Sens interprétation et nomination
19 juin 2014

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RICARD Hubert
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D’autre part, loin d’en rester à un sens conceptuel univoque, débarrassé en quelque sorte de son imaginaire, Lacan, à partir d’une référence aux tropes de la rhétorique a proposé une théorie tout à fait originale du sens qui semble l’opposer au rationalisme philosophique : les Formations de l’Inconscientassurent (Leçon du 6 Novembre) « Il n’y a pas de sens sinon métaphorique , le sens ne surgissant que de la substitution d’un signifiant à un signifiant dans la chaine symbolique ». Illustration éclatante de l’intersection du Symbolique et de l’Imaginaire que nous montre le nœud mis à plat..

Je vais reprendre ces deux points fondamentaux.

Ce qui toutefois complique quelque peu les choses, je la reprendrai aussi, c’est la question de lalangue, terme introduit par Lacan dans le Savoir du psychanalyste, dont il nous dit à la fois dans RSI qu’ « elle est faite du sens », mais aussi qu’elle a un rapport avec quelque chose de réel et qu’elle ex-siste au corps. Sa considération est en tout cas indispensable pour entendre les remarques de Lacan sur l’interprétation analytique.

Quant à l’interprétation analytique on voit bien que celle-ci n’est pas uneherméneutique qui prétendrait découvrir sous des sens de surface un sens caché plus profond, un autre sens. Ceci est plutôt l’affaire des théologiens contemporains du christianisme ou du judaïsme qui sont intarissables sur ce sujet : ils savent fort bien repérer ce qui fait Réel dans les limites du discours commun pour y projeter un sujet divin déterminable à l’infini dans d’innombrables effets de sens …

La psychanalyse elle aussi, opère dans le sens mais elle tend à le réduire au non sens. Elle implique une bascule dans l’ordre de l’effet de sens. Je paraphrase Lacan : l’effet de sens exigible du discours analytique n’est ni imaginaire, ni symbolique, il faut qu’il soit réel. Et un objet essentiel du Séminaire RSI est de serrer de près ce que peut être le réel de l’effet de sens autrement dit l’effet de l’interprétation.

Reste la nomination. Elle semble renvoyer à une opération simple – ce que Lacan appelle l’émergence d’un sens en deçà semble-t-il de la mise en place métaphorique du sens. En outre c’est une chose de la réalité ou quelque chose de réel qui y est désigné, comme le montrent les développements antérieurs de Lacan ( je pense aux séminaires de l’Identification et des Problèmes Cruciaux )

Je vais donc reprendre tous ces points en essayant d’ordonner un peu les choses.

I LA QUESTION DU SENS

J’ai évoqué longuement au Séminaire de Marc Darmon les références logiques et linguistiques de Lacan (cf le dossier préparatoire aux journées sur le site intitulé Sens et nomination, mais qui ne concerne en fait que le sens et de façon incomplète l’interprétation). En ce qui concerne le sens je reprendrai seulement les grandes lignes de mon propos.

Lacan se sépare radicalement de la conception philosophique du sens, en tant que son objet est différent puisqu’il concerne avant tout les formations de l’inconscient ; mais il se situe aussi dans une perspective générale. En fait sa question, depuis le Séminaire des Problèmes Cruciaux, n’est pas “qu’est-ce qui fait sens ?“, “qu’est-ce qui différencie sens et non sens ?“, ce que seraient plutôt les questions de Wittgenstein, mais “comment émerge le sens ?“, ce qui suppose une articulation du sens et du non sens comme on le voit dans lesProblèmes cruciaux, et qui s’exprime dans la théorie de la métaphore. Même si dans RSI Lacan insiste sur d’autres aspects notamment l’articulation Symbolique – Imaginaire, il ne me semble pas qu’il y ait là un changement de conception.

Bien sûr Lacan fut sans doute le premier – sinon le seul – des penseurs du « structuralisme » à s’intéresser à Frege. Le logicisme philosophique, héritier du grand projet leibnizien de caractéristique universelle, prétend chasser aussi bien pour les termes que pour les propositions toute équivoque et substituer à la langue naturelle une écriture logique rigoureuse : on est donc très loin du domaine du sens que livre l’expérience analytique.

Frege oppose le Sinn (sens) et la Bedeutung (dont la traduction usuelle aujourd’hui est dénotation et que Lacan traduit par signification). Le sens relève de la pure pensée, alors que la dénotation concerne le mode de donation de l’objet, son caractère réel. Selon Frege un terme ou une proposition parfaitement sensés peuvent n’avoir aucune dénotation.

Lacan transpose cette distinction qui relève de la philosophie logique dans le registre de l’émergence du sens dans les formations de l’inconscient ou la poésie. Il oppose ainsi le sens et la signification.

La signification, terme par lequel il traduit la Bedeutung de Frege, doit être prise globalement : elle implique en effet un rapport au contexte, au référent, à l’objet de la Bedeutung. Et ajoute-t-il le référent, ça veut dire le réel. Le signifié doit lui être rattaché : il relève de la signification et de ce rapport au référent et il est ainsi à distinguer du sens .

Le sens, c’est « cet autre effet du signifiant en quoi le signifiant ne fait que représenter le sujet. Et le sujet, tout à l’heure, je vous l’ai incarné dans ce que je vous ai appelé le sens, où il s’évanouit comme sujet. »

L’effet de sens est donc à la fois, comme l’indique Lacan, représentation et évanouissement du sujet et il est coupé du référent et du Réel. C’est justement ce qui nous est présenté dans RSI dans le nœud mis à plat par l’extériorité du sens par rapport au rond du Réel.

Mais l’aspect le plus original de la conception de Lacan concernant le sens est la référence au non sens, dont Lacan remarque qu’elle sépare radicalement le psychanalyste du logicien.

Pour l’évoquer brièvement, disons que l’émergence du sens est produite par le franchissement de la barre dans le « pas-de-sens », quand un signifiant d’une chaîne, tombé dans les dessous, se voit substituer un signifiant qui fait pavé dans la mare du sens (peut-être vaudrait-il mieux parler ici de signifié ) – « ça n’a pas de sens », dit-on, de parler d’ idées vertes sans couleur qui dorment furieusement, de nuit éternelle, de gerbe avare ou haineuse, et pourtant l’effet de sens poétique propre à la métaphore n’est guère contestable dans les exemples d’Andromaque ou de Booz endormi : le pas n’est pas seulement négation mais aussi franchissement de la barre. Comme Lacan le dit à la fin du séminaire des Problèmes cruciaux (Journée du 16 Juin) « Le Sinn est foncièrement marqué de la fissure de l’Unsinn, et c’est là qu’il surgit dans sa plus grande pureté… ».

J’évoque ici brièvement Wittgenstein. Celui-ci montre que la délimitation entre sens et non sens, tout en étant beaucoup moins déterminée que ne le croient les logiciens, constitue le cadre essentiel de la tâche philosophique : la philosophie (de Wittgenstein) manifeste le non sens d’une expression que l’on utilise comme si elle avait du sens, elle détruit les châteaux de sable de la métaphysique, elle consiste « … dans la découverte d’un quelconque simple non-sens, et dans les bosses que l’entendement s’est faites en se cognant dans les limites du langage. » (Recherches philosophiques 119). Mais une fois que le non sens est manifesté la tâche de clarification de la philosophie, qui, à cet égard, en fait bien un discours du Maître, est achevée : elle doit maintenir une frontière infranchissable entre sens et non sens.

C’est pourquoi Lacan a pu, dans sa théorie de la métaphore créatrice de sens, dégager une articulation du sens et du non sens inacceptable pour la philosophie rationalistequi ne pouvait qu’échapper au discours philosophique, d’autant plus qu’il pouvait s’appuyer sur un matériau spécifique découvert par Freud, celui des formations de l’inconscient.

Il y a donc dans ce pas de sens émergence d’un sens nouveau. Sans doute on peut lui opposer le sens ou la signification déjà présents, mais Lacan suggère que c’est le même procédé qui les a déjà fait surgir dans le passé.

Lacan n’est pas le premier à donner ainsi à la métaphore une portée générale. On peut aussi évoquer un texte étonnant de Nietzsche, l’Introduction théorétique sur la vérité et le mensonge (in Le Livre du Philosophe), où Nietzsche construit le sens à partir d’une multitude de métaphores, (il va même jusqu’à construire ainsi le concept). Mais Nietzsche ne disposait pas du merveilleux instrument linguistique que possède Lacan, la référence au signifiant et au signifié et l’articulation de la substitution signifiante, et on en reste à un programme général de philosophe.

J’ai donc terminé ce que j’avais à dire sur ce texte de base des Problèmes Cruciaux, présent dans ma mémoire, dont je ne pouvais pas me dissocier pour lire RSI.

Le sens dans RSI

Je passe maintenant au sens dans RSI : on a incontestablement si on considère le nœud mis à plat, extériorité du sens et du réel (du moins tant qu’on n’aborde pas la question de l’interprétation). Il y a à la fois ex-sistence du Réel par rapport au sens, lequel se définit comme articulation du Symbolique et de l’Imaginaire.

On retrouve ici le thème de la constitution du sens excluant la référence que nous venons de repérer dans les Problèmes Cruciaux. Et on peut trouver des définitions du Réel – toujours dans la première moitié du Séminaire – qui vont dans cette direction ; par exemple « le Réel, c’est l’expulsé du sens, c’est l’impossible comme tel. C’est l’aversion du sens… » et dans la Journée du 18 Mars : « Seul ce sens en tant qu’évanouissant donne sens au terme au Réel. » Autrement dit ce qui donne sens au terme Réel, c’est qu’il se situe au point de l’évanouissement du sens.

Quant à l’articulation du Symbolique et de l’Imaginaire elle est beaucoup évoquée vers le milieu de RSI. En quoi consiste ce coincement des deux registres ? « On est habitué dit Lacan à ce que l’effet de sens se véhicule par des mots » – c’est l’aspect symbolique du sens – « et ne soit pas sans réflexion, sans ondulation imaginaire » : on est tout à fait ici dans le registre de la métaphore poétique, particulièrement hugolienne, le « pâtre promontoire au chapeau de nuées », les « moutons sinistres de la mer », la « faucille d’or dans le champ des étoiles ». Et à partir de cet énoncé on peut saisir en quoi l’effet de sens se situe au joint de l’Imaginaire et du Symbolique.

On peut douter qu’il y ait une dynamique propre au seul Imaginaire, comme le soutient par exemple Bachelard, à moins de l’étayer sur une référence à l’élément symbolique fourni par le langage. Dans la mesure où Lacan nous fournit la référence à la substitution signifiante , il éclaircit beaucoup ces moments de dynamisme de l’Imaginaire qui autrement resteraient flous dans une mise en place théorique.

II Lalangue et l’interprétation

Lalangue

Lacan a apporté à sa théorie du sens un complément essentiel dans ses derniers séminaires en créant le néologisme lalangue, la langue maternelle en tant qu’elle est « notre affaire à chacun ».

Dans la leçon du 8 janvier des NDP il oppose, en référence à la notion de sens, le langage et lalangue : le langage , nous dit-il, n’est pas fait de mots, une proposition, c’est l’effacement au moins relatif du sens des mots. « Ce qui n’est pas vrai, ajoute-t-il, de la langue, la langue comme ritournelle… lalangue, si !elle en est faite du sens ! » (je corrige la version écrite fautive) », à savoir comment « par l’ambiguïté de chaque mot, elle prête à cette fonction que le sens y ruisselle. »

Le langage des linguistes, nous dit Encore, est une « élucubration de savoir sur lalangue », une construction opérée par le discours théorique, toujours « hypothétique au regard de ce qui le soutient, lalangue. » Et l’hypothèse qui permet de définir le sujet lui-même, l’hypothèse de la différence signifiante, permet « d’extraire de lalangue » – donnée première, expérience directe du champ d’un savoir – « ce qu’il en est du signifiant ».

au contraire lalangue, ce réservoir d’effets de sens, constitue « le gîte » du savoir auquel a affaire la psychanalyse, le champ où il est inscrit, et ce savoir est l’inconscient lui-même, tel qu’il est rencontré par l’expérience freudienne, « savoir-faire avec lalangue », laquelle, « de savoir, … articule des choses qui vont beaucoup plus loin que tout ce que lui-même (le parlêtre) à titre de savoir énoncé…supporte. »

C’est ainsi la référence à lalangue qui fixe, comme nous allons le voir, le cadre de l’interprétation

L’interprétation

J’en viens donc à la question de l’interprétation

L’objet de la théorisation de Lacan est la pratique même de l’analyse et, dans ce séminaire, plus précisément, l’interprétation. Quand on dit que Lacan ne parle que de sa pratique, c’est vrai au sens où il déclare qu’iltrouve dans sa pratique toutes les réponses aux questions théoriques qu’il se pose ; il va même jusqu’à dire qu’il a les réponses avant les questions. Mais il fait bien unethéorie de sa pratique, et avec les règles de la théorie, il travaille sur des articulations théoriques préalables, notamment philosophiques, et ne fait nullement une récollection empirique.

En outre s’il y a peu d’exemples dans ses Séminaires de références directes à la pratique, justement il y a en a une dans RSI qui est particulièrement manifeste : il déclare que le Séminaire est fait pour répondre à la question duréel de l’effet de sens qu’induit l’interprétation analytique. Lacan assure dans la leçon du 11 février que « si nous pouvons faire que l’Imaginaire ex-siste, c’est qu’il s’agit d’un autre Réel. » Il renvoie à la consistance pure attribuable à l’Imaginaire, qui ne se réduit nullement à la « pure imagination » « il semble qu’il y ait tout un domaine usuel de la fonction imaginaire, qui, elle, dure et qui se tienne. » On peut donc aussi bien présumer qu’il y ait un « réel de l’effet de sens » dans l’interprétation.

Mais ce n’est pas l’imaginaire du sens dans sa consistance même qui peut être la clé de la question, tout au contraire, c’est l’équivoque qui est justement abolition du sens et resserrement du Symbolique.

La caractérisation de l’interprétation n’est évidemment pas intelligible sans une référence au savoir inconscient qu’a rencontré l’expérience freudienne. Savoir qui comme tout savoir renvoie au Symbolique plus qu’au Réel, même s’il est rencontré dans la réalité plus qu’il n’est construit comme l’est le savoir scientifique. Comme l’énonce La Troisième « C’est le savoir inscrit de lalangue qui constitue à proprement parler l’inconscient » et il est bien à situer « dans le Symbolique, en tant que c’est lalangue qui le supporte » et, Lacan le précise, « non dans le réel », non dans le champ du réel comme tel.

Comment concrétiser cette thèse à partir de la pratique de l’analyse ? Dans la leçon du 11 Juin des Non-dupes errent Lacan remarque que l’insistance que l’analyse met sur le signifiant, explique le précepte de l’attention flottante et lui permet de ne pas s’enfermer dans la réception du sens explicite et univoque que vise le langage. Dès lors peut se produire « l’heureux hasard d’où jaillit un éclair », l’ équivalence matérielle qui fait équivoque et ce qu’on peut considérer comme son effet : je cite : « Nous nous apercevons que ce qu’il a dit (l’analysant) pouvait être – nous nous en apercevons parce que nous le subissons – entendu tout de travers. Et c’est justement en l’entendant tout de travers que nous lui permettons de s’apercevoir d’où ses pensées, sa sémiotique à lui, d’où elle émerge… »

Le terme équivoque qui se détache, l’analysant le perçoit comme quelque chose de radicalement neuf, jamais ouï par lui auparavant, on pourrait dire transcendant non pas bien sûr à son monde, mais à ce qu’il croit être son monde, transcendant au moins en tant qu’il n’avait jamais rien entendu de tel alors qu’il s’agit pourtant d’un signifiant tout à fait banal ; ailleurs dont il sera bien obligé de reconnaître dans l’après-coup qu’il l’anime bien plus que tout ce qu’il peut repérer comme sens dans sa représentation de la réalité.

Comment comprendre la fonction de l’ équivoque ? « C’est de l’équivoque, fondamentale à ce quelque chose dont il s’agit sous le terme du Symbolique, que toujours vous opérez… » (RSI 10/12). La Troisième précise : « quelque chose dans le Symbolique se resserre de ce que j’ai appelé le jeu de mots, l’équivoque (lequel comporte l’abolition du sens) ». Ce resserrement s’effectue donc à l’encontre de l’imaginaire du sens et il a pour effet que « tout ce qui concerne la jouissance, et notamment la jouissance phallique peut également se resserrer ». On peut aussi supposer que le resserrement du Symbolique s’effectue dans ce cas à l’égard du réel du symptôme : « C’est en tant que dans l’interprétation c’est uniquement sur le signifiant que porte l’intervention analytique, que quelque chose peut reculer du champ du symptôme. » Le Symbolique, le savoir de l’inconscient « s’élabore, gagne sur le symptôme. »

La référence à lalangue est bien la clef de voûte de l’articulation et elle permet d’entendre ce que Lacan appelle Le réel de l’effet de sens.

Si l’inconscient que rencontre l’expérience freudienne est « savoir-faire avec lalangue », qui constitue son « gîte », on conçoit que pour l’analysant, du fait de l’interprétation, quelque chose « résonne » pour lui. Dans le texte des Non dupes errent que je citais plus haut Lacan remarquait que du fait que l’analyste peut entendre « tout de travers », il donne à l’analysant le moyen de s’apercevoir « d’où ses pensées, sa sémiotique à lui, d’où elle émerge… » Et il ajoute « elle émerge de rien d’autre que de l’ex-sistence de lalangue. »

Aussi bien le savoir inconscient que lalangue doivent être référées en premier au Symbolique, mais le terme ex-sistence s’applique aussi bien à l’un qu’à l’autre et il est l’indice d’un caractère réel. Peut-on préciser davantage ? Lacan a en tout cas l’a fait à propos du lien entre Inconscient et symptôme dans la leçon du 18 février de RSI en commentant la figure VI,6 (RSI 18 février p 98). Nous pouvons y relever sa localisation de l’Inconscient, notamment comme lieu d’ex-sistence. Lacan parle de champ connexe au trou (du Symbolique) obtenu par l’ouverture du rond en droite infinie : je cite « c’est dans la mesure il y aouverture possible, rupture, consistance issue de ce trou, lieu d’ex-sistence, Réel, que l’inconscient est là » (La version écrite est fautive et ajoute une négation totalement absente dans la parole de Lacan).

Dans cet énoncé il y a, me semble-t-il, convergence entre les termes malgré leur caractère apparemment disparate autour de l’ouverture de la droite infinie du rond du Symbolique. Sans doute peut-on penser à l’Urverdrängung que Lacan pointe….Mais il s’agit plutôt du refoulement proprement dit que lève l’interprétation : l’inconscient comme tel ex-siste en tant qu’il use de lalangue.

L’effet de sens dans l’interprétation prend un caractère réel et agit sur le Réel du parlêtre , non parce qu’il y aurait du sens dans le champ du réel pur, mais parce qu’il constitue dans un heurt irrécusable l’émergence d’un ailleurs de lalangue, perçu comme tel dans son surgissement, de ce que Lacan nomme l’ex-sistence de lalangue.

J’en viens à la question de la nomination.

Pour éclairer l’articulation de Lacan, il faut sans doute évoquer le Cratyle de Platon, qui est le texte originel de toute philosophie du langage, texte, on le sait difficile à entendre, doublement aporétique si je puis dire, puisque après avoir réfuté la thèse conventionnaliste d’Hermogène au nom de l’adage de Cratyle « qui sait les noms sait les choses », cette thèse de Cratyle sur laquelle Socrate semblait s’appuyer s’effondre à son tour et …lamentablement.

Il me paraît indispensable de faire cette référence si on veut comprendre pourquoi Lacan choisit une référence platonicienne – « Platon était lacanien » – contre l’articulation nominaliste – Notons qu’il en reste à ce terme général de nominalisme dont il fait le procès dans la leçon du 11 mars de RSI. Ce qu’il reproche au nominalisme, c’est précisément ce qui correspond à la position d’Hermogène dont Platon par l’intermédiaire de Socrate entreprend la réfutation au tout début du dialogue.

Hermogène soutient que les mots qui désignent les choses sont choisis à l’origine de façon conventionnelle, les hommes se mettant d’accord pour déterminer leur emploi, en instituant ainsi une loi qui prend désormais sa force de l’habitude. On peut dire ainsi que le nom pris en lui-même, avant qu’intervienne la convention, n’a aucun rapport avec la chose désignée, qu’il est donc un signe entièrement arbitraire.

Or dans la Leçon du 11 Mars de RSI, Lacan oppose ce qu’il appelle réalisme du nom et nominalisme du réel et il caractérise ainsi cette position philosophique : « le nom on y met n’importe quoi pour désigner le réel » puisque il s’agit d’un arbitraire du signe, là où tout au contraire Socrate-Platon oppose à cette conception la conception radicalement opposée selon laquelle l’onomastique est un art qui doit établir les noms en rapport avec l’essence et la vérité (sauf bien sûr qu’elle n’en est pas vraiment un comme l’établira la seconde partie du dialogue). Restons en à la première partie de cet énoncé.

L’exigence de la vérité du nom semble absurde et on peut penser qu’elle est faite avant tout pour donner ses chances à la thèse de Cratyle. On peut admettre qu’un nom tout seul fasse sens, et c’est ce que semble suggérer Lacan dans RSI à propos des noms premiers, mais le sens que présuppose une vérité est forcément celui d’une proposition et non un simple terme. Ainsi, comme on l’a vu plus haut Lacan nous dit-il dans RSI (8 janvier) « le langage n’est pas fait de mots : car c’est le lien par quoi du premier au dernier le moyenétablit cette unité qui seule est à rompre pour que le sens disparaisse… » « et une proposition, c’est l’effacement au moins relatif du sens des mots. » (et ce d’ailleurs contrairement à ce qu’il en est de lalangue). Platon lui-même d’ailleurs ne dit pas autre chose dans le Sophiste 262a-b : un discours pour être vrai doit entrelacer des noms et des verbes.

Mais insérer le nom dans l’horizon de la vérité et de l’essence, c’est précisément mettre en place ce réalisme du nom que Lacan oppose dans son commentaire au nominalisme du Réel. Sans doute la fin du dialogue montre t elle que la prétention de Cratyle est absurde : il serait à souhaiter que les noms soient semblables aux objets, mais il faut admettre la part considérable de la convention, et les noms font bien mal connaître les choses qu’ils désignent.

On ne retourne pas pourtant par là à Hermogène si on tient compte de cet horizon de l’essence et de la vérité qu’a ouvert le propos de Socrate. Il faut désormais, si l’on veut connaître les choses, laisser tomber les mots et se tourner vers les êtres véritables que sont les Idées. On doit entendre le réalisme du nom non pas comme la thèse de Cratyle assurant que le nom en lui-même permet de connaître la chose dans sa réalité, mais comme le fait que le nom délimite un réel de la signification auquel il renvoie et qui lui donne sa valeur, qu’il y a donc réalisme de l’intelligible ou des universaux ; et l’essence intelligible cadrée exactement par la dénomination fait figure d’élément tiers indispensable sans lequel la dénomination opérée par les signes verbaux perdrait toute consistance.

C’est cet élément tiers, l’eidos, dont Lacan nous dit que sans lui il n’y avait aucune chance que les noms collent aux choses, et dont justement le nominalisme, dans son application du rasoir, prétend faire à tort l’économie, ce qui explique que Lacan, même s’il n’y adhère pas, juge le réalisme du nompréférable. L’eidos, c’est l’aspect, l’air d’une personne ou d’une chose, « très bon mot grec pour traduire ce que j’appelle l’imaginaire, …parce que ça veut dire l’image. » comme le dit Lacan. Pour lui (Platon), ajoute-t-il « l’Idée faisait la consistance du Réel », un Réel sans aucun doute, puisque l’Idée est une chose et non une représentation, mais qui est bien imaginaire puisqu’elle se prête à l’intuition et à l’évidence, même si ce n’est pas toujours de façon immédiate.

Les maîtres de la philosophie logique, Frege et le premier Russell, excellents platoniciens, illustrent au mieux, me semble-t-il, ce réalisme du nom, les signes de la logique renvoyant d’emblée à un Réel saisi par l’intuition intellectuelle, et en ce sens imaginarisé. Lacan évoque le nœud qui manquait à Platon, et sa position est tout autre que celle de ce réalisme du nom.

Comment aborder cette position ? Je me réfèrerai brièvement aux admirables mises en place théoriques concernant le nom propre, ou aussi bien si l’on veut le nom en propre, que l’on trouve dans les séminaires de l’Identification et desProblèmes Cruciaux.

Dans ce dernier séminaire, Lacan évoque déjà la notion de trou. Alors que le schéma nominaliste s’appuie toujours au départ sur la donnée sensible immédiate, qui serait l’indice irrécusable d’une présence du réel, lui substituer le trou, à la fois pour caractériser l’objet de la science (ce qui écarte la relation spéculaire propre à la connaissance, mais aussi le point d’application du nom propre), c’est précisément introduire ici l’élément tiers qui retient son attention chez Platon. Il récuse ce qu’il appellera dans RSI la nomination étroitement symbolique, qui nomme les genres et les espèces pour en arriver par inclusion classificatoire à rencontrer l’individu qui aurait ainsi droit au nom propre dans une dénomination simple (cf le point que Russel appelle John) . Alors que le nom propre, au delà de cette relation binaire de l’universel au particulier, procède – je cite Lacan – à un « comblement de quelque chose d’un autre ordre » que cette relation binaire « comme quelque chose de tiers et d’irréductible à leur fonctionnement, à savoir comme le singulier. »

Le nom propre suggère le niveau du manque, le niveau du trou, qui est celui-là même du sujet. Il comble un trou et fait suture.

Mais on peut généraliser à la fonction du nom en général. Propre veut dire aussinom à proprement parler et Lacan parle du « trait qui fait de toute institution phonématique du nom, de l’acte fondateur du nom dans sa fonction désignatoire, ce quelque chose qui a toujours en soi cette propriété d’être uncollage. » Je cite le Sém 18 Leçon du 9 Juin (133) « Le propre du nom, c’est d’être nom propre »

Tout ceci nous invite à un décalage massif par rapport au sens métaphorique, au sens qui s’exclut du réel, et l’exclut aussi bien.

La nomination au contraire se caractérise, même en tant qu’elle fait sens, par une relation au réel, sans laquelle il n’y aurait pas émergence d’un nom premier ou nouveau.

Dans la nomination, ( cf la leçon du 11Mars de RSI )« le naming la parlotte se noue à quelque chose du Réel. Naming » C’est sans doute ce que suggérait Platon quand il référait d’emblée le nom à l’élément tiers de l’essence et à la vérité. Lacan dans les Problèmes cruciaux insiste sur « le rôle et la fonction de choix de celui que – très génialement …le Cratyle désigne comme un acteur nécessaire en cette histoire, à savoir ce qu’il appelle le dèmiourgos onomatôn, l’ouvrier en noms. Il ne fait pas n’importe quoi ni ce qu’il veut… »

Mais à la place de l’Idée comme Réel imaginarisé, et pure plénitude du Réel, Lacan se réfère au trou que cerne l’écriture scientifique dans le discours de la science et au trou qu’opère la nomination. Comment préciser la nature de ce trou que fait le nom et du sens qui émerge avec lui.

Je citerai le Séminaire …ou pire le 15/Mars « Le pas de Platon … c’est de montrer que dès qu’on essaie de le dire de façon articulée, ce qui se dessine de la structure … fait difficulté, et que le Réel c’est dans cette voie qu’il faut le chercher. Eidos qu’on traduit improprement par la forme, est quelque chose qui déjà nous promet le serrage, le cernage de ce qui fait béance dans le dire. En d’autres termes Platon était pour tout dire lacanien. »

A la place de l’Idée, le dire, le réel d’un sujet. « Nommer, que vous pourriez aussi bien écrire n’hommer, dire, est un acte. » Le trou n’est pas seulement l’effet du nom, il est ce dont le nom émerge et Lacan assimile le n’hommer et le dire.

Partons d’ un exemple qui me fait difficulté, celui des 3 formes de noms-du père ou de noms premiers que sont l’Imaginaire, le Symbolique et le Réel , c’est dans ces noms nous dit Lacan que tient le nœud.

Le statut épistémologique de ces termes, dont on peut dire que la structure du sujet tient à eux, ne peut être celui d’essences préalablement posées, à la manière aristotélicienne, même si on remarque que la structure subjective est bien quelque chose de réel.

Ici faut-il à propos du Père du nom, le Père nommant, parler du dire de Lacan ? Ça ne va pas de soi d’abord dans un cadre épistémologique traditionnel, car beaucoup des contenus de ces registres ont été empruntés par Lacan, à Wallon pour l’Imaginaire, à la linguistique saussurienne pour le Symbolique et les philosophes n’ont cessé de tenter de démontrer l’existence de la réalité extérieure ou à travers l’argument ontologique l’existence nécessaire de l’ens realissimum. Et Berkeley en incluant la réalité dans la représentation dégage a contrario l’idée un Réel hors sens, dépourvu de toute détermination, même s’il ne peut que nier radicalement son existence.

Mais les transformations fondamentales opérées par Lacan, souvent en s’appuyant sur Freud, l’incorporation des contenus dans le discours analytique à partir de sa pratique, et la mise en place du nœud qui tient nous dit-il dans ces noms, permettent de parler d’une création originale.

Lui-même suggère qu’il est bien le père de ces noms, puisqu’on lit dans le Séminaire Les Non dupes errent (11 décembre) « Je te baptise Réel, parce que si tu n’existait pas, il faudrait t’inventer. Et c’est bien pourquoi, ajoute Lacan, je l’ai inventé. » . Le Réel tel que l’entend Lacan, était sans doute déjà là, mais il n’était pas nommé, la théorie de Lacan le faisant émerger dans l’articulation du sujet, nécessité qui s’impose au théoricien : si tu n’existais pas, il faudrait t’inventer. Emergence dans l’acte même de son dire « Et c’est bien pourquoi je l’ai inventé. »

Un peu plus loin une formule condense admirablement les données de la question « c’est pas rien naturellement que j’ai dit je te baptise .. Le naming en tant que nom propre précède – c’est un fait – la nécessité par quoi il ne va plus cesser de s’écrire. »

Reste qu’on peut poser la question générale de la nomination du point de vue d’un sujet particulier et de ce qui relève de son inconscient, d’autant plus que Lacan ne semble pas revenir sur l’idée d’un nom du père fondamental cf RSI 15 avril. S’il peut y avoir un nombre indéfini de noms du père « en tant qu’ils sont noués, tout repose sur un ; sur un, en tant que trou, il communique sa consistance à tous les autres… »

Je conclurai par seulement quelques remarques sur la dernière leçon de RSI et la distinction des 3 nominations.

D’abord il semble que dans un premier abord du nœud à 3, Lacan fait du sens tel qu’il est inclus dans le nœud borroméen la source des nominations des ronds et des points de croisements. Cf le texte de RSI (17 décembre) où Lacan parle de la seconde triplicité (consistance, trou, ex-sistence), « celle Due au sens (je corrige le texte sur la bande) en tant que c’est du sens que part la distinction des sens qui de ces termes font trois termes. » Mais il s’agit pour Lacan de montrer là la consistance du nœud à 3 et non de proposer une articulation de la nomination qui appellera le rond quatrième dans la dernière leçon. D’ailleurs La Troisième sans se référer explicitement à la nomination avait taxé d’idéalisme toute dérivation directe du sens à partir de l’Imaginaire du sens. « Que du sens se loge en lui nous donne du/même coup les deux autres (le Symbolique et le Réel) comme sens. L’idéalisme dont tout le monde a répudié comme ça l’imputation, l’idéalisme est là derrière. »

Quant à la nomination en général, comment ne pas privilégier le registre du Symbolique ? Dans la leçon du 11 mars de RSI Lacan se demande comment le Symbolique cause le sens ; si l’inconscient est ce qui se supporte du symbolique, il reste que c’est l’ex-sistence de l’inconscient, le Symbolique considéré comme réel qui « conditionne le Réel de cet être que je désigne du parlêtre…» (RSI 11 Mars) et cet inconscient en tant qu’il ex-siste « nomme les choses pour ce parlêtre. » Comment situer dès lors le quatrième rond des dernières leçons de RSI ? On a bien déjà affaire à un dédoublement du Symbolique avec le 4ème rond du Nom-du-Père : Lacan commente ainsi vers la fin de la leçon du 15 avril le nœud borroméen à 4 avec double boucle et deux droites infinies du schéma IX,7 présenté dans la leçon précédente : « … le quatre, c’est ce qui dans cette double boucle supporte le Symbolique de ce que pourquoi en effet il est fait, à savoir le Nom-du-Père », Nom du Père qui, en tant que trou un , donne consistance aux autres noms du père, Nom du père dont «la fonction radicale est de donner un nom aux choses, avec toutes les conséquences que cela comporte, …et jusqu’au jouir notamment », et figuré dans « le Père comme nommant ».

La fin de la leçon qui concerne le Nom du père ne peut être lue sans qu’on rappelle les réticences de Lacan à tenir au sujet de la notion un discours de type universitaire. « Je ne pense pas que ça puisse s’aborder de front, nous dit-il »

De fait les développements sur les trois formes de nomination sont de longueur très inégale, et il y a très peu de choses sur la nomination du réel. Cette réticence semble avoir disparu pourtant dans l’annonce ultime du propos du Séminaire suivant, même si à propos de la « substance » du Nom du Père il en reste à cette question. Et néanmoins le Sinthome ne traitera pas la question annoncée et en restera à l’aspect de la nomination symbolique que constitue le sinthome

Je vais néanmoins tenter un petit commentaire des trois nominations.

On sait qu’un des derniers développements de la leçon du 15 avril émet un doute sur le lien privilégié du Symbolique avec le Nom du Père « Mais peut-être ces Noms-du-Père, pouvons nous spécifier qu’il n’y a pas après tout que le Symbolique qui en ait le privilège, qu’il n’est pas obligé que ce soit au trou du Symbolique que soit conjointe la nomination. »

Considérons d’abord la nomination de l’imaginaire : dans le premier exemple il est dit que la nomination vient du Symbolique, mais que c’est bien dans l’Imaginaire qu’elle fait un certain effet ; Lacan se réfère curieusement au réalisme logique de Frege et de Russell, aux « logiciens ». la philosophie logique « vise » bien sûr le Réel à travers la nomination qui le dénote commeréférent, mais elle en reste à l’Imaginaire pour déterminer ce référent, en s’inscrivant dans la tradition d’Aristote qui niait l’existence des Idées en leur opposant les individus « réels » seuls existants ; la référence de la philosophie logique « concerne expressément ce qui s’individualise du support pensé des corps. » Un tel individu – le corps – relève de l’imaginaire, et l’effet réel de la nomination est dès lors élidé dans l’ « évidence » de la connaissance directe des corps individuels, seuls existants, le tode ti d’Aristote.

Le second exemple remplace ce réel imaginé par le véritable imaginaire, mais dès lors y a-t-il encore nomination ? Si la droite infinie se substitue au rond à la place de Ni, la nomination imaginaire, ce n’est pas pour nommer, mais dans la perspective d’une opération contraire, non pas donation de sens à partir du Symbolique, mais inhibition dans le cadre précis de cette relation au Symbolique,

« ce qui justement à partir de l’Imaginaire fait barre, inhibe, le maniement de tout ce qui est démonstratif, de tout ce qui est articulé comme Symbolique » (je restitue ce que dit effectivement sur la bande originale ). Lacan pense avant tout à l’inhibition face au nœud, mais cela vaut pour toute articulation symbolique. L’Imaginaire est présent dans l’inertie de l’image face à la mise en place démonstrative mais aussi dans la configuration circulaire du sens, dans le « bouclage » démonstratif, et il se heurte vivement à tout ce qui peut le mettre en question et manifester ses limites.

La nomination proprement symbolique nouée au trou du Symbolique ne saurait quant à elle, se réduire à la nomination des espèces. Les noms d’espèces ne sont pas de vrais noms, ils entrent dans l’arbre de la classification qui est censé aboutir par division à un nom d’individu de même nature que les noms généraux et qui ne possède donc pas les caractéristiques du nom propre qui suppose une relation au réel, sans laquelle il n’y aurait pas émergence d’un nom premier ou nouveau.

Cette nomination des espèces à laquelle Dieu a fait procéder Adam est donc étroitement symbolique et cette limitation et ne tient pas compte de la dimension réelle de la nomination, du réel propre au singulier du sujet, qui se situe au delà de cette relation binaire de l’universel au particulier dont s’était contenté Lévi-Strauss.

Au contraire la référence au symptôme montre une « nomination du symbolique » s’il est vrai que celui-ci est impliqué par le symptôme, « fleur du Symbolique lui-même ». Le symptôme ne se limite évidemment pas au Symbolique et il implique aussi bien le Réel où il apparaît et où il s’enracine. En outre à la source du symptôme l’Inconscient, dans le nœud à 3, nous l’avons vu à propos de l’interprétation, apparaît comme ex-sistence du Symbolique dans l’ouverture de la droite infinie, (cf la figure VI,6 – RSI 18 février p 98). ce qui permet à Lacan de poser la cohérence qui existe, si on remet le nœud dans l’espace, entre l’inconscient et le symptôme dans le champ du réel.

Mais pour conclure il reste que le symptôme réduit par l’interprétation, en tant que celle-ci porte uniquement sur le signifiant,

est bien ce qui est sujet par excellence à la nomination du symbolique. Je citeLa Troisième « C’est ici dans… le Symbolique en tant que c’est lalangue qui le supporte, que le savoir inscrit de lalangue qui constitue à proprement parler l’inconscient, s’élabore, gagne sur le symptôme. »

Il reste enfin la nomination du Réel, qui relève aussi du fait : « nomination du réel comme il se trouve qu’elle se passe en fait, c’est-à dire angoisse », mais pour laquelle Lacan n’apporte dans le texte aucune détermination supplémentaire.

J’en resterai à des questions. Et d’abord celle de Lacan à ce point : faut-il substituer le « cercle dont nous supportons la fonction du Réel » au rond du Symbolique auquel le quatrième rond, en tant que Nom du Père, est censé se nouer ? On peut tout d’abord invoquer de façon générale la relation du nom avec le réel en tant qu’il fait trou, mais cela ne semble pas spécifier le réel comme le montre tout le passage. Par contre ce qui semble en cause c’est la relation du Nom du Père avec le réel sans oublier la référence à l’angoisse.

Lacan lie dans la leçon du 11mars de RSI la première identification de Freud avec le Nom- du-Père « Identifiez vous au Réel de l’Autre réel, vous obtenez ce que j’ai indiqué du Nom-du-Père, et c’est là que Freud désigne ce que l’identification a à faire avec l’amour. » Si l’Autre réel est simplement l’Autre barré, le seul auquel nous ayons affaire, excluant toute existence de l’Autre de l’Autre, il reste que le Nom-du-Père est bien rapporté dans ce nœud à 3 au rond du Réel, Imaginaire et symbolique correspondant aux troisième et deuxième identifications de Freud.

Cette proximité du Nom du Père et du Réel n’était pas apparente à l’époque de la mise en place de la métaphore paternelle, où le Père est avant tout le Père mort, et où le Nom du père apparaît comme le signifiant par excellence, qui donne la loi à l’ensemble du système signifiant. Cette caractérisation purement symbolique sera complétée d’une référence au Réel à partir du moment où Lacan l’interrogera en tant que nom. On trouve dans la leçon unique du Séminaire des Noms du Père la remarque qu’il faut « mettre au niveau du père la fonction du nom. », et que sur le nom, « marque toujours ouverte à la lecture », « est imprimé quelque chose, peut-être un sujet qui va parler. »

On peut tenter, pour éclaircir ces formules, de se reporter au texte le plus explicite de Lacan concernant l’identification à la voix conçue en rapport avec l’identification primordiale au Père, soit la leçon du 25 Mai de L’Angoisse.L’angoisse que suscite le vide de l’Autre est surmontée, comme la plainte du shofar en donne l’image, en tant que la voix articulée dans la parole est incorporée non pas comme simple dit, mais altérité de ce qui se dit : elle renvoie désormais non pas simplement au vide de l’Autre mais à son désir qui prend la forme du commandement tandis que la clameur de la culpabilité couvre l’angoisse. Il y a là, nous dit Lacan, « introduction d’un autre ordre ». Si cet ordre tient à l’émergence du désir, on peut supposer que la référence au Nom du père y est pour quelque chose. Lacan dit en tout cas clairement dans la leçon du 3 juillet qu’ « il n’y a de surmontement de l’angoisse que quand l’Autre y estnommé. » Et on peut évoquer, même si la suite du texte concerne la relation amoureuse en général, l’identification au Père, quand il nous dit : « il n’y a d’amour que d’un nom »

Ainsi la nomination du Réel peut-elle prendre aussi consistance, même si la formule que j’ai citée d’une identification au Père réel accompagnée par l’amour, est reformulée en terme de nœud à 4 – nomination réelle instituée par le nœud à 4 : « dans l’identification,…il n’y a d’amour que de l’identification portant sur ce quatrième terme, à savoir le Nom-du-Père. »