Note de lecture sur « Le Principe de Jouissance »

JEJCIC Marie
Date publication : 19/03/2020

 

« Le Principe de Jouissance » Christian Fierens, EME  éd. 2020 

Le 18 mars 2020, Marie Jejcic 

La production de Christian Fierens est aussi rigoureuse que constante, avouons que nous peinons à en suivre le rythme !!

Mais voici, alors que l’Association est au travail de Kant avec Sade et du séminaire VII sur l’éthique de la psychanalyse, que paraît dans la collection qu’il co-dirige « EME Lire en psychanalyse » :

Le Principe de Jouissance avec pour sous-titre :

1/Critique de la raison pratique (Kant) 

2/Kant avec Sade (Lacan)

C’est une aubaine ! 

Si je me permets de prendre la plume alors que je ne suis pas philosophe, c’est pour faire part de mon expérience. Ne pensons pas tout ceci inutile et beaucoup trop compliqué pour préférer ne considérer que le texte de Lacan qui pourrait sembler à certains suffisant sans aller s’encombrer de Kant ! 

Eh bien non, trois fois NON. 

  • Non, car livre faisant, l’écriture de Fierens s’épure. Son style clair est vivant, il saisit avec précision les articulations et son propos musclé reste souple. 
  • Non, et c’est pourquoi j’écris. Je ne suis pas philosophe et j’avoue être rétive à certains auteurs dont Kant précisément tant mes souvenirs scolaires m’ont laissé de lui une austérité plutôt grisaille. Sauf que, dans L’Ethique, Lacan en juge la lecture acquise par son auditoire. C’est dire qu’elle est décisive à son abord de l’éthique de la psychanalyse. J’y suis donc retournée sans grand enthousiasme comme, lors d’interventions, j’en ai entendu quelques-uns dire s’y être mis, mais sans vraiment préciser ce qu’ils en avaient retiré. Car l’affaire est robuste.
  • Enfin, non car Fierens ne se départit jamais de sa pratique. Sa lecture, fut-elle de Kant, n’est pas philosophique en soi puisque toujours articulée au questionnement clinique qui l’oriente et aux questions rétrospectives du philosophe lu par Freud et par Lacan.  

En conséquence, la parution de ce livre est vraiment une chance  dont il nous faut le remercier ! Fierens défriche les axes de lecture, questionne l’ensemble et cela change tout ! Kant, Sade, Lacan lui permettent d’interroger et de reconsidérer la jouissance au principe de l’inconscient. 

Puissant, subtil, il génère un mouvement de lecture jamais dissocié de la pratique questionnée par les coordonnées et les incidences de la jouissance qui doit ordonner avec Lacan, une éthique pour la psychanalyse. Mais éthique n’est pas moral insiste Lacan dès la première leçon, et il ne s’agit pas de juger une bonne ou d’une mauvaise jouissance. Le désir est seul concerné, sauf que toute la difficulté est là. 

Donc Kant… Et Fierens, qui ne se départit jamais de son côté frondeur, sans s’embarrasser, commence par dénoncer la lecture de Kant par Lacan qu’il considère emboiter le pas à tous les contresens des commentateurs traditionnels ?! 

Diantre, accuser Lacan de mal lire lui qui régénère les textes dont il s’empare !! 

Mais Fierens est sérieux. Il sait repérer la précision de la lecture de Lacan dans les  rectifications avisées qu’il fait des malencontreuses traductions françaises de Kant, si bien qu’il se demande pourquoi Lacan adopte néanmoins les lectures classiques ? 

Procédant à l’analyse de La Critique de la raison pratique de Kant, sous tendue par les Fondements de la Métaphysique des mœurs, Fierens compare ce qui devrait être une lecture de Kant à celle de Lacan. Qu’en résulte-t-il ? Cela lui permet, non pas de déclarer mais, de démontrer finement la fonction de Sade pour Lacan dans l’Ethique. Sade donne la vérité de Kant. Si la maxime kantienne est un devoir (impératif) indépendante du plaisir ; chez Sade, elle devient un droit dont dépend le plaisir. Pour Kant la douleur tient en respect, alors que chez Sade, elle participe de la jouissance au point de donner un accès sensible à la Chose.  Mais chez l’un comme chez l’autre, das Ding est concerné. Et Fierens de conclure, « c’est donc  la Chose, das Ding, qui polarise l’Ethique de la psychanalyse » avec Lacan.

La lecture, le travail du Séminaire s’en trouve modifié. Au lieu passer des sentences lacaniennes, comme des tessères disait Lacan, elles s’animent.

Il n’est pas de mon intention de suivre le parcours de ce livre, plutôt d’en dire la force synthétique et analytique. 

Synthétique : Fierens utilise Kant comme une pince monseigneur pour soulever Lacan via Sade, repérer les écarts afin, non pas de démontrer comment procède Lacan, mais ce qui en résulte pour la jouissance dont il fait un principe. 

Analytique : jamais il n’applique Lacan ou ne part « d’acquis lacaniens » ce qui dévoie Lacan en donnant à ses apports des airs de concepts un peu trop figés. Au contraire, démonter la lecture et ses références, restitue au texte Lacanien sa fonction et sa dynamique, seules à mettre à l’épreuve de la cure la pertinence de l’apport lacanien. 

S’entend dire parfois que Fierens n’est pas lacanien… Ce n’est pas faux. Il ne l’est pas religieusement, mais ce n’est que pour mieux l’être. 

La clinique ici n’est plus une vignette ou un « sens », fameux sens clinique que les uns auraient et les autres pas, sans que l’on ne sache jamais rien en dire. 

Fierens démontre combien une lecture active de Lacan, désinhibée peut-être mais strictement rigoureuse, impose de lire les références principales, ici Kant –car Sade est plus volontiers lu- pour ne jamais atrophier la force et l’efficacité.  

Donc nous disions que Fierens, à empoigner les textes de Kant, Sade et Lacan, considère ce qui en résulte pour la jouissance et ce qu’il dit en être « son principe ». 

Nous connaissions de Freud, le principe de plaisir et le principe de réalité, nous connaissions aussi l’au-delà du principe du plaisir, voici que Fierens propose un principe de Jouissance pour définir l’inconscient. 

Mais qu’est-ce qu’un principe et pourquoi l’appliquer à la jouissance dont nous connaissions plutôt le champ dit lacanien ? 

Ce n’est pas tout, car pourquoi parler de La jouissance au singulier, alors même que si Lacan a introduit quelque chose, n’est-ce pas précisément des jouissances plurielles : imaginaire, phallique, Autre, du sens, fantasmatique... Puisqu’il ne s’agit pas de stades mais de mobilité topologique, dira-t-on qu’à suivre le mouvement de la jouissance dans la cure, elle en devient moins mortifère ? 

Principe de jouissance ? Principe vient précisément de Kant. Voici ce que dit Fierens (je cite et condense ) : « La loi morale se différencie du principe de plaisir par deux voies distinctes. La première déduirait la loi morale d’un principe transcendant : « au-delà », la deuxième l’induirait par ses constatations cliniques empiriques : en deçà…  Or, ce sont deux fausses pistes qui supposeraient que la loi morale découle d’un savoir à déduire d’un principe supérieur, alors que si la loi morale est vraiment première elle ne peut trouver son principe qu’à partir d’un trou dans le savoir. »

Il n’y a pas un sujet moral, un  grand Autre qui répondrait de la morale, mais un trou. C’est lui qui favorise le principe en mesure de produire « une autre forme ». 

La loi morale -qui vaudrait comme loi de l’inconscient- procède du seul principe de jouissance épuré que Lacan formule : « J’ouïs ». Alors se profile avec l’objet a, la façon dont Lacan, à le pousser dans ses retranchements, débusque l’objet voix désubstantialisé et surmoïque. 

Le gain de vérité de Kant conférée par Sade est La Chosedas Ding avec l’incidence que cela a sur la conception de l’objet dit (a). Das Ding confère une présence au réel qui change l’objet et modifie la topologie du principe de l’inconscient, son éthique donc puisqu’un « un principe ne repose pas sur ce qui est ou sur ce qui est déjà réalisé, mais ce qui doit être, sans aucune garantie d’avoir été réalisé ou de se réaliser dans le futur. »

Ce livre ne met pas seulement à l’épreuve de l’inconscient, il nous met à l’épreuve de « l’inconscient lacanien »à la façon dont Lacan disait dans le séminaire XI « l’inconscient freudien… et le nôtre. » 

Quant au singulier de la jouissance, si les objets changent, le principe qui anime la jouissance avec la pulsion de mort si prégnante dans l’inconscient, les névroses et notre société qui s’« affranchit » drôlement dirait Thierry Roth, par ce « principe de jouissance », son réel en somme, la pulsion de mort découvre son potentiel créateur… 

Fierens bénéficiera d’une lecture plus déployée dans la Revue lacanienne, ce n’est pas là mon propos, mais plutôt ici d’inviter à lire ce livre si précieux pour le psychanalyste et, plus ponctuellement, pour la lecture du séminaire à l’étude cette année. 

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