Une culotte pour deux
30 janvier 2014

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MELMAN Charles
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Comme vous le savez, nous nous faisons forcément du sexe une question de sentiments.

Le problème, c’est que ce qui détermine le sexe est primordialement une structure parfaitement indifférente aux sentiments que nous pouvons en éprouver et dont nous aimerions que ce soit eux qui commandent la relation.

Il est clair, que tant que nous ne serons pas avertis, mieux sans doute, des particularités structurales qui ordonnent pour nous le sexe, nous continuerons assurément de vivre la relation dans le domaine du rêve, de la revendication, de l’utopie, du malaise, voire aujourd’hui, et pourquoi pas, de la revendication sociale.

On voit bien comment, sur ce point, que vous avez traité au cours de cette année, c’est un peu la vie de chacun qui se joue, qui se décide, malgré lui, quoi qu’il en pense, et je dirais quoi qu’il sache, puisque sur cette question de la relation sexuelle et de l’identification sexuelle, nous avons depuis la psychanalyse et aussi, pour une grande part depuis les formulations de Lacan, nous avons des avancées, dont il est intéressant de constater que pour l’essentiel, elles restent à l’écart du mouvement culturel ; je veux dire tout continue de se passer comme si là-dessus, rien n’avait été proposé dans la volonté certaine d’imaginer des relations entre hommes et femmes, des relations pour chacun à son propre sexe qui soient moins conflictuelles, et qui débouchent moins sur ce que nous vivons depuis des décennies, c\’est-à-dire la « guerre des sexes ».

Où en sommes nous avec l’identification sexuelle ?

Nous pouvons, je me permettrais de rappeler, je ne sais pas évidemment, malheureusement, ce que vous avez déjà traité ici, mais, je me permettrai de rappeler très brièvement que pour chacun d’entre nous l’identification sexuelle se joue au niveau de quatre facteurs.

Pas plus et pas moins.

Il y a d’abord celui que chacun de nous bien sûr connaît, qui est le facteur de la réalité de son sexe, son sexe anatomique, celui avec lequel il est venu au monde, le type d’outillage qui va venir le ranger d’un côté ou de l’autre : du côté mâle ou du côté femelle.

C’est une identification majeure, car elle n’est pas seulement réelle, mais elle prend aussi pour chacun, et en général pour les familles, elle prend un sens symbolique, puisqu’elle semble être la volonté, correspondre à la volonté,  de celui qui déciderait de cette affaire, la puissance tutélaire qui vient décider de la  différence des sexes, et elle prend donc, enfin cette anatomie prend donc aussitôt un caractère également symbolique.

Autrement dit, ce n’est pas seulement l’effet de ce hasard :  51% , 49% , qui a déterminé l’identité du sexe, mais c’est aussi cette volonté tutélaire qui vient ranger chaque individu dès sa naissance dans une des deux catégories.

Symbolique : ça a des sens, comment dirais-je ?

Ça a en l’occurrence un sens très précis, puisque cela vient signifier aussitôt, que l’identité, cette identité au départ « bêtement anatomique », animale, si j’ose ainsi m’exprimer, vient s’inscrire dans la vocation de celui qui vient de naître, à se trouver homme ou femme, c\’est-à-dire chargé d’un devoir.

Et d’un devoir qui en l’occurrence, se moque de ce qui pourra être aussi bien son plaisir, que je dirais sa détermination singulière : si il est Homme ou Femme, il vient au monde avec cette charge qui fait que, il sera reconnu par ses semblables, à la condition de se montrer le représentant, qu’il soit Homme ou Femme, de cette puissance tutélaire, l’un de ses agents et entre autres, avec cette charge d’assurer la postérité de la lignée.

Cela vaut pour l’un et pour l’autre sexe, mais encore, je dirais de façon plus éminente pour le sexe féminin, puisque ses qualités féminines propres vont se trouver soumises à sa capacité, voire à sa volonté, à être mère.

On assiste en général à l’éclipse de ce que pourraient être les manifestations, la reconnaissance qu’elle pourrait attendre des traits de sa féminité, on assiste alors : éclipse devant cette quête socialement voulue, socialement validée.  Cette quête de la maternité en tant que c’est elle, plus que les traits spécifiques de sa féminité, qui viendrait en quelque sorte la faire entrer dans le cercle social.

J’ai évoqué le facteur réel dans l’identification sexuelle, voilà un facteur symbolique dont la brutalité nous fait déjà entrevoir de quelle manière, il soumet ce qui peut être la singularité de chacun à ce qui est une règle culturelle, une règle sociale.  Outre le fait que le terme Homme ou Femme, ne vient pas seulement comme synonyme donc, de ce devoir à accomplir, mais également de l’oblitération de ce que pourraient être les désirs de telle ou tel, au profit de cette charge qui lui revient, et bon, pas besoin d’insister là-dessus, dont nous savons de quelle manière elle est familialement et socialement fêtée.

Le troisième facteur de cette identification sexuelle : c’est le facteur imaginaire.

C’est un facteur très important, puisqu’il commande en quelque sorte ce qui dans l’espèce humaine, tout ce qui relève de la parade sexuelle, est comme nous le savons fort important, fort décisif.

C’est ainsi qu’il y a un certain nombre de traits que l’on peut célébrer, que l’on peut dénoncer, que ce soit le machisme d’un côté, ou que ce soit la séduction de l’autre et qui  relèvent essentiellement des modalités, je dirais propres à une culture de se donner en représentation dans la manifestation de cette identité sexuelle.

Il est clair en effet, que les mythes si nombreux qui témoignent de la violence avec laquelle a pu s’effectuer  le premier « rapt »  des femmes, ces mythes rendent compte, sans aucun doute, de la peur que les femmes inspirent à l’espèce mâle. Dans la mesure, où c’est bien évidemment de leur acceptation, de leur accord, que dépend la vérification de cette identité masculine, au départ, si spontanément et de façon inaugurale, assurée d’elle-même.

Nous savons combien ce pacte aussi entre un homme et une femme peut là encore n’être qu’un pacte symbolique – ce n’est pas primordialement le contrat chez le notaire – mais c’est plus originairement un pacte symbolique. C\’est-à-dire l’acceptation par l’un et par l’autre de ce défaut qui va être au centre de la relation concubine ou conjugale et qu’il y aura ou non à assumer ce défaut, cette incomplétude, cette défection, qu’il y aura à assumer ou non, eu égard justement à cette charge qui se trouve revenir à l’un et à l’autre, mais qui comme nous le savons peut être sans cesse récusée.

Il y a là le motif, la cause de toutes les récriminations que nous pouvons relever dans la relation et dont nous savons que cette insuffisance, cette défection peut être à tout moment dénoncée, refusée, et le pacte se trouver défait.

À cet égard, les rêveries des mythes que nous continuons de nourrir sur la relation et sur, justement, le prix de l’identification, ces mythes, je veux dire ces espoirs, ces utopies ainsi proposées, ne peuvent que contribuer, bien entendu, je dirais à un échec, qui ne vaut, qui ne vient s’inscrire que par rapport aux attentes culturellement entretenues, admises, attendues, espérées. Sur cet imaginaire, je ne vais pas m’étendre maintenant, pour y revenir tout à l’heure

Après avoir abordé ces trois catégories qui fixent l’identification de chacun, Réel, Symbolique, et Imaginaire il faut venir bien sûr, à la quatrième qui est l’identification marquée par le symptôme, c\’est-à-dire, justement la tentative de s’alléger de cette charge liée à l’identification sexuelle.

Tout ce que la psychanalyse a pu montrer quant à l’organisation des névroses, illustre bien entendu, de quelle façon cet étrange animal humain tâche de se défendre contre cette charge liée à l’identification sexuelle, de toutes les manières possibles. Je ne sais pas s’il est nécessaire là, tout de suite, je ne sais pas si il est nécessaire de les développer, ce serait ouvrir le chapitre des névroses, qu’elles soient obsessionnelles, qu’elles soient hystériques, qu’elles soient phobiques, qui toutes se caractérisent comme étant des défenses contre l’identité sexuelle, et la charge à accomplir.

C’est dans ce contexte qu’est apparu justement à l’échelle de la culture ce mouvement dont il est vraisemblable que l’un des points d’origine les plus récents, car il y a des antécédents, mais prenons le plus récent, c’est celui dont on célèbre le quarantenaire : ce mouvement culturel qui est venu proposer un mot d’ordre dont le caractère subversif s’est très vite montré manifeste, et un mot d’ordre dont vraisemblablement, je pense qu’il a été articulé ; je n’en sais rien, mais qui en tout cas venait substituer au vieux mot d’ordre révolutionnaire : « A chacun selon ses besoins », un mot d’ordre inédit : « A chacun selon son désir »,  ce qui est évidemment, tout à fait, tout à fait différent.

« A chacun selon son désir », et qui vient donc casser ou, rompre, défier, cette charge que j’évoquais toute à l’heure, liée à l’identification masculine ou féminine.

C\’est-à-dire à devoir s’accomplir dans le mariage et dans la fécondité, au mépris, ou je dirais, en mettant le couvercle, sur ses propres désirs ou bien selon le mode bourgeois traditionnel, en les vivant de façon latérale et plus ou moins cachée.

Et voilà que, surgit ce mot d’ordre qui affirme donc le droit, pour chaque individu, d’opérer, de vivre publiquement, selon son fantasme…

Les effets de ce mot d’ordre, je ne vais pas ici bien sûr m’amuser à essayer d’en tracer une généalogie ou quoi que ce soit, cela n’a pas d’intérêt, eh bien, les effets de ce mot d’ordre sont immédiats et ont des répercussions, des conséquences que nous vivons quotidiennement et qui touchent évidemment, non seulement la liberté prise à l’endroit du devoir de fécondité, mais qui touchent aussi désormais la liberté prise à l’endroit de cette identité sexuelle dont j’ai rappelé toute à l’heure les quatre traits constituants : Réel, Symbolique, Imaginaire et symptomatique.

Ce qui est intéressant pour nous, c’est de voir que ceux qui se seront engagés à l’extrême dans ce mouvement, c\’est-à-dire les transsexuels, dans la récusation radicale de cette destinée, de cette destination, le refus de cette destination, eh bien vous allez retrouver dans leur revendication ces trois traits que j’évoquais toute à l’heure.

C\’est-à-dire d’abord que leur anatomie devienne conforme au sexe qu’ils ont choisi.

Deuxièmement, pour ce qu’il en est de l’Imaginaire, nous savons tous le rôle essentiel qu’il joue dans leur cas justement quant au souci de leur apparence, sinon de leur apparat.

Nous ne trouvons pas moins ce côté, cette exigence dans le registre symbolique, avec cette demande de modification, sinon de l’état civil, de l’appellation et de la possibilité d’accomplir les sacrements de façon parfaitement, je dirai égale, identique, aux autres.

Ces transsexuels pourraient paraître, bien entendu, entrer donc dans un champ parfaitement conventionnel, s’ils ne se caractérisaient par ceci – je dirais que pour moi c’est le seul trait que je retiendrai comme constituant la marque de la mutation qu’ils ont exigée –, c’est que l’affirmation de leur identité sexuelle se fait avec une certitude inébranlable : alors qu’un homme, une femme, je dirais “ordinaires”, peuvent toujours osciller dans leurs comportements, dans leurs réflexes, dans leurs conduites, dans les occasions diverses auxquelles ils sont exposés, avoir des conduites parfois ambiguës, ambivalentes, avoir pour une femme des traits masculins, et pour un homme des traits féminins …

Dans le cas de ces personnes, il s’agit au contraire d’une notion assez exceptionnelle pour être signalée, qui est celle de la certitude donc, et il n’est pas question pour un transsexuel de jouer de ce qui serait à cet égard d’une quelconque ambivalence, et aussi la certitude d’être dans la catégorie choisie le plus illustre ou le meilleur représentant. C\’est-à-dire de représenter une identité parfaite, accomplie, et justement à qui est épargné ce défaut que j’évoquais tout à l’heure, et qui est propre à tout engagement, aux conjonctions sexuelles comme on dit, se présentant chaque fois comme étant le modèle le plus parfait, apte à réaliser une union accomplie !

Je me souviens avoir il y a longtemps, dans le service de psychiatrie du Val de Grâce…j’étais, j’avais été frappé …, de voir arriver un homme qui venait parler en faveur de son compagnon, qui se trouvait hospitalisé parce qu’il s’était avéré incapable d’assurer son service militaire – ou l’avait refusé – et donc, cet homme venait voir le médecin pour son compagnon donc, pour lui tenir le propos suivant :

C’était un homme dont rien ne pouvait laisser penser qu’il avait quelque perversion sexuelle ou autre, un homme intelligent, tout à fait courtois, civil, raisonnable et qui racontait la chose suivante : c’est que, il avait été marié plusieurs fois, sans doute n’avait-il  pas eu de chance, parce que ça s’était pas bien trouvé pour lui –  et qu’il avait dû se séparer deux ou trois fois, je ne me souviens plus de son épouse – et puis qu’il avait rencontré, alors qu’il n’avait aucun goût pour l’homosexualité, qu’il avait rencontré ce jeune homme et qu’il vivait enfin le conjugo admirable ! : C’était le bonheur à la maison !

Ayant affaire à quelqu’un de sensible, de dévoué, d’attentif, de “tellement capable” pour les soins du ménage, prévenant, délicat…et, tout le chagrin et la peine qu’il avait à en être privé ne serait-ce que pour les quelques semaines de ce départ, de cette absence, et, je ne rapporte cette anecdote, que pour témoigner que sans doute faut-il vivre la féminité comme l’accession à un état désiré, plutôt que comme, la source des difficultés qu’il y aura à traiter…sans doute faut-il cela pour que ce que racontait cette personne soit pensable !

Ceci étant, ce mot d’ordre « À chacun selon son désir » est venu prendre sa place dans ce qui n’est pas moins une revendication politique qui est celle de l’égalité.

Je ne vais pas m’engager là-dessus, mais il est frappant que la notion de justice aille avec celle d’égalité qui est une vieille tradition. Alors que d’abord, on sait parfaitement que cette égalité ne s’est jamais réalisée nulle part et que si elle ne s’est pas réalisée dans aucune des expériences historiques qui sont consignées, c’est sans doute qu’il y a des obstacles indépendants de la volonté des partenaires, et qui font que cette égalité reste toujours de l’ordre du rêve. Mais en tout cas, il n’empêche aucunement que ce mot d’ordre est venu s’inscrire dans ce champ politique avec cette conséquence qui n’est pas quelconque, que cette égalité semble obligatoirement venir s’inscrire comme la répartition générale d’un trait masculin.

Après tout, je ne vois pas pourquoi ce serait forcément ce trait qui devrait être choisi comme index de l’égalité qu’il y aurait à généraliser…

Pourquoi ne serait-ce pas un trait féminin ?  Il serait facile de montrer que du point de vue de la qualité, il n’est certainement pas inférieur et moindre que le trait masculin !

Mais en tout cas, il semble que l’égalité c’est ce que ça veut dire.

C’est pourquoi j’ai parlé de parité dans le monde industriel, c’est évidemment ce qui est la grande revendication du milieu du travail, d’un traitement égalitaire des hommes et des femmes, à partir d’une justification je dirais qui est bien réelle qui est celle de la minoration du salaire féminin. Une revendication bien entendu, tout à fait légitime, mais qui s’étend bien au-delà.

Qui s’étend bien au-delà et avec des conséquences qui sont frappantes sur le destin aujourd’hui de nombreuses, très nombreuses jeunes femmes et qui fait passer leur accomplissement social, c\’est-à-dire le partage égalitaire des tâches laborieuses, qui fait passer ce destin social bien avant le destin singulier et le destin conjugal.

Je dois dire que je suis pour ma part très sensible au nombre de ces jeunes femmes qui ont la plus grande réticence, qui, engagées dans les carrières professionnelles ont la plus grande résistance – au grand désespoir de leur famille – la plus grande résistance à s’engager dans une vie privée qui viendrait évidemment les inférioriser quant à leur réussite sociale.

Inversement, ou symétriquement, le nombre de jeunes, de jeunes  hommes, qui  faisant carrière dans le monde des affaires ont tendance à vouloir mercantiliser leurs relations sexuelles afin de ne pas subir le coût à la fois psychologique, mais aussi je dirai matériel, physique ou financier, trouvant plus “économique” de mercantiliser leurs relations sexuelles que d’entretenir un ménage.

Ces dispositions prennent place dans une modification, je dirai essentielle de l’organisation du rapport entre les sexes, et qui est justement avec ce triomphe de l’égalité, le fait de les mettre l’un et l’autre sur le même plan, dans le même territoire.

Nous sortons d’une aire culturelle où une femme se distinguait par son altérité, par le fait qu’elle introduisait dans « le monde gris et uniforme des hommes », par le fait qu’elle introduisait ce trait d’être non pas une étrangère, mais d’être « autre ». Et le plus souvent, de se réclamer, et d’affirmer cette altérité, avec je dirais, l’importance que cette dimension puisse avoir pour l’exercice de notre pensée. Notre pensée, qui a tendance comme vous le savez depuis Platon à vouloir  homogénéiser, à passer du même au même. C’est une vieille lubie, une vieille revendication de notre civilisation, à vouloir tout homogénéiser,  c’est-à-dire fonctionner dans le “Homo”.

Eh bien dans notre organisation culturelle une femme avait, tenait son charme, du fait d’être irréductiblement Autre. C\’est-à-dire en partie de ce monde, mais en partie d’un au-delà, d’un ailleurs. D’avoir donc du même coup cet aspect éventuellement bien sûr redoutable, mais aussi énigmatique, aussi intrigante, etc. En tout cas, ce qui faisait qu’elle ne relevait pas du même type d’ordre que son compagnon.

Et voilà qu’avec ce progrès culturel que nous vivons – et j’utilise ce terme de progrès pour noter ce qui vient, ce qui vient en avant et après, ce qui vient succéder à ce qui était auparavant – eh bien donc aujourd’hui, cette mise sur un plan effectivement d’égalité et qui va aussi être à la source de rapport, de relations, de types de relations tout à fait originales, nouvelles, et qui apparente parfois les conjugos à des types d’association, de copinage associé, et je veux dire : on partage les frais, on partage les charges, on partage les tâches, etc.

J’ai le souvenir toujours je dirais ému, de ce jeune garçon qui me racontait comment avec son amie ils étaient à la recherche d’un monde nouveau, de relation nouvelle… et ils passaient des heures chaque jour pour discuter de ce qui revenait à l’un dans le partage des tâches, de ce qui revenait à l’un, de ce qui revenait à l’autre, afin que l’égalité entre eux soit bien respectée.

Un effet inattendu, mais qui d’un point de vue structural est complètement compréhensible, c’est que du même coup, on peut l’envisager là encore comme une avancée ou comme un déficit – ça sera selon – du même coup ce que l’on pourrait appeler une désacralisation complète de la relation sexuelle, entrée dans le registre d’un échange, des échanges que l’on peut réciproquement se donner, dans l’idée je dirais, de la satisfaction que chacun des partenaires pourrait en retirer, mais dans un sens essentiellement pragmatique et positif. Avec bien entendu cette conséquence, cet effet que le contrat moral ainsi établi ne vaut jamais engagement. Il ne vaut jamais que comme constatation que du moment où cet échange semble favorable aux deux partenaires et se prête évidemment à tous les renouvellements, il ne constitue pas de la part de l’un ou de l’autre, un engagement.

C’est également dans cette modification radicale, et j’ai commencé tout à l’heure par les transsexuels, mais où l’on voit sans qu’il ne s’agisse pour autant de transsexualisme des déplacements de statut qui font qu’il y a d’autant moins d’inconvénient à ce qu’une femme  puisse venir occuper une position masculine qu’elle témoigne indiscutablement à cet égard de beaucoup plus de liberté, dans l’exercice de cette position, d’autorité et de détermination que son compagnon mâle.

Pour des raisons qui là encore, sont de type structural, c\’est-à-dire que si le compagnon mâle est attaché à l’établissement, au respect d’un certain ordre, une femme venant occuper cette position masculine peut parfaitement témoigner que cet ordre elle n’en est par serve.

Tous les exemples que nous avons dans l’histoire de femmes venues occuper des postes de direction au niveau de l’Etat, par exemple, au niveau des entreprises, qui selon l’élite étaient réservés aux hommes, qu’elles y ont montré une virilité supérieure beaucoup plus décisive et apparemment beaucoup plus aisée que celui qui auparavant occupait le {poste} – je ne vais pas rentrer dans les exemples historiques qui abondent – et il est intéressant de voir, on l’a vu récemment dans la vie politique de notre pays que ce point là était parfaitement repéré, je veux dire la compétence d’une femme à venir occuper ce poste, ce point là était parfaitement repéré et espéré…

Je suis persuadé de ne rien dire à ce propos qui puisse vous surprendre puisque nous savons le nombre des situations familiales où ceci est d’exercice courant au quotidien. Il faut vraiment que nous soyons restés attachés à une imagerie je dirais, d’enfant, une imagerie désuète, une imagerie de littérature rose – je ne sais pas laquelle – pour ne pas être sensibles à ce point.

De telle sorte que bien entendu, il y a aujourd’hui ce mouvement de féminisme que nous connaissons, que vous connaissez concernant le « gender » et qui, avec un certain bien-fondé, vient rappeler que la fonction masculine ne serait jamais si bien assumée, au moins imaginairement, mais aussi réellement, que si elle est tenue par une femme.***

Et puis il y a aussi cet autre mouvement, qui est à mon sens, plus intéressant – car sans doute annonciateur d’un renouvellement complet de la question de l’identité sexuelle – et qui est ce mouvement féministe dont Madame Wittig est une représentante, et qui aspire à donner aux femmes un statut entièrement dégagé de la sexualité. Autrement dit, n’ayant plus aucun rapport avec ces identifications mâles ou femelles que j’évoquais il y a un instant. Un type de femme dont l’identité serait caractérisée par l’extraction radicale de notre spéculation ordinaire concernant cette instance à laquelle se réfèrent sexe mâle et sexe féminin.

Alors nous sommes donc, si je peux terminer là-dessus, à une époque qui à cet égard, est absolument passionnante et où la question qui mérite d’être posée c’est : sur ces phénomènes, sur ces bouleversements, avons-nous des  jugements d’ordre moral à porter ?

Et si oui : supportés par quel référent ?

Deuxièmement : ces mouvements sont-ils viables dans la mesure où ils ne sont pas utopiques, mais se soutiendraient des possibilités de la structure ou pas ?

Et si on estime qu’il ne le sont pas, je dirais que ce sont des  utopies qui forcent ce que la structure permet – je ne vais pas l’évoquer bien sûr,  là maintenant – avons-nous à nous porter comme défenseur de la structure, c\’est-à-dire de ce qui est possible, de ce qui se peut, et de ce qui ne se peut pas ?

Et puis troisième considération parmi d’autres, mais que l’on pourrait considérer comme hédoniste : ce mot d’ordre « À chacun selon son désir »,  forcément exacerbe un individualisme jusque-là soumis à ces obligations qui frappent l’identité sexuelle et qui font entrer le sujet dans le champ social.

Mais cette exigence d’un « À chacun selon son désir » exacerbe un individualisme dont on voit mal comment il peut s’accommoder d’un quelconque partenaire.

Serait-il strictement semblable – ce qui est très difficile à tolérer – de vivre avec sa propre image en miroir ? Ou serait-il différent, et dans ce cas viendrait rompre le pacte, puisque il viendrait déranger l’affirmation du droit de chacun à vivre selon son désir. Il viendrait le nier, il viendrait dire : « Il faut que tu prennes les accommodements avec le mien : avec mon désir à moi » !

Vous avez donc choisi cette année un thème essentiel et difficile, et puisque nous sommes dans la Maison de l’Amérique Latine, je racontais à Angela que, un journaliste brésilien me demandait ce que je pensais de « Ronaldinho » …je vois que parmi vous il y en a qui sont au courant des problèmes de Ronaldinho, le merveilleux footballeur, l’idole des foules, le modèle des foules et qui a donc des difficultés avec un ou deux transsexuels qui l’avaient ramené dans sa chambre…hein ?  Des travestis oui !… donc ce qui est génial, c’est toujours génial ces affaires, parce que ça fait scandale public, alors que par ailleurs, le même public est forcément, sait, par son expérience propre, je dirais ce qui se fait et ce qui se passe quand même !

Mais c’est ça qui est formidable : c’est que quand c’est mis au jour, ça ne va pas ! Ce serait resté caché, pas de problème !

C\’est-à-dire qu’il semblerait que nous continuons de fonctionner sous un regard. Et qu’il y aurait des exigences, un regard qui aurait des exigences. Et qu’il ne faudrait pas offenser, un regard comme on le voit dans le cas de Ronaldinho, un regard très traditionaliste.

Ce qui fait donc que j’ai pu voir un morceau des confessions de Ronaldinho, absolument, devant les caméras, se confessant de ses fautes, de ses erreurs, de ses pêchés : il s’est confessé en public : c’est ça notre époque !

Et moi je dois dire que quand même, ce divorce comme ça, de ce qu’on sait – ce qui se sait – ce qui se pratique, malgré tout, ce qui peut se laisser voir – et ne peut pas se laisser voir…

Nous sommes à un moment intéressant. Et forger son avis et avoir une vue, je dirais, à peu près correcte sur ces questions, fait partie de l’élaboration à laquelle vous vous livrez et merci pour votre attention.

 

Roland Chemama : Merci de nous avoir proposé cette conférence très précise et qui au fond montre qu’on peut avoir une approche tout aussi structurale de ce qui se passe aujourd’hui que de ce qui hier organisait les rapports entre les sexes ! C’est une nouvelle structure au fond mais c’est une organisation structurale…bon, j’aurais une ou deux choses que je pourrais dire dans la suite mais, je crois que c’est Angela qui est prévue comme discutante…je dirai peut-être un mot de la salle.

Angela  Jesuino : C’est vrai, cette affaire de Ronaldino est curieuse…d’autant plus que ça vient dans un pays où la question du travesti est très présente dans la culture et on a eu un exemple de ça ici lors de la dernière conférence…mais je ne voulais pas faire « la brésilienne de service » aujourd’hui…

Charles Melman : Si ! (Rires dans la salle)

Angela Jesuino-Ferreto : …et je voulais peut-être vous poser une question un peu plus massue, mais c’est quelque chose qui m’occupe et qui m’a occupée pendant ce cycle et je crois que si on a voulu mettre ça au travail, et en tout cas en ce qui me concerne, c’est que j’ai cette question derrière la tête et qui n’est pas résolue, je pense, et qui est la suivante :

Comment formuler ça … Avec quoi construisons-nous notre identité sexuelle aujourd’hui ?

Est-ce que c’est, est-ce qu’on peut garder de la même façon que vous décrivez là, les quatre points dont vous nous avez parlé. Parce que par exemple la question de l’anatomie ne fait plus destin d’une certaine façon et le refus de cette tâche que nous apportait l’identification sexuelle a trouvé aujourd’hui dans la société contemporaine un écho favorable.

Et c’est pour ça que je me pose la question et je me suis posée, s’il n’y avait pas un point plus important de ce qui est la question de l’imaginaire et du réel dans le réel du corps qui serait aujourd’hui plus présent dans la fabrication de cette identité sexuelle ?

Voilà, voilà le type de question que j’avais envie de vous poser.

Charles Melman : Ça c’est génial ! Parce que vous abordez très exactement le point que j’ai laissé de côté, dans mon exposé pour ne pas alourdir ; mais, il y a comme on le sait deux identifications possibles. L’une marquée par le trait de la virilité, l’autre marquée par le trait de la séduction.

Je ne vais pas  développer ici,  ni introduire la question de l’objet a, mais il y a donc deux identifications possibles. Et ce qui est remarquable, c’est qu’elles fonctionnent aujourd’hui ces deux identifications indépendamment du sexe symbolique et du sexe réel. Autrement dit, nous voyons très bien n’est-ce pas, des hommes identifiés, je dirais par cette marque de la séduction et qui se supportent de ce trait. Vous me direz : il y en a toujours eu ! C’est certain, mais c’est devenu affaire qui non seulement n’attire plus l’attention, mais qui paraît tout à fait ordinaire n’est-ce pas ? Et je dirai aussi que ces deux modes d’identification sont interchangeables. C\’est-à-dire, vous pouvez être amené à arborer le trait de la virilité, vous pouvez dans telle autre circonstance arborer le trait de la séduction.

Il faut dire à mon sens que l’organisation du travail oblige chacun à passer par des positions qui sont aussi bien n’est-ce pas, celle de la soumission que celle de la direction, et que l’habileté professionnelle, c’est d’être capable je dirais, d’assumer ces deux investissements qui subjectivement sont très différents. Savoir plaire à son supérieur, ou bien savoir assumer le rôle de supérieur à l’endroit de ses subordonnées, ce sont des investissements subjectifs très différents et qui sont des qualités aujourd’hui exigées de ceux qui viennent dans le monde du travail, et quel que soit leur sexe. Et moi je crois vraiment qu’en ce domaine, la vieille thèse marxiste qui fait de l’idéologie une super structure des conditions économiques me paraît parfaitement s’appliquer à ces cas.

Ça introduit d’ailleurs une diversité qui n’est pas déplaisante ! Je veux dire cette façon de jouer, comme ça, de l’une ou de l’autre identification, bon, ça enrichit un peu les situations sentimentales !  ça diversifie le langage amoureux, mais enfin, bon, ça a ses limites aussi, évidemment. Mais ça fait partie de ce qu’il y a de neuf, bien sûr.

Angela Jesuino : Oui, ça me fait enchaîner sur la deuxième question que je voulais vous poser, parce que je pense qu’aujourd’hui il y a une espèce de mode de défense pour cette charge, qui est de plus en plus répandue et je pense parfois en dépit de la structure de chacun, qui est la question de la bisexualité

Charles Melman : Oui

Angela Jesuino : Et qui…

Charles Melman : Alors que…, nous ne sommes pas ici spécialement dans un endroit soignant, mais la bisexualité, euh, n’est plus un problème moral !

Angela Jesuino :

Absolument, absolument et c’est une question qu’on retrouve en cabinet et très facilement même pas dans le fantasme.

Charles Melman : Mais bien sûr : ça s’appelle vivre une expérience ! n’est-ce pas, alors comme nous sommes des gens qui pratiquons la science expérimentale, hein ? Alors il faut aussi se livrer à des expériences : voilà !

Roland Chemama : Mais parfois ça va même plus loin que simplement une expérience ! C\’est-à-dire qu’il y a des jeunes hommes ou des jeunes femmes qui vivent comment dirais-je : aussi bien une relation avec un homme qu’avec une femme en alternance, et comme si cela c’était relativement indifférent !

Charles Melman : Absolument !

Roland Chemama : Au point que quand ils parlent de la personne qu’ils aiment, pendant un quart d’heure, on ne peut pas savoir de quel sexe est cette personne !

Charles Melman : Ça c’est vrai

Roland Chemama : J’ai une question : la question c’est que peut-être même si c’est vrai, on n’est pas dans un séminaire clinique mais tout de même, on intervient en tant qu’analyste, et des analystes au fond, il est déjà important de décrire, de décrire, la configuration qui est la nôtre, mais au fond comment se pose la demande aujourd’hui et comment l’analyste peut-il y répondre ? parce qu’on pourrait penser que au fond dans ce monde-là, le sujet pourrait se trouver à l’aise dans cette nouvelle organisation, où voilà, « À chacun selon ses désirs », pour peu qu’il trouve sa place. Alors je m’interrogeais en vous écoutant, parce que c’est notre pratique de tous les jours : c’est comment entendons-nous ces nouvelles configurations ?

Et je me demandais si, enfin je vous pose la question, si un de nos modes possibles  d’intervention ne tient pas à une sorte de contradiction qu’il y a tout de même, et qu’on peut je crois entendre à partir de ce que vous avez décrit. Qui est que à la fois on part de ce précepte « À chacun selon son désir », mais la mise en place, le développement logique d’ailleurs que vous avez repris, amène à une sorte d’annulation du désir, de neutralisation.

Charles Melman : Ah oui !

Roland Chemama : C\’est-à-dire que finalement, vous avez parlé de Wittig etc, ou quand on a parlé à propos du mariage pour les personnes du même sexe pour que le même terme puisse convenir pour un mariage entre homme et femme, entre femme et femme, enfin bon, on a parlé de mariage neutre quant au sexe, il y a une sorte de neutralisation en même temps qui fait que le sujet, eh bien à la fois on lui prescrit de réaliser son désir, mais en même temps on neutralise la possibilité du désir.

Charles Melman : Absolument

Roland Chemama : Et j’ai l’impression que c’est là que notre intervention peut…je ne sais pas ce que vous en pensez ?

Charles Melman : Oui,  bien sûr ! Non, vous avez tout à fait raison : ça prend un tout autre caractère, bien sûr.

Roland Chemama : Si Angela tu as encore une question ? Sinon on peut passer la parole à la salle.

Angela Jesuino : Oui, j’ai une question, mais on peut passer la parole à la salle après…c’est la question que vous posez, que je propose comme la question : est-ce que c’est prévu dans la structure ? ou pas ?

Charles Melman : Est-ce que « la structure le permet » ?

Angela Jesuino : En tout cas, moi je peux témoigner de ce que l’on trouve dans la pratique aussi c’est que, c’est qu’il y a des choses dont on ne trouve pas le mot pour le décrire.

J’avais reçu il n’y a pas longtemps une jeune fille qui me demandait : « mais comment il faut que je nomme la femme de ma mère ?… la compagne de ma mère ?  Comment faut-il la nommer ? »  Et donc toute sa difficulté…

Charles Melman : Ben : papa !  (Rires dans la salle)

Angela Jesuino : …sa mère voulait qu’elle l’appelle  « marraine » : elle ne voulait pas, elle voulait l’appeler par son prénom, mais ça n’allait pas non plus…, c\’est-à-dire qu’il y a quand même quelque chose dans le langage qui fait problème !

Charles Melman : Absolument

Angela Jesuino : Et ça, c’est intéressant de réfléchir à partir de là : comment nommer ? Comment dire ?

Charles Melman : Oui c’est sûr, c’est certain.

Mais, ce qui va être formidable, c’est qu’il va se forger des mots nouveaux à cet égard, et il sera intéressant de voir lesquels seront choisis !

Mais il n’y a aucune raison pour que ne naisse pas un vocabulaire original pour, pour nommer  ces situations.

C’est comme les enfants élevés par deux femmes : est-ce que, est-ce qu’ils doivent dire maman à chacune ?…est-ce qu’ils ont deux mamans ? Alors…en général on leur apprend à dire maman à l’une, et tante à l’autre…en général, c’est une, c’est une invention…mais là aussi, on peut penser que, on peut penser qu’il y aura un écrivain, en général c’est grâce à eux que ça se fait, il y aura un écrivain qui va trouver un nom et que celui-ci entrera dans le langage.

Luis ?

Luis-Alberto de Farias : Par rapport à cette orientation, à cette nouvelle organisation…qu’est-ce que vous pouvez dire par rapport au père, la question du père…parce que tout à l’heure vous avez fait, vous avez parlé de la question de la maman, mais le papa…ça me fait penser à toutes les questions que nous avons soulevées dans les conférences cette année…

Charles Melman : Ben moi, ce que je pourrais vous répondre comme ça de manière abrupte, c’est que la relation au père est maintenant comme polarisée par un cristal !

C\’est-à-dire que vous avez toutes les nuances, toute la gamme n’est-ce pas, comme, je dirais, elle se trouve détachée de ce qui serait de l’ordre de l’obligation, des sentiments nécessaires etc… donc, vous avez comme quand la lumière passe à travers un prisme, n’est-ce pas alors, vous avez toute la gamme possible depuis … l’attachement, … la revendication, …la dénonciation, …tout y figure, la nostalgie…, c’est étrange, mais c’est comme ça.

C\’est-à-dire qu’on est passé je dirais de ce qui était la fixité de  « l’amour-haine », on est passé de cette simplicité, cette fixité : on aime son père ou on le hait, ou l’un ou l’autre, ou l’un et l’autre etc.., on est passé à tout cet échantillonnage possible de sentiments.

Madame X : Bonsoir, j’aurai en fait deux questions : la première c’est plutôt sur les difficultés, je dirai conceptuelles. En vous écoutant, j’ai pensé ce soir à la conférence de Lacan sur la féminité qu’il a faite je crois en 1956. Et où il disait que la femme se définit d’être le phallus de l’Autre. Donc je me demandais où vous situez la question de la virilité, très évocatrice en elle-même, mais que j’ai pour le coup, un peu de mal à situer d’un point de vue conceptuel.

Et la deuxième question est une question que je vous communique, qui m’a été posée et à laquelle j’ai été très en difficulté de répondre et à laquelle donc je vous soumets.

C’était au cours d’échanges avec des professionnels de A.I.D.E.S, et ces derniers me demandaient mon avis sur une situation qu’ils avaient rencontrée : un couple homosexuel, deux hommes qui se sont transformés, enfin le premier s’est transformé en femme. Sur une certaine période le couple a été un couple hétérosexuel, puis le deuxième s’est transformé en femme et le couple est redevenu un couple homosexuel…et je voulais avoir votre avis ?

Charles Melman : Mais …ce sont des gens qui aiment voyager … (rires de la salle) et font des expériences, ils explorent, et on a envie de dire : oui pourquoi pas ? Si ça leur convient ?

A quel titre, n’est-ce pas, … si nous en retenons l’aspect « cocasse », c’est parce qu’ils nous donnent le témoignage que, finalement quoi qu’ils fassent ils ne sont jamais contents ! Ils sont encore à rechercher quelque chose ! Ce qui serait intéressant c’est de voir ce que maintenant ils vont trouver ? Ce qu’ils vont…mais, ça nous illustre bien que : ils n’ont pas trouvé le remède !

Maintenant pour votre première question tout à fait également pertinente, la question, le point si vous voulez habituel est que justement une femme aujourd’hui peut…peut à la fois jouer de ce fait que dans la structure, elle est, comme vous le rappelez le phallus, mais que en même temps, elle peut se parer du fait de l’avoir, c\’est-à-dire, se trouver marquée du trait non plus seulement je dirai de l’être, mais marquée du trait de l’avoir le phallus, et ainsi réaliser bien entendu, une complétude, tout à fait remarquable…est-ce que, ….est-ce qu’avec ce que je vous dis vous vous sentez moins égarée, je ne sais pas ?

Madame X : La question de la virilité se situerait plutôt sur le champ de l’avoir ?

Charles Melman : Bien sûr, bien sûr, la femme est une déesse et c’est bien pour ça qu’elle  « l’est ». La femme « est » divine…mais lorsqu’en outre, n’est-ce pas, outre ce trait elle peut revêtir je dirais l’insigne, les insignes de l’avoir, je dirais elle devient, elle devient parfaite !

On aurait pu évoquer vous savez, des tas de choses mais on n’est pas là pour faire tout le parcours…

Je suis surpris de voir que, je ne sais pas si c’est bien noté, que dans la religion et en particulier dans tout ce qui regarde la période testamentaire, vetero testamentaire, l’Ancien Testament : il y a déjà ce fait qu’une femme n’est pas marquée par des indices d’altérité eu égard à l’homme, elle est dans le même champ que lui.

Et il semblerait que ce soit leur union pour, en reprenant le mythe d’Aristophane de « la  bête à deux dos », que ce soit leur union qui réalise par cette bisexualité un instant accomplie l’image divine.

Cette fameuse formulation qui tourmente toujours les exégètes et qui se trouve dès le début de la genèse : « Et Dieu le fit homme et femme »… ah ? Il le fit homme et femme ?

Mais lorsque l’on voit la façon dont se réglaient les rapports entre les personnages de l’époque, on voit très bien que pour parler en termes crus, mais qui étaient ceux d’un peuple pastoral : la femelle est absolument l’équivalent du mâle, je veux dire que son rôle et sa place sont tout aussi essentiels  que le rôle du mâle ! Il faut l’un et l’autre pour que s’accomplisse la volonté divine ! C’est bien dans leur accouplement que se trouve la réalisation, serait-elle momentanée…mais lorsque cet accouplement est terminé, ils ont dans la vie quotidienne, à le rappeler cette, à rappeler cette union je dirai souveraine. C\’est-à-dire qu’on a là quelque chose qui, au départ de la religion, est déjà tout à fait différent de ce qui s’est vécu par la suite, et où quand aujourd’hui on reprend, on se retrouve dans cette situation où homme et femme sont dans le même espace, sont dans le même champ, ne sont pas séparés et où, relevant d’un espace d’ordre différent, il y a reprise de ce qui a  d’une certaine façon, de ce qui a déjà été, ce qui a déjà existé.

Et puis il faudrait poursuivre par des tas de considérations, sur le fait que les cultures dont nous nous réclamons séparaient radicalement la fonction maternelle, de la fonction de la concubine, de la fonction de la femme,… à usage de, à fin de plaisir !

Il y en a une respectée qui était gardée à la maison, et puis il y avait pour la vie sociale, il y avait vraiment deux espaces. Pour la vie sociale il y avait les courtisanes, les joueuses de flute, les étrangères, les affranchies éventuellement etc, … et ils séparaient radicalement ce qu’il en était du devoir à accomplir, c\’est-à-dire la lignée familiale à entretenir, les dieux à célébrer…et puis ce qu’il en était du plaisir.

Bon, en tout cas, je dis bien, moi je trouve sensationnel ce que nous vivons, avec évidemment toujours facilement le sentiment d’un monde qui s’écroule et sans savoir celui qui sera, mais je crois que ce genre de trajectoire n’est pas évitable, mais, comme le rappelait encore Angela il y a un instant, la question est de savoir si nous estimons cela viable, ou si nous pensons que ce sont des convulsions qui seront amenées d’une manière ou d’une autre à rentrer dans, … à retrouver un ordre, sans qu’on sache forcément lequel, mais retrouver un ordre, une stabilité, une fixité.

Roland Chemama : Je pense que l’on peut arrêter là si il n’y a pas d’autres questions ?

Une question alors, une dernière question :

Monsieur X : Je voulais vous demander par rapport aux arguments et dans votre exposé, vous avez surtout insisté sur l’aspect de la virilisation de la femme pour faire le point de rencontre entre homme et femme et de l’identification sexuelle du côté de la femme. Est-ce que vous paraît secondaire l’aspect de féminisation éventuelle des hommes ? autant les fabricants de cosmétiques que de la mode, que les études sur la paternité dont on a parlé tout à l’heure et justement le fait que les pères aujourd’hui n’ont plus tout à fait les mêmes rapports à leurs enfants qu’il y a quelques décennies. Et donc de quelle manière avec la virilisation de la femme, il y aurait un père qui pourrait se comporter dans certains cas comme une mère de substitution et également l’aspect de « féminisation » de l’homme qui rentrerait dans cette identification féminine…

Et l’autre question un peu reliée à tout ça, c’est : est-ce que ça se fait toujours autour du phallus finalement ?

Charles Melman : Le problème comme vous le voyez, c’est que « masculinisation » ou « féminisation » se rapportent forcément à des traits imaginaires : et que ces traits imaginaires ne sont pas forcément destinés à durer, n’est-ce pas. Et c’est là une autre impasse, parce que, il ne suffit pas comment dirai-je, les traits que nous pouvons retenir comme masculins ou d’autres que nous pouvons retenir comme féminins, ce sont des traits qui sont seulement, je dirai traditionnels, culturels, selon la tradition.

Et comme c’est justement la tradition qui est mise en cause…ce que je trouve pour ma part plus intéressant, c’est de voir apparaître justement une excitation quant au trait lui-même ! Autrement dit, si je veux me présenter comme un mec, qu’est-ce que je dois faire ? Comment c’est ? Et  à cet égard le cinéma, le spectacle,  est très, très intéressant ! Puisque en général  ce qui est proposé ce sont des représentations « trash ». Alors, voilà quelque chose, d’intéressant ; il n’était pas traditionnel du tout de présenter la virilité comme marquée de ce caractère là, n’est-ce pas ? Bon, donc, je dirai que ce que je trouve plutôt passionnant c’est la dissolution de ces traits distinctifs, et ça, ça va être encore plus amusant à mon sens.

Roland Chemama : Bon merci encore, si on reprenait l’ensemble de ce que vous avez dit ce soir, cela donnerait toute une série de pistes de travail nouveau.

Charles Melman : C’est vrai.

Roland Chemama : Je pense notamment à ce que vous avez dit sur l’organisation des relations sexuelles, au caractère pragmatique, positif.

Peut-être une question sur l’identification symptomatique…est-ce qu’aujourd’hui elle a changé ? Enfin, on ne va pas relancer tout ça, mais voilà, vraiment cela ouvre des choses passionnantes !

 

                                        Transcription Doris Peronny