Les savants. L’attente

CHASSAING Jean-Louis
Date publication : 06/04/2020

 

Les savants. L’attente

Jean-Louis Chassaing

 

Extraordinaire Lacan !
 
Nous travaillions La troisième, avec Thierry Florentin, Marc Morali, auquel se joint Patrick Valas, pour des Journées qui devaient avoir lieu en décembre, et devraient avoir lieu en juin 2021 suite au déplacement des journées de l’ALI-EPEP « Comment les enfants et les adolescents d’aujourd’hui trouvent-ils leurs repères symboliques dans le monde ? ». Journées dont on peut penser que le contenu sera marqué voire déplacé par les évènements ?
Alors dans cette interview de Lacan avant La troisième, le 29 octobre 1974 au Centre culturel français, il répond à la question d’une journaliste qui lui demande pourquoi il a dit que le psychanalyste était dans une position intenable. Et il parle de gouverner, éduquer, analyser, métiers décrits impossibles par Freud en 1937. Il parle aussi de l’angoisse. Il ajoute également « une chose dont Freud n’a pas parlé, pare que c’était tabou pour lui, […] la position du savant, la position de la science ». Je renvoie ici au livre qui vient de paraître chez érès « Réel de la science, Réel de la psychanalyse », livre d’actualité. En 1974 Lacan avance que les savants commencent à faire des crises d’angoisse ! Les savants qui travaillent dans les laboratoires dit-il « ces derniers temps ont eu « les foies » » ! « … si toutes ces petites bactéries avec lesquelles nous faisons des choses si merveilleuses, supposez qu’un jour, après que nous en ayons fait vraiment un instrument absolument sublime de destruction de la vie, supposez qu’un type les sortes du laboratoire ». Il évoque alors le balayage de l’humanité de la surface de la terre. Rien de rassurant aujourd’hui, même si le contexte et « la source » semblent différents. Je laisse à lire le contexte dans lequel Lacan évoque cette chose, ce Réel.
 
Autre Lacan. 
Dans ses nombreuses études sur le jeu, les stratégies, la combinatoire, la stochastique, Lacan  donne l’objet du joueur comme étant définit par l’attente. Le professeur Christian Schmidt, brillant théoricien des jeux, des stratégies qu’elles soient militaires ou politiques, à qui je faisais lire ces pages de Lacan, était parfaitement d’accord. Non pas l’attente du gain d’argent comme le tablent les comportementalistes, non, l’évidente observation l’infirme, non, Attente. Une attente ici particulière, il faudrait reprendre les réflexions élaborées de Lacan. Disons l’attente d’être « déraillé » vers une autre chaine signifiante que celle de sa pauvre et insatisfaisante existence. Une chaine sans perte de l’objet « a », une chaine où la mise ne serait pas perdue… pour rien ! Rien. Il y aurait cette tension, cette jouissance de cette attente là. Au risque de se perdre soi-même.
 
En ces jours bien difficiles il me semble que l’attente est là. Pas celle du joueur bien sûr. Mais cet aspect du temps est prégnant. Plutôt du coté d’une perplexité anxieuse. Attendre, s’attendre à… Le professeur Jean Sutter, psychiatre méditerranéen de Marseille, sur la fin de sa vie, insistait sur un concept, celui d’anticipation. Différent selon lui dans les cliniques, pour l’hystérique, l’obsessionnel, le mélancolique par exemple. Des patients au téléphone me disent « c’est artificiel » à propos de leurs… propos ! Ils parlent de l’actuel, du présent et de l’à-venir immédiat. Ceci se retrouve dans l’excellent article de Guy Dana que me transmet Thiery Florentin, dans lequel il distingue conversation et analyse, ceci à propos de la présenceprésence de l’analyste, présence de l’analysant. Je réponds aux patients que c’est circonstanciel, façon de se déjouer de la distinction surface et profondeur chère à Jung avec sa « psychologie des profondeurs » ! Et de leur rappeler la règle fondamentale, « tout est important », tout est surface dans les dits. Se démarquer, comme le dit Guy Dana, de la conversation, même et surtout ici en dehors de la présence du corps.
L’attente aujourd’hui est douloureuse. Est-elle parfois jouissance ? Attente du signe du corps, qui indiquerait « la » maladie, pour soi, pour « le proche ». Attente que « ça passe ». Attente de la certitude. Attente de « la fin » du confinement. Attente de l’hiver prochain ?
Relire Freud et ses théories de l’angoisse. « Si l’angoisse est la réaction du moi au danger, il n’y a qu’un pas à faire pour interpréter la névrose traumatique, qui suit si fréquemment un danger de mort auquel le sujet a survécu, comme une conséquence directe de l’angoisse pour la vie ou angoisse de mort, en négligeant ainsi les relations de dépendance du moi et de la castration ». Texte circonstanciel de 1926. Freud fait intervenir le facteur temps et l’objet pour distinguer : le traumatisme, où l’objet, le danger tombe sans préparation temporelle suffisante, la peur, où l’objet est connu et peut venir, l’attente ayant préparé sa venue, et l’angoisse, où la préparation, l’attente ne trouve pas son objet, ce que Lacan a « rectifié ».
L’attente aujourd’hui-hui est polymorphe, et la clinique en dira les aspects. LA réponse attendue manque, l’agent traumatique a ses particularités, qui concerne chacun en son particulier, en sa subjectivité. Si LA solution manque face à cet invisible si ce n’est ses conséquences, il faut noter le formidable déploiement, chercheurs inclus, sur un terrain dont la mondialisation nous saute au visage.

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