En articulant le concept de représentation à celui de pulsion et en le fondant sur les deux termes bien distincts dans la langue allemande, que sont Vorstellung et Repräsentanz, Freud l'arrachait au champ de la philosophie.
Cependant ce terme de représentation garde l'empreinte d'une époque, celle du XIXe siècle, comme en témoigne la position de ces générations d'analystes élevés dans le structuralisme, la linguistique, les mathématiques dites modernes, pour qui le concept n'apparaît guère pertinent pour rendre compte des effets du langage, à savoir l'avènement d'un sujet de l'inconscient. C'est pourtant bien de cette prise de langage que Freud tentait de rendre compte dans le travail de la pulsion par ce Vorstellungs–Repräsentanz et c'est bien ainsi que Lacan lit le texte de Freud.
Vorstellungs–Repräsentanz fait partie de ces signifiants, enterrés bien souvent par la traduction française, que Lacan exhume du texte freudien et auquel il rend leur tranchant et leur fécondité.
Il restitue ainsi la pertinence à un signifiant qui fut essentiel à Freud pour articuler pulsion, refoulement et inconscient et pour penser les rapports du sujet à la réalité, à Logos et Ananké.
Lacan poursuit ainsi ce travail d'arrachement de la représentation à la philosophie ; en témoignent directement, d'une part ses dialogues avec Merleau-Ponty à propos du Visible et l'Invisible et avec Michel Foucault à propos du tableau de Velasquez, Les Ménines, dans le séminaire sur L'objet de la psychanalyse ; en témoignent d'autre part sa reprise et son développement de cette notion freudienne au cours de son enseignement et surtout sa référence constante à la fonction de représentation du signifiant.
En traduisant : représentant, puis tenant lieu de la représentation, Lacan fait valoir le manque structural que la représentation vise à masquer et indique l'importance qu'il convient d'accorder au registre du réel, en tant qu'impossible.
Vorstellungs–Repräsentanz – ses déclinaisons, sa dislocation voire sa non mise en place, trouvent, grâce à l'enseignement de Lacan, une certaine efficience pour rendre compte des avatars du sujet aux prises avec le réel, le symbolique et l'imaginaire.
VORSTELLUNGS-REPRÄSENTANZ ET SYMBOLIQUE : LA FONCTION DE REPRÉSENTATION DU SIGNIFIANT
La fonction de représentation est pour Lacan une fonction fondamentale, voire fondatrice en tant qu'elle est la fonction du signifiant, elle est même ce qui le définit.
Dans son article Subversion du sujet et dialectique du désir, il précise même la condition de cette fonction, quand il place sur le graphe, au deuxième étage le signifiant d'un manque dans l'autre : « pour nous, nous partirons de ce que le sigle articule, d'être d'abord un signifiant. Notre définition du signifiant (il n'y en a pas d'autre) est : un signifiant, c'est ce qui représente le sujet pour un autre signifiant. Ce signifiant sera donc le signifiant pour quoi tous les autres signifiants représentent le sujet : c'est dire que faute de ce signifiant, tous les autres ne représenteraient rien. Puisque rien n'est représenté que pour ».
Lacan, non seulement ne se départira jamais de cette définition du signifiant, mais il ne cessera de la seriner (comme il le dit lui même) et de la commenter tout au long de son enseignement.
Ainsi, dans D'un Autre à l'autre, précise-t-il que cette définition a comme corollaire « qu'un signifiant ne saurait se représenter lui-même » et « que le signifiant, sous quelque forme que ce soit qu'il se produise, dans sa présence de sujet bien entendu, ne saurait se rejoindre dans son représentant de signifiant sans que se produise cette perte dans l'identité qui s'appelle à proprement parler l'objet a. C'est ce que désigne la théorie de Freud concernant la répétition ».
Pour Lacan, le retour, le recours au Vorstellungs–Repräsentanz freudien est nécessaire pour éclairer cette fonction de la représentation, fonction qui va d'ailleurs s'avérer excéder le signifiant lui-même.
Parmi tous les termes que Freud utilise dans sa métapsychologie, pour rendre compte du travail de la pulsion, du refoulement et de l'inconscient, Lacan privilégie Vorstellungs–Repräsentanz, accordant peu ou pas d'intérêt à Objektvorstellung qui se scinde en Sachvorstellung et Wortvorstellung. Il est à noter tout de même la piste qu'ouvre Lacan, en indiquant dans Un discours qui ne serait pas du semblant que les représentations de mots ne sont rien d'autre que l'écriture.
Dans ses premiers séminaires, Lacan insiste sur l'importance du registre du symbolique, du langage si délaissé par les psychanalystes de l'époque (Cf le discours de Rome de 1953). Il met en avant la primauté du signifiant, en particulier dans le séminaire sur les psychoses. Aussi, quand en 1958, dans Le désir et son interprétation il avance pour la première fois, ce Vorstellungs–Repräsentanz, c'est dans une visée de repérage de la notion de signifiant chez Freud. Ce retour à la théorie freudienne est un préambule inévitable, dit-il, pour l'interprétation d'un rêve. Il s'agit là d'un retour à la première topique. Il choisit le rêve du père mort (de l'article Formulations à propos des deux principes de régulation de la vie psychique), rêve exemplaire dans son interprétation pour montrer comment Freud entend la manipulation de ces Vorstellungs–Repräsentanzen, pour autant qu'il s'agit de la formulation du désir inconscient.
Dans ce séminaire, Lacan fait valoir le rapport du sujet parlant au signifiant. Et pour en rendre compte, il inscrit au second étage du graphe le circuit de l'inconscient, circuit en pointillé dans lequel tournent les éléments du refoulé. « Ne sont jamais, ne peuvent être jamais refoulés que les éléments signifiants. C'est dans Freud ! Il n'y a que le mot signifiant qui manque. » Et en toute logique, comme ne peut être refoulé que ce que Freud appelle Vorstellungs–Repräsentanz, « ce Vorstellungs-Repräsentanz est strictement équivalent à la notion et au terme de signifiant ».
Lacan est donc ici, très clair et il le restera tout au long de son enseignement. Vorstellungs–Repräsentanz est un signifiant mais en tant qu'il est refoulé, inconscient.
Il en tire quelques conséquences :
– les Vorstellungen ne peuvent plus être considérées comme simplement des images, elles ont une organisation signifiante.
– elles assurent à ce titre une fonction dans le principe de plaisir.
– le Vorstellungs–Repräsentanz ne se réfère plus seulement à la pulsion et à l'objet mais au désir et au sujet de l'inconscient « le Vorstellungs Repräsentanz appartient à l'inconscient en tant que celui-ci implique un sujet de l'inconscient ».
Dans Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse, Lacan poursuit cet épinglage du Vorstellungs–Repräsentanz comme signifiant et précise la nature particulière de ce signifiant. Il rappelle que pour Freud, le Vorstellungs–Repräsentanz est lié au refoulement, au refoulement originaire très précisément et donc constitutif de l'inconscient. Il s'appuie sur la traduction qu'il avait proposée : représentant de la représentation, afin d'apporter la rigueur qui convient ; ce qui est refoulé « ce n'est pas le représenté du désir (la Vorstellung), la signification, mais le représentant de la représentation ».
Ainsi localise-t-il, dans son schéma des mécanismes originels de l'aliénation, « ce Vorstellungs-Repräsentanz dans ce premier couplage signifiant qui nous permet de concevoir que le sujet apparaît d'abord dans l'Autre, en tant que le premier signifiant, le signifiant unaire surgit au champ de l'Autre, et qu'il représente le sujet, pour un autre signifiant, lequel autre signifiant a pour objet l'aphanisis du sujet… Le Vorstellungs-Repräsentanz, c'est le signifiant binaire ».
“Ce signifiant vient à constituer le point central de l'Urverdrängung” mais avec cette précision « que c'est pour autant que le sujet vient à jouer sa partie dans la séparation, que le signifiant binaire, le Vorstellungs–Repräsentanz, est unterdrückt, chu dans le dessous ». Point « d'attrait », à partir duquel tous les autres refoulements seront possibles.
Ce Vorstellungs–Repräsentanz, signifiant chu dans le dessous, après cette opération de séparation, n'est pas sans évoquer la place du signifiant phallique. Ce signifiant qui, de par l'opération de la métaphore paternelle, s'inscrit comme refoulé originaire dans l'Autre, sous la barre. C'est d'ailleurs à être refoulé, urverdrängt, que ce signifiant peut assurer sa fonction de signification. Ainsi le refoulement originaire pour le sujet n'est pas sans le refoulement originaire du phallus dans l'Autre. Lacan insiste pour que soit entendue la différence de registre entre Repräsentanz et Vorstellung, « Ces représentants, mais c'est ce que nous appelons communément, par exemple, le représentant de la France. Qu'est ce qu'ils ont à faire, les diplomates, quand ils dialoguent ? Ils ne jouent, l'un vis à vis de l'autre, que cette fonction d'être que de purs représentants, et surtout, il ne faut pas qu'intervienne leur signification propre », chacun n'enregistrant ce que dit l'autre que dans sa pure fonction de signifiant « le terme Repräsentanz est à prendre dans ce sens. Le signifiant a à être enregistré comme tel, il est au pôle opposé de la signification. La signification elle, entre en jeu dans la Vorstellung».
De même, dans L'envers de la psychanalyse, à propos de S1 et S2, en jeu dans le discours, précise-t-il que : « comme rien ne dit que l'autre signifiant sache rien de l'affaire il est clair qu'il ne s'agit pas de représentation mais de représentant ».
Cette différence de registre, que Freud avait génialement introduite, sur laquelle Lacan insiste, était littéralement effacée dans les traductions de l'époque, au détriment du symbolique.
Lacan fait valoir sa traduction : représentant de la représentation, dénonçant la traduction représentant-représentatif. Il souligne que « dans un cas le représentant n'est pas la représentation, dans l'autre cas le représentant n'est qu'une représentation parmi d'autres ». C'est dire combien une lecture témoigne d'une transmission. A cet égard, Lacan nous aura fait prendre la mesure de notre responsabilité de lecteur.
VORSTELLUNGS–REPRÄSENTANZ ET IMAGINAIRE : LA SIGNIFICATION.
Lacan oppose donc Repräsentanz et Vorstellung : le signifiant est au pôle opposé de la signification.
Vorstellung c'est le signifié, le représenté du désir, mais c'est aussi la représentation au sens psychologique. C'est ce qui est de l'ordre de la représentation du monde.
La Vorstellung ressortit du registre imaginaire, mais elle n'est pas à confondre avec l'image, au sens spéculaire, comme le précise Lacan à la fin du séminaire L'Identification : « i(a) son image n'est donc pas son image, elle ne le représente pas cet objet de la castration, elle n'est d'aucune façon représentant de la pulsion sur quoi porte le refoulement ».
Par ailleurs dans le monde de la peinture, monde de l'imaginaire, la Vorstellung ne suffit pas à rendre compte de ce qui se joue dans un tableau. Elle doit s'arrimer à Repräsentanz. C'est ce qu'il avance dans son séminaire, L'objet de la psychanalyse, où il réalise, comme Freud, un travail de décollement de la représentation à la philosophie et au registre imaginaire et cette fois dans un dialogue direct avec Michel Foucault, à propos du tableau des Ménines. Déjà, l'écran, en lui-même, malgré son registre imaginaire « nous annonce à l'horizon la dimension de ce qui de la représentation est le représentant » ; dimension qu'il assigne, dans la cure, au fantasme.
Lacan met en exergue le plan constitué par la présence d'un tableau dans le tableau, tableau posé sur un chevalet et que le spectateur voit à l'envers. Ce plan, élidé comme tel par M. Foucault, est essentiel en tant que c'est le plan où se joue toute la fonction du tableau. Lacan reprend la différence, analysée déjà dans Les quatre concepts, entre la vision et le regard. C'est la pulsion scopique qui est ici concernée ainsi que le sujet qui se trouve divisé, l'être schizé, entre sa vision et son regard. M. Foucault reste dans le monde de la représentation comme signe, maintient la représentation dans le registre imaginaire. Lacan insiste : le tableau de Velásquez « n'est pas la représentation de tous les modes de la représentation, il est le représentant de la représentation ». La référence, cette fois, n'est plus le signifiant mais l'objet a, en tant que la chute de celui-ci est la condition pour que le sujet puisse exister entre S1 et S2 ; objet irreprésentable, que seul le fantasme peut venir représenter ; le fantasme qui est aussi pour Lacan « le représentant de toute représentation possible du sujet ».
VORSTELLUNGS–REPRÄSENTANZ ET OBJET a
Dans son analyse du tableau de Velásquez, la référence, cette fois, n'est plus le signifiant mais l'objet a, en tant que la chute de celui-ci est la condition pour que le sujet puisse exister entre S1 et S2 ; objet irreprésentable, que seul le fantasme peut venir représenter ; le fantasme qui est pour Lacan « le représentant de toute représentation possible du sujet ».
Cet objet a, Lacan l'avait mis en place dans son séminaire L'angoisse comme, non pas objet du désir, mais comme objet cause du désir, et dont la chute fonde le sujet du désir. Le sujet, jusque là, était représenté par un signifiant pour un autre signifiant. Dans L'angoisse, la question du sujet se formule non plus en termes de représentation, mais en termes de réalisation et d'existence.
Cependant, à deux reprises dans le séminaire, Lacan accorde à l'objet a la fonction de représenter le sujet : « le rapport de ce a à l'S, le a en tant qu'il est justement ce qui représente le S de façon réelle et irréductible… » (Leçon 13) et : « que sous les diverses formes où il se manifeste, il s'agit toujours d'une même fonction, à savoir comment a est lié à la constitution du sujet au lieu de l'Autre et le représente » (Leçon 23).
La fonction de représentation n'opère plus dans le registre symbolique, comme pour le signifiant, mais dans le registre réel. Remarquons que Lacan abandonne ici son idée de représenter « pour ».
VORSTELLUNGS–REPRÄSENTANZ ET RÉEL :
FONCTIONS D'ÉVIDEMENT ET DE MASQUE.
Si Lacan a convoqué dans un premier temps le Vorstellungs – Repräsentanz freudien en tant que signifiant, pour éclairer le fonctionnement du symbolique, très rapidement la question du réel et de son rapport au symbolique va le préoccuper.
Dans le séminaire L'Ethique de la psychanalyse, Lacan pose la question éthique dans ce rapport : en quoi dans notre activité structurée par le symbolique, le réel se présentifie-t-il ?.
Aussi, s'il s'arrête longuement sur les Vorstellungs–Repräsentanzen, leur structure et leur fonction, ce n'est plus en se référant à la métapsychologie mais à l'esquisse dont il isole et fait émerger le concept de das Ding. Le recours à das Ding permet de poser la question de l'impossible de la représentation. Das Ding est cette part du Nebenmensch que Freud repère comme irreprésentable ; seuls ses attributs peuvent accéder à la représentation. Pour Lacan, das Ding, la Chose, a le plus grand rapport avec le réel : « c'est ce qui du réel primordial pâtit du signifiant ».
Il ne s'agit plus seulement de faire équivaloir Vorstellungs–Repräsentanz et signifiant, ce qui est une chose acquise, mais de donner à ces Vorstellungs–Repräsentanzen la fonction d'évider, de trouer ce réel. Les attributs de la Chose, les Vorstellungen primitives, qui ont déjà une structure signifiante, sont ce qui vient cerner das Ding dans le réel.
La question se pose ici en termes de bords et appelle une topologie qui pourrait en rendre compte : « Das Dingest justement au centre au sens qu'il est exclu. C'est-à-dire qu'en réalité il doit être posé comme extérieur, ce das Ding, cet Autre préhistorique impossible à oublier dont Freud nous affirme la nécessité de la position première, sous la forme de quelque chose qui est entfremdet, étranger à moi tout en étant au cœur de ce moi, quelque chose qu'au niveau de l'inconscient, seule représente une représentation. Je dis quelque chose que seule représente une représentation. Ne voyez pas là un simple pléonasme, car représente et représentation sont ici deux choses différentes, comme l'indique le terme Vorstellungs–Repräsentanz. Il s'agit de ce qui, dans l'inconscient, représente comme signe la représentation comme fonction d'appréhension — de la façon dont se représente toute représentation pour autant qu'elle évoque le bien que das Ding apporte avec lui ». Lacan indique ici l'importance de la fonction, fait valoir plutôt Repräsentanz que Repräsentant.
Cette fonction d'évidement du réel, Lacan l'attribue également à des Vorstellungen particulières, les Wortvorstellungen. C'est dans les séminaires D'un discours qui ne serait pas du semblant et Encore, que Lacan fait équivaloir représentation de mots et écriture.
Dans L'éthique, le réel pâtissait du signifiant, des Vorstellungs–Repräsentanzen ; ici, le réel pâtit de l'écriture, des Wortvorstellungen. Le réel n'est plus ce lieu où ça ne peut pas se représenter, mais ce lieu où ça ne cesse pas de ne pas s'écrire. Et l'écriture a pour effet de raviner le réel : « l'écriture peut être dite dans le réel, le ravinement du signifié ».
La reprise de Vorstellungs–Repräsentanz dans le séminaire des Quatre concepts va dans ce sens et poursuit ce qui était amorcé déjà avec das Ding.
Mais ici, Lacan a recours à la seconde topique freudienne de l'Au-delà du principe de plaisir, tout en rappelant que pour Freud, ce qui détermine l'inconscient, c'est le Vorstellungs–Repräsentanz. Dès lors que ce qui commande, ce n'est pas le principe de plaisir mais la compulsion de répétition, quelle fonction assurent alors les Vorstellungs–Repräsentanzen ?
Il s'appuie une fois de plus sur un rêve rapporté par Freud. Il s'agit de ce père qui va prendre repos après la mort de son fils et qui rêve, au moment même où un cierge tombe et fait brûler l'enfant, que son fils le tire par le bras et murmure sur un ton de reproche : « père ne vois-tu pas que je brûle ? ». Ce n'est pas tant la réalité des flammes qui réveille le père, que la réalité de ce fils, tirant le père par le bras, vision atroce, rencontre unique qui ne peut se faire que dans le rêve. Car dans la réalité, la rencontre est toujours manquée et Lacan se demande si, dans ces mots, ne passe pas la réalité manquée qui a causé la mort de l'enfant.
Ainsi dit Lacan « le réel, c'est au-delà du rêve que nous avons à le rechercher dans ce que le rêve a enrobé, a enveloppé, nous a caché, derrière le manque de la représentation dont il n'y a qu'un tenant lieu. C'est là le réel qui commande plus que tout autre nos activités, et c'est la psychanalyse qui nous le désigne ». Comme si l'ombilic du rêve rencontrait l'ombilic de la représentation, c'est-à-dire l'irreprésentable, le réel.
Lacan précise la fonction de ce Vorstellungs–Repräsentanz, grâce à une traduction plus éclairante. Vorstellungs–Repräsentanz n'est pas simplement un représentant de la représentation, mais n'en est qu'un tenant lieu. Déjà, les Vorstellungen manquaient à représenter la Chose, irreprésentable, ne pouvaient en représenter que les attributs. Dans l'inconscient, pas de représentations, pas de Vorstellung seulement un tenant lieu de représentation, Vorstellungs–Repräsentanz. Déjà la représentation, sémantiquement, indiquait l'absence de l'objet. Alors, ce qui n'est qu'un tenant lieu de ce qui n'est que représenté, indique combien le sujet, à entrer dans le langage, reste à jamais éloigné de la jouissance de la Chose. Seules les Vorstellungen, seuls les Vorstellungs–Repräsentanzen pris dans le principe de plaisir, peuvent venir lui masquer ce manque.
Lacan insiste donc sur la fonction. Il indique combien, pour l'enfant, s'inscrit déjà la primauté non pas du signifiant, mais de la signifiance, dont la visée est la répétition de ce qui manque à être représenté. « Ce que vise le jeu c'est ce qui essentiellement n'est pas là en tant que représenté car c'est le jeu même qui est le Repräsentanz de la Vorstellung ». La primauté du Repräsentanz, la fonction, Lacan l'avait déjà soulignée dans L'éthique, en indiquant « qu'un objet peut remplir cette fonction qui lui permet de ne pas éviter la chose comme signifiant mais de la représenter en tant que cet objet est créé » ; ainsi le vase, objet créé pour représenter l'existence du vide.
Mais Lacan va encore plus loin concernant la fonction, à l'occasion de sa reprise du concept de pulsion. Il rejoint l'idée freudienne de la pulsion qui est déjà Repräsentanz du somatique, avant même ou dans le même mouvement que les Vorstellungs–Repräsentanzen sont Repräsentanz de la pulsion. Il y a primauté du Repräsentanz chez l'humain : « si tout est embrouillé dans la discussion des pulsions sexuelles, c'est qu'on ne voit pas que la pulsion sans doute représente mais ne fait que représenter et partiellement la courbe de l'accomplissement de la sexualité chez le vivant ».
La libido, elle-même, trouve à se faire représenter par les objets a.
Ainsi, le Vorstellungs–Repräsentanz, dans sa nouvelle traduction, est convoqué sous le signe du manque et du réel. « Que seule la pulsion partielle soit le représentant dans le psychisme des conséquences de la sexualité, c'est là le signe que la sexualité se représente dans le psychisme par une relation du sujet qui se déduit d'autre chose que de la sexualité elle-même. La sexualité s'instaure dans le champ du sujet par une voie qui est celle du manque ». Deux manques se recouvrent alors ; celui lié au fait que le sujet dépend du signifiant et que le signifiant est d'abord au champ de l'Autre « ce manque vient à reprendre l'autre manque qui est le manque réel antérieur, à situer a l'avènement du vivant, c'est-à-dire à la reproduction sexuée. Le manque réel, c'est ce que le vivant perd, de sa part de vivant, à se reproduire par la voie sexuée. Ce manque est réel parce qu'il se rapporte à quelque chose de réel, qui est ceci que le vivant, d'être sujet au sexe, est tombé sous le coup de la mort individuelle ».
Au regard de ces registres que nous venons d'évoquer, symbolique, imaginaire et réel, il s'avère que la fonction de la représentation, la représentance, vise à masquer le manque dans ces trois registres.
VORSTELLUNGS–REPRÄSENTANZ À L’ÉPREUVE DU NŒUD BORROMÉEN.
Comment reprendre cette question à partir du nœud borroméen, écriture topologique que Lacan déploie dans ses séminaires Les Non dupes errent ,R.S.I. et Le sinthome ? Question difficile que nous ne pouvons actuellement qu'ébaucher.
La lecture de R.S.I. appelle deux remarques.
Première remarque, la constitution de notre représentation, du monde à trois dimensions comme représentation imaginaire dépend de la jonction de ces trois consistances du réel, du symbolique et de l'imaginaire.
Deuxième remarque, la notion de trou, et non plus de manque, est ici prévalente. Elle ne concerne plus seulement le réel, mais les trois registres qui, sans leur trou spécifique, ne peuvent se nouer.
En quoi la fonction de représentation est-elle concernée par ces trois trous ? Lacan donne quelques indications.
Au niveau imaginaire, c'est la Vorstellung qui est concernée : « Freud désigne du moi rien d'autre que ce qui dans la représentation fait trou » ; ce moi, qui se fait figurer par « le sac du corps », lui-même troué par le travail de la pulsion. Au niveau symbolique, ce qui fait trou, c'est le Vorstellungs–Repräsentanz, le refoulé originaire. Au niveau réel, c'est le symbolique qui fait trou. Le symbolique convoqué ici l'est au titre de deux fonctions dont la distinction mérite d'être relevée et la corrélation questionnée ; la fonction de nomination et la fonction du signifiant (fonction de représentation) :
– « la nomination c'est la seule chose dont nous soyons sûr que ça fasse trou »
– et dans sa nouvelle définition de l'inconscient, inconscient qui vient en place de das Ding : « c'est le réel en tant qu'il est troué… ; c'est le réel en tant qu'il est affligé du symbolique… Le signifiant fait trou ».
Ce signifiant qui fait trou dans le réel, est-ce un Vorstellungs–Repräsentanz ? La clinique de la psychose et de l'autisme ouvre quelques pistes.
A partir de la clinique de la psychose, M. Czermak indique que, si dans le réel il n'y a pas de représentations, il y a cependant des représentants, purs signifiants sans signification; réel du langage.
Ainsi, dans le réel, non seulement il n'y a pas de représentations (Vorstellungen) mais il n'y a pas de Vorstellungs–Repräsentanzen. Ce serait le Repräsentant, pur signifiant qui ferait trou dans le réel. Et la dislocation des ronds dans la psychose entraînerait une dislocation du Vorstellungs–Repräsentanz, avec pour effet que Vorstellung et Repräsentanz, imaginaire et réel se collabent.
Comment penser le non réalisé dans l'autisme ? Le symbolique n'y est pas troué par le Vorstellungs–Repräsentanz. Le réel du sujet peut-il être troué par le signifiant dès lors que le sujet n'est pas représenté par un signifiant dans l'Autre, dès lors qu'il y a eu défaut de nomination primordiale ?
La distinction apportée par Lacan dans RSI concernant ce qui troue le réel, nomination et signifiant, est précieuse. Le signifiant peut-il opérer et assurer sa fonction de trouage du réel, sa fonction de représentance dans le symbolique, sans la frappe de la nomination dans le réel : « la nomination c'est la seule chose dont nous soyons sûr que ça fasse trou » ?
Ce parcours partiel de l'œuvre de Lacan, à la recherche de Vorstellungs–Repräsentanz, laisse apparaître que ce que Lacan fait essentiellement prévaloir, c'est la représentation comme fonction, représentance, Repräsentanz plutôt que Vorstellungs–Repräsentant. Fonction qui s'avère être tout autant fonction de masque que fonction d'évidement.
Et au moment de conclure sur cette question, le retour de Freud s'impose en rappelant que c'est en mettant en évidence la fonction de représentation dans l'appareil associatif du langage que Freud s'opposa aux théories neurologiques de son époque. Acte par lequel Freud s'excluait du monde médical pour fonder sa science psychanalytique.
NOTE
* La première partie de ce travail est parue dans le Discours Psychanalytique n° 12 – Octobre 1994
BIBLIOGRAPHIE
Dans les Ecrits :
– Fonction et champ de la parole et du langage en psychanalyse.
– Subversion du sujet et dialectique du désir.
– La signification du phallus.
Séminaires.
– Les psychoses.
– Le désir et son interprétation.
– L'éthique de la psychanalyse. -L'identification. -L'angoisse
– Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse.
– L'objet de la psychanalyse.
– D'un Autre à l'autre.
– L'envers de la psychanalyse.
– D'un discours qui ne serait pas du semblant.
– Encore.
– Les non-dupes errent.
– R.S.I
– Le sinthome
Article:
M. CZERMAK., L. SCIARA, Notules de clinique sociale. Le réel
est sans représentation, même s'il a des représentants : le cas
Amanda, dans Le trimestre psychanalytique n° 4, La représentation,
1995.