Ce texte est la transcription d’une conférence faite par Charles Melman au cours d’un voyage au Chili, en 1992. Pour autant, ce thème rarement étudié nous a semblé n’avoir rien perdu de son intérêt . La liberté n’est-elle pas une question que l’actualité ne cesse de soulever ?
Suis-je venu ici, à Santiago, librement ou sous la contrainte ? Je m’aperçois que les déterminations qui m’ont fait venir laissent peu de place à ma liberté. Je suis venu pour des raisons d’abord d’amitié à l’égard de M. T., de C. D. et du groupe très intéressant et très sympathique qui travaille avec eux et l’amitié est très contraignante. On va dire que c’est une contrainte de l’ordre de l’imaginaire parce que l’amitié est avant tout de l’ordre de l’imaginaire.
Mais il y a d’autres raisons. Il y a le Surmoi. C’est l’instance morale. N’est-ce pas mon devoir de venir transmettre un enseignement que j’ai reçu, l’enseignement de Lacan ? Voilà une chaine supplémentaire, le Surmoi que l’on peut qualifier de l’ordre du symbolique. Voilà une contrainte symbolique.
Mais il y en a encore une autre, peut-être la plus forte de toutes. C’est le désir, peut-être suis-je venu parce que j’attends de ce voyage une certaine satisfaction, une certaine jouissance. Le désir est une chaine peut-être encore plus forte que les autres. Dans toutes ces contraintes, je ne sais plus très bien où est ma liberté mais on va supposer que mon désir aurait été de faire autre chose. Vous savez qu’actuellement en France ce sont les vacances et, au lieu de venir travailler avec vous, mon désir aurait été de prendre des vacances. Voilà un conflit qui devient tout à fait intéressant mais trivial parce que tellement fréquent entre mon désir et le surmoi, le devoir. On va dire que, dans ce conflit, réside ma liberté. Je peux choisir entre le désir et sa satisfaction, et le devoir. Voilà une situation éminemment existentielle comme Sartre a essayé de la décrire à propos de la liberté humaine.
Mais dans ce conflit entre le désir et le devoir, quel choix ferait de moi un salaud ? Malgré tout ce que Sartre a écrit sur la liberté, il n’est pas facile de répondre. Si je vous présente les choses ainsi, c’est pour essayer de vous montrer que dans notre pratique mentale quotidienne, le problème de la liberté se pose de façon obscure. Pourtant il se pose, puisque si j’étais entièrement déterminé, comme l’animal, je ne me poserais pas la question de ma liberté. Je me contenterai d’accomplir tous les engrammes qui sont en moi et je serais très tranquille, aussi tranquille qu’un animal.
Je voudrais vous faire remarquer que la liberté dont nous parlons, est une invention, une pure invention. Elle a d’abord été une invention politique, très importante puisque c’est l’invention des Grecs quand ils ont fondé la démocratie mais il ne serait jamais venu à un Grec l’idée de réclamer une liberté subjective, bien au contraire. Si un Grec réclamait la liberté politique, s’il ne voulait pas vivre avec un tyran, c’était pour accomplir parfaitement son humanité dans le registre du Beau et du Bon, autrement dit pour réaliser son essence d’homme, d’être beau et d’être bon, ce qui implique une contrainte intérieure absolument rigoureuse. Un Grec qui aurait réclamé une liberté subjective aurait paru complètement fou à ses concitoyens puisque le liberté politique était faite exclusivement pour permettre à chaque citoyen d’accomplir ce déterminisme rigoureux qui faisait de lui un homme.
A quel moment la liberté est-elle devenue une revendication subjective ? C’est une invention d’écrivain, datable du XVIIIe siècle. Celui qui a introduit cette revendication est un grand écrivain de langue française que vous connaissez, c’est Rousseau. Vous voyez très bien chez Rousseau comment la forclusion du commandement intérieur aboutit à ce qui a été pour lui-même le désastre de sa propre vie – j’abrège beaucoup sur Rousseau parce que ce serait trop long d’entrer dans ces détails – mais comment le refus de Rousseau de tout ce qui est commandement qui viendrait du champ de l’Autre, aboutit à la présence dans le réel d’une instance persécutrice, qui a fait de lui un paranoïaque. Le livre remarquable de Rousseau sur la question concerne la pédagogie, c’estl’Émile et il conceptualise un mode d’enseignement où c’est l’expérience que fait le jeune garçon Émile qui lui enseigne ce qui est bon et ce qui est mauvais. Autrement dit, c’est par l’expérience qu’il va se forger sa propre morale. C’est vraisemblablement à l’origine de ce qui est devenu pour nous la science expérimentale mais le résultat qu’a pu éprouver Rousseau dans sa propre vie c’est que le mal était devenu entièrement rejeté dans le réel, que l’instance du mal avait été forclose. Il a horriblement souffert et s’est exposé aux coups de la société et de ses amis.
Je dis bien que la liberté dans le champ psychique est avant tout une revendication et je dirais même, ce que l’on observe cliniquement, une revendication de type paranoïaque parce que si elle est satisfaite, le sujet se plaint d’être abandonné et si elle n’est pas satisfaite il se plaint d’être opprimé. Lorsqu’une exigence ainsi n’est jamais satisfaite c’est bien qu’elle s’exerce dans le champ de la paranoïa. Du même coup, nous les psychanalystes, estimons-nous avec Freud que le champ de la vie psychique est complètement déterminé ? C’est là que les lacaniens apportent une réponse qui nous permet de sortir de l’éternel dilemme entre névrose obsessionnelle et hystérie. L’idéal obsessionnel est évidemment celui d’un déterminisme parfait de la vie psychique et c’est pourquoi je dirai qu’une disposition obsessionnelle favorise le goût pour des études formalisées. La position hystérique vient, au contraire, introduire une coupure, une rupture dans la chaîne rationnelle et c’est pourquoi la position hystérique paraît toujours irrationnelle. Il semble que nos réflexions sur déterminisme et liberté ont beaucoup de peine à sortir de cette alternative entre mécanisme obsessionnel c’est-à-dire rationnalisation supposée parfaite et la spontanéité, la surprise, la nouveauté introduite par l’interruption hystérique.
Pour, aussi rapidement que possible, essayer de vous rendre sensible ce que la position lacanienne nous permet de changer là-dessus, je reprendrai ce que C. L. a abordé sur la question de la responsabilité. Si je suis complètement déterminé comme, par exemple, pour ma venue ici à Santiago, en quoi suis-je encore responsable ? Je suis simplement l’effet d’un certain nombre de contraintes qui m’ont obligé à venir ici. Cependant, j’ai le sentiment de ma responsabilité. D’où vient ce sentiment de responsabilité ? C’est-à-dire le fait que j’ai à répondre de mon désir c’est-à-dire de ma démarche. J’ai personnellement à en répondre, pourquoi ? Parce que les autres réels qui ont formé mon enfance, mes parents, mes éducateurs, mes lectures ont cherché à me déterminer dans mon désir mais le grand Autre, celui auquel mes propres parents ont affaire, l’Autre du langage, n’implique aucune prescription concernant mon désir, c’est-à-dire que, dans le grand Autre, le choix de mon désir est parfaitement ouvert et l’action de mes parents ou de mes éducateurs a été de me protéger contre ce choix c’est-à-dire contre l’angoisse que je pourrais éprouver de constater que dans le grand Autre, celui du langage, il n’y a aucune prescription concernant mon désir et c’est à cause de ce rapport au grand Autre du langage que se trouve ouverte une question essentielle, écrite en toutes lettres chez Lacan : Que voy ? Que veux-tu ? puisque mon désir c’est` toujours de désirer autre chose. Je ne suis jamais satisfait par l’objet qui vient répondre à mon désir et à cette insatisfaction fondatrice répond dans l’Autre cette question : Que Voy ? Que veux-tu ? C’est pourquoi j’ai à répondre de mon désir. C’est pourquoi malgré ces autres réels, mes parents, mes éducateurs, mes livres, ma langue qui sont venus me défendre contre l’angoisse de ma liberté, c’est pourquoi je suis néanmoins responsable de mon désir.
Ma dernière remarque est une remarque que j’hésite à faire parce que les propos sur la liberté servent toujours les ennemis de la liberté. Lacan fait cette remarque à propos de Marx : dans la mesure où il a décrit les mécanismes du capitalisme, cela a servi à quoi ? Au triomphe du capitalisme. Peut-être que rendre clairs les mécanismes psychiques ne peut peut-être que rendre plus facile le travail des ennemis du genre humain. Parler correctement de la liberté c’est peut-être faciliter le travail des ennemis de la liberté. Comme cela a été très bien dit, au cours de ces journées, la vérité – c’est Marcel qui le rappelait – la vérité n’est aucunement révolutionnaire par elle-même. La seule question est de savoir : A qui sert-elle ? Néanmoins, je vous ferai la petite remarque que, dans l’inconscient, il n’y a aucune revendication de liberté c’est-à-dire que si l’inconscient est le lieu où se fait entendre le désir, ce qui se fait entendre dans l’inconscient c’est bien davantage l’appel, le goût d’un maître qui serait assez fort pour transformer le sujet en un pur objet et réaliser ici l’un de ses fantasmes érotiques préférés. Nous avons ce témoignage que le mécanisme du désir, tel qu’il nous anime, va davantage dans le sens d’un appel à l’oppression que dans le sens d’un appel à la liberté. C’est là que la psychanalyse, pour nous dans notre petit cercle, peut avoir son mot à dire à savoir nous faire reconnaître quelles sont les servitudes nécessaires pour que nous puissions perdre le goût de tels fantasmes.
Cette servitude est très simple. Elle consiste – et c’est l’un des éléments introduits par C. D. dans son exposé,- c’est reconnaître le fait que nous sommes serfs du désir c’est-à-dire de l’organisation signifiante. Finalement notre revendication de liberté est essentiellement défensive contre un désir dont tout le monde sait que son exécution est insatisfaisante c’est-à-dire que cette revendication de liberté qui est en chacun de nous est avant tout une défense contre cet impératif du désir en tant que d’abord il nous enchaîne et que deuxièmement il nous enchaîne à une tâche inépuisable et inépuisée. C’est pourquoi Lacan dira que la seule liberté que nous avons c’est de désirer en vain. C’est ça la seule liberté que nous avons.
Évidemment, ça ne peut pas constituer un programme politique. Ça ne peut pas non plus constituer un mot d’ordre humaniste. C’est cependant la seule façon de nous mettre à l’abri de ce goût que nous avons, inconscient, détestable pour le totalitarisme, c’est-à-dire ce qui est fait tout, tout. C’est ça le totalitarisme, c’est pouvoir se réaliser comme tout. Avoir un chef qui serait tout et du même coup être protégé contre les aléas du désir ? C’est donc vrai qu’il y a un enjeu politique permanent qui est engagé sur la question de la liberté et je comprends parfaitement que vous ayez choisi ce thème à l’occasion de ces rencontres. Mais c’est un enjeu sur lequel nous, psychanalystes, devons être à la fois très forts et très prudents. Très forts parce que la liberté hystérique ce n’en est pas une. Nous avons eu hier dans mon groupe de travail un cas qui nous a été rapporté : celui d’une jeune femme peut-être bien hystérique. Que demandait-elle ? Un vrai maître. Pas les hommes quelconques qu’elle pouvait rencontrer dans la rue, dans ses relations mais elle voulait le vrai maître absolu c’est-à-dire que ce que nous présentons comme liberté du sujet n’est jamais qu’appel à la maîtrise parfaite, accomplie.
Tout à l’heure C. D. nous a dit très bien qu’une femme parlait avec la fente. Vous savez que ça s’écrit dans la formalisation lacanienne. Ça n’est pas le dollar : S barré, $. C’est l’écriture de la fente mais si vous examinez bien cette écriture, vous voyez que la fente c’est-à-dire ce qui origine la demande la plus extrême mais la fente c’est aussi la barre, c’est-à-dire le bâton, ce que nous connaissons bien dans la théorie psychanalytique, le phallus. C’est pourquoi l’exigence hystérique, cette demande hystérique, a en même temps la force et l’impératif du bâton. Ce bâton fait 1, Un comme Tout. C’est-à-dire qu’il y a en lui une exigence de totalité et en même temps de totalitarisme.
Nous avons la chance extraordinaire qu’il y ait eu un individu dont on raconte des choses très bizarres qui nous a donné les moyens de sortir de cette impasse car ç’en est une, puisque l’appel à la liberté est en même temps l’appel à un pouvoir absolu. Il y en a un qui nous a permis, qui nous a donné les éléments pour sortir de cette impasse, c’est le nommé Lacan.
La façon – et je vais terminer là-dessus- la façon dont nous avons jusque-là abordé le problème a constamment tourné autour du déterminisme et de la liberté. La conceptualisation que fait Lacan des trois catégories, du symbolique, de l’imaginaire et du réel, du réel c’est-à-dire de ce qui échappe à la prise par le symbolique, de ce qui échappe à la prise par le S1, cette conceptualisation nous permet à la fois de sortir de cette impasse et de penser une rationnalité qui, premièrement, n’a plus d’exigence totalitaire puisqu’elle respecte le réel, puisqu’elle le met en place. Donc une rationnalité qui n’a plus d’exigence totalitaire mais qui, du même coup, ne nous fait pas basculer dans le scepticisme généralisé, scepticisme que vous connaissez : on ne peut pas savoir puisque le réel n’est pas entièrement maîtrisable. Donc on ne peut pas savoir et toutes les opinions sont bonnes.
Non, toutes les opinions ne sont pas bonnes. Pas plus dans le champ de la psychiatrie, de la psychanalyse que dans celui de la vie politique. Il y a des opinions qui sont mauvaises, qui sont fausses, qui sont en plus dangereuses. Bien que nous ayons une logique qui ne soit pas totalitaire, nous pouvons savoir. Quoi ? Ce qui nous intéresse c’est-à-dire quel est l’objet qui est cause de notre désir, le fameux objet a, celui qui nous a servi, pas seulement dans notre conduite mais aussi dans notre pensée car la façon dont chacun de nous pense est entièrement déterminée par son fantasme. C’est pourquoi Lacan avait donné à sa revue le titre de Scilicet » Tu peux savoir ». Le choix n’est pas entre le totalitarisme dogmatique et puis l’incertitude ou le scepticisme. Tu peux savoir. Tu peux savoir ce qui t’a servi et, à partir du moment où tu le sais, tu ne deviendras pas libre pour autant, mais tu auras vis-à-vis de ta propre servitude, l’attitude qui convient et qui ne sera plus dans une revendication paranoïaque stérile.
Voilà ce que ma propre liberté me permettait de vous raconter sur cette question.
discussion après l’exposé de C. Melman
Question inaudible
Ch. M. – Tout le monde peut faire cela. Le moyen de la psychanalyse est, entre autres choses, ce que Lacan appelait le discours psychanalytique, c’est-à-dire le moyen d’établir un lien social, de rapports entre les personnes qui tiendraient compte de notre dépendance à l’endroit du fantasme ; c’est lui dont nous sommes les serfs ce qui veut donc dire que s’il existe un discours psychanalytique, au même titre qu’un discours du maître, que le discours de l’hystérique, le discours universitaire, la présence de ce discours dans le champ social peut éventuellement produire un certain nombre d’effets. Ce n’est pas le mot d’ordre : « tous sur le divan ! »
Question : Ma question est en rapport avec ce que vous avez dit : toutes les opinions ne sont pas semblables. Donc c’est au sujet de cette phrase et de vos propos sur la servitude. Vous avez parlé de Rousseau. Vous le connaissez bien. Ce n’est pas utile que je le rappelle mais il faudrait parler de La Boëtie et de son Discours de la servitude volontaire. Comme toutes les opinions ne valent pas la même chose peut-être qu’il faudrait pour sortir de cette impasse faire passer la lecture lacanienne, plus que par la cible explicative de Rousseau, plutôt par le modèle de La Boëtie et installer le désir de savoir dans le domaine du désir de savoir et non plus dans le savoir sans sujet.
Ch. M. – J’apprécie beaucoup votre intervention car je n’ai effectivement jamais cité le nom du traité de La Boëtie mais il était en permanence présent dans ce que j’évoquais et je suis très content que vous l’ayez entendu et que vous le mettiez à sa place.
Vous me donnez l’occasion d’une petite remarque supplémentaire. Le transfert est un instrument d’aliénation remarquable, magistral, expérimental. Il montre bien comment il suffit de peu de choses pour que nous devenions complètement dépendants d’un personnage dans l’Autre et que, au nom de l’amour, nous puissions nous trouver complètement assujettis à lui. La situation analytique est la démonstration expérimentale de notre amour pour la dépendance. Le problème qui se pose à nous est celui de la » liquidation du transfert « .
On peut liquider son transfert premièrement par la protestation, en disant non moi j’en ai assez d’être un esclave, je suis un homme libre, je ne veux plus de ça. On peut liquider son transfert en prenant parti contre son analyste. Lacan a bien connu cette expérience. On peut liquider son transfert par l’usure : 3564 séances. Comme tous les amours, ça finit par devenir une telle habitude, une telle routine qu’au bout d’un moment, on ne sait plus très bien. Mais la résolution du transfert qui nous intéresse, c’est de permettre à l’analysant de reconnaître que son amour pour un sujet dans l’Autre, pour le sujet supposé au savoir n’était en réalité qu’une défense contre premièrement, le fait que dans l’Autre il n’y a pas de sujet, deuxièmement que nous sommes dépendants d’un pur objet ; un objet vous pouvez lui parler, l’aimer, vous pouvez le prier, l’implorer, vous pouvez devant lui faire des scènes hystériques, vous pouvez tomber dans la plus grande détresse, mais il ne vous répondra jamais.
Donc vous voyez que la façon dont Lacan nous permet de concevoir le problème du transfert et de sa résolution telle qu’une psychanlayse la permet sans la rendre obligatoire mais vous voyez que c’est une façon d’ouvrir un champ à une éventuelle, à une possible, toute petite liberté.
A. J. – Si je vous comprends bien, du côté qui répond à la demande, il me semble que vous avez dit que, si on répond à la demande avec la satisfaction ou bien si on répond à la négative de toute satisfaction, nous aurons des diverses formes au champ du totalitarisme mais quelle est la possibilité d’un lien social qui ne s’agit, qui ne se développe, entre ces deux extrêmes.
Ch. M. – Je vous remercie, Alfredo, pour votre question.
Je vais simplement vous dire comment Lacan dirigeait l’École freudienne de Paris ou plutôt comment il ne voulait pas la diriger. Lacan ne voulait pas que les membres du Directoire soient nommés à cause de leur savoir. S’ils les avaient nommés là, ce n’était pas parce qu’ils étaient les plus savants c’est-à-dire qu’il ne voulait pas que le pouvoir à l’E.F. P. s’exerce au nom du savoir. Ce qui est la façon habituelle dont nous procédons dans la vie politique. Nous élisons celui dont nous pensons qu’il sait le mieux, celui qui a le savoir.
Pourquoi Lacan faisait-il cela ? Pour justement nous sortir de notre relation habituelle au pouvoir et en particulier au pouvoir dans les sociétés psychanalytiques c’est-à-dire que ceux qu’il avait nommés aux postes responsables étaient là parce qu’il fallait exercer des responsabilités, il fallait qu’il y ait des commandements comme nous en recevons de la part du signifiant. Il y a du S1 mais ce commandement ne s’autorise pas d’un savoir. Il s’autorise simplement de ceci : dans notre vie psychique il y a du commandement, il y a du S1 et que nous avons à l’accepter et à le reconnaître comme tel dans tout son caractère arbitraire, peut-être même parfois stupide.
La névrose obsessionnelle que vous avez évoquée est une façon de forclore le signifiant maître. Qu’est-ce qui se passe chez l’obsessionnel ? Il revient dans le réel, le signifiant maître, sous la forme de tous ces commandements stupides qui l’obsèdent, qui constituent ses symptômes et à l’égard desquels il essaie de se défendre puisqu’il les éprouve comme un viol, comme une pénétration de son intimité. Notre relation au pouvoir est souvent marquée par ce même caractère.
Si donc nous sommes capables d’accepter – c’était l’une des interrogations de C. D.à la fin de son exposé -, l’impératif qui nous vient du signifiant, stupide et sans lui attribuer un savoir, ni qu’il serait dicté par un sujet supposé savoir c’est-à-dire si nous acceptons cette servitude, nous pourrons commencer à vivre une petite liberté. Donc pour répondre à votre question, dans le champ de l’EFP, Lacan a essayé d’établir ce nouveau lien social.
***
Intervention après le Dr J. –
Ch. M. – Ce que je regrette, par contre, c’est que le dr J., dans sa référence à Mate Blanco n’ait pas pris le souci d’une étude plus attentive et peut-être plus sympathique avec la façon dont celui dont nous-mêmes ici respectons le travail, Lacan, a essayé de répondre aux difficultés dont justement vous faites état. Je le regrette pour la raison suivante : la procédure dont vous nous donnez l’exemple ne me paraît pas forcément une issue, la bonne porte de sortie, la bonne façon de résoudre ces difficultés et je vous dis très rapidement pourquoi. Lorsqu’il vient à l’analyste une idée pratique, technique qui échappe à la théorie, il ne peut pas cesser d’être analyste à l’égard de cette idée elle-même. Il ne peut pas seulement l’appeler spontanéité, il ne peut pas seulement l’appeler liberté puisque le psychanalyste est justement éminemment attentif aux manifestations psychiques qui échappent à l’ordre habituel ; il les considère comme des créations, des manifestations de l’esprit ou encore, comme la remarque a été faite, du désir du psychanalyste. Il ne peut donc pas l’appeler spontanéité et spontanéité créatrice mais il est bien obligé d’avoir vis-à-vis de cette idée qui lui est venue – Freud appelait ça Einfall, une idée qui vient dans la tête – d’avoir une position de psychanalyste, c’est-à-dire de savoir d’où elle lui vient, pourquoi elle lui vient, quel sens elle a. S’il opère de cette façon-là, il s’aperçoit très vite que la position, les idées qui peuvent lui venir, dans la mesure où elles s’opposent à la théorie, je veux dire où elles tentent d’échapper à la théorie, appartiennent à une position subjective très connue des psychanalystes, la position hystérique.
La position hystérique est une position très forte, très riche, très efficace qui consiste justement à affirmer la liberté de ses déterminations psychiques par rapport à tout savoir constitué. Faire cette remarque n’est aucunement à mes yeux péjoratif vis-à-vis de l’idée qui peut venir dans l’esprit du psychanalyste car une idée hystérique est souvent une idée très riche et toute la psychanalyse s’est construite à partir des idées des hystériques. Ce n’est donc aucunement vouloir la dévaloriser par rapport à celles de la théorie qui seraient par exemple du côté de l’obsessionnalité. Mais c’est simplement vouloir lui donner sa place c’est-à-dire non pas vouloir lui accorder ce terme dont nous n’avons pas encore réussi à parler – mais nous ne faisons que commencer -, et qui s’appelle liberté, terme qui a besoin d’être purifié et dont nous ne savons pas ce qu’il veut dire, à condition qu’il veuille dire quelque chose. Donc nous ne pouvons pas nous contenter de dire par rapport à la théorie, voilà la liberté qui est en train de s’exprimer ; nous ne savons pas encore ce qu’est la liberté et nous ne savons pas encore ce qu’est la théorie. Nous aurions à expliquer aussi, si c’est possible, ce qu’est ce terme. Donc l’idée qui peut me venir lorsque c’est une idée qui s’oppose à la théorie, je n’ai aucune raison de lui refuser le terme d’hystérie, je ne pense pas la dévaloriser en la qualifiant ainsi mais néanmoins je la fais entrer à partir de ce moment-là dans le registre et le lieu qui sont conformes, qui sont des actes c’est-à-dire que j’opère d’une façon scientifique avec elle puisque je la reconnais pour ce qu’elle est. Je me permettrai de vous faire encore cette petite remarque : l’invocation du passage à l’action par opposition à ce qu’est la parole, vous me permettrez, vous faites vous-même état d’une pratique qui me paraît assez fine, assez grande et assez intelligente pour reconnaître que la revendication de l’action par rapport à la parole, le passage à l’action en tant que l’action serait capable de porter remède aux insuffisances de la parole, c’est aussi un propos, une idée fondamentalement hystérique.
Alors si donc je m’autorise à vous faire ces remarques c’est pour vous dire ceci : ceux qui ont organisé ces journées viennent en quelque sorte d’une lointaine planète, non pas géographique, mais une planète qui se caractérise par une certaine avancée dans la tentative de résoudre ces difficultés dont vous faites état et tout le travail qu’ils apportent n’a pas d’autre intérêt que de tenter de montrer comment ces difficultés non pas peuvent être résolues mais comment on peut essayer de les apprécier à leur juste valeur, à leur juste importance et donc, du même coup, essayer si c’est possible de faire que chaque psychanalyste invente correctement à son propos et pas seulement d’une manière qui va l’enfermer dans un cycle qui ne fait que reprendre et répéter les difficultés.
Tout le sens du travail que nous essayons de faire, puisqu’il y a un grand nombre de jeunes ici et j’admire beaucoup leur jeunesse, c’est que contrairement à votre patiente qui avait 3.000 séances, quelque chose comme ça, que eux-mêmes ne soient pas obligés de répéter toutes les difficultés que nous avons eues et qu’elles puissent, si c’est possible, leur être évitées, qu’ils ne perdent pas leur temps avec une série de digressions qui portent avec elles un certain plaisir mais qui constituent néanmoins un temps perdu.
Si mon surmoi me pousse à quelque chose c’est à essayer de faire que ceux que nous enseignons puissent très vite bénéficier de nos échecs, comme nous bénéficions des échecs de Freud que vous avez très bien rappelés ou encore des échecs de la théorie. Qu’ils en bénéficient non pas pour les répéter une fois encore, non pas pour les éprouver une fois encore mais pour que nous puissions leur parler sincèrement comme vous avez voulu le faire et en leur faisant état de personnes comme Lacan qui ont passé leur vie pour essayer de répondre à ces difficultés et qui ont abouti non pas à une solution mais à une mise en place correcte de ces problèmes. Je suis persuadé que celui auquel vous vous référez, Mateblanco, et à l’égard de l’effort duquel nous ne pouvons avoir que la plus grande sympathie, je suis sûr que Mateblanco savait que lorsqu’un problème est bien posé c’est ce qui compte. Ce n’est pas tant la solution, c’est que le problème soit bien posé. Si nous arrivions déjà entre psychanalystes, entre personnes qui ont de la pratique, à poser correctement les problèmes, en nous servant de ce qui existe dans le champ de la psychanalyse, à partir de nos collègues, de ceux qui nous ont précédés, qui se sont battus comme nous pour que les problèmes soient correctement posés, à partir de ce moment nous avons accompli notre devoir, notre tâche.
Réponse du Dr J. en espagnol, (non enregistrée)
Ch. M. – Juste trente secondes. Merci pour votre réponse, docteur J., mais juste cette remarque : ce que vous nous avez apporté comme innovation, Ferenczi l’a déjà fait, aussi bien pour ce qui concerne la spontanéité et la liberté à l’égard de la théorie que pour l’action en tant qu’elle devrait passer comme aide à la parole et donc ma question reste entière. Je ne parlerai pas du destin de Ferenczi ni de la façon dont effectivement il s’est trouvé dans la marginalité. Ma question est la suivante : est-ce que nous allons continuer 100 ans après, à retrouver les mêmes innovations avec les mêmes impasses ou est-ce que 100 après nous estimons que nous avons plus à faire ?