Une clarté au plus près de l’obscur vrai

Une clarté au plus près de l’obscur vrai

Luminitza CLAUDEPIERRE TIGIRLAS

sont lues à haute voix par les écrivains invités au Séminaire
Avec eux, nous scrutons en entretien le « faire, le savoir-faire »,
dont parle Lacan dans son Séminaire du 11 mai 1976, par l’écriture poétique.
https://www.franceculture.fr/personne/james-sacre
https://fr.wikipedia.org/wiki/James_Sacré
 





Et qui ne te voient pas.

(13 février 2019, et 27, 28 décembre)

Par contre si j’ai passé d’un langage perlé à un langage parlé, comme l’a remarqué un jour un critique, c’est parce que la langue orale est un modèle de langue beaucoup plus riche, plus tolérant que la langue écrite corsetée par les grammaires et les dictionnaires.

Je crois bien ressentir que mes efforts d’écrire clair sont un continuel effort d’écrire quelque chose que je ne sais pas définir et donc qui me reste obscur et de fait tout poème est en somme un échec… je finis par en être content seulement à cause des arrangements langagiers qui font sa clarté, mais je ne peux jamais être sûr qu’une véritable obscurité (celle qui aiguisait mon désir d’écrire) vraiment s’y montre ou pas. On peut aussi se leurrer quant à l’obscurité qu’on s’imagine présente dans n’importe quel poème.

JS – Je ne voudrais pas valoriser le mal dit par rapport au bien dit. Les deux sont façons d’écrire, le bien dit montrant la maîtrise qu’on peut avoir sur ce qu’on dit, affirmant en somme, même si c’est pour affirmer qu’on n’est pas le maître qui s’affirmerait ainsi, alors que le mal dit, oui, laisse paraître l’inquiétude et le malaise (c’est peut-être bien le mot qui convient) qui habite l’écriture. Encore faut-il que ce mal dit ne soit pas savamment construit dans le poème. Je voudrais plutôt que les deux puissent être là ensemble sans que je pense trop à comment les faire entrer en scène. Ecrire c’est à la fois pouvoir se tenir et ne pas savoir comment se tenir dans la langue. Bien dire peut nous flatter dans notre savoir-faire, mais nous surprendre par le plaisir ou le malaise, là aussi, que cela peut apporter. Mal dire peut-être vrai malaise, mais plaisir aussi, et même sotte vanité de savoir s’en arranger. Le langage, tout le langage (dans sa correction et ses formes fautives) est sans doute indifférent à ce que nous en faisons, mais est là comme un miroir dans lequel nous nous voyons jouer et c’est plutôt lui qui, à l’occasion, nous trompe.

Mais parfois, c’est quand ce visage est en train de disparaître, et juste après sa disparition, qu’écrire semble être comme un prolongement d’une présence qui, croit-on, ne nous échappe pas complètement. Et là encore on se trouve saisi soudain par ce plaisir d’écrire et projeté dans un malaise qu’on découvre inévitable, scandaleux, détestable et cependant vivant. Vivant malgré. Oui, un tourment qui ne sait plus comment penser, comprendre, ni le visage effacé ni le poème qui affirme la scandaleuse part de plaisir qu’est ce tourment. On ne retrouve pas le plaisir de l’écriture, il ne nous a pas quitté. C’est comme découvrir un scandale de la vie autant que ressentir celui de la mort.

Noirs dans la neige et dans la brume,

Au grand soupirail qui s’allume,
Leurs culs en rond,

 

Regardent le boulanger faire
Le lourd pain blond…

 

Ils voient le fort bras blanc qui tourne
La pâte grise, et qui l’enfourne
Dans un trou clair.

 

Ils écoutent le bon pain cuire.
Le boulanger au gras sourire
Chante un vieil air.

 

Ils sont blottis, pas un ne bouge,
Au souffle du soupirail rouge,
Chaud comme un sein

(Arthur Rimbaud, 20 septembre 1870, le recueil Demeny)

Luminitza C. Tigirlas,
Montpellier, le 21 janvier 2022.