Séminaire de Charles Melman et Patrick Guyomard (14/06/2022 - en transcription )
Ch.M. –Patrick, c’est à toi
P G – Vous m’entendez ?
C’est la dernière séance de ce séminaire. Je vous remercie vraiment, Charles en particulier parce que ça a été pour moi un chemin, la reprise pour moi d’un certain nombre de questions ici et là peut-être dans ma lecture de Lacan. Il y a beaucoup de points ou de prolongements que je n’ai pas développés soit ça m’aurait demandé un peu trop de travail, soit je n’étais pas vraiment disponible dans ma tête peut-être le ferai-je dans d’autres circonstances.
Je vais faire un point, sinon le point et rester au centre de ce à quoi Lacan nous a menés c’est-à-dire pas simplement que son symptôme c’est le réel qui a été le cœur de ce séminaire à la fois dans sa capacité d’affirmation et aussi d’énigme et situant dans cette espèce de carrefour voir un peu avec vous les pistes qui s’en dégagent.
À l’affirmation de Lacan : « mon symptôme c’est le réel » j’en ajouterai une autre : « savoir y faire avec son symptôme.» C’est ça la fin de l’analyse
Ce n’est pas abusif de conclure puisque ce sont des énonciations de Lacan que Lacan a peut-être plus su y faire avec son symptôme qu’avec son désir. Évidemment, son désir y est engagé mais quand il parle du réel je ne pense pas qu’on puisse dire qu’il ait un désir de réel, qu’il ait le désir du réel mais il l’inscrit répétitivement dans la notion du symptôme. Comment entendre ce symptôme ? le moi symptôme c’est à interpréter forcément. Qui en a l’interprétation ? Ce sont ceux qui l’entendent et je crois qu’une partie de ce que Lacan peut transmettre à des psychanalystes et de ce qu’il faut que les psychanalystes soient pour qu’ils puissent recevoir quelque chose de Lacan. C’est une question. Pour que Lacan leur transmette quelque chose il faut que Lacan dans ce terme de réel, pas au titre du nom commun mais qu’on peut enseigner grâce à Lacan très doctement et intelligemment, faire enseignement mais beaucoup plus au titre du fait que le réel est et reste un symptôme.
On peut dire que Lacan s’en est servi, l’a psychanalysé, c’est pas tout à fait la question mais je pense qu’une partie de ce qui viendra avec – les transmissions ne sont pas chronologiques – les successions ne se passent pas en ordre chronologique ce sont les historiens qui font les généalogies - repose dans la façon dont nous-mêmes nous pouvons entendre ce terme de réel dans le symptôme de Lacan mais là de façon tout à fait positive c’est-à-dire ne pas les lâcher.
Qu’est-ce qui se dit avec ce symptôme et autour de ce symptôme au moment où – donc dans le séminaire sur le symptôme – il dit que le réel c’est son symptôme ?
Plusieurs choses dans des pistes différentes mais que je vais tenter de rassembler, sûrement pas de réunir, autour de ce qui peut faire transmission. La transmission, elle se conquiert, elle n’est pas donnée, elle s’arrache si on la prend comme ça c’est du savoir mais c’est pas comme ça qu’est le réel lacanien, c’est d’un autre registre ; autrement dit le terme de réel n’est pas qu’un symptôme, on ne peut pas réduire le réel au fait de n’être qu’un symptôme. En revanche quand Lacan parle du réel, il dit c’est mon symptôme. Donc il dit quelque chose de plus qui touche à son désir de faire le séminaire, à son énonciation et au désir de Lacan. C’est avec ça que nous avons à nous débrouiller. Je crois que d’une façon ou d’une autre c’est autour de ce prolongement que ce séminaire s’est tenu.
Il faut tout de suite dire quelque chose de plus, d’autre, –personnellement je tiens à le dire – c’est que ce qui est singulier, en tout cas dans le désir de Lacan je ne sais pas très bien comment entendre le désir de Lacan, disons dans son rapport à la psychanalyse qui inclut Lacan psychanalyste. C’est les deux. Dans Lacan psychanalyste il y a son rapport à la psychanalyse et Lacan psychanalyste enseignant c’est-à-dire se mettant en position d’analysant.
Ce qui singularise très profondément Lacan je crois à la différence de Freud, manifestement, c’est que, je vais le dire de deux façons, Lacan n’a pas cessé de tenter de penser ce qu’il y avait d’impensé dans son propre discours – tout discours a un impensé, comporte un refoulement sauf que Lacan dans son mouvement et sûrement dans son désir, n’a pas voulu laisser ça à d’autres. C’est bien pour ça que, à des moments qui sont très singuliers, frappants, pardonnez-moi orthogoniques vous allez voir ce que je veux dire, on voit Lacan apporter quelque chose de nouveau, par exemple « il n’y a pas de rapport sexuel » et il dit je ne vous l’ai pas dit avant parce que vous ne pouviez pas l’entendre comme si d’une façon ou d’une autre il pensait déjà ce qu’il ne pouvait pas dire parce que personne ne pouvait l’entendre. Ce qu’il y a dans son discours d’impensé, il savait très bien ce qu’il disait, il n’était pas fou, que ses propos étaient lus par un certain nombre de désirs et qu’il y avait forcément de l’impensé généré par son discours il n’a pas cessé de le repenser lui-même. C’est pour ça que nous savons tous il était intraitable quelque soit la limite du supportable envers tous ceux qui prétendaient penser mieux que lui ce qu’il n’aurait pas pensé. Du vivant de Lacan il n’y avait que Lacan qui pouvait parler de Lacan, il n’y avait que Lacan qui pouvait prolonger Lacan, il n’y avait que Lacan qui pouvait penser ce que Lacan n’avait pas pensé.
Autrement dit – c’est plutôt un compliment que je lui fais – il n’a jamais voulu laisser à d’autres, ses auditeurs, ses lecteurs, le soin de le dépasser, d’aller plus loin que lui, en ne cessant pas de l’espérer et de l’attendre mais il n’a laissé à personne le soin de le dépasser parce qu’en somme c’est son enseignement qui n’a cessé de se dépasser, très fortement, très merveilleusement jusque dans les paradoxes qui sont tous sauf des contradictions. Un petit malin pourrait très aisément trouver chez Lacan une phrase et le contraire de cette phrase mais c’est une erreur totale, ce ne sont absolument pas des contradictions. C’est un mouvement dynamique qui est mû par quelque chose qui ne lâche jamais Lacan et qui par conséquent le pousse à se dépasser lui-même ; de la même façon Lacan a voulu annoncer des éléments si complets, sinon à sa main ou dans sa main que l’enseignement de Lacan inclut le contre-enseignement de Lacan et il n’a laissé à personne le soin de diffuser son contre-enseignement, de diffuser les points où on pouvait penser que Lacan pensait contre Lacan. De temps en temps il pense avec Lacan. Si vous voulez quelques exemples un peu massifs de ce dont je suis en train de parler Lacan n’a pas cessé de constituer la parole comme constitutive du sujet, il n’a pas cessé non plus de la disqualifier comme parlotte, bla bla bla n’importe quoi, il n’a pas cessé de développer cette parole et de dire que l’analyse était un discours sans parole c’est-à-dire un discours réduit à une écriture où la parole ne serait pas située à la bonne place, tous ces mouvements qui ne sont absolument pas anecdotiques, qui en sont d’une certaine façon le nerf, c’est ça que j’appelle la façon dont le réel a travaillé l’enseignement de Lacan. C’est comme ça que je comprends ce que dit Lacan quand il dit le réel est mon symptôme et quand Lacan dit j’ai su y faire avec mon symptôme. Bien qu’il sache y faire avec son symptôme ça a donné ces séminaires pleins de trouvailles où l’inconscient est tout le temps présent, incasable où l’on croit reconnaître des contradictions. Il y en a mais ça n’en sont pas une. Tout l’enseignement de Lacan est porté, travaillé par le réel c’est son symptôme c’est vrai et on peut dire qu’il a su y faire avec son symptôme.
Est-ce qu’il faut dire : À bon entendeur salut ? Eh bien oui, je pense qu’il faut vraiment dire ça peut-être en parlerai-je tout à l’heure, si j’en ai le temps, je pense que cette formule qui a fait un peu schibboleth entre nous : « savoir y faire avec son symptôme », c’est beaucoup plus sérieux et fort que ça.
L’enjeu de la passe était de savoir si un analyste pouvait savoir y faire avec son symptôme mais d’une façon telle que le fait de savoir y faire pouvait lui permettre d’inventer quelque chose c’est-à-dire d’inventer le réel. C’est ça l’enjeu de la passe, c’est pas de vérifier que quelqu’un est allé dans les extrêmes, a touché quelque chose d’essentiel, de fondamental, se découvre légitime parce que depuis qu’il était bébé il n’a pas cessé d’être l’analyste de sa mère etc. C’est pas du tout ça. C’est dans cette expérience constituer une épreuve de réel pour savoir si les analystes appelés à répondre de l’analyse sauront comme Lacan « y faire avec leur symptôme » c’est-à-dire leur réel. Ça, je pense que Lacan le définit et le pose très clairement. C’est pour ça qu’on trouve chez Lacan un paradoxe assez étonnant parce que au fur et à mesure que l’enseignement de Lacan se développe, je veux dire dans les derniers séminaires on voit Lacan être de plus en plus critique, dépassé par tout ce qui aurait pu faire penser que la psychanalyse était une science. Pour revenir sur ce que je disais des paradoxes de Lacan il me revient, j’improvise un peu, c’est qu’il dise : « la structure c’est du symbolique » et « la structure c’est du réel » on trouve les deux. Il ne s’agit pas de choisir l’un ou l’autre il s’agit plutôt de s’orienter, de se laisser travailler par ce que chacun appelle le réel. Donc au fur et à mesure que Lacan développe son enseignement il est de plus en plus critique ou de plus en plus décalé par rapport au fait que la psychanalyse serait une science, bien que lui-même et peut-être plus que Freud ait profondément œuvré pensons aux mathèmes, à la logique mathématique, etc. pour que la psychanalyse soit scientifique et qu’elle tienne son rang dans le champ des connaissances mais n’oublions jamais que tout ce que Lacan a écrit dans ce sens-là, y compris les mathèmes, allait dans le sens que quelque chose de la psychanalyse était transmissible et peut-être intégralement. Allons dans ce sens-là. Or justement la procédure de la Passe, du fait que la psychanalyse ne cesse de se réinventer tout ce type de difficultés que Lacan a fondé, tout à fait différemment de Freud et peut-être plus fortement, vont dans un sens opposé c’est-à-dire que le savoir qu’on peut acquérir grâce à Lacan, grâce à la lecture de ses séminaires et quel que soit ce qui se transmet de l’enseignement de Lacan dont nous sommes les enfants et les héritiers, nous tous, il y a cependant quelque chose qui ne se transmet pas. Donc il y a de l’intransmissible donc du réel et à ce moment-là Lacan qui n’a jamais sombré dans quelque mystique que ce soit, sauf à propos des femmes, dans quelque occultisme que ce soit, dans quelque transmission de pensée que ce soit, il ne renonce à rien de tout ça mais à ce moment-là Lacan fait de l’intransmissible quelque chose d’incontournable et d’essentiel. Comment le situer ?
On pourrait dire, ce serait une plaisanterie, que ce Réel se trouve de plus en plus au centre de l’enseignement de Lacan mais aussi au centre de la structure au point de faire trou, ce concept de Réel ça sert à refonder complètement le statut-même de la négation c’est-à-dire l’in-transmissible, l’in-traitable, l’in-compréhensible, l’ir-réductible, tous ces mots marqués d’une négation se trouvent porter un poids de réel, peut-être le poids du réel dont Lacan avec bonheur se fait le symptôme. On pourrait ajouter l’in-traitable. Ce que Lacan dit de la psychanalyse : « si la psychanalyse s’était faite intraitable elle aurait peut-être été mieux traitée » Il dit ça quelque part en évoquant les pays de l’Est, il aurait encore plus raison aujourd’hui. Lacan lui-même, moi-même intraitable puisqu’il parle de lui à la première et à la troisième personne ce qui est un effet de réel.
Donc au moment où Lacan se centre sur sa propre invention du réel à lui, je n’aurais aucune objection à essayer de démontrer, je ne sais pas si j’y arriverais, si entre le premier réel de Fonction de la parole et du langage et celui du Symptôme il n’y a pas une réinvention du réel par Lacan lui-même. Ça ne fait aucun doute. Après tout pour que les mots gardent leur sens, leur force, il faut bien les réinventer. Ne pas les répéter mais les réinventer. Quand quelqu’un vous demande : « Est-ce que tu m’aimes ? » vous ne pouvez pas lui répondre je t’ai déjà répondu à cette question il y a 5 ans. Il faut le redire et le redire d’une façon qui réinvente et donne du poids à cette phrase.
Quand Lacan apparaît de plus en plus comme intraitable c’est-à-dire apparaît de plus en plus comme celui qui parle en disant ‘je’ et celui qu’on appelle Jacques Lacan en faisant de sa division subjective œuvre d’art et posant son symptôme comme sinthôme
Là qu’est-ce qu’on peut un peu plus développer ? C’est ce que je souhaitais faire aujourd’hui. mais je n’ai pas eu la disponibilité, et peut-être l’introduction que je vous fais n’est-elle pas déplacée.
Il y a deux choses : d’un côté, comment appeler ça ? Une reprise, une révision, une critique au fond terrible de l’inconscient dont Lacan dit que pour Freud ce n’était pas clair du tout, que c’était complètement embrouillé, – je vais vous lire un passage – et que lui-même Lacan quand il a opéré son retour à Freud c’était pour essayer de remettre quelque chose sur ses pieds c’est-à-dire de désembrouiller quelque chose qui chez Freud était effectivement de l’ordre de l’embrouille et de l’ordre de quelque chose qui n’était absolument pas clair, et les passages si quelqu’un a le droit de le dire c’est vraiment Lacan, où il ne cesse d’insister sur l’obscurité essentielle, non pas de l’inconscient qui est toujours obscur mais de la notion même d’inconscient, la preuve s’il en fallait une, c’est que le séminaire suivant L’insuquec’estdel’unebévue c’est une reprise et une redéfinition de l’inconscient. C’est une réinvention de l’inconscient à partir du concept de « lalangue », c’est dans ce champ avec beaucoup de questions et beaucoup d’audace et clairement – lalangue c’est autre chose que la parole et le langage – que Lacan à ce moment-là veut aller plus loin.
Pardonnez-moi quelques citations de ce séminaire l’insuccès pour qu’il soit bien clair que sur ce point je me fais le lecteur de Lacan, je le commente, je suis avant tout un lecteur. Quelques citations : « un signifiant nouveau ». Alors, un signifiant nouveau, que Lacan dise en 75 un signifiant nouveau c’est pas rien puisque la façon dont il est lui-même retourné à Freud on pourrait dire que c’est au nom du signifiant au sens où c’est le concept de signifiant et sa différence avec le signifié etc. qui a été vraiment pour Lacan ce qui lui a permis de reprendre Freud et qui lui est paru à lui-même un outil, un concept beaucoup plus éclairant que les termes de Freud lui-même pour expliciter ce qu’il en était de l’inconscient. Lacan n’est pas gêné de dire : c’est grâce au concept de signifiant que j’ai pu y voir un peu plus clair que Freud sur quelque chose qui reste obscur.
Après, dans le symptôme avoir mis le réel à sa place, la place que nous essayons de définir Lacan parle d’un signifiant nouveau c’est-à-dire il réinvente le signifiant. Il réinvente le signifiant après avoir posé la langue, la lalangue en un seul mot dont il avait déjà parlé dans le séminaire Encore et après avoir mis le réel à la place d’où il parle. Donc je vous lis le passage dans ce qui éclaire ce qui est affirmatif, enfin qui indique une direction très claire : «Je pense à un signifiant nouveau, celui qui n’aurait aucune espèce de sens ce serait peut-être ça qui nous ouvrirait à ce que j’appelle le Réel » Là on est tout à fait dans le désir de Lacan c’est-à-dire dans un mouvement vers le réel et de s’ouvrir vers le réel. Lacan dit que c’est quelque chose d’extrême, néanmoins il maintient cette ouverture. C’est là entre autres qu’il ne se démarque pas vraiment de Freud mais il se pose comme distinct de Freud.
Autre citation : « La maladie mentale qu’est l’inconscient – on ne sait pas très bien s’il parle de l’inconscient comme tel ou de ce que Freud a nommé l’inconscient – la base mentale qu’est l’inconscient ne se réveille pas. Ce que Freud a énoncé et ce que je veux dire c’est cela il n’y a en aucun cas de réveil. À ce moment-là on se souvient de l’importance de la notion de réveil chez Lacan d’identifier la pratique des scansions au fait de réveiller le patient et donc d’ouvrir, de chercher un chemin vers le réel, aller vers le réel, accéder au réel.
Dernière citation toujours dans l’Une bévue : « l’inconscient est lié à quelque chose qui s’appelle lalangue » avec l’Insu que sait de l’une-bévue c’est un phénomène de langue justement j’essaie d’introduire quelque chose qui va plus loin que l’inconscient et vous voyez ce qu’il dit : ouvrir, introduire quelque chose qui va plus loin que Freud mais qui va plus loin que l’inconscient. Je parle du mouvement de Lacan, du désir de Lacan. On peut tout à fait s’interroger là-dessus et pour ma part je contribuerai volontiers à cette interrogation. Ce que je veux vous montrer c’est ce dont le terme de réel est le pivot, quel est son usage, à tort ou à raison, il essaie d’ouvrir. Après tout que Lacan dise c’est mon symptôme n’implique pas qu’il faille suivre Lacan dans son symptôme. On peut reconnaître que c’est un extrême du désir de Lacan tout en reconnaissant que Lacan y est allé, comme Freud d’ailleurs est allé dans la pulsion de mort, Dieu sait si on le lui a reproché pas ses analystes mais dans son public. Là-dessus, je n‘en dirai pas plus sauf le point que je voudrais développer maintenant. Dans ce mouvement on ne peut pas le penser si on n’ajoute pas deux autres éléments : le premier c’est la question du vrai et de la vérité, parce que à ce moment-là la question de la vérité change et la question du vrai change très fortement également. Le vrai n’a plus du tout le même statut ni que ça avait pour Freud, ni que ça avait pour nous, pour moi, j’en parle parce que je me considère comme un enfant de ce temps, héritier c’est autre chose mais un enfant de cette époque-là qui m’a formé. Donc le vrai se vaporise pour laisser la place à quelque chose de vide, sauf que là s’introduit le réel et le réel comme savoir à écrire puisque au fond ce que Lacan attendait des analystes et de la Passe c’est de nouvelles écritures, réinventions du réel qui bien sûr ne sont pas sans rapport avec ce qu’il appelait précédemment la vérité sauf que c’est marqué du côté du réel. Donc ça supposerait qu’on interroge qu’on développe en tout cas les relations entre la vérité et le réel mais c’est là que commence le séminaire l’unebévue sur le rapport entre la vérité et le réel. Est-ce que la vérité c’est du réel oui un peu mais à ce moment-là quel est le réel ? Est-ce qu’on peut identifier l’un et l’autre ; comment les situer l’un par rapport à l’autre ?
À ce moment-là chronologiquement, vous voyez que je vous déroule un concept et que en même temps je vous déroule une histoire, à ce moment-là Lacan a des propos que je ne lui avais jamais entendu dire avant, qui font que conjointement au fait que la psychanalyse n’est pas une science mais une pratique c’est une pratique qui n’aurait pas pu exister s’il n’y avait pas eu le cogito etc. il se met à interroger très fortement les psychanalystes, d’une façon très nette qui montre bien que c’est en interrogeant le savoir des psychanalystes que l’on pourrait en savoir un petit peu plus sur le réel. C’est simple et un peu compliqué. Je reste dans ce qui est linéaire.
Il y a un événement dont certains d’entre nous se souviennent c’est l’ouverture de la section clinique de Vincennes dont j’ai fait partie avec quelques autres qui sont ici. Dans cette ouverture Lacan commence par dire que ça ne rend pas plus claire la notion de l’inconscient, qu’il n’est pas très chaud pour dire que quand on fait de la psychanalyse on sait où on va. Il assigne à la section clinique deux objectifs, avec ses mots à lui, ses propos ont été publiés dans les premiers numéros d’Ornicar, Lacan les a lus donc légitimés. « Je propose que la section de la clinique psychanalytique soit une façon d’interroger le psychanalyste, de le presser de déclarer ses raisons, pas ce qu’il fait. Ses raisons. Est-il abusif d’estimer que autour de la procédure de la passe et aussi de l’ordre des raisons que Lacan cherchait, pas de la cause, parce que ci, parce que ça, parce que j’ai décrit le traumatisme, bref que chacun montre son bout de réel, un peu plus que ça, il s’agit de déclarer ses raisons. Donc c’est une interrogation assez radicale sur la pratique qui semble maintenant porter le poids de ses interrogations. Pourquoi, autre citation, il ne demande pas raison aux psychanalystes de la façon dont ils se dirigent dans le champ freudien. Évidemment un certain nombre de ceux qui ont entendu ça ne voulaient pas du tout connaître les raisons des psychanalystes mais voulaient plutôt faire rendre gorge aux psychanalystes, ce qui est autre chose ; on comprend que demander ses raisons au psychanalyste, ça les ait tout à fait séduits mais ce n’est pas la question de Lacan, c’est dans sa quête qui tourne autour de la question du réel demander au titre d’une transmission, au titre d’une formation et au titre d’une réinvention possible de la psychanalyse, de demander aux analystes leur raison, non pas ce qu’il fait dans la clinique, c’est ce que nous faisons dans les contrôles non pas ce que quelqu’un fait mais pourquoi il le fait et au nom de quoi il le fait, ce qui est la base d’une supervision ; pourquoi vous avez dit ça, pourquoi vous n’avez pas dit ça et c’est là-dessus que quelque chose se transmet.
Alors je reviens pour faire un peu lien entre ces éléments à un passage qui de façon claire reprend et prolonge un peu tout ce que j’ai essayé de réunir. Ça se trouve dans ce qu’on appelle la note aux Italiens qui est très claire par rapport à l’extrême dans lequel Lacan lui-même– ce n’est pas moi qui ai inventé son propos – dans cette note et c’est ce qui est intéressant il y a une liaison structurale et structurante, entre ce que Lacan dit du Réel, la place où il met le Réel, et l’interrogation qu’il porte aux analystes qui seraient les seuls à pouvoir répondre.
Le premier point qu’il faut souligner c’est une évidence mais il faut partir de là, c’est qu’il n’y a aucune unité du réel. Là aussi, citation de Lacan : « l’usage de l’Un que nous trouvons dans le signifiant ne fonde nullement l’unité du réel ». On voit bien là un désarrimage entre le signifiant et le réel, qui n’est pas de l’ordre du signifiant et encore moins de l’ordre de l’unité.
Dans cette même ligne Lacan continue : « je suis dans le travail de l’inconscient, ce qu’il me démontre c’est qu’il n’y a de vérité à répondre du malaise de chacun que particulier » Il n’y a pas là d’impasse commune.
Problème pour les associations analytiques. L’imaginaire, le groupe, le groupal ont toujours la tentation de chercher une impasse commune, un malaise commun, un mal être commun. Or, ajoute Lacan rien ne permet de penser que tous confluent, les petits ruisseaux ne s’unissent pas pour donner un grand fleuve et le grand fleuve ne se jette pas dans la mer. Donc à côté des éléments de transmission nécessaires comment peut-on reconnaître un peu plus que la singularité de chacun, un peu plus que le malaise de chacun mais cette impasse du réel, cette non-confluence du réel pour que cette non-confluence permette de parler et de répondre du réel tel que Lacan le définit. C’est au nom du réel que tout cela se construit.
Deuxième point là aussi très étonnant : il y a un savoir dans le réel. Lacan l’a toujours dit et c’est le scientifique qui a à le loger ce savoir qui est dans le réel mais il y a un autre savoir dont le psychanalyste est le dépositaire et cet autre savoir doit tenir compte du savoir dans le réel, de la science. Donc il n’y a d’analyste qu’à ce que ce savoir soit mis au travail, interrogé et d’une façon ou d’une autre - voyez je ne sais pas quoi dire - parlé ou écrit ? Je ne sais pas quoi dire, peut-être faut-il entendre que c’est les deux, il n’y a pas à choisir mais vous voyez j’hésite à dire parlé parce que si le réel s’écrit encore faut-il que cette parole dise quelque chose.
Alors qu’est-ce qu’on attend de l’analyste à ce moment –là et de son désir éventuel ? Là on retombe sur quelque chose qui est assez usuel de Lacan un processus de Lacan : pour que l’analyse occupe cette place, il faut qu’il y ait quelque chose qui soit déjà là, ce qui suppose la question d’une antériorité et que par ce qui est déjà là l’analyste soit le rebut de l’humanité. Il faut entendre le rebut de ce qui fait l’humanité enfin soit dans une position de rebut ; c’est ça un rebut, une chose sans valeur à laisser de côté, étymologiquement il a rebuté, ce qui s’écarte du but, ce qui touche à plein d’autres points. Cette question du rebut et c’est ça qui est important, c’est que Lacan délibérément, on pourrait penser qu’il s’en doutait il met l’analyste dans une place qui le différencie de Freud. On trouve cette phrase de Lacan, le roman de Freud c’est ses amours avec la vérité. Phrase formidable ! C’est parce que Freud aimait la vérité qu’il a trouvé la psychanalyse et s’il a trouvé l’inconscient il a trouvé au-delà de ce qu’il pouvait en attendre. C’est ce modèle qui en dit beaucoup parce que c’est ce modèle qui implique le transfert, le rapport à l’hystérie, tout ça. L’analyste pour Lacan représente la chute de ce modèle : pas d’amour possible avec la vérité puisque ce qui vient à la place de la vérité tant attendue c’est plutôt quelque chose de l’horreur mais de l’horreur attachée au rebut, c’est-à-dire horreur d’être laissé de côté, hors course, de s’apercevoir qu’on n’a plus rien à faire de lui ce qui va bien au delà de ce qui se passe à la fin d’une analyse ça remet peut-être en cause ce qui se passe dans une analyse pour que nous puissions ne pas être rebuté du fait que nos patients nous mettent au rebut. Comment faire ? Comment le supporter ? On sait tous que c’est un peu plus que difficile.
Alors l’analyste, toujours pour Lacan, doit très classiquement comme toute structure subjective avoir ou cerner la cause de son horreur, l’horreur sur laquelle il se fonde pour son réel, on peut dire ça comme ça, détachée de celle de tous sauf qu’à ce moment-là c’est pour ça que je vous cite ce passage, étonnement c’est un texte de 77 à peu près, Lacan dit : horreur de savoir : c’est très clair, on a une opposition plutôt un éclairage un peu différent entre d’un côté l’amour de la vérité, Dieu sait si nous l’avons et l’horreur de savoir. Ce que Lacan, là il est clair, apporte par rapport à Freud c’est au fond de mettre l’horreur de savoir au cœur de la question mais sur ce point Lacan est parfaitement freudien parce que qui incarne l’horreur de savoir c’est Œdipe, totalement ; il se crève les yeux et dans Œdipe à Colone il reste pétrifié par son horreur de savoir et il en maudit ses fils. Je vais parler un peu rudement, pardonnez-moi mais je ne fais que citer Lacan : qu’ « Œdipe à Colone maudisse ses fils c’est-à-dire qu’ !l ne puisse accepter sa propre malédiction qu’à condition de la transmettre » – c’est ça Œdipe à Colone – qu’à la condition de la transmettre ou plutôt qu’en la transmettant, il y a là quelque chose qui touche à l’horreur de savoir à l’horreur de transmettre et qui met ses fils en position de reconnaître – ou pas – le réel de cette horreur sauf que s’ils n’en veulent rien savoir ça va les rattraper et là avec ses concepts à lui Lacan est parfaitement freudien. Voilà je m’arrêterai là pour ce soir.
Ch.M. – Patrick merci beaucoup pour cet exposé, comment te dire, qui renouvelle cette question que nous avons prise cette année celle du désir de Lacan et que nous ne pouvons pas détacher comme tu l’as fait très bien de son symptôme. Ce symptôme dans la mesure où c’est le réel peut se donner à lire, me semble-t-il, comme étant la pénurie, le ratage de la jouissance à laquelle semble condamné le parlêtre, et qui fait le principe de sa condition. Je veux dire que si nous n’avons dans les registres de notre Histoire que précisément le récit d’un certain nombre d’horreurs lorsqu’elle a conduit à la guerre, nous pouvons retenir que dans l’espèce animale c’est évidemment celui qui de ce côté-là est dans une panne complète et éminemment appétissante : ça le rend méchant et con.
La façon de traiter le réel c’est-à-dire ce que sont mes propres linéaments de lecture et de fréquentation évidemment, donc le réel en tant que le lieu d’érection d’un temple qui est celui du ratage sexuel. La façon de lui rendre hommage à ce réel, de le préserver, d’essayer de s’en faire un ami. Lui-même, je vais le dire en abrégé ce qui me gêne un petit peu mais ça n’a pas d’importance c’est que de lui-même on sait que concernant la relation au désir ce fut un homme méritant, c’est-à-dire libertin. Il y avait peu de circonstances pour l’arrêter et quand ces circonstances étaient là nous nous amusons à répéter des anecdotes où précisément il s’amuse ces résistances à les lever et à montrer si je puis dire à son entourage combien ils sont pusillanimes et combien un petit cadenas de rien du tout suffit pour les arrêter. Donc le réel à reconnaître, sûrement à reconnaître mais à retenir pour lui comme un impossible, indispensable pour vérifier qu’on n’est pas dans le registre de la folie mais aussi qu’on n’est pas forcément dans le registre de la névrose c’est-à-dire des petits trucs pour s’arranger avec le sexuel sans qu’il coûte trop cher.
Une question que j’avance comme ça : Mais lui qu’est-ce qu’il voulait ?
Ma réponse est sûrement – je ne sais pas ce qu’elle vaut – il voulait un interlocuteur, et il a fait tout ce boucan, ce business, cette agitation ces passions, un interlocuteur c’est-à-dire quelqu’un qui vous permette de parler à vous, on ne peut parler que si on a un interlocuteur qui convienne, autrement dit on ne peut penser soi-même que si l’interlocuteur se sent concerné, intéressé, par ce que l’on propose, voire s’y associe, voire travaille avec vous sur justement ce réel, cet impossible qui vous embarrasse.
Pour la petite histoire, on sait qu’il a cherché cet interlocuteur du côté des grands : Lévi-Strauss, Jacobson pas tellement il est évident qu’il n’était pas l’interlocuteur de Sartre. Avec Heidegger il s’es pas mal mouillé mais ce dont je me souviens, ça vaut comme anecdote quand ont été révélés les engagements politiques de Heidegger pendant la guerre, je me souviens de sa réaction. Elle était marquée d’une semi-crédulité, ben oui ça l’embêtait mais il n’en avait rien à foutre ça n’empêchait pas Heidegger d’avoir été un grand philosophe du langage que l’on sait et tout à fait favorable aux thèses et aux avancées de Lacan.
Avoir un interlocuteur est-ce possible si notre relation est fondamentalement celle à un Autre, il ne peut être un interlocuteur que du fait qu’il est Autre et est-ce que cette altérité convient à ce qui serait communion dans la recherche, collaboration, éclaircissement, une illumination comme ça réciproque, etc. En tout cas, les candidats comme on le sait étaient nombreux. Je vais en raconter une qui va peut-être soulager ma méchanceté : Pierre Legendre, tu l’as connu, qui était donc un juriste de grand talent, le seul qui dans sa discipline ait introduit les concepts lacaniens et il reste dans le milieu juridique une référence dans laquelle ce qui a été une introduction de Lacan dans le champ juridique est prise en compte ; je ne vois pas d’autre discipline où cette inscription soit faite. Lorsque Lacan est mort Legendre a écrit dans Le Monde une très belle notice nécrologique. Elle était intitulée : Mon ami Jacques Lacan. Indiscutablement Lacan était amical envers Pierre Legendre. Je ne sais pas si tu l’as connu plus que moi mais c’était vraiment un cabochard et un sale caractère. Il avait beaucoup vécu en Afrique et il avait retenu – c’est pas gentil ce que je dis mais ça lui convenait parfaitement – l’usage de la chicotte. Alors mon ami Jacques Lacan. Pour faire baver tout le monde, l’exhiber, Lacan et lui se promenaient bras dessus bras dessous, commé étant interlocuteurs ou amis, et qu’est-ce que lui Legendre a apporté à Lacan ?
Je ne vais pas reprendre les histoires concernant Joyce, mais pour reprendre certains concepts fondamentaux que Lacan évoque et qui nous laissent des responsabilités, la première à mon sens concerne Freud dans la mesure où sa théorie de l’inconscient était indiscutablement organisée à partir du statut social qui lui était particulier, qui lui était privé, et dont l’illustration comique était qu’il était toujours habillé comme un lord anglais, c’est pas rien de se promener à Vienne avec le raffinement, les étoffes, la coupe d’un lord anglais et il a fini en Angleterre. Donc un problème spécifique de Freud avec la question du père, et je ne sais pas si c’est de notre part de la timidité ou de la politesse mais on reste au bord des considérations qui montrent, comme Lacan le dit, que l’inconscient n’est pas forcément le témoignage in-contourné et incontournable d’une castration célébrée comme telle. L’amour du père avec ce que ça va impliquer bien sûr, le culte du ratage du rapport sexuel et le sexe comme un devoir à assumer. Si on y trouve quelque plaisir au passage tant mieux, si c’est pas le cas il y a tellement d’autres activités intéressantes, il y a d’autres sports possibles.
Ce qui a quand même paraît-il quand même ça a été son grand truc c’est ce qu’il a visé pour essayer de lever ce maléfice c’est quand même une révolution linguistique, celle qu’il suit à propos de Joyce mais où il s’engage avec son propre style.
À propos de l’interlocuteur, si j’ai pas d’interlocuteur je ne peux pas parler, je suis condamné au silence, je ne peux pas penser, qu’est-ce qui me reste à faire ? J’ai un moyen c’est d’écrire. C’est très curieux le rapport que ça va supposer avec un éventuel lectorat. Quel est mon rapport avec ce lectorat ? Ce ne sont pas des interlocuteurs. Je ne développe pas ce point si ce n’est que Freud a quand même beaucoup écrit.
Maintenant pour prendre dans ce qui a été ton exposé reprendre cette question de la transmission qu’est-ce qu’on transmet ? Ce qu’on transmet n’est jamais en général qu’une morale plutôt qu’une éthique. On transmet une morale. Comme nous le savons, celle des psychanalystes, quand il est en société étonne. Tout ça pour en venir à ça ? Je dois dire que la finalité des biens de Lacan se ramène à une liste chez le notaire qu’une descendance va être amenée à se distribuer âprement et je peux te dire que j’ai été amené récemment à rencontrer des petits-enfants de sa famille. Ils se sont jetés sur moi pour que je leur parle de leur grand-père. ils ne savaient pas qui c’était. Ils semblaient surtout organisés par une prévention familialement transmise contre le pépé libidineux qui avait emmerdé tout le monde. J’ai été très impressionné sinon ému de voir cette situation de transmission. Le psychanalyste que veut-il transmettre ?
Donc si c’est pas une éthique, il transmet au mieux une morale.
Traditionnellement la seule habitude qui nous soit familière concerne la transmission d’un savoir. Et justement si celui du psychanalyste n’est pas scientifique et donc pas généralisable, il ne peut concerner à chaque fois que des cas particuliers, et je dois dire que ça se révèle en permanence quand le psychanalyste l’accepte c’est-à-dire qu’il renonce au savoir supposé général dont lui-même était le représentant pour constater que dans tel cas, ça marche pas comme ça. Mais alors ça marche comment ?
Evidemment, il réfléchit, mais Il ne trouve personne à qui en parler, il n’a pas d’interlocuteur. Tu sais la chance que j’apprécie qu’il nous arrive comme tout de suite d’avoir la liberté de discuter ensemble, en prenant un risque : à quel moment sans le savoir on blesse l’autre. C’est pas toujours facile, et puis il y a tellement d’investissement narcissique dans le savoir de chacun, que sa mise en cause peut facilement être vécue comme une blessure narcissique portée sans qu’on l’ait voulue ni cherchée. Bref, c’est un exercice que je me félicite de tenter avec toi, mais nous savons par expérience, je l’ai aussi pratiqué avec d’autres qui étaient des amis, et je vais m’arrêter là-dessus, si ce n’est que à propos de la transmission, qu’est-ce que je transmets si ce n’est un savoir, mais si les cas auxquels j’ai affaire sont particuliers, ce savoir n’est pas transmissible. Qu’est-ce que je transmets ? La façon de l’approcher ce savoir, de le rater, mais ça n’est pas évident.
Alors Lacan peut se féliciter d’avoir absolument raté ses tentatives. Il est clair que durant les derniers séminaires il ne parle plus aux psychanalystes, il leur tourne le dos, il fait des dessins et il ne dit plus un mot. Je m’étais un peu disputé avec lui, timidement mais disputé, quand j’ai publié pour lui dans Scilicet, L’étourdit. J’étais ulcéré parce qu’il y a des pages entières de description de topologie alors qu’un dessin qu’on faisait dans le petit groupe de travail immédiatement éclairait la chose et la simplifiait. Pourquoi fallait-il refuser le support de l’imaginaire ? Il en était là à ce moment-là avec l’Etourdit. Alors bravement je lui ai dit. Il n’était pas content. Bien. Ça ne l’empêchait pas, et heureusement, de passer les dernières années à ne faire que des dessins, et en tournant le dos aux psychanalystes, en n’ayant plus à qui parler. A qui parlait-il ? À qui s’adressait-il ? Qui était son interlocuteur ? Il avait raison de faire bisquer tous ses aficionados en célébrant Thomé et Soury, dont tu sais comme moi qu’ils n’ont jamais su ce qu’il attendait d’eux et ce qu’ils faisaient avec lui. Jamais ! Ils le faisaient, ils sonnaient à sa porte à trois heures du matin pour lui apporter des machins mais ils ne savaient pas du tout…
AH, disait-il c’est formidable, c’est génial, mais comment n’y avais-je pas pensé ! Mais c’est vrai que vous, vous travaillez à deux ! Ah c’est important de pouvoir travailler à deux, évidemment.
Ce qu’il y a de pire pour moi, c’est que ça ne leur a pas fait spécialement du bien, ni pour ce qui concerne le développement de l’intelligence ni pour les relations ordinaires de l’existence.
C’est là-dedans que nous avons la chance extraordinaire, moi je trouve que mes amis, les amis de l’Association ne se rendent pas compte de leur chance. On trimbale comme ça des signifiants lacaniens maladroitement, on les heurte on les casse, on ne se rend pas compte. C’est de se rendre compte, à mon sens, si nous travaillons et je me félicite que nous allons poursuivre l’année prochaine, que c’est une chance exceptionnelle avec ses difficultés, avec ses douleurs, tout ce qu’on voudra, c’est pas l’essentiel.
Si tu me le permets j’annonce ce que nous avons retenu pour l’année prochaine : analyse finie et infinie avec tout de suite la remarque suivante : il s’agit d’un problème essentiel, la fin de l’analyse. C’est peut-être le texte de Freud, y compris par le choix de ses termes, qui est le plus proche d’une démarche scientifique et qui permet d’interroger comment puis-je écrire un tel projet, parler du fini et de l’infini, sans que la science, l’élaboration scientifique, l’élaboration mathématique ne soient convoquées.
S’il n’y avait pas le fini et l’infini …
Nous aurons également cette chance de reprendre cette notion de scientificité que d’ailleurs avec le nœud borroméen il a encore essayé.
Est-ce que le rapport au signifiant n’a pas des effets logiques identiques pour tous ? Ou bien n’avons-nous affaire qu’à des cas particuliers, et si ce sont des cas particuliers n’est-ce pas là un secteur scientifique nouveau qu’il y aurait à penser ?
Donc Patrick merci.
P.G. —Merci Charles. Je te remercie très sincèrement et je remercie les auditeurs. Tu as été pour moi un interlocuteur, j’ai pu poser un certain nombre de questions que je n’ai pas résolues – ce n’est pas la question – mais que je n’aurais pas abordées sans toi comme interlocuteur. Je te remercie.
Transcription : Denise Sainte Fare Garnot
Relecture : Nathalie Delafond