Jeter dans l’angoisse

LE COAT-KREISSIG Patricia
Date publication : 27/06/2022

 

Journée de lALI Bretagne à Saint Brieuc

Pourquoi l’angoisse serait-elle plus fréquente chez les femmes, et est-ce vérifié aujourd’hui ?

 

 

                                                                                                    Jeter dans langoisse

                                                                                                                                                        Patricia Le Coat Kreissig

Jetée dans l’angoisse d’un exposé bien ficelé sur le séminaire « L’angoisse », de feuilles trop remplies, je me permettrai de parler de ce séminaire clinique et précieux, avec ma propre subjectivité et l’inconscient au travail.

En effet, ce n’est plus la peur « la peur du loup », une peur soit justifiée soit infantile, qui nous commande en tant qu’analystes.

Ceci n’empêche pas d’avoir de l’angoisse … de rater …de ne pas être à la hauteur de ce qu’on attend de nous … animés par la question « Qu’est-ce qu’il me veut, qu’est-ce qu’elle me veut, l’Autre ? »

Et l’Autre, c’est celui…, non pas l’étranger mais l’Autre, celui qui occupe cet espace qui est l’espace de l’altérité.  Le grand Autre, l’exception qui compte.

Il semblerait que ce qu’il me veut, même s’il l’ignore, c’est mon angoisse. Dans la limite où l’angoisse n’est pas sans objet. Ce qu’il me veut, c’est ça, c’est l’objet ! L’objet qu’il me suppose !

Et s’il est Autre pour moi, je le suis peut-être pour lui aussi !

L’angoisse.

Lacan pratiquait d’une manière fort singulière. Charles Melman en a témoigné à plusieurs reprises. Ses silences, ses grognements, sifflements, bruits respiratoires et autres émissions de sons diverses… les scansions, coupures mais aussi chaque rencontre et séparation rythmaient les séances et la vie institutionnelle psychanalytique. Il veillait à ce qu’il y ait de la structure. Et pas n’importe laquelle.

Le langage en est le support.

Et ce qui met en relief le champ analytique, ce n’est pas tant le signifiant avec ses infiniment nombreuses variantes que le trou creusé dans et par la chaîne langagière, le silence, la chute d’une lettre qui ouvre un espace structurant … propre à l’être langagier. L’inconscient, un espace que Lacan écrit A barré, inatteignable. Le message que nous recevons de l’inconscient, dans l’œdipe, où cet espace s’autorise à partir d’une incarnation, c’est le message de l’Autre, le père, celui qui fait valoir la loi, et veille sur le sujet. Il est aussi l’Autre, celui qui rend possible l’accès au désir. Et quand A, le grand Autre, n’est pas ou plus incarné - ce qui, dans le décours d’une analyse, peut se produire -, quand il est réduit à être simplement le lieu de la parole, S (A/) veut justement dire que dans ce lieu de la parole - je l’ai déjà dit - qui inclut l’ensemble des signifiants, c’est-à-dire du langage, il manque quelque chose. Quelque chose y fait défaut. Et ce signifiant qui fait défaut au niveau de l’Autre,  donne toute sa valeur à ce S (A/), ce trou creusé dans un réseau autour duquel s’articule toute la dialectique du désir, « en tant qu’elle se creuse de l’intervalle entre l’énoncé et l’énonciation » disait Lacan, autrement dit qu’elle alimente ce que nous entendons dans la vie conjugale ordinaire en tant que malentendu.

La formule avec laquelle Lacan aborde cet espace, vous la connaissez : \$ ◊ a. C’est celle du fantasme. Un véritable point de capiton du séminaire « l’Angoisse », l’ancrage au fil rouge qui parcourt ce séminaire : du sujet \$ à la recherche de l’objet perdu, ou : de l’analysant sur le divan.

L’ALI a organisé des nombreuses journées concernant le thème  de la fin de l’analyse.

Elles nous ont permis - me semble-t-il - d’être d’accord sur ce fait que c’est bien dans la traversée du fantasme qu’il faut chercher la clé.  La traversée. Traverser le fantasme ? Sauter d’un bord à un autre ? Dépasser un obstacle ? Un entre deux bords ? Qu’est-ce qu’il nous attend ? Et qu’est-ce qui guide cette aventure ?

Lacan répond dans ce séminaire très clairement : c’est l’angoisse. C’est l’angoisse qui sépare la jouissance du désir, chacun constituant un bord séparé de l’autre par « le danger de la castration » disait Freud, sur le chemin analytique.

La traversée, le pas de l’Un vers l’Autre ce fait main en main, grâce à l’amour, l’amour de transfert.

Cet amour est ce qui seul permet à la jouissance de condescendre au désir !

Mais l’analysant aujourd’hui en 2022, a-t-il demandé d’y condescendre ? Ne se trouve-t-il pas bien dans sa jouissance, de plus en plus polymorphe et donc infantile et infantilisant ? Et de son désir, il en sait strictement rien …

Notre désir se présente à nous sous une forme voilée. L’analysant en est aveuglé tel Œdipe.

C’est le désir de l’Autre marqué de la barre signifiante de A/qui va ici venir indiquer cette voie essentielle qui, pour l’homme comme pour la femme, mène vers ce quelque chose, qui pour l’homme fonctionne comme complexe de castration et pour la femme inscrit l’objet dans son corps, l’objet du désir, qui échappe à toute représentation, à toute prise, qui est inatteignable, perdu à jamais.

Pourtant, une question s’impose à nous.

Cet objet du désir, s’il n’est abordable qu’à partir du fantasme car c’est bien de l’objet du fantasme dont il s’agit ? Est-ce le même pour un homme et pour une femme ? Est-ce bien du même objet, du même désir qu’il s’agit ? Pouvons-nous dire que de l’objet, il n’y en a qu’un ? Partageable ? Un objet pour deux ?

Ou bien …

N’est-ce pas justement cet objet qui nous divise et qui amènera Lacan 10 ans plus tard dans son séminaire « Encore » à distinguer un côté homme d’un côté femme et à attribuer le phallus côté homme, l’objet a côté femme ? Un objet différent pour chacun des sexes ?

D’un côté un objet phallique donnant accès à une jouissance phallique et de l’autre  un vide, celui de la jouissance Autre, énigmatique et fermé dira Lacan ici.

L’un et l’autre , un homme et une femme, deux signifiants marqués par leur différence : S1 et S2 se trouvent ainsi inscrits dans un espace à la fois unis et séparés. Mais certainement articulés autour de cet objet, autour de cette fonction qu’exerce l’objet et ses effets : le petit a fonctionnant comme moins phi à certains endroits, nous dira Lacan ici. Intimement liés.

Une femme se trouve ainsi en charge de l’objet a. La clinique féminine en témoigne largement.

Quant au garçon, la générosité de sa nature, il va la payer cher, chair…

Si le rituel le veut ainsi, alors c’est avec ce petit bout de peau … mais la vie nous apprend assez tôt que c’est aussi dans la limite de sa jouissance, jouissance d’un corps régie par l’alternance tumescence-détumescence.

Le phallus, représentant symbolique du pénis réel, Lacan l’inscrira ainsi avec le signe moins en guise de reste. Ce manque, ce signe moins, dont est marquée la fonction phallique pour l'homme, - nous dit Lacan- indique que sa liaison à l'objet passe nécessairement par cette négativation du phallus, par le complexe de castration « …   ce qui pour la femme n'est pas un nœud nécessaire ». Du coup c’est auprès de la femme, du corps de la femme qu’un homme va chercher cet objet.

La dame se trouve alors en place de gardienne de ce précieux objet a, non-phallique. Elle est supposée en savoir un bout.

Mais ce qu’elle sait surtout, c’est que son corps se trouve dépourvu d’un quelconque objet qui serait le bon, elle sait qu’elle en manque depuis toujours ; pas la peine de passer par la castration, c’est le réel de la privation qui œuvre. Il n’y a rien, rien à voir, rien à chercher … rien.

Son rapport au symbolique, à la castration est Autre. Le symbolique troué par le réel, lui sert d’abri. S de grand A barré.

Une femme dans sa luminosité habituelle et sa fragilité est censée disposer d’un savoir-faire afin de faire semblant, non pas de l’avoir l’objet -elle n’est pas audacieuse à ce point- mais de l’être pour lui, toute entière sa chose, son objet précieux, lettre. Être ce qu’elle n’a pas mais ce qu’elle donne pourtant avec tant de générosité. L’objet, qui est aussi l’objet du marché de l’amour, celui qui circule, et celui objet du désir.

Nous connaissons les ravages qui s’en suivent. Ce n’est pas ça ce qu’il cherche, d’avoir la « bonne » à la maison …

Le fantasme est structurant ; il donne accès au désir. Le sujet du fantasme est à la fois assujetti et séparé de son objet : objet du fantasme, objet du désir. Mais si le fantasme témoigne de l’attachement du sujet à l’objet voire à celui ou à celle qui l’incarne,.

Dans l’ « Au-delà du fantasme » cette consistance est perdue et l’Autre ne se manifeste que sous sa forme évidée, le réel faisant trou dans le symbolique.

Avec cette simple formule que Lacan propose afin d’écrire le fantasme, il annonce l’arrivée future de l’écriture du nœud borroméen : le sujet dans ses trois dimensions psychiques RSI articulé autour d’un objet ; un objet qui unit et sépare un homme et une femme, converge et diverge les couples, amour et désir.

C’est de cet objet petit a, que parle tout l’enseignement psychanalytique. C’est autour de cet objet que tourne l’analysant dans sa cure : objet d’échange dans l’amour, objet du fantasme, l’objet de l’angoisse, l’objet cause du désir mais aussi l’objet de l’impossible … impossible « rapport sexuel ».

Un objet « voyageur », non-attrapable qui pourtant surgit dans l’angoisse et - comme le souligne Lacan - l’angoisse ne trompe pas ! Comme phénomène de bord, elle indique le moment où le sujet vient à la rencontre de l’objet de son désir, désir inconscient, structuré par le fantasme.

Au franchissement du bord, en contact avec cet objet « inter-dit », ce réel : le traumatisme. Le sujet s’effondre, s’efface et identifié à l’objet a, c’est l’aphanisis du sujet. A la rencontre avec ce qui constitue le désir, s’ouvre l’espace de l’inconscient, le chemin de la voie du désir.

Pour terminer, un petit mot concernant le titre de cette journée : Pourquoi l’angoisse serait-elle plus fréquente chez les femmes, et est-ce vérifié aujourdhui ?

Lacan ouvrira ses « Ecrits » par la lettre volée. Cette lettre, bien sûr est une lettre d’amour destinée à la reine. Mais la lettre se volatilise et personne n’arrive à mettre la main dessus. Peu importe le contenu, la lettre représente un signifiant qui passe sous la barre, et la seule qui est supposée en savoir quelque chose, c’est Elle, La reine.

Quand face à l’Autre, elle se demande : qu’est-ce qu’il me veut ? Qu’est-ce qu’il me demande ? Qu’est-ce qu’il désire en moi ? Dites-lui donc : il demande ton amour, alors elle vous dira que ce qu’il désire, il le cherche donc ailleurs ! L’angoisse décidément semblerait être bien féminin.

Mais qu’est-ce qui nous permettrait de dire qu’un homme serait en effet moins angoissé ?

Le troubadour du Moyen-Age - tout comme celui d’aujourd’hui – chanteur d’amour, chanteur de poèmes et de textes érotiques, est-ce qu’il vous semble être angoissé ?

Supposons que ce n’est guère l’angoisse qui l’empêche de rencontrer la Dame mais c’est son inhibition ! La peur de la dame ! La peur « du râteau », de l’échec ou bien même,  la peur de la mante religieuse !

La peur, le doute, la culpabilité, la honte, le remords … les multiples visages de la clinique de la névrose obsessionnelle. Mais notre modernité ne permet plus de classer l’obsessionnel du côté homme et l’hystérie du côté femme. Une femme qui s’intéresse à la castration devient phallique … nous dira Lacan et en effet, ceci est tout à fait confirmé et n’est pas rare aujourd’hui.

Sans aucun doute, un homme angoissé perd ses atouts phalliques et se féminise. La lettre féminise, disait Lacan – pour cause !

Inhibition, Symptôme et Angoisse, une l’écriture freudienne.

Lacan reprend cette écriture dès le début de son séminaire et l’inscrit dans un tableau dont l’axe diagonale représente cette écriture : Inhibition en haut à gauche et Angoisse en bas à droite !

Et au milieu : le symptôme !

Evidemment ceci n’est pas sans nous évoquer d’ores et déjà la suite … « Encore »

Celle d’un tableau avec à gauche un côté homme et à droit le côté femme. Au milieu un mur, celui de l’a-mur ! La question de ce qui anime un couple homme-femme, un impossible.

« Il n’y a pas de rapport sexuel » en dira Lacan plus tard.

Mais y aurait-il un quatrième terme à cette triade ISA ?

La flèche semblerait pointer de l’inhibition vers l’angoisse. Et puis ?

Pouvons-nous inscrire avec Lacan et au dépassement de l’angoisse : ISAD ?

D pour le désir ? Ce désir dont la juste valeur échappe aux travaux de Freud et que Freud appelait simplement : der Wunschgedanken : la pensée du souhait, du vœu ou bien, la Sehnsucht, le douloureux manque. Et : la libido !

J’ai tapé ISAD dans google et devinez ce que cela cache ?

Institut Supérieur de l’Armement de la Défense ! Cela promet !!!

Lisons ISA avec I côté homme et A côté femme, c’est alors le symptôme qui fait obstacle à la bonne rencontre. C’est à ce niveau que l’Un , un homme et l’Autre, une femme échouent : « Il n’y a pas de rapport sexuel » disait Lacan ;  il n’y a pas d’Autre de l’Autre et donc pas d’espoir que nous ayons un jour les mêmes jouissances pour tous, hommes et femmes de manière égalée, car la jouissance ne connaît l’Autre que par l’objet qui le représente. Et si le désir allait se loger non pas au bout d’une chaîne mais articulé entre un homme S1 et une femme S2, réduisant ainsi le symptôme, ne serait-ce pour un temps ? 

C’est certain, au franchissement du fantasme, l’angoisse enfin dépassée, un précieux souffle d’air nous anime, un souffle nommé désir.

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