WIM et TIM (histoire belge)
29 septembre 2008

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PÉRIN Jean
Billets



Le Monde du 11 septembre 2008 annonce qu’on pourra voir à la foire de Shanghai le dos tatoué de TIM Steiner. Le tatouage est l’oeuvre de l’artiste belge WIM Delvoye. Le dit tatouage a été vendu 150.000 euros à un collectionneur allemand. Cette somme a été partagée entre l’artiste, la galerie et le support vivant. Le titre de l’oeuvre est le prénom du support : TIM.

Par contrat, TIM s’est engagé à s’exposer trois fois par an et par contrat encore, il est prévu qu’à sa mort, la peau, dépecée et tannée, reviendra au collectionneur. L’oeuvre représente le visage de la vierge avec au-dessus une tête de mort et d’autres formes stylisées et colorées.

Ce spectacle publicitaire et plastique se donne un support de droit : le contrat. Alors, question : TIM pouvait-il disposer de son corps librement par contrat ? Se vendre comme à Rome dans l’antiquité ? Sûr que non. On ne peut s’engager sa vie durant. Il aurait pu léguer son corps à la médecine, mais dans ce cas, il peut révoquer le legs. Engagé, il ne peut plus se dégager sauf au créancier collectionneur de consentir à le libérer de son obligation.

Le droit romain, toujours précieux en la matière, avait deux solutions opposées. Pour l’une, c’était le créateur de la peinture (la forme) qui était le maître de la chose (matière) nouvellement créée. Soit WIM. Quasiment TIM serait l’esclave de WIM. Pour l’autre, c’était au contraire, c’était le propriétaire du support (matière) qui devenait le maître de la chose nouvelle. Soit, pour notre histoire : TIM ; à qui il a été dit, à la galerie : "Tu n’es pas l’oeuvre, tu n’es que la toile sur laquelle elle est". Le droit romain se survit dans les galeries d’art !

Le tribunal de Paris, en 1969, eut à connaître d’une affaire où une jeune fille avait dû se faire tatouer une Tour Effel avec une rose "sur une de ses fesses" : il était stipulé qu’un chirurgien procèderait au détatouage, une fois le film terminé. La société de production restait propriétaire du produit de l’excision. Il était escompté que le tatouage serait vendu au prix d’un Picasso! Le tribunal annula la convention et ordonna la restitution du "lambeau de peau" à la jeune fille. Les personnes et l’objet litigieux s’inscrivent sur le graphe du fantasme sadien tel qu’il figure dans Kant avec Sade dans les Ecrits de Jacques Lacan. A s’y reporter nous saisissons laquelle des jouissances fut repoussée par le tribunal.

Dans l’histoire rapportée par Le Monde, il est évident que TIM n’aura pas à se plaindre d’une "exérèse sanguinolente". Le collectionneur n’aura qu’à recueillir du support qui ne sera plus vivant une sorte de nature morte.

Essayons de terminer l’histoire belge en histoire française au goût de farce. TIM demande l’annulation du contrat, par exemple sur la base de la dignité humaine qui est un droit de l’Homme, et que ce soit accepté. Chacun récupère ses mises, on remet tout à zéro. Le tatouage, objet du contrat, restera sur le dos de TIM à perpétuelle demeure comme on dit en droit. Par la force des choses. Alors, c’est WIM qui l’aura dans le dos !