Une clinique de la conscience : Henry Ey
27 septembre 1994

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JEAN Thierry
Textes
Psychiatrie



Ma contribution consistera donc à vous présenter ou vous
rappeler la théorie de l’organo-dynamisme du psychiatre français
Henry Ey, théorie ou la conscience prend une place centrale en ceci qu’elle
garantit l’homme son humanité, qu’elle organise sa réalité,
sa temporalité et enfin assure son autonomie. Pour comprendre l’émergence
de cette théorie il faut resituer le moment et les enjeux. C’est une
théorie qui est élaborée à partir des années
quarante et qui marque une rupture dans la tradition psychiatrique classique
en France. C’est une rupture pour trois raisons. D’abord parce qu’elle rompt
avec le souci nosographique, elle abandonne le modèle purement anatomo-clinique
et enfin elle vient critiquer de façon assez vive le mécanicisme
de Clérambault (Clérambault étant le dernier représentant
de la tradition classique en France). En même temps cette théorie
maintient la vertu de la tradition clinique française qui consiste dans
une observation rigoureuse, donc héritière de Pinel et ce contre
l’école allemande beaucoup plus psycho-pathologique. Donc d’emblée
cette théorie va situer en opposition du mécanicisme de Clérambault
et de la psychanalyse freudienne. Autrement dit elle se refuse de rabattre la
clinique soit sur un pur automatisme soit à la dynamique du couple refoulé
retour du refoulé. Autrement dit c’est une théorie qui tente d’ouvrir
une troisième voie et au-delà du souci consensuel et fédérateur
de son auteur vise à l’évidence le recentrage scientifique de
la question du sujet et ce en réaction tant à Freud et à
de Clérambault qui viennent quant à eux d’opérer sur deux
bords différents au décentrement. Donc l’organo-dynamisme prend
appui dans ses références des travaux du neurologue anglais Jackson.
Elle privilégie l’abord de la clinique dans une lecture analogique avec
le sommeil et se soutient dans son parcours des abords de Jaspers qui sont principe
d’identité, principe d’autonomie et d’unité de la personne et
de Bleuler dans son traité sur la démence précoce.

Donc je vais essayer de vous évoquer assez rapidement en quoi constitue
cette théorie. Elle s’énonce en quatre principes : quatre principes
qui reprennent la conception jacksonienne de la physiologie du système
nerveux, physiologie qui est conçue dans une hiérarchie organisée
en centres étagés apparus progressivement dans le cours de l’évolution
et prenant successivement leur fonction dans le développement de l’individu.
Donc ces quatre principes sont : 1° le principe de la hiérarchie
des fonctions, ce principe est la résultante de l’évolution, 2°
le principe de la dissolution ou principe d’échappement au contrôle,
autrement dit les états pathologiques pour Henry Ey représente
un mouvement de dissolution des fonctions avec libération des instances
sous-jacentes. Ce qui a pour effet immédiat de répartir la clinique
sous deux axes, d’une part les troubles négatifs qui correspondent donc
à la dissolution et d’autre part les troubles positifs liés à
la libération des instances sous-jacentes. Le troisième principe
est le principe de distinction. Il s’agit de distinguer les dissolutions globales
domaine de la psychiatrie et des dissolutions partielles qui sont d’ordre neurologiques.
Ce troisième principe entraîne un quatrième principe qui
est le principe antinosographique c’est-à-dire que les distinctions cliniques
ne s’opèrent que selon les différents degrés de la dissolution.
Y’a que cette conception n’est compréhensible qu’à tenir compte
de quatre éléments : d’une part de la classe centrale accordée
à l’évolution, aux théories évolutionistes de Darwin,
de la distinction des centres et des fonctions, les centres sont localisables
au point de vue anatomo-pathologique, les fonctions ne le sont pas, et les deux
ont un rapport souple, lache, diparalléliste. La conscience proprement
dite est le résultat de l’intégration dans une organisation dynamique
et personnelle des fonctions. Enfin il faut également remarquer que la
définition de la conscience telle que la donne Henry Ey se distingue
fondamentalement de la définition de la vigilance telle que la prenait
un autre psychiatre français contemporain Delet. Donc on s’aperçoit
que la conscience telle qu’elle est conçue par Henry Ey a topologiquement
une structure de recouvrement, d’enveloppe. Donc au niveau de la clinique il
y a deux clans qui viennent distribuer tant une section transversale en tant
qu’elle repère à ce moment-là les altérations de
la conscience, donc s’y différencie différents palliers, donc
par exemple la dissolution des fonctions élevées qui correspondent
à des troubles de l’intégralité la personne, de son adaptation
ou de la dissolution des fonctions timiques auquel correspondent les troubles
timiques, la dépression … ou dissolution des fonctions perceptives
auquel correspond mise en série, l’hallucination, l’illusion , l’onirisme.
Ce défaut de la texture, d’enveloppe peut être soit localisé
soit global, altère de toute façon la capacité d’adaptation
au moment présent à la réalité. Donc il y a une
seconde coupe dite coupe logitudinale en tant qu’elle correspond là à
la libération des instances sous-jacentes, donc viennent à se
libérer les tendances animales, archaïques désignées
tour à tour par le terme d’instinct ou d’inconscient.

Deuxième modalité c’est l’altération de la structure de
la personnalité qui désigne en fait le remaniment, le remaniment
régressif correspondant au degré de dissolution atteint dans la
maladie.

Voilà c’est assez succintement la théorie psychiatrique proposée
par Henry Ey qui a pour conséquence la dissolution totale de toute discrimination
clinique tel que l’entendait la tradition française classique.

Je vais revenir maintenant à la notion de conscience. Comme je l’ai
déjà indiqué celle-ci a une structure de recouvrement.
Elle est unifiante, intégratrice, ordonnatrice de la réalité
et des perceptions c’est-à-dire qu’elle n’est pas simplement l’interface
entre monde intérieur et monde extérieur. Elle installe fondamentalement
un sujet aux commandes des affaires, celui-ci étant alors guidé
par le non échappement au contrôle c’est-à-dire que la conscience
subordonne le principe du plaisir au principe de la réalité. Ceci
dans une démarche de progrès liée aux thèses évolutionistes
autrement dit la conscience chez Henry Ey est fondamentalement une bonne conscience.
Donc ce qui est distingué dans cette définition de la conscience
c’est la prévalence donnée à l’imaginaire. Dans les études
psychiatriques qui sont entre autres une oeuvre importante d’Henry Ey on
remarque chez lui une grande difficulté à discriminer ce qu’il
en est du moi et de la conscience voire à y trouver un glissement terme
à terme. Cette prévalence donnée à l’imaginaire
vient donc fondé une conception paranoïaque du dispositif psychique
et de la clinique qui en découle. Par ailleurs la conscience est refoulante,
c’est elle qui assure et opère le refoulement voire qui le renforce d’une
façon permanente, à cet égard c’est elle qui institue l’inconscience
qu’elle domine et maîtrise de façon permanente. Le conflit entre
conscient et inconscient n’intervient que dans les étatspathologiques
c’est-à-dire de l’affaiblissement ou du défaut de la texture,
de l’enveloppe que constitue la conscience. Ceci a pour effet que la normalité
chez Henry Ey, l’idéal de normalité est considéré
comme aconflictuel. Autrement dit pour reprendre la formule de Leriche, médecin
français de la même époque, c’est le silence de la normalité
et le silence de la l’inconscient.