Les ficelles du métier !

CHASSAING Jean-Louis
Date publication : 03/05/2021

 

Les ficelles du métier !

Jean-Louis Chassaing

 

Je souhaite écrire un mot suite à la lecture du dernier billet de Charles Melman, Marabout, bout de ficelle, texte courageux comme toujours, de par son positionnement, logique, psychanalytique et de par le choix du sujet, très délicat et fort complexe selon moi. Et très actuel bien que suscitant toujours, de longue date, des réflexions passionnées, avancées ou « reculées »…

Peu d’analystes à ma connaissance, y compris dans notre association, s’intéressent à la question de la responsabilité pénale, ce qui n’est qu’un des aspects du texte de Charles Melman. Mais c’est son point de départ, justifié par l’actualité, soit la confirmation par la Cour de Cassation, le 14 avril dernier, de l’irresponsabilité pénale de Kobili Traoré, meurtrier en 2017 de Sarah Halimi, femme juive « balancée », excusez du mot,  par la fenêtre. Comme dans tout le Droit les mots comptent.
Nous avions déjà avec Christian Bucher, expert auprès des Tribunaux, et Bob Salzmann, donné un long article de Compte-rendu de journées d’études à Montpellier le 16 mai 2009 sur Les grands criminels. Expertise, responsabilité, dangerosité [1]. Ces journées avaient notamment retenu des analyses et discussions de Charles Melman et de Daniel Zagury, expert auprès des Tribunaux, concernant la pathologie du « tueur en série » Richard Durn, ceci d’après les pièces du dossier.

« Irresponsabilité pénale ». « Abolition du discernement » pour « bouffée délirante » - le terme de « bouffée » a son prix juridique – le meurtrier était gros consommateur de cannabis.

Crime, antisémitisme, soumission religieuse radicale, folie, drogue, responsabilité, conscience ou non, un curieux et bien complexe contexte !

La foule gronde : « justice défoncée ! » « Pas de droit sans justice »… La foule ? Des politiques, des gens du spectacle, des intellectuels, des gens du peuple etc., certainement avec des réflexions et des jugements, des propositions diverses, différentes.  Les motifs et les « causes » se mélangent, l’antisémitisme, la prise de drogue, la folie… Les questions les plus loufoques, les plus passionnées, reviennent dans ces « causes » dangereuses, mais qui suscitent autant de réflexions elles aussi dangereuses, déjà connues. « Peut-on être fou et antisémite à la fois ? », « Un crime antisémite est-il soluble dans l’irresponsabilité psychiatrique ? », ou encore « ne faut-il pas distinguer l’abolition du discernement selon l’origine du trouble mental ? », question-réponse prête à toutes sortes de stigmatisations…Devant la réclame d’une « évolution du cadre législatif » le garde des Sceaux proclame que « la France ne jugera jamais les fous »,  mais il parle de projet de loi qui viserait à « combler un vide juridique », en « l’absence de possibilité offerte par le droit actuel de tenir compte de la prise volontaire de substances toxiques par un individu conduisant à l’abolition de son discernement ».

« Prise volontaire » : ? Quid de l’addiction ?

La prise, volontaire, « consciente » ?, ou non, est-elle facteur aggravant ou atténuant ? Pour quel acte ? Le terme même de « bouffée » délirante, spécificité de la psychiatrie française, laisse ici percevoir l’aspect éventuellement transitoire… moment de folie certes, mais alors la prise en elle-même, est-elle « responsables », même si itérative ?

Le « Au moment de l’acte » a déjà été questionné du fait de la date parfois bien ultérieure de l’expertise.

Comme il fut déjà souligné, l’ambiguïté règne encore dans ces bonnes volontés – celle des faiseurs de lois - et ceci du fait en grande partie des énoncés. Des mots.

Dans notre texte de la revue Lacanienne en 2009 nous rappelions les réécritures de l’ancien article 64 du Code Pénal remplacé alors par les articles 122-1 (alinéa 1) et 122-2 (alinéa 2), je ne sais s‘ils ont été modifiés depuis. Certains mots même sont brillamment remis en questions par des juristes attentionnées.

Article 122-1 (alinéa 1) : « N’est pas pénalement responsable la personne qui était atteinte au moment des faits, d’un trouble psychique ou neuropsychique ayant abolit son discernement ou le contrôle de ses actes ».

Article 122-2  (alinéa 2) : « La personne qui était atteinte, au moment des faits, d’un trouble psychique ou neuropsychique ayant altéré ou entravé le contrôle de ses actes demeure punissable ; toutefois la juridiction tient compte de cette circonstance lorsqu’elle détermine la peine et en fixe le régime » .

Il avait été noté que ce dernier article, ajouté dans le but d’atténuer la peine, avait en fait, et du fait de l’ambiguïté des mots (leur équivocité ?) abouti aux résultats inverses, soit une aggravation ! La distinction entre altération (alinéa 2) et abolition (alinéa 1) étant entendu dans des sens opposés selon le contexte… et le jury. Par ailleurs les deux juristes font remarquer que « trouble de la personnalité », notion reprise dans d’autres lois, « est bien une catégorie nosographique psychiatrique bien que n’étant pas une catégorie de pathologie psychiatrique ».

Bref lorsque s’ajoute la prise (qu’est-ce-à-dire exactement ? prise ou emprise, sous l’em-pire ?) d’un produit « toxique » exogène, mais aussi, autre sérieux de la série, un antisémitisme, pensé ( ?), déclaré, il y a de quoi perdre ses références [2] !

Le texte de Charles Melman est en cela important et bienvenu. Il est éclairant, en ce sens qu’il s’agit selon moi d’une mise en logique, d’un usage de la psychanalyse, et d’une non abstention de cet usage dans un fait social total comme dirait Mauss. Cela n’est pas « donné » à tout le monde ! Certes il s’agit aussi d’un point de vue, argumenté selon l’expérience psychanalytique, selon une éthique de la psychanalyse ; cela ne manque pas de pouvoir être reproché, ce qui est d’ailleurs souvent rassurant à ne pas suivre le conformisme ambiant.

Le texte parle de « l’obnubilation de la conscience ». Je dirai : « de quoi est-on serf ? » (Cf. La Boétie, voire Baudelaire), toujours !

« … une conscience toujours prête, partout, à renoncer à ses responsabilités et donc à étouffer son inconscient ».

Les exemples de ce drame, social ?, sont l’exacerbation de la question de la responsabilité, et lorsque l’opium – du peuple - en excès et une forme de  religion en excès s’imbriquent, la complexification juridique s’annonce.

Il est patent que cette affaire survient en même temps que la remarque d’absence d’un débat sur la légalisation du cannabis, débat (sur la loi du 31 décembre 1970 !) réclamé par Alain Ehrenberg dans les pages du Monde, et par d’autres, praticiens et scientifiques, débat fermé sur une position passéiste par notre Président.

Alors, toujours et partout. Le texte de Charles Melman passe habilement de la responsabilité pénale d’un fait qu’il prend comme fait social total, ainsi que Lacan reconnaissait à sa façon Mauss et Lévi-Strauss, et il en balaye les différents éléments. Ceci pour faire surgir l’inconscient de chaque un. Une façon de « faire de la psychanalyse », toujours et pas forcément partout ! Mais ici l’analyste se trouve concerné, concerné par la psychanalyse. Il est amusant que j’ai retrouvé ces textes sur la responsabilité, pénale, dans le numéro consacré à La psychanalyse est-elle une addiction ? Titre donné par Charles Melman à l’époque. Alors au goût du jour : les analystes que nous sommes  sont-ils concernés par le maraboutage ou non ? De quelle façon ? A se déprendre de Qui, ou de Quoi tire les fils, sans cesse  y aurait-il à remettre en œuvre les ficelles du métier s’il en est ?


 

[1] La Revue Lacanienne, La psychanalyse est-elle une addiction ?, N°5 octobre 2009, Eres.
[2] Au sujet de la question du cannabis et de la soumission, à la Religion ou autres pouvoirs, l’Histoire encore et toujours nous enseigne. Notamment cette fabuleuse histoire  racontée entre autres par Marco Polo sur « le Vieux de la Montagne », sur les haschischins et « l’Ordre des assassins » dans les textes d’Hassan Ibn Sabbah (Cf. Jean Garrabé).

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