« Y a-t-il de l'être du psychanalyste ? »
01 avril 2025

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Thierry FLORENTIN
Préparation au séminaire d'été

Préparation au séminaire d’été 2024-2025

Étude du séminaire, L’Acte psychanalytique

 

Mardi 1er avril 2025

Présidente-Discutante : Flavia Goian

Thierry Florentin : « Y a-t-il de l’être du psychanalyste ? »

 

Lorsque Sandrine Calmettes m’a joint par téléphone, au nom des organisateurs de ce séminaire, pour me proposer de prendre la parole sur ce thème : y a-t-il de l’être du psychanalyste ? le son passait mal, et j’ai d’abord cru qu’elle disait : y a-t-il de la lettre du psychanalyste, mais je dois dire que, en raccrochant, je me suis dit qu’elle avait peut-être parlé de désêtre.

 

Le désêtre du psychanalyste.

 

Alors en raccrochant, je n’avais pas les idées très claires, et comme je devais retourner à ma consultation, je n’ai pas osé la rappeler pour lui faire part de mon mal-être.

 

Bien m’en a pris, car finalement, en y réfléchissant, je n’avais pas besoin de savoir ce qu’avait été son intention au départ, et que je pouvais partir de l’hypothèse que être, lettre et désêtre étaient trois faces d’un même état, trois côtés d’un même moment, un moment qui possède la structure des trois temps, et que Lacan qualifiera dans le résumé du séminaire sur l’acte psychanalytique qu’il remet à l’École Pratique des Hautes Études, de « moment électif […] où le psychanalysant passe au psychanalyste ».

 

Moment électif au cœur, au centre de l’acte psychanalytique, et dans le même temps son moment conclusif.

 

Point central d’où émerge tout autant l’être du psychanalyste que l’être du psychanalysant.

 

Ce que Lacan va énoncer dès la première leçon du séminaire sur l’acte le 15 novembre 1967.

 

« La psychanalyse, dit-il, ça fait quelque chose, et c’est dans ce quelque chose que réside l’être ».

 

En trois mots, il trace un espace topologique : « C’est dans ce quelque chose ».

 

Et il continue : « Ça fait, ça fait quelque chose ça ne suffit pas, c’est essentiel, c’est au point central ».

 

Point central.

Si je dis point central, je trace déjà une topologie, une topologie dans le langage.

 

« À la portée de chaque entrée dans la psychanalyse », dit Lacan, « l’acte a lieu d’un dire ».

 

C’est donc au cœur d’un dire, de cet espace qui se trouve défini par la parole et le langage, que se retrouvera l’être du psychanalyste, ou plutôt que le psychanalyste trouvera l’essence de son être.

 

Et non pas dans une pléthore de sens.

 

Ou pire, de la logique déductive d’un cogito, le cogito de l’affirmation de Descartes: « Je pense, je suis », qui vient faire bouchon au sujet.

 

Il s’agit d’aborder le sujet par, dit Lacan, ses « dimensions langagières ».

 

Il n’y a d’être pour Lacan que de « parlêtre ».

 

C’est-à-dire qu’il n’y a d’être que dans le langage.

 

Et nous nous déplaçons dans le langage comme dans un espace topologique.

 

Un espace où je ne pense pas, où je ne suis pas.

 

Il faut ici entendre non pas le ou du ou bien ou bien, le ou de la conjonction, mais le adverbial, et pronom relatif, et qui marque autant le lieu que le temps.

 

Le où du « où cela était »,

 

« Soll Ich werden ».

 

Où cela était, l’être du psychanalysant et l’être du psychanalyste a à advenir.

 

Remarquez, mais je garde cela pour plus tard, que je ne dis pas ont à advenir, mais a à advenir, pour marquer qu’il s’agit bien du même moment lié, pour l’analysant comme pour le psychanalyste.

 

Ce n’est pas pour rien que Lacan prononçait son séminaire en déclarant « Je parle devant vous en analysant. »

 

Au sein de ces dimensions langagières, au centre de cet espace de langage, que nous apprêtons nous à rencontrer ?

 

Sans surprise, l’objet a.

 

Serré, cerné, par les trois jouissances que nous connaissons.

 

Peut-être en existe-t-il d’autres, le monde est certainement en train de nous en fabriquer de nouvelles, mais celles-là, nous les connaissons :

 

– La jouissance de l’être, autrement dit la jouissance phallique.

– La jouissance du désêtre, autrement dit la jouissance autre.

– Et la jouissance de la lettre, autrement dit la jouissance du sens.

 

C’est donc au bout de la consistance logique, dira Lacan de ce dire, alors que l’analysant a pu, comme il le dit dans la leçon du 29 novembre 1967, « parler pendant des semaines et des mois à raison de plusieurs séances par semaine » que Lacan va situer l’acte psychanalytique.

 

Au bout de cette logique se trouve un acte « tel qu’il destitue en sa fin le sujet même qui l’instaure », formulation du résumé pour l’École Pratique des Hautes Études.

 

Nous y sommes presque.

 

« Tel qu’il destitue en sa fin le sujet même qui l’instaure ».

 

Première torsion d’un même moment qui voit l’assomption du sujet dans le temps même de sa destitution.

 

Moment de vacillation et de chute, celle de l’objet a, objet a qui prend alors toute sa valeur d’ « opposition subjective », dira Lacan, qui ne nous autorise cependant pas encore à faire équivaloir le sujet et l’être.

 

Dans le même moment où l’objet a vacille et choit, vacillent avec lui les trois jouissances qui l’enserrent, phallique, l’être, autre, le désêtre, et du sens, la lettre.

 

« Du même mouvement », écrit Lacan dans le résumé du séminaire, d’où « s’évacue cet en-soi de l’objet a, dont « choit le psychanalysant », destitution subjective, « pour ce qu’il ait dans cet objet vérifié la cause de son désir ».

 

Il y a alors assomption d’un nouveau sujet, et des effets attendus, d’articulations nouvelles aux « positions subjectives de l’être », dit Lacan dans cette leçon du 15 novembre 1967, « subversion du sujet », puisqu’il s’agit là de quelque chose comme d’une « conversion » dans la « position qui résulte de ce qu’il en est de son rapport au savoir », poursuit-il dans la leçon suivante, celle du 22 novembre 1967.

 

« Il y a là savoir acquis », dit Lacan dans cette même leçon.

 

Savoir acquis, certes, mais à qui ?

 

Le psychanalysant découvre sa division subjective dans ce moment de désêtre, il découvre en lui l’existence d’un « savoir sans sujet », qui n’est attribuable qu’au grand Autre, en même temps que la « faille aperçue du sujet supposé savoir », ce qui entraine en conséquence la destitution de l’analyste, qui dans ce transfert, dit Lacan, n’était autre que « la mise en acte de l’inconscient ».

 

Où se trouve alors l’être du psychanalyste ?

 

Se trouverait-il dans « les instruments de sa fonction », comme le dit Lacan dans la leçon du 15 novembre 1967 ?

 

Et celui de son désêtre dans sa destitution lorsqu’il se retrouve en « position excentrique » dira Lacan dans la leçon du 22 novembre 1967.

 

Position excentrique devant ce « savoir sans sujet » de l’analysant, savoir déjà-là de toujours, avant même la rencontre avec le psychanalyste, avant même que ce dernier ne se trouve érigé par l’analysant en sujet supposé savoir.

 

Dans la leçon du 29 novembre 1967, Lacan va développer ce qu’il entend par ces instruments de la fonction.

 

D’une part, il souligne que la résistance à l’acte psychanalytique se situe du côté du psychanalyste, « l’acte psychanalytique est ce à quoi le psychanalyste semble opposer la plus forcenée méconnaissance », et d’autre part, il emploie le terme de « feinte » pour qualifier ces instruments de la fonction du psychanalyste, « Appelez ça comme vous voulez, poésie ou manège ».

 

Il va jusqu’à affirmer dans cette même leçon : « Hors de ce que j’ai appelé manipulation du transfert, il n’y a pas d’acte analytique ».

 

Dans cette leçon du 29 novembre 1967, Lacan noue, par la grâce de l’opération du transfert, les trois états conjoints de la lettre, de l’être, et du désêtre du psychanalysant avec ceux du psychanalyste.

 

Désêtre de l’un et désêtre de l’autre se situent dans un même moment par lequel, par le biais de l’opération de la lettre qui leur est commune, celle du signifiant, émergent l’être de l’un et l’être de l’autre.

 

Opération centrale de l’acte analytique qu’est cette opération du signifiant, remaniant les relations de l’objet a dans son serrage avec les jouissances.

 

Et qui avant d’entrainer un gain, qui sera celui de l’être, implique une perte, celle d’un désêtre.

 

Un « je perds », un effet de perte, marquant le moment de passage du psychanalysant au psychanalyste, dira Lacan dans la leçon du 6 décembre 1967.

 

Désêtre qui marque en même temps le passage du faux-être à l’être.

 

Passage structurant d’un « Je ne pense pas ».

 

Pourquoi ?

 

Parce que « On n’est jamais si solide dans son être que pour autant qu’on ne pense pas, dira Lacan. Chacun sait ça ».

 

« Ce faux-être c’est notre être à tous », dit Lacan.

 

C’est l’être du faux-être, celui du cogito, du je pense, que Lacan dira encore, dans cette même leçon, constituer l’erreur, l’erreur sur l’être.

 

Être sans essence, « comme sont sans essence tous les objets a », dira Lacan dans cette leçon du 6 décembre 1967, c’est ce qui les caractérise.

 

L’être de l’analyste émerge à ce moment très particulier de l’acte analytique, qui en est son terme, moment de la passe, d’assomption d’ « une vérité qui est atteinte, pas « sans le savoir » », dira Lacan, et où l’objet a est la réalisation de cette sorte de désêtre qui frappe le sujet supposé savoir, dira Lacan dans la leçon ultérieure, celle du 17 janvier 1968, pour autant dit-il, que l’acte analytique, « nous le posions comme consistant en ceci de supporter le transfert », et qu’il implique donc déjà en soi cette destitution à venir du sujet supposé savoir.

 

Ce qui, pas logique suivant, fera dire à Lacan, dans la leçon suivante, celle du 24 janvier 1968, que ce qu’il en est de l’être de la personne du psychanalyste c’est justement quelque chose qui ne peut s’apercevoir réellement qu’à son repérage dans la structure, et que ce qui résiste dans l’analyse, ce n’est pas le sujet, mais le discours.

 

« Les personnes qui nous parlent de l’être de la personne pour en faire objection dans la structure, on aimerait vraiment leur demander d’articuler ce qu’il en est pour elles, de ce qu’elles appellent à l’occasion l’être. On ne voit pas très bien où elles le placent. Elles parlent pour elles-mêmes. Il y a une certaine façon de placer de l’être de la personne chez les autres qui est une opération de bibelotage assez commode ».

 

Le psychanalyste se trouve ainsi dans la position de devoir instaurer l’acte psychanalytique, c’est-à-dire de donner sa garantie au transfert, c’est-à-dire au sujet supposé savoir, et d’avoir ce que Lacan nomme un avantage, le seul dit-il, qu’il ait sur le sujet psychanalysant, c’est de savoir d’expérience « ce qu’il en est du sujet supposé savoir… que le tracé, le vecteur, l’opération de l’acte psychanalytique doit, ce sujet supposé savoir, le réduire à la fonction de l’objet a ».

 

« C’est ce que dans une analyse, celui qui l’a fondée, cette analyse, dans un acte, à savoir son propre psychanalyste, est devenu. »

 

« Il, c’est à dire l’analyste, l’est devenu précisément en ceci qu’au terme il s’est conjoint avec ce qu’il n’était pas d’abord, je parle dans la subjectivité du psychanalysant, il n’était pas d’abord au départ le sujet supposé savoir. »

 

« Il le devient au terme de l’analyse, je dirais par hypothèse. Dans l’analyse, on est là pour savoir quelque chose. C’est au moment où il le devient qu’également il se revêt pour l’analysant de la fonction qu’occupe dans la dynamique, lui psychanalysant comme sujet, l’objet a.»

 

Il n’y a aucune manière d’accéder à l’être du psychanalyste par cette seule assomption du sujet supposé savoir que le psychanalysant lui attribue, dira Lacan dans la leçon du 17 janvier 1968, car le psychanalyste sait qu’il est voué au désêtre.

 

Il sait, dit-il ce qu’il devient, en tant que sujet supposé savoir.

 

« Assurément, il choit ».

 

C’est de sa propre place que cette chose surgit.

 

Cette chose s’appelle l’objet a.

 

« L’objet petit a est la réalisation de cette sorte de désêtre qui frappe le sujet supposé savoir. Que ce soit l’analyste et comme tel qui vienne à cette place n’est pas douteux et se marque dans toutes les inférences où il s’est senti impliqué ».

 

« Que faut-il qu’il soit possible pour qu’il y ait un analyste ? [… ] Quand il se met là après avoir lui-même parcouru le chemin psychanalytique, il sait déjà où le conduira alors comme psychanalyste le chemin à reparcourir, au désêtre du sujet supposé savoir, à n’être que le support de cet objet qui s’appelle l’objet petit a. »

 

Dans la leçon suivante, celle du 7 février 1968, Lacan précisera combien c’est à ce moment précis du tranchant de l’acte psychanalytique, ce moment d’effet de la parole qui vient faire vaciller pour le psychanalysant l’accroche de l’objet a à ses jouissances, que s’instaure, que s’institue le psychanalyste, et que le psychanalysant passe au psychanalyste.

 

Pas d’autre définition du psychanalyste qu’à ce niveau, que Lacan qualifie de niveau de la production.

 

Pour ceux qui seraient encore tentés de se poser la question de la qualification du psychanalyste, il répondra de manière très tranchée qu’il n’y a pas de « psychanalyste sans psychanalysant ».

 

Ce nouage entre le psychanalysant et le psychanalyste, Lacan le qualifiera lui-même de « structure d’enveloppement » :

 

« La psychanalyse ne saurait s’instaurer sans un acte, sans l’acte de celui qui en autorise la possibilité, sans l’acte du psychanalyste, et qu’à l’intérieur de cet acte de la psychanalyse, la tâche psychanalysante s’inscrit à l’intérieur de cet acte. »

 

L’analyste, précise Lacan dans la séance du 21 février 1968 a à se faire le tenant de ce dont il connait l’aboutissement, « à savoir qu’à se mettre à la place qui est celle de l’analyste, il en viendra enfin à être sous la forme du a, cet objet rejeté, cet objet où se spécifie tout le mouvement de la psychanalyse, à savoir celui qui vient à la fois à la place du psychanalyste, pour autant qu’ici le sujet décisivement se sépare, se reconnaît pour être causé par l’objet en question. Causé en quoi ? Causé dans sa division de sujet, il reste marqué de cette béance qui est la sienne et qui se définit dans la psychanalyse par la forme de castration ».

 

C’est dans cette configuration d’enveloppement central autour de l’objet a que Lacan terminera ses dernières leçons du mois de mars 1968 concernant l’être du psychanalyste et celui de l’analysant.

 

Dans la leçon du 13 mars 1968, il posera encore la question de savoir ce que c’est qu’être psychanalyste, et ce qu’est une psychanalyse, sinon que de prendre pour objet ce curieux effet de langage que définit l’acte analytique.

 

Pour finir par cette phrase assez mystérieuse pour affirmer que ce qui définit une psychanalyse, eh bien c’est la cure qu’on attend d’un psychanalyste, et qu’il n’y a pas d’autre critère.

 

C’est même, reprendra-t-il dans la leçon du 20 mars 1968, ce qui la distingue de tout le reste, ce qu’on appelle une psychothérapie, à la diversité des modes et des résonances, et dont le centre en est donné par le terme de suggestion.

 

Jusqu’à ce séminaire, dit Lacan, rien n’avait pu jusqu’ici être articulé de ce qu’il en est de ce qui qualifie comme tel le psychanalyste :

« On parle bien sûr de règles, de procédés, de mode d’accès, mais ça ne dit toujours pas ce qu’est un psychanalyste. »

« L’intérêt de la psychanalyse, dira Lacan, dans la leçon du 7 février 1968, est qu’elle noue, comme jamais jusqu’à présent n’a pu l’être fait, ces problèmes de logique, d’y apporter ce qui en somme était au principe de toutes les ambiguïtés, qui se sont développées dans l’histoire de la logique, une ousia, un être. »

« C’est parce que le psychanalyste donne à cet acte son autorisation, et à ce prix qu’il vient lui-même à supporter cette fonction de l’objet a que l’acte psychanalytique est réalisé », souligne Lacan.

 

Mais c’est également au terme de cette expérience, de cet acte, que quelque chose qui s’appellerait l’être du psychanalyste pourra s’instaurer.