SÉANCE PLÉNIÈRE SUR LA LEÇON XXII (PREMIER TOUR) DU SÉMINAIRE L’ANGOISSE (EXTRAITS)
Séance plénière du 21/03/2022 (Second tour) |
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J. Lacan, L’Angoisse, Leçon XXII (12 juin 1963) |
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Transcription : |
Relecture 1 : |
C. Landman :
L’analyse a toujours eu et garde pour objet la découverte d'un désir, ce qui était évidemment présent chez Freud….
Dans tout avènement de cet objet petit (a), comme tel, l'angoisse apparaît justement en fonction de son rapport au désir de l'Autre …
Mais son rapport au désir du sujet, alors qu'est-ce que c'est ? Est-ce que c'est le rapport de l'objet petit (a) au désir du sujet, me semble-t-il ; quel est-il …'il situe l'objet du désir non pas devant, dans une intentionnalité qui viserait un objet, qui serait devant le sujet en quelque sorte ; mais le désir, ce qui le cause, se trouve derrière le sujet …
Ca laisse entendre que l'objet que nous cherchons à révéler dans l'analyse, c'est ce qu'il entend par l'objet du désir c’est-à-dire l'objet qui serait devant ; autrement dit quelque chose qui a à voir avec nécessairement l’image spéculaire, enfin en tout cas, l’image de l'autre disons ; eh bien, cet objet que nous avons à révéler dans l'analyse, l’objet du désir celui que nous cherchons à révéler, il n'est pas cet objet que nous cherchons à révéler dans l’analyse, mais il en est la cause … Et il y reviendra un petit peu plus loin, comme étant ce qui permet de sortir des impasses du transfert….
Pour sortir de cette perpétuation de la névrose de transfert, il faut prendre en compte, il convient de prendre en compte ceci que l'objet (a) est la cause du désir. Et, ça renvoie à la problématique du désir de l'analyste ; mais est-ce que l'analyste est prêt à accentuer cette dimension de l'objet (a) comme cause du désir, puisqu’ après tout, s'il est prêt à accentuer l'objet petit (a) cause du désir, bon j'espère, eh bien, ça implique une résolution du dit transfert, ce qui n’est pas nécessairement ce que souhaite le plus le psychanalyste ; puisque c'est du voilement de ce qu'il est lui en tant qu'analyste comme représentant de cet objet (a), il se trouverait en quelque sorte dévoilé et qui le mettrait dans une position que Lacan a désigné comme étant celle du désêtre ? Ce qui n'est pas très marrant d'être dans la position du désêtre, d’être « laissé-tombé »
Alors il y a chez Freud cette distinction entre l'objet et le but de la pulsion qui déjà préfigure en tout cas pour Lacan…qui s'appuiera sur cette distinction chez Freud pour à son tour situer l’objet (a) comme objet cause du désir. Alors, page 421, « Ce trait est essentiel, [cette distinction entre l'objet du désir et l'objet cause du désir] car si l'angoisse marque la dépendance de toute constitution du sujet, sa dépendance de l'Autre, avec un grand A, le désir du sujet se trouve donc appendu à cette relation par l'intermédiaire de la constitution première, antécédente du petit(a). » …
Cet objet petit (a) cause du désir va apparaître d'une façon plus ou moins voilée justement dans la fonction de la cause dans la clinique à propos du symptôme obsessionnel, c’est-à-dire que dans le champ du symptôme la problématique de la cause, la cause du désir va être déterminée. …Un symptôme[est] constitué à partir du moment où le sujet s'aperçoit qu’il y a une cause à ça, c'est à dire qu'il y a une cause à son symptôme. C'est à partir de là que le symptôme est complémenté, et que cette complémentation est nécessaire pour que le symptôme soit pour nous abordable ; c'est-à-dire que là se pose la question de la demande d'analyse semble-t-il …
A propos de l'objet qui cause le désir et qui est différent de l'objet visé intentionnellement par le sujet, c'est l'exemple très classique du fétichisme. Voilà. Pour qu'il y ait désir, chez le fétichiste, il faut qu'il y ait un objet qui cause ce désir, qui soit présent. Lacan dans le séminaire parle du fétichisme des souliers ; il dit qu'il n'est pas du tout nécessaire que ce soit celle qui est du même coup l'objet du désir et non pas l'objet cause du désir, il n'est pas du tout nécessaire que, disons pour simplifier que la femme qui est la visée du désir, il n'est pas du tout nécessaire que ce soit elle qui porte le soulier. Il suffit que le soulier soit là, détaché de l'objet visé. Comme dit Lacan à partir du moment où le soulier est là, à partir du moment où l'objet cause du désir est là, il y a du désir, et ce désir s'accroche où il peut. En général, il s'accroche à une femme. Mais vous voyez, l'objet cause et l'objet du désir, ce n'est pas le même. …
A propos du désir de l'obsessionnel : « …pour le désir, au départ, avant la recherche freudienne historiquement, avant l'analyse dans notre praxis, il est caché et nous savons quelle peine nous avons à le démasquer, si nous ne le démasquons jamais ! ». Vous voyez, ce désir qu'il y aurait à démasquer, eh bien, il n’est pas certain que nous ne le démasquions jamais…
Une autre remarque à [propos du désir masqué ?] … je pense que certains qui ont suivi notre commentaire du « Désir et son interprétation », le séminaire de Lacan, et si vous vous en souvenez, Lacan finit par dire que le désir, c'est son interprétation c'est l’interprétation du désir ; ce n’est pas un désir qui serait forcément… on voit bien toutes les difficultés dans ce séminaire pour repérer ce qu'il en est du désir à découvrir. Si vous vous souvenez de tout le travail que Lacan fait à propos d’Hamlet, pour situer proprement ce qui chez lui va être l'objet du désir pour Hamlet.
Il [Lacan] dit qu'il entend faire jouer aujourd'hui le principal de son discours, justement la relation, de la fonction de (a), cause du désir à la dimension mentale comme telle de la cause, c'est-à-dire en quelque sorte que la dimension mentale de la cause est à référer, c’est ça qui est quand même la subversion de l’abord philosophique de la cause, de l’abord kantien de la cause, c'est à dire que la fonction mentale de la cause, fonction en quelque sorte dans la théorie de la connaissance, la cause est à référer à la cause qui est la cause du désir, à cet objet (a)….
Il dit maintenant voilà ! « La fonction de la dimension de la cause indique - et seule indique - l'émergence, la présentification dans des données de départ de l'analyse de l'obsessionnel, de ce petit(a) « autour de quoi » - c'est là l'avenir de ce que pour l'instant, j'essaie de vous expliquer - autour de quoi doit tourner toute analyse du transfert pour ne pas être obligée, nécessitée, à tourner dans un cercle ».
La remémoration, la répétition, la reproduction du passé et donc, cette définition du transfert sur les figures que l'analyste est amené à incarner dans la cure essentiellement, les figures parentales, eh bien il n’y a pas que ça dans le transfert. Il y a un amour réel ! Voilà, et qui n’est pas nécessairement un amour adressé à l'analyste. Souvenez-vous Dora ! Qui est-ce qu'elle aime Dora ? Est-ce que c'est Freud avec sa barbe grisonnante ? Ou bien est-ce que c'est Madame K ? Voilà, Dora, elle aime Madame K…. La jeune homosexuelle-on va prendre des exemples canoniques- qui elle aime la jeune homosexuelle ? Ce n’est pas Freud ! Non, c'est sa dame ! Vous voyez il y a une dimension qui n'est pas rare dans le transfert, ce qu'il appelle le transfert latéral…D'ailleurs si je ne me trompe pas, la traduction du grec : transfert, c’est la traduction en latin du grec métaphore ; - qui porte au-delà, qui porte à côté ….
Pourquoi je dis ça ? Parce que qu'est-ce que c'est l'amour dans le réel ? C'est une façon de repérer la fonction de l’agalma, c'est-à-dire que c’est avec ce qui manque au sujet, c'est avec ce qui lui manque, qu'il va aimer l'autre ; aimer c'est donner ce qu'on n’a pas. C'est à dire qu'il n'a pas cet objet et que cet objet, il va être chez l'autre sous ce registre de l’agalma.
La position de Piaget, avec des étapes, avec son petit robinet, étapes de fonctionnement, de la cause mais comme une étape archaïque de notre développement-on est dans le sens du développement, de la génétique- il y a le langage égocentrique et puis après, le langage de la communication. Donc, grâce à l'objet (a), se maintient cette catégorie de la cause, elle ne peut pas être réduite complètement, même si c'est évidemment, le souci de l'avancée scientifique de la réduire cette dimension de la cause, à lui substituer quoi ? …Disons que ce qui se substitue à la cause, c’est la loi. C'est-à-dire, une écriture littérale, C'est comme ça les lois ce sont des écritures. Des lois mathématiques !
Lacan dit qu’il faut surtout considérer que cette catégorie [de la causalité] fonctionne et non pas comme une étape seulement archaïque de notre développement, alors là, il va donner un petit peu plus loin cette définition qui est formidable, à propos de la cause, à la page 427 : « Alors, cette fonction de la cause, disons sans plus comment ici nous l'envisageons, nous l'envisageons cette fonction partout présente dans notre pensée de la cause. Je dirai d'abord pour me faire entendre : comme l'ombre portée, mais très précisément et mieux que cette question de l’ombre portée, [la cause comme une ombre portée], la métaphore de cette cause primordiale, substance de cette fonction de la cause qui est précisément le petit(a) en tant qu'antérieur à toute cette phénoménologie. » ….
Là, il atteint à une certitude, Lacan, c'est ça qui est formidable. Il atteint à une certitude en repérant l’os… comme il le dira plus tard, l’os-bjet ! Pas l’objet mais l’os-bjet. Cet os qui est quelque chose en rapport avec le réel, c'est ce petit (a), qui est substance, cause primordiale… On voit bien qu'on va être amené à la constitution du sujet ; que l'objet petit (a) est antérieur à la constitution du sujet. Le sujet se constitue dans l'Autre…
C'est énorme ce qu'il a annoncé, aussi bien pour la direction de la cure ; « Ceci veut dire que la cause, impliquée dans la question du symptôme, est littéralement, si vous le voulez, une question, mais dont le symptôme n'est pas l'effet, il en est le résultat. L'effet, c'est le désir. » Voilà, mais c'est un effet unique mais tout à fait étrange, le désir comme effet ! « C'est un effet unique et tout à fait étrange en ceci que c'est lui qui va nous expliquer, ou tout au moins nous faire entendre, toutes les difficultés qu'il y a eu à lier [ou à délier] la relation commune qui s'impose à l'esprit de « la cause à l'effet ». Je ne sais pas si c'est délier, plutôt lié, la relation de la cause à l'effet ! « C'est que l'effet primordial de cette cause - (a), au niveau du désir- cet effet qui s'appelle le désir est cet effet que je viens de qualifier d'étrange en ce que - remarquez-le, puisque c'est justement le désir - c’est un effet qui n'a rien d'effectué ». Le désir, pris dans cette perspective, se situe en effet essentiellement comme un manque d'effet. La cause, ainsi, se constituant comme supposant des effets, de ce fait que primordialement l'effet y fait défaut ». Le véritable effet de la cause, c'est le désir. Et le désir, c'est un manque d’effet, il n'est pas effectué. …. Autrement dit, il le dira comme ça : « le désir est articulé dans l'inconscient, mais il n'est pas articulable ». Autrement dit, il ne s'effectue pas, il reste en quelque sorte, articulé dans l'inconscient. D'une certaine façon, la fin de l'analyse c'est quelque chose comme cela. Le désir est articulé dans l'inconscient, mais on ne peut pas l'articuler. Le sujet ne peut pas l'articuler, il ne peut que tourner autour… des signifiants.
Juste pour finir … « Le gap entre la cause et l'effet, à mesure qu'il est comblé - c'est bien cela tout ce qui s'appelle, dans une certaine perspective, le progrès de la Science - fait s'évanouir la « fonction de la cause », j'entends : là où il est comblé. » ce gap…
Voilà, la science a tendance à forclore la vérité comme cause. Il n'y a plus que des connexions signifiantes… alors que la connexion signifiante dans la psychanalyse a nécessairement un reste qui est l'objet petit (a), la cause.
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Choix des extraits : Christine Robert