Commentaire du livre de Gérard Amiel
Recension de l’ouvrage de Gérard Amiel : Apprendre à désirer
Par Thierry Florentin
Je suis très content de présenter ce livre, bien que je ne sache pas d’emblée par quel bout le prendre, car il se présente en apparence sous une forme d’apparence assez didactique, qui serait de déplier les principaux points de concepts lacaniens, sous une forme assez plaisante, puisqu’il s’agit de les articuler à l’actualité de la clinique, telle qu’elle a évolué, et telle qu’elle se présente sous la forme du malaise dans la civilisation.
Cette observation seule nous aurait suffi, tant cette articulation remplit à elle seule la pertinence de ce livre, mais le lecteur ne tarde pas à découvrir qu’il y a un livre dans le livre, qui en fait à mes yeux sa valeur, son prix, sa singularité.
Il y a en réalité un autre circuit sous-jacent, proposé au lecteur, et qui est la narration d’un parcours et d’un itinéraire.
La structure de ce livre ne correspond pas à ce qui avait été annoncé.
On pourrait commencer par son titre :
Apprendre à désirer.
Titre iconoclaste..
Désirer, on peut comprendre, c’est un terme qui nous familier, qui appartient à notre domaine sémantique ordinaire et quotidien de la psychanalyse.
Make psychoanalysis desire again.
Ou « Psychanalysant, encore un effort pour devenir un sujet désirant ».
Mais apprendre, non, là ça ne va plus du tout.
Et apprendre à désirer, alors là…...
Que serait par les temps actuels une psychanalyse qui n’apporterait pas une guérison à la fois sans effort (encore un mot insaisissable, celui-là) et en plus de surcroit.
Une chute miraculeuse d’objets a comme s’il en pleuvait, tombant du ciel comme des petits pains, dans le désert, dans le désert du désir, dans le désir d’un dessert qui serait servi bien avant les hors d’œuvre et les si bien nommés et si roboratifs plats de résistance .
«Dites moi ce que j’ai », entendons-nous de plus en plus souvent dès les tout premiers entretiens.
Croassez, sur le divan, et multipliez.
Voilà donc un titre qui nous intrigue, Apprendre à désirer.
Si l’on suit la façon dont Gérard Amiel nous déplie les différents chapitres de l’ouvrage, on pourrait avoir le sentiment d’un éventail, d’un panorama des différents concepts lacaniens les plus cruciaux, les plus vifs.
Il commence par la phase du miroir, la constitution du sujet, la pulsion, la répétition, le phallus, l’objet a, le fantasme, le grand Autre, le ou les Noms du Père, le symptôme, le transfert, sans oublier le passage par la sexuation masculin-féminin, et le choix d’objet amoureux. Que du classique, mais du beau classique,
On y perçoit très bien par ailleurs la trace didactique laissée par des années de séminaires, à Grenoble, à travers ces efforts de dépliement, et de clarification des concepts, l’effort pédagogique très soutenu, très attentif à ce que le lecteur puisse suivre et ne pas décrocher, ce qui est très important.
Cependant Gérard Amiel suit très vite un autre chemin, qui est le véritable génie à mon sens de cet ouvrage, car très vite, d’emblée même, il fait en sorte que le lecteur puisse sentir, percevoir, vivre, à travers cette explicitation des concepts analytiques, ce qu’est le parcours d’une analyse, et ce que sont ses enjeux.
Rapidement, et à son insu, le lecteur se retrouve au cœur de ces enjeux, et découvre que ces enjeux sont des enjeux vitaux. « Question de vie ou de mort », disait toujours Marcel Czermak, et que Gérard Amiel reprend à sa façon.
Et c’est un tour de force, et une réussite, que d’arriver à tisser ainsi ensemble d’une main les concepts théoriques, qui valent pour universaux, et dans l’autre, leur illumination singulière, qui permet à l’universel de se déplier dans la myriade de particuliers.
C’est un travail que nous avons chacun, individuellement, singulièrement, au un-par-un, dans la solitude et la détresse d’une analyse-je dis bien solitude et détresse, je suis toujours étonné de ces personnes qui appellent l’analyste en disant « Je voudrais être accompagné ».
S’ils savaient…
De quel singulier accompagnement la psychanalyse se tient-
En tous les cas, travail donc, que nous avons individuellement à retrouver et à écrire.
A Inscrire.
En Nous.
Pour nous.
Mais aussi pour nos patients.
Ca s’écrit aussi, parfois, une fois que ça a cessé de ne pas s’inscrire...
Et l’écriture de ce parcours, Gérard Amiel arrive à la traduire, avec des phrases, dans cet ouvrage.
Soit dit en passant, au cas où ça ne vous serait pas venu à l’esprit, l’autre nom de cette écriture s’appelle la Passe.
Je ne sais plus dans quel séminaire, je crois mais j’ai peur de dire des bêtises, qu’il s’agit du séminaire « d’un Autre à l’Autre », que Lacan dit que la psychanalyse est le dernier lieu d’initiation finalement en Occident.
Alors voilà quelque chose de nature à nous donner un éclairage à ce si beau titre qu’il donne à son livre.
Apprendre.
La psychanalyse comme apprentissage, et un apprentissage non pas par empilement de savoirs les uns sur les autres, un empilement de soucoupes, disait Marcel Czermak, lequel exercice conduirait en douceur et dans une idéalisation souriante et bienveillante, l’analysant, au fil d’un temps défini par contrat mutuel et préalable à l’exercice d’une pulsion bien-tempérée, qui aurait fini enfin par trouver son objet approprié, objet lui-même bien évidemment radieux et rayonnant de santé joyeuse sous la promotion et les applaudissements d’un Ministère du bien-être mental.
Mens sana in corpore sanum.
Et merci encore à monpsy.com, pour souffrance psychique légère à modérée, comme je l’ai lu ce matin dans le journal.
Non mais qu’est-ce qu’ils en savent dans les ministères, d’une souffrance psychique légère à modérée, et que les enjeux d’une psychanalyse, ce n’est rien de moins, comme le martelait justement Czermak, que la vie ou la mort.
Et que les premiers signes, les plus inquiétants en sont justement cette perte des affects. Est-ce qu’ils savent que pour Schreber, ça a commencé par une petite insomnie, et qu’un automatisme mental ça peut, comme je l’ai vu cette semaine, démarrer par une légère migraine, qui avait nécessité pas moins de quatre ans de prise d’antimigraineux avant qu’un médecin un peu affuté, et qui avait un peu fréquenté, par hasard, l’Ecole de Sainte Anne quelques mois, lui pose enfin la question qu’il fallait ?
Un drôle d’apprentissage qu’est cette résultante sur le psychisme des effets successifs et non sans douleur et sans violence de soustractions d’objet a, quand ce n’est pas de réintégration, et de remaniement de jouissances partielles.
Ah mais là, ça ne va plus du tout.
Qu’est ce donc que ce discours qui ne s’appuie pas sur l’accumulation, le care, et qui ne donne pas lieu à certification, par ARS interposées, ce n’est pas du tout dans l’air du temps.
Apprendre à désirer, c’est le résultat que donne une addition.
Mais une addition, nous dit Gérard Amiel, constituée d’un ensemble de soustractions et de divisions, laissant progressivement place à l’émergence, pour finir, et c’est cela qui est jubilatoire, d’une vie pleine et désirante, dernier lieu de liberté dans ce monde.
Et comme il y a un reste à la fin de toute opération, comme chacun ne le sait pas, mais apprend à ses dépens à le savoir, et bien à chacun de s’en débrouiller, et cela s’appelle la responsabilité.
Litter ou Letter, c’est selon, cela va dépendre de la responsabilité finale de chacun.
La fin d’une analyse, ce n’est pas ce qu’il a traversé, c’est ce qu’il fait de ce qui lui reste sur les bras à la fin de son opération.
Letter ou Litter.
Je propose la création d’un ministère de l’apprentisage, puisque nous sommes en période électorale, confié aux psychanalystes. Certainement que le niveau mathématique des petits français en serait relevé.
Mise à l’épreuve, donc dans cet ouvrage, à travers l’explicitation des concepts théoriques majeurs de la pensée de Lacan, de leur tissage au plus près de la clinique contemporaine.
Gérard Amiel ne prend pas de cas cliniques, et c’est un choix très bienvenu, mais des situations cliniques.
Choix très bienvenu, car le risque avec le cas clinique, qui va du particulier à l’universel, est qu’il nous encombre, nous empêche de penser son au-delà, cela a été le principal obstacle des cas princeps des cinq psychanalyses de Freud, que nous avons encore du mal à dépasser, tandis que les situations cliniques partent à l’inverse du général, et ouvrent leur lecture sur l’expérience propre du lecteur, son expérience singulière, à laquelle elles font appel.
A ce tissage donc, il faut y rajouter un troisième fil, qui est celui de la poésie, notamment anglo-saxonne, dont Gérard Amiel est également spécialiste, et dont il émaille le développement de ce qu’il déplie au fil de son ouvrage.
Et qui a sa fonction propre, qui n’est pas celle de l’érudition, outre nous permettre de découvrir à travers ces références rares la poésie anglo-saxonne, mais que ce que ce que Gérard Amiel énonce, des hommes et des femmes qui ont consacré leur vie à se tourner vers leur intériorité ont su le dire, également, au fil des siècles, avec le talent de leurs mots.
Ce n’est donc pas par anecdote que Gérard Amiel commence son livre par un hommage très appuyé à deux de ses professeures de lycée.
Deux femmes, Aline Dubreuil et Maryse Caudron, l’une agrégée de lettres modernes, et l’autre chargée de la classe de philosophie, lumineuse normalienne, premières ébauches d’un transfert au savoir, et premières découvertes qu’un transfert ne va pas sans érotisation.
On n’allume pas la pulsion épistémophilique sans la participation tumultueuse d’Eros.
Un des premiers fondamentaux de la découverte freudienne.
C’est souligner là encore le paradoxe, l’impossible, du métier d’enseigner, que Charles Melman écrit avec un a.
Ensaigner.
Comme d’aimer.
Donner ce qu’on a pas à quelqu’un qui n’en veut pas.
Et tout l’enjeu de la transmission de la psychanalyse est dans cette articulation là.
Transmission d’un au-delà, puisque dans les deux cas, je mets de côté la question de gouverner, elle mériterait à elle seule que nous y consacrions des journées entières, dans les deux cas de l’enseignement ou de l’amour, il ne s’agit ni de l’enseignement, puisqu’en général on oublie tout, ni de l’amour, puisqu’il arrive, on le sait bien, qu’il passe, mais de ce qui reste, et qui est le bien plus précieux, à savoir justement le savoir qui en résulte, le Scilicet, qu’il s’agisse aussi bien de l’enseignement, qui ouvre au désir d’apprendre, que de l’amour, et dont le reste, après avoir épuisé le besoin et la demande, donne une direction inébranlable au désir de la vie.
Ce qu’il est convenu d’appeler le bonheur, dont Gérard Amiel rappelle à juste titre que Freud lui-même le qualifiait de « rêve d’enfant », et qui n’est que la traduction de la capacité à pouvoir accueillir de manière good enough la douleur d’exister, c’est-à-dire notre faille de structure sans laquelle aucune vie ne serait possible.
Autre élément de ce tissage entre universel, singulier, général, et particulier, qui fait l’assise de ce livre, sa consistance, c’est la rencontre avec Jean Paul Hiltenbrand, « cadeau inestimable », « privilège », écrit Gérard Amiel, et cette pratique si singulière, c’est le cas de le dire, de l’Ecole de Grenoble, de demander à ses analysants de s’inscrire dans le même temps où ils viennent en analyse aux enseignements et aux séminaires.
De lire Freud et Lacan.
Et pas en catimini, pas dans leur coin, dans un chacun chez soi, un « Auriez vous par hasard un livre à me conseiller » demandé timidement en fin de séance, mais à la lumière et à l’exposition du cartel.
« Nous sommes maintenant avisés », écris-tu, « qu’il s’agit d’adjoindre à cette procédure de la libre association, sur et derrière le divan, et pourquoi pas le plus tôt possible, la lecture d’un certain nombre de textes fondamentaux et inhérents à l’analyse même, mais aussi fondateurs de notre civilisation, non dans le silence de la découverte, mais en lien avec ce que l’on appelle un travail soucieux de l’échange à plusieurs. La surdité des uns étant déplacée par la lucidité des autres ».
Comment aborder les textes ?
Gérard Amiel écrit : « Il faut chercher à les lire » et il reprend une strophe d’un poème de Léon Paul Fargue, (Vous faites un songe)« comme on cherche un ressort secret ».
Il faut chercher à les lire comme on cherche un ressort secret.
Provoquer un choc de lecture, un choc qui viendrait toucher, entamer, les ressorts, les éléments clefs, structurels, de notre propre rapport au langage.
Ce livre m’est apparu comme venant rendre compte de cette entame qui se produit de ce dispositif original, de ce tressage entre l’universel du texte et le particulier de l’énoncé de chacun.
Voilà l’hommage que Gérard Amiel rend à ses ensaignantes.
Et, mais ce n’est pas une anecdote, même si ceux qui en rendu compte l’on fait sur ce mode, c’est d’ailleurs ce que les analysants de Lacan eux même vivaient, au tissage double de leur analyse personnelle avec Lacan et de leur participation au séminaire, « inquiétamment étrangement » convaincus que telle ou telle phrase, ou tel énoncé de Lacan à tel séminaire leur était personnellement destiné et adressé, dans la suite de leur dernière séance, ou de ce qu’ils venaient de raconter à Lacan sur le divan.
Ce genre d’organisation, tel qu’en ont témoigné les analysants de Lacan, me semble très bienvenu, puisque le transfert c’est celà, c’est le che vuoi ? Mais qu’est ce qu’il me veut ? Qu’attend il de moi ? Comment veut-il que je me comporte pour enfin m’élire comme l’unique ?
Que me veut le texte ?
Reprenons sur cette question centrale du désir, et de son émergence par entame, et non par ajout.
Il m’a semblé que Gérard Amiel fait de la deuxième topique une question centrale.
Mais il y ajoute un au-delà.
UN AU-DELA de l’AU-DELA….
Disons qu’à la façon dont il articule cette question du désir avec cette deuxième topique, se dégage quelque chose d’essentiel dans le maniement de la cure cette fois.
Il ne s’agirait pas seulement de repérer dans la cure ce qui serait du registre du mortifère, de la répétition, de Thanatos.
Ce repérage seul ne suffirait pas, il y faudrait quelque chose en plus, qui consiste à mettre en valeur ce qui serait du côté de la vie.
Ne pas faire le simple pari que ce « du côté de la vie » émergerait de la simple chute de ce qui l’entrave, mais qu’il nécessiterai un choix décisif qui ne vient pas de surcroit, du simple glissement d’un signifiant venu occulter la vérité d’un sujet, mais que cette assomption nécessiterait un certain courage attendu de la part de l’analysant, et que vient illustrer cette phrase si fameuse du Deutéronome : « J’ai mis devant toi la vie et la mort. Tu choisiras la vie.
Et que cette question du choix de la vie est centrale tant dans notre adresse transférentielle au patient, mais aussi dans ce que nous en attendons en retour de sa propre adresse transférentielle. De ce que nous pouvons exiger de lui, lorsqu’il vient s’adresser à nous.
C’est ce que Gérard Amiel nomme l’Ethique du désir dans la cure, et qui vient éclairer sous un autre jour ces analyses qui s’enlisent, ou qui s’éternisent.
« Si cette conversion au désir pour le patient ne s’est pas effectuée durant sa cure, nous pouvons affirmer dans l’après coup, que cela équivaut à dire que l’analyse n’aura pas eu lieu. (futur antérieur, temps relatif), quels que soient les effets bénéfiques thérapeutiques produits, quel que soient le nombre d’années passées sur le divan, quelles que soient les capacité à circuler dans les connaissances dogmatiques analytiques. C’est le problème des cures en défaut d’acte. L’entrée dans le champ du désir implique un changement éthique radical. Si le poète « il s’agit de Jean Daive « affirme que la page écrite imprime un monde, alors nous disons que la prise d’effet du désir qui s’accompagne de la naissance véritable d’un sujet est un changement de monde.
Gérard Amiel reconnait cependant la difficulté que nous pouvons rencontrer à repérer ces enjeux de la seconde topique, de les faire entendre, de les faire résonner, dans un certain nombre de cures actuelles, et notamment pour ces patients, sans articulation évidente, sur le plan métaphoro-métonymique de leur symptôme, mais qui sont écrit-il « guidés par l’intuition qu’en ce lieu si étrangement minimaliste qu’est le cabinet du psychanalyste, une issue est possible à un effacement si touchant, à une existence envisagée sur des modèles copiés et par procuration.. «
« Rien de ce qu’il y a de plus éminent en l’homme ne peut advenir sans la mise en place correcte de cette structure du langage qu’est son aliénation à la logique langagière. Un chemin long, tortueux, escarpé et aride, parfois même scabreux, dont certains ne parviennent jamais à émerger vraiment, ne pouvant en aucune manière en appréhender les coordonnées correctes. Des pans entiers de leur subjectivité s’avèrent intouchés, y compris par le déroulement de la cure. Demeurés intacts tels des séquestres imperméables, ces zones d’étanchéité les retiennent tout entiers, ce qui se traduit par le fait qu’ils sont absents au monde, aux autres, et d’abord à eux-mêmes. »
Comment aborder ces cures, ce traitement des zones séquestres, qui semblent inaccessibles ?
A cet égard, il fait l’hypothèse très intéressante qu’il y aurait d’autres modalités de constitution ou de mise en place du sujet que le nouage Réel, Imaginaire, Symbolique.
Et il nous met en garde sur le recours immodéré à une topologie qui viendrait fonctionner en impasse, dans un usage qui lui permettrait de se dispenser du transfert, d’exonérer, « la difficile pratique de l’analyse dans la chair vivante de la clinique ».
« La topologie est un délire, si n’y figure pas la castration, au même titre que dans les textes fondateurs de la psychanalyse ».
Et il cite à l’aplomb de son assertion, deux fragments tardifs de Lacan, puisqu’il s’agit du séminaire sur la topologie et le temps.
Le premier se trouve dans la séance du 19 décembre 1978 : « Les ronds de ficelle c’est théorique, ça a à faire avec de cercles, de cercles souples et même élastiques, ça s’imagine. Mais l’imagination ne va pas loin. La topologie est imaginaire. Elle n’a pris son développement qu’avec l’imagination. Il y a une distinction qui est à faire entre l’Imaginaire et ce que j’appelle le symbolique. Le symbolique c’est la parole, l’imaginaire en est distinct ».
Et à la séance suivante, du 9 Janvier 1979 : « Quelle est la différence entre l’Imaginaire et le Symbolique, autrement dit le langage. Le langage a ses lois, dont l’universalité est le modèle, la particularité ne l’est pas moins. Ce que l’Imaginaire fait, il imagine le Réel : c’est une réflexion. Une réflexion tient au miroir, c’est donc dans le miroir que s’exerce une fonction. La métaphore du nœud borroméen à l’état le plus simple est impropre. C’est un abus de métaphore, parce qu’en réalité il n’y a pas de chose qui supporte l’Imaginaire, le Symbolique et le Réel. Qu’il n’y ait pas de rapport sexuel, c’est l’essentiel de ce que j’énonce.
Et Gérard Amiel conclue : « les indications intéressantes que nous pouvons dégager de la topologie ne trouvent pas forcément leurs traductions cliniques. Attention danger ! attention grand péril. »
Et un peu plus loin : « On sait combien l’analyste peut être sourd s’il se cramponne à son idéologie ou s’il préfère appliquer des recettes toutes faites plutôt que d’apprendre à partir de ce qui est déposé chez lui par chaque patient ».
Un autre point, dans la conduite des cures :
Durant la période de Covid, une majorité d’entre nous a maintenu le lien avec ses patients par le biais des entretiens vidéos ou téléphoniques.
Pour ma part, j’ai essayé d’en rendre compte, avec mes mots dans le dernier numéro de La revue Lacanienne, que je vous encourage à vous procurer d’ailleurs, et où Gérard Amiel a par ailleurs écrit, numéro dont le thème porte sur le corps.
Il s’agissait, à cette période si particulière, d’un impératif, qui consistait à maintenir vivant un lien, là où l’angoisse de mort d’une part, et la menace de mort réelle rôdaient, à l’affut de prendre toute l’hégémonie sur la vie, de venir à bout de la vie, tout simplement.
Donc il s’agissait de soutenir le vivant, à partir de notre place d’analyste, et donc cette liaison à part égale Réel, Imaginaire, Symbolique, et qui fait que lorsque l’un se défait les deux autres se défont.
C’est ça le vivant. Quand les trois tiennent ensemble, se tiennent par la barbichette. Et quand ils se lâchent, et qu’il n’y a plus que le rond du Réel, on passe la main. Aux services de réanimation.
L’enjeu était de les faire tenir sous la mitraille, et de ne pas laisser à l’angoisse les commandes, les rênes, de la déliaison de cette deuxième topique, qui pour moi, on l’aura compris, me semble être un achèvement dans la théorie freudienne, et être à Freud ce que l’objet a est à Lacan, à savoir, un centre à partir duquel s’organise et s’articule le reste de l’échafaudage théorique, et sans lequel rien de valable ne tient..
Aujourd’hui encore, alors que nous pouvons considérer globalement que nous sommes sortis de cette période, un certain nombre de psychanalystes continue à vanter les bienfaits de la cure par vidéo, des ouvrages sont publiés, se vendent.
En effet, nous sommes des parlêtres, et même par vidéo, il s’agit toujours d’une cure par la parole, avec une adresse. Alors quel est le problème ?
Gérard Amiel rappelle que bien que parlêtres que nous sommes, nous n’en habitons pas moins, notre corps, et que celui-ci nous encombre
« Il est bien sur possible d’écrire, de parler au téléphone, ou par l’intercession d’un ordinateur à son analyste, mais ceci ne constitue pas une cure qui inscrive véritablement. Ce ne sont que des ersatz qui dépannent ou parent au plus pressé dans des contextes bien particuliers, rien de plus. Certaines virtualités technologiques sabotent la fonction de la parole, même quand elles permettent le bavardage puisqu’elles privilégient l’adresse au petit autre sur celle du grand Autre. Or un cheminement qui n’a été accompagné que d’un petit autre ne permet pas l’élaboration attendue. Quelque chose de fondamental demeure évité et échoue. A l’instar de ces thérapies où la symétrie entre le patient et le thérapeute est recherché, nous en connaissons le résultat : le sacrifice de l’Autre.
Pour finir, et pour résumer, on pourrait dire que Gérard Amiel déplie sans jamais la citer une phrase vraiment très énigmatique de Freud, à propos de la fin de l’analyse, quand il dit que la fin de l’analyse c’est aimer et travailler.
Que le lecteur pardonne ma trivialité, mais c’est la phrase la plus con de l’enseignement de Freud. En vérité, non, il y en a bien au moins une autre, c’est celle où il est censé répondre à des parents venus l’interroger sur ce qu’il convient de faire avec leur enfant, pour être des parents parfaits que quoiqu’ils fassent, ce sera mal.
Car ces phrases, là, il faut une vie entière pour les déplier, tant il est vrai que la connerie ce n’est pas la bêtise, connerie et bêtise n’ont aucune commune mesure et n’ont rien à voir entre elles.
La connerie est la pointe extrême de la vérité, elle dit le vrai sur le vrai, et sans appel.
Sans dialectisation, ni compromis.
Or ce que font valoir aimer et travailler, dans l’ordinaire d’une vie, c’est comment l’extraordinaire s’appuie, prend appui, de l’ordinaire, et qu’il s’agit d’un fait de structure, d’une infinitude qui prend appui sur une finitude.
Ce n’est que ça, et c’est tout ça…
Le parcours d’une analyse.
Apprendre à désirer.