SÉANCE PLÉNIÈRE SUR LA LEÇON XXI (Second tour) DU SÉMINAIRE L’ANGOISSE (EXTRAITS)

Séance plénière du 07/02/2022 (Second tour) |
||
J. Lacan, L’Angoisse, Leçon XXI (5 juin 1963) |
||
Transcription : |
Relecture 1 : |
Relecture 2 : Jean-Pierre FEIFER |
S. Thibierge :
Lacan dans ces leçons de la fin de L’Angoisse tâche de poser, de mettre en place, d’articuler le statut de l’objet a…— Lacan dira même la « genèse », ….
C’est manifestement très important pour lui, et on peut entendre pourquoi, de montrer que cette articulation de l’objet a se fait avant la capture qui va occulter cet objet a à la faveur de la structure spéculaire….parce que si cette mise en place ne se faisait pas avant, on ne pourrait pas comprendre comment l’objet a pourrait rendre possible un passage de la jouissance au désir…, Lacan le dit : « Ce dont il s’agit aujourd’hui c’est de saisir comment cette alternative du désir et de la jouissance peut trouver son passage … S’il y a un passage, continue Lacan, là où l’antinomie [entre la jouissance et le désir] se ferme, c’est parce ce passage était déjà là avant la constitution de l’antinomie », sinon l’antinomie entre jouissance et désir l’aurait rendu impraticable. Il continue : « Pour que l’objet petit a où s’incarne l’impasse de l’accès du désir à la Chose lui livre passage, il faut revenir à son commencement. S’il n’y a rien qui prépare ce passage avant la capture du désir dans l’espace spéculaire, il n’y a pas d’issue. Car n’omettons pas que la possibilité de cette impasse elle-même est liée à un moment qui anticipe et conditionne ce qui vient se marquer dans l’échec sexuel pour l’homme. … »
C’est lui [l’homme] qui éprouve la castration dans cette mise en œuvre de la fonction phallique et une femme se retrouve donc dans la position de donner à ce défaut une apparence de toute-puissance phallique. Autrement dit, une femme vient rattraper ce défaut, mais au prix de passer à côté de ce qui serait, ou laisser de côté ce qui serait sa jouissance à elle …
Lacan, toujours dans le passage que je commente en haut de la page 410, met en relation de façon très précise ce qui se marque dans l’échec sexuel pour l’homme d’un côté, et la mise en jeu de la tension spéculaire. Autrement dit, la mise en jeu de la fonction propre de l’image spéculaire pour l’animal humain, est liée à ce refoulement — disons le comme ça — du phallus et à la castration. Autrement dit, pour parler très simplement et concrètement, le résultat de la mise en place spéculaire, c’est-à-dire notre rapport ordinaire à la réalité, est un rapport profondément de méconnaissance, c’est une façon de projeter sur tous les objets de notre monde la méconnaissance de ce refoulement du phallus ; et c’est au titre de la méconnaissance de ce refoulement, donc au titre de ce refoulement, que nous reconnaissons aussi bien notre image, que les objets et que notre semblable. Vous voyez que ça a quand même une très grande importance, cette tension érotique du champ de l’image spéculaire lié à la castration….
Pour le dire encore autrement, le phallus est là mais justement sur le mode de n’être pas là. Le phallus — Lacan nous l’explicite dans ces leçons d’une manière assez remarquable, assez extraordinaire —, ça a été dit souvent, est essentiellement « fallace » …. La question que va enfin arriver à articuler l’objet a, c’est une manière de répondre à cette situation étrange et déconcertante qui fait tout l’objet de ce séminaire L’Angoisse, à savoir que le phallus c’est ce qui indique le manque d’objet au sens de l’objectivité ...
« Que le phallus ne se trouve pas là où on l’attend, là où on l’exige, à savoir sur le plan de la médiation génitale — ça il l’a expliqué avant—, voilà ce qui explique que l’angoisse est la vérité de la sexualité — ça s’entend, compte tenu de ce qui précède —, c’est-à-dire ce qui apparaît chaque fois que son flux se retire — de la sexualité —, montre le sable — le moment du reflux. La castration est le prix de cette structure, elle se substitue à cette vérité …
Tout de suite après il dit : « Mais en fait, ceci est un jeu illusoire, il n’y a pas de castration par ce qu’au lieu, là où elle a à se produire, il n’y pas d’objet à castrer. Il faudrait pour cela que le phallus fut là. » Or, là encore, une sorte de nouvelle torsion, il n’est là que pour qu’il n’y ait pas d’angoisse. Il n’est pas là vraiment, il n’est là que pour qu’il n’y ait pas d’angoisse… Cette fallace est une nécessité de la structure de notre rapport, fondamentalement, au Réel bien sûr, mais surtout comme Lacan va le montrer tout de suite après, notre rapport à l’Autre, au grand Autre. …donc « le phallus comme puissance trompeuse » dit Lacan, nous donne la clé de cette structuration de notre monde — pour parler simplement, parce que ça ne fait pas un monde, mais de notre rapport au Réel. …
À ce moment-là, il montre comment tout ce que nous pouvons évoquer ou expérimenter comme de l’ordre de la toute-puissance, c’est toujours une manière d’esquiver et de consolider la méconnaissance du fait que la puissance défaille là où elle est attendue : ça c’est la fonction propre du phallus. …
Après avoir posé ce caractère difficile d’un rapport sexuel en tant qu’il serait supporté par le phallus (après avoir indiqué que ce n’était pas possible), Lacan vient à cet enjeu de la leçon, montrer comment peut trouver passage cette alternative du désir et de la jouissance. C’est-à-dire comment la mise en place de l’objet a se fait avant la mise en place de la structure spéculaire, celle qui va décider de notre rapport aux objets, à l’objectivité, à notre image, etc...
Lacan fait ici référence à la manière dont le visible pour l’animal humain ne peut se constituer comme totalité visible, ou comme image spéculaire visible, que sur la base du refoulement de l’œil, d’une occultation de l’œil qui est très proche du refoulement du phallus.
Cette forme — qui aussi bien est la forme spéculaire, la forme des objets — « nous cache le phénomène qui est l’occultation de l’œil qui désormais devrait, celui que nous sommes, le regarder de partout sous l’universalité du voir ». Mais justement : l’œil ne nous regarde pas de partout, sauf dans la psychose où il arrive qu’effectivement l’œil soit éminemment regardant ; sauf aussi dans le phénomène de l’unheimlich. …
L’unheimlich c’est quand le sujet réalise que derrière, là où il remarquait le désirable, il y a un désirant — évidemment ce désirant n’est absolument pas intégré dans la vision spécularisée, dans la forme de la vision spécularisée.
Juste après ce passage là, Lacan en vient à ce qui l’intéresse finalement au premier chef dans cette leçon, c’est-à-dire nous faire entendre comment se met en place cet objet a avant même la structuration de notre rapport imaginaire, ou de notre rapport spéculaire — pas seulement imaginaire : spéculaire — au Réel….
Il évoque la fameuse division de grand A par grand S : la division du lieu des signifiants, la division du lieu de l’Autre par, justement, les signifiants…. C’est ce jeu qui va produire le petit a comme reste. … Or, ce jeu premier du rapport du signifiant au grand A, c’est un jeu, dit Lacan, autonome de la parole …L’enfant ne reçoit pas les signifiants [de l’Autre] sur le mode du « Tu es ceci » ou « Tu es cela ». [ il reçoit] Tu es …, avec points de suspension. … Ce « jeu autonome de la parole » pourrait tout à fait passer pour de l’automatisme mental : l’automatisme mental, après tout, ça n’est rien d’autre que l’autonomisation par le jeu autonome de la parole tel qui se manifeste chez certains sujets sans avoir pu être repris au titre d’un je. …
Le stade du miroir ça n’est rien d’autre que la manière dont Lacan va expliquer comment ce tu es, c’est-à-dire cette parole autonome que le sujet reçoit d’abord comme parole strictement autonome, c’est-à-dire séparée de lui, comment il va pouvoir la reprendre au titre d’un je : ce tu es, il va en faire un je suis ; mais il ne peut le faire — et c’est là que nous retrouvons cette fallace que j’évoquais au début à propos du phallus et qui n’est pas sans rapport avec le phallus… Encore une fois, l’image spéculaire n’est pas possible sans le refoulement du phallus, et donc sans son efficace aussi, efficace de fallace, le côté fallacieux, trompeur ---
Le stade du miroir nous explique comment le sujet va reprendre au titre d’un je ; mais il va reprendre ça moyennant l’illusion spéculaire, l’illusion moïque et l’illusion de cette espèce de possibilité de vision ubiquiste, dit Lacan, c’est-à-dire le fait d’attraper partout le reflet de notre image spéculaire…
Lacan revisite la structure spéculaire en l’éclairant du refoulement du phallus, et en montrant qu’elle ne peut être à ce titre (la structure spéculaire) que fallacieuse ; et en même temps — c’est tout de même une drôle de chose — elle est indispensable à la reprise du langage pour le petit sujet en première personne. Bien sûr, la structure spéculaire n’a pas que des aspects imaginaires (elle a aussi des aspects symboliques), mais elle est prise dans les difficultés de cette structure spéculaire.
Ce que Lacan souhaite souligner, c’est comment le petit a (comme reste de cette opération de la division du grand A par le signifiant) est lié à ce jeu autonome de la parole. …Ce petit a comme reste est lié à quelque chose d’une voix détachée de son support. C’est-à-dire une voix qui est coupée de son support, qui procède d’une coupure, d’un isolat. Cette voix, Lacan va de façon très précise souligner son caractère d’extériorité — c’est très important ça — : incorporée. ….
La voix, pour l’animal humain, est la résonance- même du vide de l’Autre ; ou plutôt elle ne peut résonner qu’à travers l’appareil du vide du grand Autre. Ça c’est un point absolument fondamental, parce que cela ôte toute pertinence à tout ce qui voudrait assimiler la voix au corps …
« La voix répond à ce qui se dit — effectivement, quand nous parlons nous répondons toujours à quelque chose qui nous vient de l’Autre —, mais elle n’en répond pas » : elle répond à ce qui se dit mais elle ne comble pas ce vide structural à partir duquel elle se produit cette voix. Il dit, au bas de la page 416 : « La voix dont il s’agit — ici je vous rappelle c’est la voix en tant qu’objet a —, c’est la voix en tant qu’impérative, en tant qu’elle réclame obéissance ou conviction » … Ça c’est très important : c’est la voix à laquelle on est sommé de répondre, ce n’est pas du tout la voix qui module, ce n’est pas la voix du chant, ce n’est pas la voix où le corps trouve à exulter ou à manifester. « Elle se situe, dit Lacan, non par rapport à la musique mais par rapport à la parole » … Même si bien sûr le corps en est affecté, elle procède de l’appareillage d’un vide qui est le vide de l’Autre. …
Il dit (à la fin de la leçon) : « Le shofar modèle le lieu de notre angoisse, mais, observons-le, seulement après que le désir de l’Autre ait pris forme de commandement. C’est pourquoi il peut jouer sa fonction éminente à donner à l’angoisse sa résolution, qui s’appelle “culpabilité” ou “pardon”, et qui est justement l’introduction d’un Autre ordre ». Et l’introduction de cet Autre ordre, c’est l’introduction de l’ordre d’une référence à la loi. Là, le shofar vient illustrer et dire la vérité de la fonction de la voix en l’articulant à quelque chose qui vient de l’Autre, qui nous vient de l’Autre et qui se produit, pour nous, à partir d’une coupure fondamentale qui suppose le vide et l’absence de garantie …
Nous sommes là devant quelque chose de l’ordre de la loi, purement et simplement. C’est-à-dire — et là il l’annonce — quelque chose qui vient nous évoquer l’ordre du désir de l’Autre….
C’est pour faire véritablement une place articulée à la question du désir de l’Autre que Lacan produit une articulation aussi précise de la manière dont se met en place l’objet a, et aussi la question du phallus.
***
Choix des extraits Christine Robert