Conférence de Roland Chemama : Extension et paradoxe de la perversion (26/11/2019 en transcription )
Le Grand Séminaire de l'ALI
Conférence de Roland Chemama du 26 novembre 2019
Claude Landman : Bon, alors, le grand séminaire se poursuit cette année avec un cycle de sept conférences sous l’intitulé général : La perversion ou quoi ? Et pour ouvrir ce cycle de conférences, c’est notre ami et collègue Roland Chemama qui va nous traiter la question suivante :
Extension et paradoxe de la perversion.
Roland Chemama. Alors effectivement, la commission d’enseignement qui organise ce séminaire a choisi d’orienter ses travaux sur la question de la perversion. Je voudrais surtout en ce qui me concerne, dire ce qui me paraît le plus intéressant dans la démarche que nous suggérons, à la fois dans le titre du cycle, que tu as rappelé, et dans son argument que vous retrouverez sur le site je suppose. Donc dire un petit peu ce qui est intéressant au niveau du projet lui-même, et ensuite je vais me permettre de vous proposer un parcours assez large finalement. C’est un peu comme s’il s’agissait pour moi de situer diverses questions que nous pouvons nous poser cette année, donc un peu une fonction d’introduction.
Alors dans un premier temps, le titre de notre cycle de conférences, la perversion ou quoi ? Ce titre suggère plusieurs choses. Tout d’abord il interroge notre clinique, clinique individuelle ou clinique sociale, à partir de la perversion et on pourrait penser que c’est simplement dans le fil de ce que certains d’entre nous ont travaillé depuis des années. Je peux me référer par exemple au livre de Jean-Pierre Lebrun sur La perversion ordinaire.
Ce qui me paraît intéressant dans notre cycle, c’est que la perversion trouve place dans une alternative, une alternative un peu particulière, une alternative où par rapport au second terme, ce « ou quoi ? » interrogatif, elle a tout de même une place particulière, cette perversion.
Ce que vient nous dire le titre du cycle, c’est que pour penser notre monde, ce qui se présente tout d’abord c’est l’idée de perversion. Mais aussi et peut-être surtout, c’est que si on veut lui opposer un second terme, un terme qui permette une alternative, qu’on ne soit pas enfermé complétement dans la mise en place de la perversion comme telle, si on veut lui opposer un second terme, celui-ci ne va pas de soi, il reste indéterminé, la perversion d’un côté et quoi de l’autre ? Je ne pense pas du tout que je vais répondre à la deuxième question, c’est tout le cycle de l’année qui va tenter d’y répondre. Cette question, est-ce qu’on peut avoir idée de ce qui permettrait de sortir de la perversion ? Et vous concevez, si je dis les choses comme ça, que le questionnement pourra porter aussi sur la fin de la cure, il me semble que c’est indiqué explicitement dans l’argument.
A quelle condition la perversion peut occuper cette place privilégiée, au moins dans notre approche ? Cette place qui la met non seulement au centre d’un questionnement sur nous-mêmes, mais rend fragile parallèlement, la référence à un autre terme qui permettrait de lui faire pièce, à la perversion.
En exergue à mon travail où je vais commencer à parler de cette question, je mettrais volontiers un titre un peu provocateur, une affirmation de Lacan dont la dimension paradoxale n’échappera à personne. Elle se trouve dans le séminaire sur le transfert, à la fin du séminaire, je vous en cite quelques lignes : « Si la société entraîne par son effet de censure une forme de désagrégation qui s’appelle la névrose, c’est en un sens contraire d’élaboration, de construction, de sublimation, disons le mot, que peut se concevoir la perversion quand elle est le produit de la culture. » Je ne vais pas commenter tout de suite cette phrase, je la laisse en exergue, peut-être dans la discussion à la fin de mon exposé on pourra y revenir.
En tout cas disons que cette phrase nous incite au moins à nous méfier d’un usage moralisateur du terme de perversion, je ne sais pas si vous y êtes sensibles, mais il me semble qu’il fait retour dans la psychanalyse. C’est le cas par exemple lorsqu’un psychanalyste, soucieux de dénoncer le harcèlement sexuel dans telle ou telle université, se sert du terme de perversion pris, me semble-t-il, dans son usage trivial. Pour ma part il me semble que ce qui est important, c’est de ne pas tomber dans la perception commune de la perversion qui déprécie plutôt qu’elle ne décrit.
Si nous autres, psychanalystes, nous avons les moyens de traiter de la perversion, aussi bien au niveau individuel qu’au niveau collectif, sans tomber dans un travers moralisateur, c’est que, depuis Freud et même avant lui, une approche s’est développée qui permet d’en parler sans tout de suite être rattrapé par les jugements de valeur.
(Intervention inaudible sur des interférences avec les téléphones.)
R.C. : Ah ça interfère. Ça va pour l’instant ? Vous avez entendu ? Je ne répète pas tout. Il y a un bruit de fond désagréable. Bon, les téléphones sont éteints. Dans les théâtres on dit : « Nous vous rappelons de rallumer vos téléphones après le spectacle. »
Alors, oui, ce qui nous permet de ne pas tomber dans un travers moralisateur, c’est que depuis Freud, et même avant lui, une approche s’est développée qui permet d’en parler sans tout de suite être rattrapé par le jugement de valeur. J’ai dit que ça existait déjà avant Freud parce que, l’œuvre de Krafft-Ebing qu’il consacra à la Psychopathia sexualis, c’est un gros livre, on y apprend des choses et c’est intéressant.
Maintenant, on ne s’y attarde pas et on va voir Freud et Lacan, ne serait-ce que Freud, en présentant l’enfant comme un pervers polymorphe et Lacan pour qui l’acte d’amour est la perversion polymorphe du mâle, montrent la nécessité de ne pas avoir une approche réductrice de ce que nous appelons perversion.
Si la perversion se réduisait à un petit nombre de comportements plus ou moins criminels, nous n’aurions aucun moyen de les questionner au niveau global. Je viens de parler de perversion polymorphe, c’est concevable de prendre les choses par là. En même temps vous pourriez me dire que ce qu’on appelle ainsi, perversion polymorphe, c’est en fait assez différent de ce qu’on désigne par ailleurs ‘perversion’ tout court.
Mais je ne traiterai pas de cela, c’est bien sûr à partir de la perversion elle-même que je souhaite à présent vous proposer deux thèses, deux thèses à partir desquelles mon travail s’articule. J’énonce ces thèses sans tenter de les démontrer. Nous verrons plutôt si elles peuvent fonctionner, une façon de construire quelque chose et de voir ensuite si ça tient le coup.
Première thèse : dans son origine, je souligne ces mots, la perversion renvoie à un fait anthropologique essentiel, le besoin pour tout sujet de tenter d’échapper aux effets qu’il y aurait pour lui à affronter directement le réel de la structure, c’est-à-dire le trou à partir duquel s’organise son désir. La perversion est à penser à partir de quelque chose qui concerne chacun : comment échapper aux effets de cette rencontre du réel clinique.
On dit souvent que l’objet qui cause le désir est un objet perdu, mais en même temps le désir serait inconcevable s’il ne se soutenait pas d’un espoir fantasmatique, celui de trouver l’objet qui permettrait d’oublier un peu ce trou structural. Peut-être la façon la plus simple d’en parler serait de rappeler qu’il n’y a pas de rapport sexuel, au fond c’est ça le trou que chacun affronte ou évite, le fait qu’il n’y a pas de rapport inscrit dans quelque nature humaine et qui harmoniserait le désir entre hommes et femmes et avec cette idée qui accompagne ma première thèse, que c’est cette absence de rapport sexuel que tout sujet dans sa vie s’efforce de nier.
Deuxième thèse : dans l’organisation spécifique qu’elle prend, la perversion, c’est plus à l’origine … là on parle vraiment d’une organisation au sens d’une structure clinique. Cette structure accentue de diverses façons ce fonctionnement par quoi le sujet, tout sujet, s’efforce de boucher le trou d’où s’origine du désir. Il me semble que toutes les élaborations analytiques peuvent se rattacher à cette seconde thèse, les élaborations sur la perversion, à travers Freud, l’idée d’un fétichisme, notamment, qui dénie la castration, à travers la notion lacanienne d’une perversion qui consiste à positiver l’objet cause du désir, c’est pas un trou, c’est un objet repérable, ou mieux encore, à restituer cet objet au champ de l’Autre (Vous connaissez tout ça, ce soir je vais vous rappeler beaucoup de choses) à travers l’idée d’une tentative pour faire jouir l’Autre, l’Autre avec un grand A. Cette dernière idée est intéressante, non seulement en elle-même, mais en ce qu’elle permet d’avoir déjà une première approche de quelque chose d’autre qui est dit dans l’argument quand dans l’argument on parle d’une désaffection du rapport au semblable. Le pervers, c’est vrai, ne ménage guère le partenaire qu’il rencontre dans la vie, c’est parce que son vrai partenaire c’est l’Autre, l’Autre avec un grand A.
Une des thèses qui me semble les plus fortes chez Lacan, concernant la perversion, c’est que le pervers se fait l’instrument de la jouissance de l’Autre. Comment ils appellent ça ? Le pervers narcissique, mais ce n’est pas de narcissisme dont il s’agit dans la perversion. il s’agit de faire jouir l’Autre.
Il y aurait beaucoup d’autres éclairages possibles que ceux que j’annonce là. J’en aborderai quand même un de plus encore après ceux que j’ai cités, qui n’est pas du tout évident. Cette autre approche que je vous proposerai, j’irai forcément rapidement sur beaucoup de points, c’est celle qu’on peut construire en se demandant ce que la théorie lacanienne de la père-version pourrait nous enseigner sur le fonctionnement subjectif que nous désignons comme pervers, fonctionnement dont je soutiens, j’insiste, qu’il ne fait qu’accentuer la réponse ordinaire au réel comme troué ou simplement comme impossible.
Alors engageons-nous, si vous le voulez bien, dans ce parcours que je vous propose.
Le premier temps s’articule autour de la théorie freudienne du fétichisme, la théorie qui servit pendant longtemps de modèle pour penser le champ des perversions dans sa globalité. Lacan dit quelque part : « c’est la perversion des perversions ». Je suppose qu’il n’est pas nécessaire de vous rappeler que pour Freud le fétichisme se conçoit comme le déni de la castration, le sujet fétichiste c’est celui qui n’a pas voulu voir la castration de la femme, il n’a pas pu renoncer à l’idée que la femme a un phallus et le fétiche représente celui-ci. Il faudrait quand même ajouter trois choses. D’abord que ce déni s’accompagne d’une reconnaissance, il y a un clivage, le fétichiste n’est pas psychotique, il sait bien qu’une femme n’a pas de phallus mais quand même …
Ensuite, en tant que lacaniens nous ne pouvons pas en rester là. Ce que le fétiche dénie au fond, ce n’est pas tellement l’absence d’un pénis chez la femme, c’est que la différence sexuelle suffit à faire qu’il n’y ait pas de jouissance toute, c’est ça que ça implique, cette différenciation, y compris si elle est formulée en termes d’anatomie.
Enfin le plus important par rapport à ce que j’essaye de dire ce soir, c’est qu’on voit bien à partir de là ce qui peut faire que le fétichisme, d’une certaine façon, concerne tout sujet. Pour Freud, c’est l’enfant en général qui a d’abord cru que tout être humain avait un phallus, ensuite chacun se débrouille avec ses premières croyances. Et par ailleurs, est-ce que nous ne devons pas reconnaître que l’espoir d’une jouissance totale, il y a peut-être plus important en termes lacaniens encore, que l’espoir d’une jouissance totale vaut pour chacun.
Je dis tout cela parce que ça me paraît essentiel pour soutenir comme je le fais que le besoin de parer à ce qui fait trou pour chacun a quelque chose d’universel.
Si à présent, on veut voir ce qu’apporte l’approche plus spécifiquement lacanienne, il faut bien reconnaître qu’elle est plus complexe. Lacan revient plusieurs fois sur la question de la perversion à partir de sa conception de l’objet a, ainsi qu’à partir de sa théorie de la jouissance. On peut commencer par l’objet a sur lequel je serai là aussi nécessairement bref. Disons simplement que dans le champ de l’Autre il y a des objets exclus de l’échange, ces objets, Lacan leur a donné un nom, il les appelle objets a, il dit à partir de là que le pervers c’est celui qui va restituer ces objets dans le champ de l’Autre. Disons pour l’illustrer que le voyeur et l’exhibitionniste sont des sujets qui réintroduisent le regard dans un champ dont il est en principe exclu, celui des rapports organisés par la morale sexuelle dite organisée où il n’est pas très bien vu de se dissimuler pour surprendre.
Mais est-ce que c’est vraiment tout à fait singulier ? On doit bien maintenir que la perversion est une structure singulière, mais en même temps, quand nous disons que l’objet a dans la perversion ne se présente pas sous sa forme ordinaire, que si ordinairement il est exclu, dans la perversion il est présentifié, est-ce qu’il ne faut pas reconnaître qu’au fond, la tentative de restituer le petit a au champ de l’Autre ou plus simplement de le faire entrer dans les échanges ordinaires, est une des choses les plus banales qui soit. Le voyeurisme n’est-il pas présent, au moins à titre de composante chaque fois qu’il y a désir ?
Il me semble d’ailleurs que c’est cette dimension ordinaire de la positivation de l’objet, parade au trou constitutif pour chacun, qui explique la facilité avec laquelle s’est imposée l’omniprésence d’une jouissance objectale nouvelle, liée à la production en série de gadgets de tous ordres.
Dans notre argument nous parlons de cette question de l’objet moderne, de l’objet gadgétisé, de l’objet qu’on trouve au supermarché, et je pense que cette question sera reprise par l’un ou l’autre d’entre nous. Mais je crois qu’il est important de dire d’emblée que ça n’a pu s’imposer socialement que parce que anthropologiquement il y a chez l’être humain ce qui le pousse à boucher le trou constitutif de son désir. Si vous voulez, il y a la surface sociale et politique et il y a l’anthropologie de l’être humain, du parlêtre.
J’en viens maintenant à une autre thèse de Lacan, que je trouve particulièrement forte. Lacan dit que le pervers se fait l’instrument de la jouissance de l’Autre. Vous noterez que cette thèse s’accorde assez bien avec ce dont je viens de parler. Si le pervers réintroduit petit a au champ de l’Autre, cela a sans doute précisément cette fonction, il réintroduit un objet de jouissance là où celui-ci est en principe exclu. Vous noterez d’ailleurs que l’Autre dont il s’agit ici, quand Lacan dit que le pervers se fait l’instrument de la jouissance de l’Autre, l’Autre, Lacan l’écrit avec un grand A. Il ne s’agit en effet pas seulement d’imposer une jouissance, par exemple masochiste, au semblable, il s’agit de faire jouir le grand Autre.
Pour vous dire comment j’illustre ça, je pense à un exhibitionniste que j’ai suivi en analyse. Comme il avait eu des problèmes avec la justice, il évitait de se livrer à sa passion dans des situations trop dangereuses, il recherchait des endroits d’où il pouvait s’éclipser rapidement après s’être exhibé. Mais ça n’était pas tout parce que, même ça, ça n’était pas très pratique. Il s’était rendu compte que parfois, quand sa pulsion le pressait trop, il se dénudait dans son jardin où en principe personne ne pouvait le voir. Cela l’étonnait lui-même bien sûr, comment ça se faisait que s’exhiber sans spectatrice pouvait l’exciter quand même ? Ce que j’ai cru saisir à travers son analyse, ce qu’il disait, ses associations, c’est que en se dénudant dans son jardin, il s’exhibait devant le ciel ou devant l’Autre qu’on suppose au ciel, en somme devant Dieu lui-même en position ici d’être cet Autre qu’il s’agit de faire jouir.
J’ajouterais quelque chose qui me permet de donner une dimension plus générale à ce cas. Au fond le comportement pervers est toujours d’abord un discours. Il vient dire quelque chose, il vient dire, par opposition à ce qui se passe dans la sexualité triviale, que le pervers considère avec un sourire à la limite du sourire méprisant, lui, il sait ce que doit être la jouissance. Est-ce que ce n’est pas notre façon, même si lui ne le fait pas et il pense être le seul, est-ce que ce n’est pas notre façon la plus ordinaire de parer au trou de l’absence de rapport sexuel ? De nous construire un savoir sur la jouissance et le désir ? Sans doute d’une manière moins développée que le pervers authentique et souvent écrivain, mais tout de même.
D’ailleurs, j’ai déjà dit un mot de notre univers du gadget. Je pourrais me référer, et puis faire le lien avec la question du savoir, me référer à un autre aspect du monde néolibéral que décrivent fort bien Pierre Dardot et Christian Laval dans le livre « La nouvelle raison du monde », je cite quelques lignes : « Nombre et durée des rapports, qualité et intensité des orgasmes, variété et propriété des partenaires, stimulation et entretien de la libido à tout âge deviennent l’objet d’enquêtes détaillées et de préconisations précises ». Ils voient là-dedans quelque chose de caractéristique de notre époque. Et si c’est vrai, vous comprendrez que ça ne peut que favoriser l’espoir qu’une bonne méthode permettra d’échapper à l’absence de rapport sexuel et vous concevrez que tout ça conforte la position perverse.
J’ai souhaité ensuite aujourd’hui affronter un problème plus difficile. Est-ce que nous pouvons parmi les différentes approches de la perversion faire une place à ce que Lacan appelle père-version ? En apparence c’est très différent, si vous avez le texte à l’esprit, c’est un texte où Lacan écrit que le père, enfin, écrit, non, il dit, c’est un séminaire, que le père n’a droit au respect, sinon à l’amour que si le dit respect, le dit amour est fait d’une femme qui vaut pour lui comme objet a. Il s’agirait donc plus d’un questionnement sur le père, sur une version du père, ou d’une version incluant le père, il s’agirait plus de ça que d’un questionnement sur la perversion.
Mais est-ce qu’on peut imaginer que Lacan ait employé le signifiant père-version sans prévoir que pour chacun, cela renverrait à la perversion en un seul mot et au sens clinique ? Il jouait sur une frontière là. Alors, peut-être, avec mes thèses concernant l’enracinement anthropologique de la perversion, peut-être avons-nous le moyen d’y rattacher la père-version.
Nous soutenons à juste titre, que la fonction paternelle soutient la castration. Mais n’y a-t-il pas autre chose à situer du côté du père ? En tant que celui-ci fait d’une femme l’objet a qui cause son désir, en tant qu’il est l’amant de la mère. Est-ce que ceci ne pourrait pas, à un autre niveau, conforter, ne serait-ce que par l’identification, conforter l’espoir que le sujet peut avoir d’échapper à la castration ? L’espoir ou aussi bien la terreur, parce que, ce qui se profile au-delà de la castration est souvent bien inquiétant.
En fait ce que j’essaie de dire ici, c’est qu’il suffit au sujet de croire que l’Autre existe, il lui suffit de l’incarner, notamment à travers la référence œdipienne paternelle, il suffit de cela pour boucher le trou de la castration par une figure épatante, et éventuellement aussi par une figure inquiétante qui peut prendre différentes formes : la forme du père, c’est le pater qui épate, mais aussi bien celle d’une femme.
Vous vous demandez peut-être depuis deux minutes pourquoi je vous raconte tout ça, on voit moins bien le fil. C’est que là, j’anticipe un peu. Je fais d’ailleurs comme si tout était déductif dans ce que j’amène, mais pas du tout. C’est que je vais aller à la rencontre de quelque chose dont je savais que je voulais vous parler, qui ne procède pas strictement d’une réflexion théorique, qui est plutôt un cas dont j’ai eu à m’occuper. C’est quelqu’un qui a fait une vraie analyse avec moi, qui a terminé il y a quelques années. A l’époque où il était en train de la terminer j’avais pris des notes assez substantielles pour faire un article, ça tombe bien, je vais reprendre tout ça ici et donc je vais vous parler de ça qui vient rencontrer cette interrogation d’ensemble sur la perversion. Je vais en parler en prenant les précautions d’usage, en n’en disant pas trop, en modifiant certaines données, en modifiant le prénom, je vais appeler Philippe cette personne d’une quarantaine d’années.
Philippe a commencé durant les deux premières années de sa cure, comme il est assez ordinaire, il a commencé par le registre œdipien, ou plus exactement par la tentative de situer en quoi, chez lui, le rapport au père et à la mère était différent de celui classiquement décrit. Il avait une petite culture psychanalytique qui était plutôt celle de Freud, un certain nombre de textes de vulgarisation de Freud. Il se disait « Ma famille, c’est pas comme ça ». Apparemment il n’avait pas l’idée qu’aujourd’hui il n’est pas exceptionnel qu’un père ait une place un peu effacée, comme il le disait de son propre père. Il insistait par ailleurs sur la froideur de sa mère qui lui avait dit, par exemple, un jour mémorable de son enfance et comme il lui disait, lui, qu’il l’aimait, sa mère lui avait répondu : « C’est Dieu qu’il faut aimer. » Et c’est au rapport avec cette mère qu’il attribuait sa situation conjugale et affective. Il vivait lui-même avec une épouse elle-même très froide, avec qui il n’y avait aucune sexualité et pas beaucoup plus de tendresse depuis plus de dix ans et qui en plus ne cessait pas de le disqualifier.
Dans les rares occasions où il imaginait changer sa vie, quitter son épouse, trouver une femme plus aimante, il s’apercevait qu’il avait très peur des femmes en général, ce que ses rêves confirmaient largement et ce qui selon lui, expliquait ses inhibitions. En bref, un tableau assez clairement névrotique. J’aurais du mal à le dire aujourd’hui, c’est quand même un peu ancien, à l’époque je n’avais pas forcément bien noté mes interventions, j’ai du mal à dire ce qui dans sa cure lui a permis de sortir de cette position parce qu’il y a eu une bascule dans sa cure. Il s’est mis à faire des tentatives pour rencontrer des femmes, d’abord des collègues, au début assez infructueuses, puis un jour il rencontre une femme, que j’appellerais Manuella qui se montra très différente de sa propre épouse.
D’emblée il a eu besoin, on ne pouvait pas forcément s’y attendre, bien qu’il ait raconté quelques fantasmes - des fantasmes pervers beaucoup de gens en ont - mais d’emblée il a eu besoin pour que cette femme suscite son désir de lui faire accepter quelques demandes qui témoignaient d’une perversion, pas forcément au sens de la structure clinique mais au moins de traits qu’on peut qualifier de traits pervers. Cette femme se plia de bonne grâce à son fétichisme et même à quelques jeux de nature légèrement sadomasochiste.
Est-ce que, avant d’avancer, ça serait envisageable de voir dans ce qui se passa là, quelque chose qui pourrait illustrer ce que dit Lacan, comme une construction qui va dans le sens contraire de la névrose ? En tous cas ça a été dans le sens de lever les inhibitions. Philippe formula l’idée qu’il s’agissait dans ce qu’il vivait là avec sa maîtresse, qu’à travers sa maîtresse c’était sa mère qui était visée, dans la façon dont il traitait sa maîtresse à ce moment-là. Est-ce qu’il faut avaliser cette interprétation ? Je ne sais pas. En tous cas on peut trouver dans le développement du cas, l’occasion d’illustrer ce que nous appelons dans l’argument « la désaffection du rapport au semblable ». Disons qu’il faisait de sa maîtresse une sorte d’objet a, guère plus, à ce moment-là en tous cas, ce qui peu à peu la dépouillait de la qualité même de semblable.
Or, il se trouve que si cette femme s’accommoda un temps de ce type de relation, elle en vint peu à peu à ressentir que ce type de relation qu’on lui offrait avait quelque chose de bien unilatéral. D’autant plus que Philippe était assez peu décidé à se séparer de son épouse malgré cette vie apparemment peu stimulante, ce qui fait qu’il n’accordait à sa maîtresse qu’une toute petite partie de son temps.
Un jour, il arriva que cette femme rencontra elle-même un autre homme et entama avec lui une relation. Elle en fit la confidence à Philippe tout en l’assurant qu’au fond, cet homme, elle ne l’aimait pas vraiment, elle n’avait guère de désir pour lui, alors qu’elle n’avait jamais cessé d’affirmer son amour pour Philippe. Ceci permit d’adoucir la blessure narcissique, que tout de même ressentait à ce moment-là Philippe mais pas son étonnement. Philippe marqua une véritable stupéfaction. Si Manuella l’aimait tant, il ne le mettait pas en doute, mais si c’est comme ça pourquoi tenait-elle à continuer une relation avec cet autre homme ?
C’est dans ce contexte d’incompréhension - ce qu’il rencontre, ce qu’il pense comme un impensable du côté féminin - c’est dans ce contexte d’incompréhension qu’il fait un rêve qui apparemment était sans rapport. Mais vu le contexte, vu les circonstances, vu la nuit où il fait ce rêve, il ne peut pas ne pas mettre en relation ce rêve avec ce qui se passait concernant Manuella. Qu’est-ce qui se passe dans ce rêve ? Il se passe quelque chose de terrible mais il ne sait pas quoi. Il se voit lui-même dans son rêve du fait de ce qui se passe, mais il ne peut pas préciser, il se voit pousser un cri adressé à son père, cri qui lui paraît à la fois un cri de terreur et un appel à l’aide. Donc ça pourrait être aussi bien la terreur de son père que au contraire il l’appelle. C’est alors la formule qu’il utilise quand il parle de ce qui se passe dans son rêve, qui est de dire « je ne comprends pas ce qui se passe dans le rêve, il y a quelque chose d’épouvantable mais je ne sais pas ce que c’est, je ne comprends pas ce qui se passe, apparemment il y a quelque chose qui m’effraie mais je ne comprends pas ce qui se passe », c’est cette formule qui le renvoie de façon indubitable à la situation qu’il vit à ce moment-là avec sa maîtresse.
La phrase, c’est ça un signifiant, c’est une demi-phrase mais c’est un signifiant, en ce sens que c’est extrait de quelque chose qui est dit ailleurs et c’est injecté dans le rêve. C’est comme si c’était sa maîtresse qui le terrorisait et en même temps comme si c’était à elle qu’il devait faire appel. Cela non sans renvoyer, en même temps, à la figure paternelle. Est-ce que c’est là le dernier mot de l’affaire ? Est-ce que nous pouvons nous contenter de dire que ce qui affecte Philippe, c’est sa confrontation à la question de la jouissance féminine ? De ce que veut une femme ? Peut-être. Mais il me semble que cette question qui vaut à ce moment-là pour lui comme réel incompréhensible et qui s’appuie sur le mirage d’un Autre à la fois menaçant et salvateur, il me semble que cette question vient d’une certaine façon boucher quelque chose, boucher le trou constitutif pour chacun, en en donnant une interprétation. Ce qui est menaçant est en même temps ce à quoi on peut faire appel, ce qui est l’objet devant quoi je suis en arrêt, c’est ce qui se profile à travers, par exemple ce père.
Est-ce que ça a un rapport avec la question que nous tentons de nous poser, la question de la perversion ? Il me semble que oui. De même que le fétichiste peut élire un fétiche particulier pour soutenir son désir, de même Philippe, confronté à une certaine limitation de jouissance, peut éviter de voir son caractère universel, en la référent à la figure menaçante et salvatrice que son rêve permet de dégager. Bien sûr vous entendez bien que je force un petit peu les choses pour trouver quelque chose qui, là où nous ne parlons pas généralement de perversion, a tout de même un rapport avec cette question, j’ai un petit peu forcé.
Mais on pourrait aussi souligner que Philippe est plus près d’une position perverse lorsqu’il se livre à ses pratiques fétichistes que lorsqu’il reconnaît son non-savoir et lorsque le rêve élabore pour un franchissement. Donc apparemment ce n’est pas la même chose mais ce qui fonctionne dans un cas comme dans l’autre, ce sont les opérations qui, sous une forme ou sous une autre bouchent le trou dans l’Autre.
J’ajouterais que ce très court rêve se dupliqua dans un autre rêve fait les jours suivants, rêve où c’était bien Manuella elle-même qui prétendait faire rentrer une boîte de dimensions imposantes et dont il ne connaissait pas le contenu, dans un emplacement où lui était persuadé qu’elle ne tiendrait pas, la boîte. Voyez, la question de ce qu’il faut faire rentrer pour que ça bouche cet espace.
Je dirais surtout que le premier rêve permet à lui seul un progrès de l’analyse, en particulier, peut-être sur un autre plan que celui auquel on se serait attendu, sur la question du père. A partir du moment où il fait ce rêve il lui revient des souvenirs concernant son père quand il était enfant. Il se trouve que le père de Philippe, avait au moins eu une activité à laquelle il tenait, cet homme apparemment effacé, sans désir personnel, il avait une activité, il chassait à courre et sa jouissance était apparemment très liée au son du cor de chasse où je ne craindrais pas de repérer une des formes de la voix, comme dans le shofar, il y avait quelque chose d’explicite quant à cette jouissance-là.
Je serai plus bref sur la suite et sur la fin de la cure. Philippe finit par se séparer de son épouse et c’est cela qui le conduisit à décider qu’il allait arrêter sa cure, alors même qu’il ne savait pas comment évoluerait la relation avec sa maîtresse. Je ne m’opposais pas à cette décision qui reposait de fait sur des remaniements que je juge non négligeables de sa position subjective.
J’ajouterais cependant ici que si à travers son analyse, Philippe put saisir des choses essentielles pour lui, il n’alla pas jusqu’à concevoir qu’il lui restait un pas à faire, pas qui consistait à reconnaître que la limitation de jouissance ne tenait pas à ce que lui imposait une femme particulière qui ne voulait plus être en position fétichisée, mais au fait que pour les hommes et les femmes rien ne garantit, loin de là, que les choses puissent s’arranger. Ce qui veut dire que comme les fétichistes, il ne renonça pas à une croyance à une jouissance toute. Il n’a pas affronté le fait que c’est de structure, c’est pas simplement cette femme qui finalement s’est révélée Autre que ce qu’il avait espéré.
Est-ce qu’une analyse poussée un peu plus loin aurait pu lui permettre de renoncer à cette jouissance toute ? Est-ce que j’aurais dû l’orienter vers cela plus que je ne l’ai fait ? Je ne crois pas. Je ne le crois pas parce que nous n’avons pas à endoctriner nos analysants, fut-ce dans le sens de les pousser à percevoir le réel de la structure.
Applaudissements.
C.L. : Eh bien, merci beaucoup Roland, pour ce travail très riche et très articulé qui est une très bonne introduction à ce cycle de conférence pour l’année La perversion ou quoi ? Tu soulèves de nombreuses questions et tu as eu le souci de préciser la nécessité d’un certain nombre de distinctions. Compte tenu des proximités cliniques que tu as évoquées, je ne sais pas trop par quel bout prendre ce que tu as dit, je vais être assez bref. Ce sur quoi tu as insisté qui a peut-être retenu le plus mon attention, c’est ce que tu évoques de Lacan, cette formule que nous répétons que le pervers se fait l’instrument de la jouissance de l’Autre.
Je ne peux pas résister, quitte à trivialiser ou à aplanir ce que tu as dit mais je ne vais quand même pas résister à reprendre le titre d’un des chapitres de ton dernier livre : La psychanalyse refoule-t-elle le politique ? excellent au demeurant et que je vous conseille. Ce titre je le trouve tout à fait étonnant parce que on dirait que tu as anticipé l’actualité, dans quel monde Vuitton ? Vous avez tous ou presque lu dans le journal, le grand quotidien du soir, ce portrait en première page d’Antoine Arnaud.
R.C. : Première fortune de France.
C.L. : Oui Bernard Arnaud, je ne sais pas pourquoi je l’ai appelé Antoine, oui, alors Bernard Arnaud qui vaut cent milliards de dollars. On ne peut pas quand on lit sa biographie, enfin la manière dont il en est rendu compte, on ne peut pas ne pas être frappé par ceci qui nous pose la question de savoir s’il ne se fait pas l’instrument de la jouissance supposée au fonctionnement même du capitalisme. C’est-à-dire toutes ces destructions créatrices dont il a été l’opérateur, et qui a des références dans des théories d’économistes comme Schumpeter, le capitalisme comme destruction créatrice. Ce qui a été relevé par un certain nombre de nos collègues, à savoir que c’est quelque chose qui se rapproche au fond du fantasme sadien. Sauf que pour Sade c’était la référence à la nature, il se fait l’instrument de la jouissance de l’Autre, c’est-à-dire de cette nature qui détruit et qui crée, sans peut-être mesurer que c’était déjà du capitalisme dont il s’agissait, dans son fonctionnement même.
Alors qu’est-ce que ça voudrait dire puisqu’on parle aujourd’hui, tu as parlé des objets gadgets et donc c’est une référence au capitalisme actuel et au discours du capitaliste, on pourrait dire avec Lacan. La question se pose de savoir si nous supposons une volonté de jouissance au capitaliste, au fonctionnement capitaliste. Parce que ce qui va avec la perversion c’est la supposition d’une volonté de jouissance. Jean-Paul, tu as bien travaillé Kant avec Sade ?
Jean-Paul Beaumont : Dans Kant avec Sade, le désir du névrosé est remplacé par la volonté de jouissance chez le pervers. Lacan pose tout à fait la volonté de jouissance chez Sade, chez le pervers, et le désir. Il y a une espèce de démonstration qui est très claire entre d’un côté la volonté de jouissance du pervers et le désir chez le névrosé. Est-ce qu’on peut supposer une volonté de jouissance chez le capitaliste ? Ça serait supposer qu’il serait pervers.
C.L. : Mais la volonté de jouissance, c’est pas tant au pervers qu’il l’attribue, Lacan, c’est plutôt à l’Autre avec un grand A, c’est-à-dire dans l’Autre une volonté de jouissance, ce qui n’est pas complétement absurde quand on pense que le capitalisme, finalement, fonctionne avec des calculs, fonctionne avec des petites lettres, avec des algorithmes.
Bon je ne voudrais pas rabattre la richesse de l’exposé de Roland avec ça, mais je crois que ça n’est pas inintéressant, encore une fois, j’ai pas inventé tout ça, il y a des collègues qui ont déjà travaillé sur ce point, c’est-à-dire au fond, est-ce que nous ne sommes pas un peu tous aujourd’hui des instruments de la jouissance supposée à cet Autre qui fonctionne tout seul, n’est-ce pas ?
Tu veux dire un mot ? Je voudrais dire un mot sur le cas clinique, rapidement. Cette femme, Manuella, c’est un peu la réponse du berger à la bergère, plus exactement de la bergère au berger, c’est-à- dire à partir du moment où il s’est trouvé en position, Philippe, d’exclure à la fois l’amour et la castration, elle en a restitué les dimensions.
R.C. : Absolument, c’est quasiment une interprétation.
C.L. : Oui c’est pour ça que je me posais la question de savoir si elle n’avait pas été, comme c’est souvent le cas d’ailleurs, à condition que l’analyste puisse entériner que c’est quelqu’un de proche du patient et notamment pourquoi pas une femme ici dans ce cas, qui fait l’interprétation, simplement il faut que l’analyste l’entende comme une interprétation, et du même coup il tient sa place. Voilà, c’est deux petits points.
R.C. : C’est plus que des petits points. Tu as commencé à dire que j’avais prêté attention aux distinctions que nous devons faire. C’est vrai, je suis tout à fait d’accord avec ce que répètent beaucoup nos collègues qui travaillent sur la perversion où il faut pas tout confondre, le fantasme pervers, la perversion polymorphe de l’enfant, la perversion polymorphe en jeu dans l’acte sexuel à l’occasion et la perversion comme structure. Je suis d’accord pour ces distinctions mais moi j’essaye toujours de penser les choses dans une dimension où ce qu’il y a de fondamental éclaire tout un ensemble de phénomènes en y étant plus ou moins présents, en changeant de forme, j’en sais rien. De la même façon, par exemple, les paroles imposées ; apparemment c’est quelque chose qui concerne le psychotique, puis en même temps chacun d’entre nous, quand il parle est dans un champ qui d’un certain point de vue est constitué de paroles imposées. Les structures cliniques m’intéressent lorsqu’elles sont construites à partir d’un fonctionnement qui peut être partagé au-delà de ces structures cliniques et en retour vient éclairer ce fonctionnement. C’est pour ça que nous pouvons, à partir de structures cliniques parler de social.
Alors tu parles de la perversion et de l’instrument de jouissance du fonctionnement du capitalisme, tu dis plus ou moins, dans le fonctionnement du capitalisme. Ce que peut-être on peut distinguer, parce que il me semble que là il y a deux aspects.
On pourrait situer ça du côté de l’objet. Le capitalisme promet, promeut et promet un certain type d’objet mais aussi, le capitalisme ne peut fonctionner que s’il s’immisce dans le désir du sujet et le transforme complétement à travers ces préconisations dont parlent Dardot et Laval. Là il y a quelque chose qui est à rapporter doublement à une sorte de façon pour la perversion actuelle d’organiser la jouissance dans le circuit des échanges capitalistes, on pourrait dire les choses comme ça. Oui alors en effet, dans quel monde Vuitton ?
Et Manuella, je suis d’accord avec toi, c’est sûrement quelqu’un qui a paru intervenir d’une façon un peu violente, surprenante mais qui en même temps lui a sans doute fait le plus grand bien, non seulement parce qu’à un moment elle lui a permis de retrouver quelque chose d’un désir, mais aussi parce que elle lui a permis d’interroger, d’aller un peu plus loin dans son analyse. Voilà.
C.L. : Oui juste un mot puis après je passerai la parole dans la salle, à moins que tu veuilles dire quelque chose Jean-Paul.
J.P.B. : Dans Kant avec Sade, Lacan insiste sur deux aspects, D’une part la production d’objets, ce qu’il appelle la présence de l’objet dont il dit : « Revenons sur la présence dans le fantasme sadien par exemple ». Et la deuxième chose c’est la division de l’Autre, produire une division chez l’Autre de telle manière que la division lui soit de l’Autre renvoyée. Je me demandais s’il n’y a pas quelque chose dont n’a pas parlé Roland dans la perversion, sur le fait que le pervers essaie de diviser l’Autre. Il produit un objet, voire il se fait lui-même l’objet de manière à produire cette division chez l’Autre, ce qui est le cas chez le sadique, également dans le cas du coupeur de natte ou de l’exhibitionniste. Il y a quelque chose qui est particulier, d’arriver à faire souffrir l’Autre dans, à la fois la jouissance qu’éprouve l’autre avec un petit a, et en même temps il y a des pages remarquables sur (inaudible)… Oui, chercher l’angoisse de l’Autre, la division et l’angoisse de l’Autre.
R.C. : On jettera un pont d’une façon un peu latérale parce que la perversion, d’abord les analystes ne rencontrent pas beaucoup de pervers au sens où habituellement on entend ce terme, avec ceux dont je parle moi j’en rencontre pas beaucoup plus, mais les gens qui, disons, sont à la limite du crime, on n’en rencontre pas.
En revanche, ce qui est étonnant, même si le nombre de pages consacrées à la perversion n’est pas si important dans les séminaires mais ce sont des pages absolument fondamentales. Puisque tu as eu la gentillesse de parler de mon livre, c’est plus dans un livre antérieur, quand j’essaie de parler du sujet, j’essaye de construire les choses à partir de ‘sujet à’, qui est une expression que j’ai découpée chez Lacan, et à un moment il écrit même avec un tiret, il en fait un signifiant. A un moment donné j’étais même tenté de faire en sorte que le livre intègre ça dans le titre mais ça ne convenait pas tout à fait. Ce qui est intéressant, c’est comment c’est amené chez Lacan, cette petite expression qui nous sert à penser la spécificité de ce qu’est un sujet ou un psychanalyste, d’après moi. C’est introduit à partir du sadique. Il dit : « Ce que vise le sadique c’est l’Autre comme sujet à la jouissance ». Donc il y a là quelque chose qui est éprouvé par celui qui vient en position de le représenter cet Autre, c’est pas évanescent, il y a quelqu’un qui est bien là-dedans le partenaire du sadique, et il s’agit de le faire avouer en quelque sorte qu’il est sujet à la jouissance, il s’agit de faire en sorte qu’il nous apprenne quelque chose sur le sujet humain, qui est sujet à la jouissance, qui est sujet au vertige, qui est sujet à la pensée. Parce que ensuite, justement, Lacan dit « sujet à la jouissance » comme on dit « sujet au vertige ou sujet à la pensée etc. »
Il y a un travail sur l’organisation perverse qui nous enseigne beaucoup. Je crois que le cycle cette année, si on arrive à bien travailler on apprendra des choses.
C.L. : Encore un mot sur les distinctions peut-être. Quand tu repères ce fait anthropologique général, et cette question du rapport au manque radical de l’objet, on pourrait dire aussi dans la terminologie lacanienne, au manque d’un signifiant dans l’Autre, celui qui permettrait un rapport sexuel.
R.C. : On pourrait dire aussi un rapport à la Chose puisque cette année on travaille par ailleurs sur L’Éthique.
C.L. : Oui mais justement est-ce que les différentes structures cliniques ne sont pas autant de modalités distinctes de se défendre, de boucher ce trou, de tenter de le boucher.
R.C. : C’est vrai, oui mais alors est-ce que tu serais d’accord ? Je me rends bien compte que je force un petit peu les choses, mais est-ce qu’on pourrait pas être d’accord que, si ce qui oriente les structures cliniques, c’est de boucher un trou, c’est quand même le pervers qui nous en apprend le plus sur cette question. C’’est-à-dire celui pour qui il s’agit de boucher le trou de la castration c’est quand même le pervers ? Le texte de 27 sur le fétichisme c’est un texte qui est essentiel. Alors après ça, bien sûr, la forme obsessionnelle, la forme hystérique etc. sont très différentes. Est-ce que quand même il n’y a pas chez l’être humain cette tentative ou cette tentation de lui régler son compte à ce trou ?
C.L. : C’est là où la question de la fin de l’analyse vient s’articuler parce que ce que tu peux dire là tout de suite dans ta conférence, tu n’aurais pas pu le dire si justement, grâce à une analyse, il n’était pas possible d’aller jusqu’à cette rencontre avec ce manque radical, donc à partir de là, prendre le recul que tu prends.
R.C. : C’est là-dessus que j’ai fini puisque j’ai dit « Est-ce qu’il a été jusqu’au bout ? » Non, il n’a pas été jusqu’au bout. Est-ce que beaucoup d’analyses vont jusque là ? Soyons honnêtes, pas beaucoup. Des fois on s’approche quand même assez près de ça pour que le travail ait eu lieu et modifie, ait des effets subjectifs. Ce que je dis à la fin c’est qu’il me semble qu’on n’a pas forcé les choses.
C.L. : Ça je suis tout à fait d’accord, tout à fait d’accord. Alors un dernier point, est-ce que S barré que tu évoques très justement, tu nous rappelles très justement, Jean-Paul, est-ce que ce S barré à propos de la perversion, ça n’interroge pas le statut du S barré dans le discours capitaliste ? Qu’est-ce que c’est ce S barré ? Est-ce que c’est le S barré de la division subjective tel qu’on le conçoit habituellement ou bien est-ce que c’est un S barré au sens d’un clivage du sujet ? C’est une question mais le statut du S barré est peut-être un peu …
R.C. : C’est toi qui es interpellé là.
J.P.B. : Pas essentiellement mais en tous cas le S barré fuit vers le S pathologique tout de suite. Il y a une espèce de volonté de jouissance qui maintient le S barré et le petit a et il y a la division qui se produit à la partie droite du schéma.
C.L. : C’est vrai, ça c’est incontestable. Écoutez il reste vingt minutes pour la discussion. Josiane.
Josiane Quilichini : Oui ça rejoint la dernière intervention de Claude. C’est une question que je me posais par rapport à ce que tu nous a dit au départ, que c’était peut-être une façon de penser notre monde actuel, la perversion qui vient en premier. Je me demandais déjà avant mais alors là ça continue, pourquoi Lacan avec quatre discours qui rendent compte du lien social, il ne crée pas un discours pervers qui soit à entendre comme le discours du capitaliste ? Je suis restée toujours avec cette question.
R.C. : Alors c’est vrai, ça rejoint cette question-là, notamment sur le fait que l’organisation du discours capitaliste est fondamentalement différente de l’organisation des quatre discours et donc il y aurait à interroger le sujet, le S barré à partir de ce qu’il a de spécifique, pas seulement la place où il est mais le fonctionnement des flèches.
(RC se tourne vers JPB). Là où je crois avoir entendu que tu opposes la division avec le clivage, il y a quand même quelque chose qui est assez étonnant. Si vous prenez bien les textes de Lacan où il parle de la division subjective, très souvent il renvoie au terme Spaltung qui est le terme pour clivage. Ça j’en avais parlé dans un très vieux livre, et je crois qu’il faut le prendre en compte, j’aurais pu même m’appuyer dessus, pour dire que ce qui éclaire la division pour Lacan, c’est quelque chose qui n’est pas éloigné de ce que Freud décrit pour le fétichisme.
J.P.B. : C’est dans Kant avec Sade en faisant valoir les deux modes de la division, il y a deux modes de la division qui sont très clairs dans Kant avec Sade.
R.C. : Je l’ai pas relu récemment. Vas y.
J.P.B. : Il me semble que Kant avec Sade, je veux pas m’étendre là-dessus, c’est basé sur un article qui n’est pas beaucoup lu, qui est un article de Klossowski de 1938, de Pierre Klossowski qui était un dominicain à l’époque. C’est un article que je trouve remarquable qui s’appelle « Qu’est-ce que le prochain ? » Et il oppose ce qui serait une éthique du semblable, on peut retrouver beaucoup de choses que Lacan va dire sur le pervers, et une éthique du prochain. Causse, notamment, pour ceux qui était à la journée Causse, (sur Lacan et le christianisme) s’était intéressé beaucoup à la question. Dans Kant avec Sade il va donc montrer deux modalités de la division. D’une part la division chez le névrosé, il ne parle pas de névrosé, mais disons-le comme ça pour aller plus vite, ça serait une division à l’intérieur même du névrosé. Il y oppose la mise en scène extérieure et sadique par exemple, qui lui, ferait passer la division chez l’Autre à partir de la production de l’objet qui va entraîner la division. La différence dans Kant avec Sade est très claire, la structure est la même mais dans le premier cas elle serait interne dans quelque chose qui serait le prochain du sujet, pour reprendre l’argumentation de Klossowski, dans le deuxième cas ça serait une mise en scène extérieure de la division de l’Autre.
R.C. : Avec cette particularité que lorsque Lacan dans, si je me souviens bien, le séminaire sur L’Angoisse veut illustrer la question du fantasme, il se sert de Klossowski, ça c’est des thèmes que j’avais prélevés il y a très longtemps, Les lois de l’hospitalité.
J.P.B. : Les lois de l’hospitalité c’est un livre pervers. On voit tout à fait comment Octave va provoquer chez Roberte la division. A la fois elle est intéressée par ce que va produire chez elle Octave et en même temps elle reste députée ou je sais plus ce qu’elle est. Ça se trouve dans les lois del’hospitalité d’une manière très claire la perversion comme Lacan en parle.
R.C. : Oui mais c’est fait dans le livre pour penser le fantasme en général.
C.L. : Julien, et ensuite Valentin.
Julien Maucade : Ma question c’est au niveau clinique parce que ma question c’est le rapport de la perversion avec la psychose. Dans la psychose il y a aussi des manifestations perverses et l’apparition de la perversion mais dans la perversion qui est la version du père, qu’est-ce qui fait qu’il n’est pas dans la psychose ? C’est dans la formule que vous avez proposée de Lacan qui est la triangulation entre le père, le sujet et la femme en position d’objet petit a, c’est ce qui fait qu’il n’y a pas de psychose dans ce sens là, c’est que la femme joue ce rôle là qui permet d’amener vers la version du père. Sans cette position d’une femme dans le lien de la perversion au père, ça fait une dualité qui n’est pas la version du père.
R.C. : Oui je suis tout à fait d’accord. En tous cas là, c’est un peu ce que j’ai raconté avec ces histoires de rêves, c’est bien à partir de ce qui s’est passé avec cette femme que la question du père a été interrogée.
J.M. : Est-ce qu’il y a une phrase de la mère qui … je me suis posé la question si dans ce rêve il n’y a pas une phrase de la mère qui dit « C’est Dieu qu’il faut aimer ». Est-ce que cette phrase n’avait pas une fonction là-dedans ? C’est un questionnement, c’est-à-dire ça passe par la mère.
Valentin Nusinovici : Merci beaucoup Roland. Moi aussi ma question elle est au même moment de ton exposé, concernant l’amélioration de ce patient à la suite de ce rêve, à la suite de cette remarque très imagée de sa maîtresse, est-ce dans les termes les plus classiques, est-ce que tu penserais que les progrès qu’il a fait passent par le fait d’avoir vécu le complexe d’Œdipe négatif ? Qu’est-ce qui se passe ? Qu’est-ce que c’est que cette boîte qui entre là où elle n’a pas la place ? C’est-à-dire un mode de transmission du phallus, c’est-à-dire la perversion, la père-version dans son caractère le plus radical et peut-être le plus opérant, c’est-à-dire de transmission du phallus.
R.C. : Il y a quelque chose, pendant que tu parles, pendant tout le temps où j’écrivais ça je me suis dit « Est-ce que je vais leur raconter ce second rêve ? J’ai pas pris beaucoup de notes dessus, c’est ancien ». Je voyais pas très bien à quoi il servait. Mais je vois très bien, c’est que, tu dis « le phallus », mais c’est une boîte. Si on était freudien ça serait un phallus féminin.
V.N. : Il faut aimer Dieu et ce Dieu là il est toujours un peu féminisé.
R.C. : Du coup je comprends mieux. Non, non, je suis d’accord avec toi.
V.N. : « Je ne comprends pas ce qui se passe, oui c’est vraiment incroyable ce qui m’arrive là. »
C.L. : Bernard. Allez, on passe le micro à Bernard.
Bernard Vandermersch : C’est d’abord pour te remercier et puis pour avoir tes lumières sur cette phrase de Lacan que tu as citée, que j’arrive jamais à citer parfaitement, c’est « Un père n’a droit au respect sinon à l’amour que s’il fait d’une femme son objet petit a ». Moi je l’entendais plutôt d’un côté comme ce qu’il paye lui pour accéder à un désir, c’est-à-dire l’objet petit a négativé qui l’entame dans sa jouissance, qui soutient son désir. J’ai l’impression qu’on l’entend aussi ici comme une fétichisation presque, de la femme comme objet positivé. Comment on se débrouille de ça ? Est-ce que la même phrase signifie que de par ma castration, j’élis un fétiche ? Ça me semble un peu étrange.
R.C. : Pourtant c’est bien pour ça qu’on élit un fétiche, c’est exactement ça Bernard, c’est que, à la fois il faut entendre que dés lors que les objets petit a sont en jeu, c’est bien l’index d’une perte, comme on sait, ça choit etc. mais en même temps si le sujet peut donner une valeur suffisante à ce qui se passe du côté paternel, et pour y appuyer son propre désir, c’est que quand même il l’interprète en terme du deuxième aspect de l’objet a, c’est-à-dire l’agalma, l’objet positivé, la brillance, ce que tu veux.
B.V. : Oui mais dans le cas du discours capitaliste qui fait fonctionner, est-ce qu’on va dire que les désirs suscités artificiellement par le capitalisme sont des désirs qui divisent le sujet ? Est-ce que là les objets en circulation ont quoi que ce soit à voir avec ces … parce que les objets petit a, il y a là une conversion radicale, entre l’objet que Lacan appelle « plus de jouir » et la plus-value, c’est quand même très différent. J’aimerais bien qu’on clarifie un petit peu.
R.C. : C’est vrai fondamentalement, on est loin d’un objet qui organise la division, sauf que, bizarrement, parfois, dans le travail analytique, il y a des passages possibles, je trouve. C’est pas si fréquent, c’est pas si facile, mais sinon ça voudrait dire que pour beaucoup de sujets du monde contemporain, on ne peut rien pour eux.
B.V. : Si, on peut faire une rencontre.
R.C. : Oui on peut faire beaucoup de choses mais on pourrait pas …
C.L. : Cette inscription du discours capitaliste c’est une des inscriptions de la structure, c’est pas la seule. Tu disais : comment faire pièce à la perversion ? On pourrait dire qu’il y a peut-être d’autres inscriptions et d’ailleurs les discours chez Lacan le démontrent.
R.C. : Avec le discours capitaliste on peut pas faire un quart de tour, c’est compliqué. Ce qui est amusant, c’est que, alors que c’était quand même très net cette histoire du discours capitaliste, il existe encore des collègues qui ne croient pas beaucoup que les choses aient profondément changé.
C.L. : Si, elles ont changé.
R.C. : Elles ont changé, j’espère que chez nous, quand même tout le monde …
J.M. : Concernant le rapport du sujet avec les gadgets du capitalisme, permettez d’amener une nuance par rapport à la question de ce que les objets suscitent le désir, je ne suis pas sûr que c’est du désir qu’il s’agit mais plutôt du fantasme.
C.L. : C’est pareil.
J.M. : La fonction de ces gadgets, c’est de détourner la question du désir et ne pas le substituer plutôt, c’est-à-dire d’insister sur le fantasme pour enterrer le désir. C’est juste une petite remarque concernant le rapport avec les gadgets.
R.C. : Je suis d’accord avec Claude, je l’entendais réagir, parce que si c’est vraiment le fantasme que ça suscite, il y a la possibilité d’un désir qui s’y appuie. A la limite le sujet, s’il est complétement pris dans le désir, dans le désir ! dans le discours capitaliste, qui est aussi extérieur à la possibilité d’un fantasme, il est psychotique. c’est-à-dire qu’il y a … Josiane ?
- J. Q : J’ai plutôt l’impression que c’est une place du côté de la demande, c’est-à-dire que si on prend la formule « l’offre qui crée de la demande », ça met le sujet dans des demandes qui ne sont jamais satisfaites. Pour moi ce n’est pas la question du désir.
R.C. : Oui c’est la question de la demande.
M.Y : Par rapport à ce que vous dites moi je définirais plutôt le capitalisme comme le fétichisme de l’argent, la question de l’argent est relativement peu abordée dans ce que je connais de Lacan d’une manière générale, la question de l’argent, le fétichisme de l’argent avec l’exemple biblique du veau d’or et son rapport à la loi.
R.C. : Oui j’approuve ce que vous dites, y compris le fait de remonter à ce point pour penser la fonction de cet objet un peu particulier, il y a des gens qui ont écrit sur l’argent. Nous c’est vrai qu’on n’a pas beaucoup repris ça, que peut-être ça pourrait donner l’occasion d’en dire un mot. Le fétichisme de l’argent, l’argent a un gros avantage, d’ailleurs Claude en a parlé à travers Vuitton, l’argent a un gros avantage, c’est qu’il est assez peu spécifié pour se répandre, enfin, l’argent ne se répand pas vraiment mais la question de l’argent se répand et concerne chacun. De ce point de vue, il est dé-spécifié, il peut concerner chacun mais pas de la façon singulière que fonctionnent les fétiches habituellement, parce que le fétiche a besoin de quelque chose de singulier, il faut que le sujet fétichiste le perçoive comme quelque chose de singulier qu’il a élu. L’argent, ce billet ou tel autre, ou, je ne sais pas, telle entreprise ou telle autre, au bout d’un certain temps on en a tellement qu’on les confond. Je ne sais pas d’ailleurs, je ne sais pas s’il faut dire le désir, qu’est-ce qui donne de l’énergie à nos hommes d’affaires ? Qu’est-ce qu’ils y trouvent comme satisfaction ?
M.Y : Là ce que j’aurais comme fétiche ça serait pas l’argent en général mais la maximisation du profit de l’entreprise. C’est comme ça que fonctionne l’entreprise capitaliste …
R.C. : Sauf qu’il n’y a pas que l’entreprise, des gens dont l’entreprise marche très bien peuvent éventuellement racheter d’autres entreprises mais en même temps ne résistent pas à l’envie de détourner un peu de fonds pour leur usage propre, ça aussi ça peut être étonnant.
Intervention : Non c’est pas étonnant.
R.C. : Ben tu vois il y a des satisfactions que je comprends moins bien que d’autres.
C.L. : Bon, écoutez, on va encore remercier Roland pour cet exposé introductif de l’année.
Transcription par Dominique Dallemagne. Relecture de Roland Chemama.