paternelle qui s’établit pour tout sujet autour de la figure paternelle.

Dans le cinquième chapitre, Sandy et le complexe de castration, elle poursuit son chemin en reprenant son article de 2013 : « Que nous enseigne la phobie transitoire de la petite Sandy », paru dans l’ouvrage collectif « Les phobies » chez l’enfant, impasse ou passage ? » sous la direction de Bergès-Bounes, M. ; Forget, J.-M., Toulouse, Érès, 2013, coll. « Psychanalyse et clinique », (p. 197-219).

Au sujet du complexe de castration de la petite fille, l’auteure décrit le cas clinique qu’Anneliese Schnurmann a présenté en 1946 au séminaire d’Anna Freud et que Lacan reprend dans sa leçon du 5 décembre 1956 de son séminaire La relation d’objet… où il compare le sujet dans sa psychogénèse à une araignée : « Dans la genèse qui nous est donnée du psychisme, dans notre psychogénèse courante de l’analyse, le sujet est comme une araignée  qui devrait tirer tout le fil à elle-même , à savoir chaque sujet est là à s’envelopper de soie dans son cocon, toute sa conception du monde il doit la sortir de lui-même et de ses images. » ( p. 55 de la Relation d’objet, séminaire de l’Ali.)

Dans le sixième chapitre, Lalangue, le langage et la parole, l’auteure met en rapport lalangue et la culture suivant Lacan dans L’Etourdit. Pour Frédérique F. Berger cette question est d’autant  plus cruciale qu’elle a exercé la psychanalyse à l’étranger dans la langue française bien sûr mais aussi anglaise et espagnole et, au Vietnam avec un interprète. « Au cours de l’analyse, la vérité de lalangue et du discours de l’Autre est ce que le sujet peut approcher à partir d’une parole à propos des figures originaires de son enfance, et des contingences qui ont marqué sa rencontre avec les autres et son histoire. » (p. 103)

A cet endroit de son livre l’auteure rappelle les déviations de la théorie freudienne chez d’éminents psychanalystes auxquels Lacan rend hommage, ceux « qui ont négligé la fonction de la parole et du langage en accentuant les dimensions de l’imaginaire, de la relation d’objet et du contre-transfert. » (p. 104)

Dans le septième chapitre, La fonction de la lettre et la question de l’être, à propos de « la théorie du signifiant » l’auteure propose d’explorer la clinique de l’enfant suivant l’identification en lien avec la structure linguistique du langage et de l’être du sujet dans son rapport au manque. Les cas célèbres de Dick chez Mélanie Klein et de « l’enfant loup » de Rosine Lefort lui serviront pour déplier les commentaires à leurs sujets de Lacan dans son séminaire. A dessein, elle interroge l’enfermement dans la clinique de l’enfant : « dans un diagnostic préétabli, il s’agit de laisser sa chance au sujet, à une clinique du sujet qui se réalise au cas par cas, dans cette ouverture vers les voies du corps, du langage et de la parole même si celle-ci fait terriblement défaut. » (p. 126).

Les deux chapitres suivants, Le désir et son interprétation et L’éthique de la psychanalyse et le désir de l’analyste sont des transitions pour les deux derniers qui constituent sans doute la partie principale du texte. Dans le huitième on retiendra le rapport entre le désir et la lettre suivant l’aphorisme de de Lacan : « il faut prendre le désir à la lettre. » (p.133) et dans le neuvième à propos de l’éthique : « chaque analysant doit trouver sa propre solution et pour cela il n’y a ni garantie ni certitude d’un jouissance sûre. » (p. 136).

On retrouve dans le dixième chapitre, L’enfant objet du désir, la question de Frédérique F. Berger sur le symptôme qu’elle a traité dans son livre de 2014 Symptôme de l’enfant / Enfant symptôme. C’est bien la place de l’enfant comme objet ou comme sujet qui se pose ici, dans ce drame subjectif : être ou ne pas être l’objet cause du désir de l’Autre. Être l’objet, ou incarner l’objet a du fantasme de l’Autre, peut être ravageant – pas seulement dans la psychose – mais se faire objet de la jouissance de l’Autre est aussi une condition nécessaire et dans le meilleur des cas : provisoire. « Quels sont les effets pour l’enfant si nous savons que l’objet a se situe à la fois comme condition structurale et comme effet du processus d’assomption subjective impliqué lors des opérations d’aliénation et de séparation ? » (p. 142). C’est là, il me semble, qu’intervient, non seulement le père dans sa fonction d’interdicteur en tant que tel, mais le groupe social, en l’espèce la famille ou la société, pour contrôler la jouissance.

Dans le onzième et dernier chapitre, L’interprétation et la fin de l’analyse, Frédérique F. Berger reprend cette question chez Freud avec le primat du biologique, de la différence des sexes. « Ce fait biologique occupe pour Freud la place du réel, de l’impossible restant en dehors de ce qui est possible durant la cure analytique. » (p. 154).

Cela nous questionne parce que si cette butée, ce roc, peut être levé par « le refus de l’existence de l’autre sexe. »,  est-ce à dire que la fin de l’analyse produit inéluctablement un repli sur soi, un détachement du sexe ? Mais alors pourquoi parler de refus, de rejet, d’un « dire non », plutôt que de reconnaitre l’autre sexe comme pure différence c’est-à-dire comme signifiant ? Autrement dit si la fin de l’analyse est une prise en compte du réel pour Freud, c’est-à-dire de l’impossible, un non rapport sexuel chez Lacan, pourquoi ne pas considérer que la fin de l’analyse est aussi une opération symbolique qui consiste à transformer l’objet, qui bouche le trou de ce réel, par un signifiant, maître ?

Cela supposerait que le sujet se défasse de ses identifications imaginaires encombrantes comme le dit l’auteure. « Si dans l’analyse, le sujet ne progresse pas au-delà de ses identifications, et ne transcende pas son fantasme fondamental, à la fin de l’analyse, ses identifications et ce fantasmes se trouvent confirmés tels qu’ils ont toujours été. » (p. 154). Cela signerait l’échec de l’analyse comme elle l’écrit à propos de Hans. (Échec relatif elle en convient !) Qu’est-ce qui n’a pas fonctionné chez Hans et qu’en serait-il aujourd’hui de son analyse avec nos connaissances actuelles ? C’est la question qu’elle pose.

Chez Lacan, la fin de l’analyse interroge la procédure de la passe. C’est par la parole, lieu de la vérité que le dispositif de de la passe peut s’effectuer avec la responsabilité de l’analysant – et de l’analyste – à partir de la destitution subjective de l’objet du fantasme.

Mais qu’en est-il alors de la fin de l’analyse des enfants ?

 « Il n’y a pas de définition universelle de l’enfance concernant la responsabilité individuelle de l’enfant. » (p. 159) , « En relation à la fin de l’analyse, c’est la position du sujet face à la jouissance qui marque la différence entre un enfant et un adulte. L’adulte est entendu et attendu comme un sujet qui assume sa responsabilité quant à sa jouissance. L’enfant l’est également car l’évidence d’un sens inconscient est présente dès le plus jeune âge. » (p. 168) nous dit Frédérique F. Berger pour qui les lois de la parole et du langage ne sont pas différentes chez l’enfant et chez l’adulte. La différence entre eux réside dans le rapport du sujet au fantasme « qui limite et oriente ses relations avec la jouissance. » (p. 171). Dans son épilogue, elle redit que « L’enfant en analyse est un sujet à part entière » (p. 173). C’est donc bien l’enjeu de la direction de la cure dans La psychanalyse avec les enfants de s’orienter sans se dépendre des lois universelles de la parole et du langage au profit d’un récit imaginaire foisonnant. C’est tenir compte de l’expérience et des limites de l’enfant en ce qui concerne son rapport au fantasme et à l’objet de sa jouissance dont il s’agit.

Si chez l’adulte la méconnaissance de son fantasme vis-à-vis de l’objet peut susciter sa demande de savoir, chez l’enfant le phallus vient souvent occuper l’espace sur le plan imaginaire (l’équivalent de la phase schizo-paranoïde chez Mélanie Klein comme le rappelle l’auteure) et verrouiller l’accès à l’objet dans le fantasme. Ce qui est saisissant c’est que lorsque qu‘on donne la parole à l’enfant et qu’on l’écoute, le symbolique reprend rapidement sa place. Sa capacité à comprendre les enjeux de la place du phallus, qu’il a occupé un temps, et la frustration que génère sa destitution phallique par la castration, notamment à l’arrivée d’un puiné, donne à l’enfant, grâce à sa parole, la capacité de comprendre les enjeux de l’économie de sa jouissance et celle de sa famille dans leurs rapports au phallus et à l’objet. Cette prise de parole « à parent tiers » (p. 173) a pour effet très rapidement de calmer ses angoisses et lui donner l’accès à d’autres représentations psychiques comme l’objet de son fantasme. A la différence de la cure de l’adulte l’analyste d’enfant devra donc dans un premier temps ne pas se priver de l’interprétation comme le faisait Freud avec Hans pour aider son patient à (ré)introduire dans sa pensée le symbolique. Ensuite, une conduite de cure « type lacanienne » adulte sera possible, le patient s’étant approprié les outils signifiants symboliques pour la conduire sans avoir forcément besoin de son analyste pour le diriger.

Si l’imaginaire sature dans un premier temps la demande de l’enfant, force est de constater que grâce au transfert adressé à un analyste-supposé-savoir, l’enfant accède rapidement à l’interprétation symbolique ; dès lors les effets de vérité sont singuliers et à la différence de l’adulte ses symptômes peuvent tomber très rapidement.

La topologie des nœuds permettrait sans doute de comprendre ce passage entre le début de la cure et la suite de l’analyse. Au début nous aurions un nouage à deux réel/imaginaire avec à côté le symbolique dans un autre espace, puis dans un second temps un nouage à trois, type borroméen, avec un nouage symbolique/réel/imaginaire.

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