Tant qu'il y a du langage
18 juillet 2009

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DESVEAUX Dominique
Billets



Charles Melman nous parle d’un inconscient sans sujet, pathologie actuelle, mais également d’un sujet produit par la science, qui n’aurait pas d’inconscient.

Mais peut-on parler du sujet, sans qu’il soit sujet de l’inconscient ?

Même si le langage nous paraît actuellement singulièrement aplati, ce langage est néanmoins toujours là, et ses lois restent les mêmes.

Le dispositif de la cure, où l’analyste est en position de grand Autre, va-t-il encore permettre au sujet de dégager sa parole, s’il n’est pas complètement envahi par la jouissance Autre ?

L’inconscient ne connaît pas la distinction masculin-féminin. Et si l’on parle aujourd’hui de déclin de l’image paternelle, cette déclinaison peut toujours s’effectuer tant qu’il y a trace de cette instance, et que cette trace n’a pas été effacée.

Lacan nous dit, dans "un discours qui ne serait pas du semblant", qu’il n’y a pas de référent ultime, donc, à chaque époque, les valeurs restent à réinventer.

Pour qu’un système de valeurs reste en position d’extériorité par rapport à la société.

Melman déplie cette réflexion en disant : la psychanalyse est une éthique sans valeurs. Pacte symbolique qui implique la création, l’inventivité.

C’est à dire cette possibilité d’énoncer sans boucher le trou de la transmission ; inventivité, qui chargée de son corollaire de lapsus, d’oublis et d’actes manqués, vient érotiser le discours.

Charles Melman : "Si on abolit la différence des sexes, c’est la dimension de l’idéal qui disparaît… Si se trouve défaite l’impulsion donnée par le désir, levé le rapport à l’idéal, la pensée se trouve tourner folle… Les éléments de l’inconscient ne viennent plus animer ce qui serait le sujet d’un désir."

Si la libido se désexualise, c’est le ravage de la pulsion de mort.

Il n’y aurait pas de socialisation pour l’enfant dans l’espace familial, s’il n’était mu par la curiosité, qui est avant tout sexuelle. C’est à dire ce qui fait différentiel sexuel entre ses parents, ce qu’ils conjuguent entre eux de l’être et de l’avoir.

L’enfant se retrouve en exil de son origine, et c’est ce renoncement, cette perte, qui va éveiller sa curiosité et la découverte des autres, perte que le fantasme poinçon de a vient très bien représenter. Mais que devient cette architecture familiale et ses repères généalogiques, si elle laisse place à une jouissance commune de l’objet ? Quel impact sur le langage ?

"Les lois du langage… portent avec elles cette dimension du réel", nous dit encore Charles Melman.

Le sujet, c’est le sujet du fantasme, marqué de cette perte irréductible. C’est ce point fondamental qui se réalise au troisième temps de la pulsion, et ainsi se constitue le pôle hallucinatoire de satisfaction où vont se forger les représentations, les désirs. Ce troisième temps viendra en retour impulser au deuxième temps de la pulsion sa charge d’auto-érotisme, sinon, si Eros tombe, c’est l’autisme, dit M.-C. Laznik.

La mise en place du processus substitutif va dépendre des qualités refoulantes de la mère, donc de son inscription dans une jouissance phallique.

Mais que se passe-t-il si "l’existence ne trouve plus sa fondation dans un réel ?" Si le signifiant renvoie directement à la chose, n’est plus représenté, on comprend mieux pourquoi la relation à l’autre relève du prêt à jeter. En effet, nous dit C. Melman, "c’est le désir qui s’éteint quand l’objet est là, puisqu’on a affaire à un objet réel, et non une représentation."

Le phénomène moderne de l’hyperactivité ne touche pas que les enfants, ce sont les adultes qui sont eux-mêmes pris dans une incapacité de tenir en place.

J’aimerais à ce propos reprendre le travail d’un adolescent hyperactif, traduisant bien par ce symptôme qu’il se sent constamment piégé dans une relation -eux qui savent, lui qui ne sait pas, situation qui se répète aussi bien avec ses parents qu’au lycée.

"Les adultes, ils cherchent toujours à vous en boucher un coin", constate-t-il.

Justement, "ce coin bouché", c’est ce qu’il dénonce, sans pouvoir l’exprimer.

Régulièrement, son père le renvoie chez sa mère et vice versa, et au lycée, même chose, il est renvoyé d’établissement en établissement, sans que jamais son mode de questionnement ne soit pris en compte, car il est pris dans le passage à l’acte.

Jusqu’à ce qu’il puisse énoncer, après l’oubli de son rendez-vous et quelques autres actes manqués, "À ce jeu-là, je m’y perds moi-même."

Ce qui lui a permis de retrouver la nécessité de cette place vide, parce que il y a eu respect de sa parole, du point où il s’adresse à l’autre, et de ce point qu’il suscite chez l’autre. Seule façon de préserver ce vide auquel la parole nous confronte.

Cette place était constamment bouchée dans le discours parental comme dans le discours professoral, et c’est le non marquage de cette place vide qui l’empêchait de tenir en place. Cette configuration se présente comme un tableau qui n’aurait pas de point de fuite, laissant le sujet en plan.

Si la dimension du tiers, comme grand Autre barré n’est pas opératoire, il n’y a aucune issue pour sortir d’un imaginaire binaire.

C’est la condition pour cet adolescent de se saisir de sa pensée, à partir d’un "je ne sais pas" fondateur, et le désir lui viendra de s’appuyer sur les apprentissages pour frayer sa propre voie. Il peut s’appuyer ainsi sur sa propre division subjective.

Cela correspond à ce moment de torsion où la dimension de l’inconscient lui apparaît de façon möbienne, dans ce phénomène de Aufhebung qui vient soulager l’implacable du signifiant, et lui donne sa valeur érotique.

Ainsi, cet adolescent a pu sortir du danger extrême qui était de chercher ses limites dans le réel, dans une consommation excessive de drogues.

C’est cette dimension-là que révèle la topologie, et qui représente un outil précieux pour revivifier les lois du langage, et permettre au sujet d’entrer dans un monde consistant parce que décomplété.

Ce travail autour de cette place vide ordonnera les différents éléments, place, qui seule, permet de sortir d’une position imaginaire.

Ainsi pourrait-on dire, au mieux si la texture du langage est préservée, par sa filiation quant aux textes fondateurs, que même si l’image paternelle décline, la fonction paternelle comme opérateur du langage subsiste… Encore ?