Séminaire de préparation du Séminaire d’été (6/10/2015). Les Écrits techniques, Leçons I, II et III par Marc Darmon
21 mars 2016

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Colloques, Nos ressources, Séminaire d'été
Lacan



Marc Darmon — Nous allons commencer la lecture du séminaire les Écrits techniques et du séminaire Le moment de conclure, les deux à la fois ; comme Le moment de conclure se compose de six leçons en réalité, le séminaire sera commencé dans un deuxième temps. Et comme les Écrits techniques, c’était à l’époque un séminaire hebdomadaire, c’est-à-dire quatre séances par mois, nous allons commencer dès aujourd’hui en parlant des trois premières séances. Évidemment le style de notre séminaire de préparation sera différent de ceux des années précédentes puisque nous ne pouvons pas faire une lecture suivie, ligne à ligne, du séminaire, mais chacun d’entre nous tâchera de dégager des lignes de force et j’espère que ce sera un séminaire, c’est-à-dire qu’il y aura beaucoup de discussions et d’interventions de certains d’entre vous.

Alors, pourquoi faire deux séminaires cette année ? C’était une opportunité, c’est-à-dire au moment où nous arrivons à la conclusion de la suite de séminaires de Lacan, puisque Le moment de conclure n’est pas tout à fait le dernier mais presque, nous allons essayer de tenir compte de ce travail sur les séminaires dits topologiques de Lacan pour renouveler notre lecture des premiers séminaires.

En effet, la lecture d’un séminaire ne peut être une lecture figée, comme si les concepts avancés avaient une existence éternelle. C’est d’ailleurs ce que dit Lacan dans ces premières leçons du séminaire les Écrits techniques, c’est-à-dire qu’il y a une dialectique dans les concepts avancés et notre lecture est forcément différente puisqu’elle se fait aujourd’hui.

Alors tenir compte des derniers séminaires dits topologiques pour aborder les Écrits techniques, il se trouve que ce séminaire sur les Écrits techniques s’y prête tout à fait puisque la distinction du Réel, du Symbolique et l’Imaginaire y est affirmée et nous trouvons dans certains passages une préfiguration tout à fait saisissante du nœud borroméen. En effet, quelque part dans ce séminaire Lacan nous dit qu’il y aurait une nécessité géométrique minimale à distinguer les trois plans du Symbolique, de l’Imaginaire et du Réel et il décrit le coinçage de trois volets détachés du plan imaginaire, du plan symbolique et du plan réel, ce coinçage se fait sous la forme d’un triskel qui préfigure tout à fait le nœud borroméen.

Il y a dans une conférence de 53, donc précédant le début de ce séminaire, une conférence qui est intitulée Réel, symbolique et imaginaire, que nous avons publiée à l’époque dans le Bulletin de l’Association Freudienne (1). Dans cette conférence Lacan essaye de décrire le cheminement d’une analyse d’une façon tout à fait formelle.

Voilà comment il algébrise, dans cette conférence, le début d’une analyse : rS – par la réalisation du symbole, c’est-à-dire le psychanalyste est d’emblée un personnage symbolique auquel le sujet s’adresse.

FIG1DarmonSété16

Cette algèbre est composée de lettres minuscules et de lettres majuscules ; la lettre minuscule se lit comme le verbe et la lettre majuscule comme le substantif, c’est-à-dire « réaliser le symbole ».

Ensuite il y a une phase imaginaire (soulignée par un segment, fig. 2), où se joue un jeu duel, une danse dit Lacan :

réaliser l’Imaginaire (rI), imaginer l’Imaginaire (iI), imaginer le Réel (iR). Et, dit-il, si le sujet est psychotique, il ne va pas plus loin.

FIG2DarmonSété16

Phase imaginaire

Ensuite, imaginer le symbole (iS) :

FIG3DarmonSété16

symboliser le symbole (sS), symboliser l’image (sI), symboliser le réel (sR) et réaliser le réel (rR) :

FIG5DarmonSété16FIG6DarmonSété16

Donc ça ( iS – sS – sI – sR), ce serait la phase où interviendrait le symbole, le symbolique,

– imaginer le symbole, c’est un peu ce que l’on trouve dans la figuration du rêve par exemple ;

– symboliser le symbole (sS), c’est l’interprétation, qui joue sur la lettre, ici c’est plutôt sur le signifiant à cette époque ;

– symboliser l’imaginaire (sI), eh bien c’est le résultat de l’interprétation ; si ici (iS) il s’agit d’imaginer le symbole dans la figuration du rêve, symboliser l’imaginaire (sI) c’est l’opération inverse ;

– symboliser le réel (sR) et réaliser le réel (rR), c’est la fin de l’analyse, où le sujet fait reconnaître son désir.

Alors, lorsque nous avions publié ce texte dans le Bulletin de l’Association Freudienne, nous avons laissé toutes les fautes de frappe, puisqu’il y avait un curieux mélange entre les lettres minuscules et les lettres majuscules, nous les avons laissées pour permettre au lecteur de travailler… (rires) et en fait on pourrait dire que c’est purement arbitraire, c’est une façon pour Lacan d’algébriser le cheminement d’une analyse tel qu’il l’imagine, mais en regardant attentivement comment c’est fabriqué, on s’aperçoit que c’est construit à partir d’une matrice qui part de R-S-I

FIG7DarmonSété16FIG8DarmonSété16

et on fait une permutation circulaire I-R-S, S-I-R,

Les grandes lettres (Réel, Symbolique et Imaginaire) sont inscrites dans un tableau avec une permutation circulaire et les petites lettres vont venir, si vous voulez, conjuguer les grandes lettres, ‘r’ va se multiplier par, va faire le produit rR, rS, rI :

FIG9DarmonSété16FIG10DarmonSété16

ensuite deuxième ligne : iI, iR, iS

FIG11DarmonSété16

et ainsi on retrouve, à partir de rS (en haut dans le coin gauche de la fig.12 ; et de plus, M. Darmon part du ‘r’ de la 3ème ligne et va vers le ‘S’, qu’il entoure) la suite des combinaisons.

FIG12DarmonSété16

Alors évidemment quand Lacan a prononcé cette conférence, j’imagine l’étonnement des auditeurs. Mais nous, depuis l’étude de la plupart des séminaires de Lacan depuis des années, ça ne nous étonne plus. C’est-à-dire que l’appui que prend Lacan sur la structure et sur des mathématiques assez élémentaires, c’est quelque chose qui nous est familier.

Donc je suis censé vous présenter les trois premières leçons de ce séminaire et je dois dire que ces trois premières leçons sont absolument époustouflantes.

Je ne sais pas si tout le monde a l’édition de l’A.L.I., parce que l’édition du Seuil résume un peu les trois premières leçons.

Marie-Christine Laznik — Je crois surtout ce que disait ma voisine, il faut le dire à voix haute : l’édition du Seuil a scotomisé toutes les interventions des collègues, élèves de Lacan, qui sont excellentes dans ce premier séminaire, et c’est vraiment très dommage de ne pas les lire.

M. Darmon — Oui, en particulier dans la troisième leçon il y a une intervention d’Octave Mannoni et de Didier Anzieu ; mais nous allons y arriver.

Les premières lignes sont tout un programme :

« La recherche du sens a déjà été pratiquée, par exemple par certains maîtres bouddhistes, avec la technique zen. Le maître interrompt le silence par n’importe quoi, un sarcasme, un coup de pied.

Il appartient aux élèves eux-mêmes de chercher la réponse à leurs propres questions dans l’étude des textes ; le maître n’enseigne pas ex cathedra une science toute faite mais il apporte cette réponse quand les élèves sont sur le point de la trouver. »

Donc c’est tout un programme, et c’est une phrase que l’on devrait se répéter chaque fois que nous abordons un nouveau séminaire de Lacan. Et les premiers mots : « la recherche du sens ». On mesure aujourd’hui la force et la portée de ces mots puisque nous avons travaillé récemment le sens et le réel par exemple, le non-sens, l’ab-sens, la jouis-sens. Ici, Lacan situe l’analyse du côté de la recherche du sens. Il parle de deux choses : d’abord du travail de lecture auquel il convie les participants à ce séminaire, donc une lecture pour retrouver le sens, et il parle évidemment de l’analyse, l’analyse ici comme recherche de sens.

C’est ce qui lui permet d’affirmer dès cette 1ère leçon du premier séminaire la place particulière de l’analyse par rapport aux sciences et à l’ambiance scientiste à l’époque où Freud avançait ses Écrits Techniques. Contrairement donc à ce qui s’avançait au niveau des sciences à l’époque, c’est-à-dire réduire le réel à des forces antagonistes, donc une vision très physicaliste de la science. « Freud énonce cette chose scandaleuse que les rêves ont un sens. » Donc d’emblée il se distingue de ce qu’il en est de la science et du scientisme de l’époque tout en s’inspirant de ce mouvement. Puisqu’il dit à la fois, par exemple, les rêves, les symptômes ont un sens et il y a une série de causes, c’est-à-dire qu’il y a à la fois le sens et quelque chose qui est de l’ordre d’une raison qui relie cause et effet.

Hubert Ricard — Mais c’est des gens qui ne veulent rien savoir du sens.

M. Darmon — Les scientistes, oui. D’autre part, il nous dit dans ces premières leçons que la psychanalyse est une science du singulier, du particulier aussi il dit, et du singulier, ce qui s’oppose à la doxa aristotélicienne pour laquelle il n’y a de science que du général. Donc, dans ces premières leçons, Lacan insiste sur le sens, c’est-à-dire quelque chose qui apparaissait comme un archaïsme, comme quelque chose qui revenait du plus profond des superstitions, pour les scientistes, et puis c’est une science du particulier, et même du singulier, ce qu’il rattache aussi à la nécessité pour Freud de ne pas s’exclure du champ qu’il vient révéler, c’est-à-dire, comme sujet, Freud était le premier intéressé. Et comme vous le savez, c’est à partir de ses propres rêves, de ses propres névroses, de ses propres désirs, qu’il a construit, qu’il a accompagné sa recherche de constructions théoriques sans cesse remises en cause.

H. Ricard — Juste une toute petite remarque, vraiment latérale, excusez-moi, mais justement Spinoza, si Lacan l’avait bien lu à l’époque, il dit beaucoup plus souvent que le désir est l’essence de l’homme, le désir est l’essence de chacun, c’est-à-dire cette référence au singulier existait quand même dans le champ syllogistique. Je dis ça comme ça.

Danielle Eleb Et chez Aristote aussi.

H. Ricard — Oui, parce qu’il y a l’individu mais pas quand même au même plan.

M. Darmon — Mais la science comme science du général.

H. Ricard — Oui.

D. Eleb Oui mais il y a quand même chez Aristote et d’ailleurs Lacan le reprend dans plusieurs textes, il y a quand même chez Aristote une articulation entre le particulier, le singulier et l’universel.

M. Darmon — Bien sûr. Et c’est Aristote qui a distingué ces choses mais il exclut le singulier de la syllogistique par exemple. Et la syllogistique ne fonctionne qu’avec le particulier et l’universel.

D. ElebAprès il a quand même été amené à prendre en compte le singulier et aussi à mettre en cause sa propre théorie.

M. Darmon — Il définit le singulier mais il exclut le singulier de la syllogistique. C’est-à-dire que pour que la syllogistique fonctionne il faut que les termes puissent être ou des particuliers ou des universaux.

H. Ricard — Je ne sais pas s’il y a des exemples de noms dans les syllogismes d’Aristote mais même dans ce cas-là il me semble qu’il les traite comme des particuliers et que Lacan fait un commentaire dans Les problèmes cruciaux où il montre que le singulier n’est pas pris en compte.

M. Darmon — Oui, oui, oui. Lacan s’est appuyé dans Les problèmes cruciaux sur l’ouvrage de Lukasiewicz sur la syllogistique d’Aristote, c’est un logicien polonais qui a formalisé pour la première fois la syllogistique d’Aristote. Bon, alors, où en étais-je ? Bon, on a fait la première leçon.

H. Ricard — Je pense que vous avez bien fait, Marc, d’insister sur l’autre aspect. Parce qu’il y a quand même des phrases qu’il faut entendre. « … ce n’est pas avec le couteau que nous disséquons mais avec des concepts : le concept a son ordre de réalité original. » Et c’est là qu’intervient la référence à la dialectique. Je crois que vous l’avez fait remarquer, la dernière phrase de cette première leçon est remarquable : « La découverte de Freud, c’est la redécouverte, sur un terrain en friche, de la raison. » Je crois que ça c’est important d’entendre quand même … vous l’avez dit.

M. Darmon — Oui, oui. C’est-à-dire la phrase est plus développée : « L’introduction d’un ordre de déterminations dans l’existence humaine, dans le domaine du sens, s’appelle la raison. La découverte de Freud, c’est la redécouverte, sur un terrain en friche, de la raison. »

H. Ricard — Et c’est vrai que l’ordre de détermination, c’est ce que vous avez dit, la cause et l’effet, c’est ça.

M. Darmon — Alors, Deuxième leçon. « Fini de rire ! » nous dit-il. Alors la première page, « fini de rire ! » dit-il, dans cette première page, parce qu’il définit le sens, la signification de ce séminaire qu’il inaugure, c’est-à-dire qu’il demande à chacun de participer. Il demande non seulement à chacun de participer mais il précise que « ceux qui font partie du groupe », dit-il, ceux qui s’y intéressent, pour eux c’est un engagement, « qui comporte rien moins pour chacun de nous que l’avenir, [que] le sens de tout ce que nous faisons et aurons à faire dans la suite de notre existence», c’est-à-dire il exige, et il exige… c’est pas lui qui exige, s’il ne fait que révéler ce qu’exige de nous notre engagement dans l’analyse, c’est-à-dire la totalité de notre existence. Il précise. « Pour tout dire, ceux qui ne se sentiraient pas en eux-mêmes le sens de cette tâche, je ne vois pas pourquoi ils resteraient attachés à notre groupe, pourquoi ils n’iraient pas se joindre à toute espèce d’autre forme de bureaucratie !… » Alors il faudrait développer, ça peut être l’objet d’un exposé, le contexte historique de ce séminaire…

M.-Ch. Laznik — Tout à fait.

M. Darmon — … et la constitution de ce groupe dont parle Lacan. Alors il choisit donc de commenter les Écrits techniques de Freud. C’est un choix, je pense que ça venait de sortir aux Presses Universitaires de France, ce qui rendait l’accès facile parce qu’il faut dire que c’est une époque où l’accès aux textes n’était pas aussi facile que pour nous, loin de là. Alors je ne sais pas quels sont les effets de cette facilité. Pour nos amis qui sont là et qui avaient des difficultés pour trouver les séminaires de Lacan, ça n’allait pas sans un certain désir cette difficulté, ne serait-ce que pour se documenter. Donc les Écrits techniques rassemblent des textes, comme vous le savez, entre 1904 et 1919, donc une quinzaine d’années charnières dans l’œuvre de Freud et juste précédant ce qu’on a appelé la deuxième topique. Mais les Écrits techniques ne se réduisent pas à cet assemblage de textes puisque, dit Lacan, tous les écrits de Freud sont des écrits techniques, c’est-à-dire qu’il est question de techniques dans la plupart des écrits de Freud. Il cite dès les Études sur l’hystérie, évidemment, et jusque dans les derniers textes. Alors c’est très difficile de citer un texte où il n’est pas question de techniques. J’avais pensé à Moïse et le monothéisme mais Marie-Christine m’a dit « c’est justement une construction ». C’est ça que tu m’as dit ?

M.-Ch. Laznik — À propos de Moïse et le monothéisme ?

M. Darmon — Oui.

M.Ch. Laznik — Je ne savais pas que je t’avais parlé de Moïse et le monothéisme.

M. Darmon — C’est moi qui t’en ai parlé.

Bernard Vandermersch — Et comment s’occupe ton égyptien ?

Intervenante Ben quand même, La névrose obsessionnelle.

M. Darmon — Oui mais technique. C’est une construction.

H. Ricard — Comment il travaille dans Moïse ?

Intervenante — Par rapport à la névrose obsessionnelle.

M.-Ch. Laznik — Mais je crois que tu as raison. Il y a des textes plus de psychanalyse appliquée ou des textes plus larges, il y a des textes qui sont les Cinq cas et ceux-là c’est très précisément lié à la cure, ce n’est ni Massenpsychologie ni Moïse, ni des choses comme ça et ce n’est pas des cas.

M. Darmon — Oui, mais il parle de ce qu’il appelle ici La science des rêves, la Traumdeutung…

M.-Ch. Laznik — Elle a une partie qui est technique aussi.

M. Darmon — … est riche en remarques techniques.

M. Ch. Laznik — Tout à fait.

M. Darmon — Alors il nous dit aussi quelque chose d’intéressant dans ces premières leçons, il nous dit quelque chose d’intéressant qui m’échappe.

B. Vandermersch Comment tu le sais alors ?

H. Ricard — Il le sait sans le savoir.

B. Vandermersch — Ah ! C’est un phénomène de l’inconscient.

M. Darmon — Mais oui.

B. Vandermersch — Formation de l’inconscient. Par soustraction.

M. Darmon — Oui, voilà. Il nous dit que Freud, sur la technique de Freud, comment savoir la technique de Freud. On ne disposait pas, par exemple, du Journal sur l’Homme aux rats à l’époque, donc on peut se faire une idée de la technique de Freud à travers ses cas, à travers ses remarques techniques, etc. Mais il nous dit quelque chose de très intéressant, c’est qu’il n’y a pas de dissociation entre la technique de Freud, la construction de cette technique et la découverte singulière de ce champ, c’est-à-dire qu’il n’y a pas de technique de la psychanalyse avant cette avancée qui se fait pas à pas en même temps que la découverte. Donc position singulière de Freud, du sujet Freud. Puisque après Freud, les autres ne pourront que reprendre la technique, c’est-à-dire que Freud avait cette position tout à fait singulière d’être celui qui découvrait et celui qui inventait la technique en même temps. Mais Lacan insiste pour dire que Freud n’instituait pas sa technique comme des règles d’or. Sa technique, dit-il, est faite pour lui, c’est comme un instrument, dit-il, à sa main, il conçoit que d’autres peuvent avoir un autre instrument plus adapté à leur main.

B. Vandermersch — Encore qu’il ne l’encourage pas tellement quand on regarde le texte.

Mary le Caïnec — Il dit au contraire que les autres pourraient s’en servir aussi.

B. Vandermersch — Si quelqu’un de très différent de moi… hein ! C’est… Bon.

M. Darmon — Oui mais c’était important pour Lacan.

H. Ricard — Oui mais les autres finalement, ils ont dit « moi !, moi !, moi ! ». Ça je reprends Melman au début des Études sur l’hystérie, alors que Freud, comme vous dites il y avait, à la fois, cet ancrage subjectif, mais la découverte, c’est-à-dire : du savoir émergeait.

M. Darmon — Oui, ça ne pouvait venir qu’en second, mais il y a cette remarque sur l’instrument fait à sa main. Donc sans doute Lacan s’est-il appuyé sur cette remarque pour s’accorder une certaine liberté dans l’instrument technique.

B. Vandermersch -— C’est-à-dire qu’il est arrivé que les gens avaient tellement de divergences théoriques qu’ils ne tenaient plus que par le protocole technique. Il n’y avait plus que ça qui faisait consensus : trois quart d’heure, etc., payer les séances.

M. Darmon — Voilà, c’est ça, il y avait les règles techniques et puis le langage freudien.

B. Vandermersch — Quelques concepts…

M. Darmon — Quelques concepts, avec une grande diversité de l’interprétation de ces concepts. Alors quelle est notre situation aujourd’hui par rapport à ça ? Qu’est-ce que nous faisons ? Il y a plusieurs remarques à ce propos dans ces trois premières leçons chez Lacan.

Il dit en quelque sorte entre ce que nous faisons et ce que nous disons de ce que nous faisons théoriquement il y a un monde. Et pourtant il y a une grande distance entre ce que l’on pratique et ce que l’on dit théoriquement de notre pratique. Même chez Freud où cette distance est la plus réduite. Mais par contre ce que nous pensons théoriquement peu ou prou influence notre pratique, c’est-à-dire il y a les deux versants. Alors il y a un beau passage que je voudrais vous lire, page 16, sur ces Écrits techniques :

« Si nous considérons que nous sommes ici pour nous pencher avec admiration sur les textes de Freud et nous en émerveiller, évidemment nous aurons toute satisfaction. Ces écrits sont d’une fraîcheur, d’une vivacité qui ne manque jamais de produire le même effet que tous les autres écrits de Freud. La personnalité s’y découvre d’une façon parfois tellement directe qu’on ne peut pas manquer de l’y retrouver, comme dans tel ou tel des meilleurs moments que nous avons déjà rencontrés dans les textes que nous avons commentés. La simplicité, les raisons, la motivation des rêves qu’il nous donne, la franchise du ton, enfin, est déjà à soi toute seule une sorte de leçon. L’aisance avec laquelle sont traitées toutes les questions des règles pratiques à observer est une chose à laquelle il ne serait jamais mauvais de se référer pour nous faire voir combien pour Freud il s’agissait là d’un instrument, au sens où on dit qu’on a un marteau bien en main ; il dit « bien en main pour moi ; mais ce que je vous dis là, c’est parce que c’est moi, comme ça que j’ai l’habitude de le tenir. Mais d’autres peut-être préféreraient un instrument un tout petit peu différent plus à leur main. » »

Voilà et en effet pour préparer en particulier le séminaire d’hiver, j’ai relu ces Écrits techniques et on ne peut manquer d’être saisi par cette fraîcheur dont parle Lacan, on s’y retrouve dans ces Écrits techniques, on retrouve les difficultés, les situations, [tout cela] décrit avec finesse et intelligence.

Alors quel était le contexte à l’époque ? Eh bien, les théories à la mode c’était la relation d’objet, avec Bouvet, et c’était le contre transfert, c’est-à-dire l’accent mis sur le contre transfert et la situation analytique telle qu’elle se présentait sur le champ. Lacan dit que cette importance du contre transfert, l’accent mis sur le contre transfert est une bonne chose. Il parle de la two bodies’ psychology de Balint, two bodies, c’est-à-dire qu’on ne s’intéresse plus à ce qui se passe façon intra-personnelle mais on considère la situation des deux êtres en présence. Alors il dit c’est très bien, mais ce n’est pas suffisant, c’est-à-dire il y a un troisième pôle qui est constitué par le langage. On voit se profiler le dispositif optique où la relation duelle est compliquée par la référence au tiers symbolique.

Autre axe qu’on peut dégager dans ces premières leçons, c’est la référence de Freud à l’histoire, il conçoit une psychanalyse complète que si on a restitué toute l’histoire du sujet et la tâche d’une psychanalyse donc, c’est de reconstituer, dans un premier temps, dit-il, de reconstituer le passé. Freud n’a jamais lâché cette exigence, c’est-à-dire quand c’est impossible de reconstituer le passé, on le reconstruit et c’est là où cette exigence est, pourrait-on dire atténuée, transformée puisque ce qui a de la valeur c’est non pas revivre le passé, c’est non pas éprouver, comme ça, dans une sorte de transe les souvenirs, par exemple d’un trauma, mais dit-il, « que le sujet [revive], se remémore au sens intuitif du mot, les événements formateurs de son existence, n’est pas en soi-même tellement important » (p. 21). Donc il s’agit plutôt donc d’une reconstruction, d’une réécriture, il s’agit « moins de se souvenir que de réécrire l’histoire ».

B. Vandermersch — C’est un peu contre Ferenczi aussi et Rank qui disaient que contrairement à Freud il fallait se remémorer et non pas revivre. Puisque Freud disait même que c’était une résistance que de revivre dans la cure, qu’il fallait se remémorer. Il disait, en gros, que si on ne revivait pas dans la cure, il se passait rien. Mais là c’est surtout, il me semble, que Lacan insiste sur le sens que Freud rappelle toujours, il faut retrouver le sens par opposition à l’analyse des résistances dans laquelle s’enlisaient un peu les contemporains.

M. Darmon — Oui, justement on va venir à cette histoire de résistance. Alors Lacan à la fin de la deuxième leçon demande à Anzieu et à Mannoni de repérer dans les Écrits techniques tout ce qui concerne les résistances. Donc ils ont une semaine pour le faire.

M.-Ch. Laznik — C’était des journées de 18 heures par jour pour bosser pour lui, ce n’était pas une ou deux heures quand on a du temps !

B. Vandermersch — Oui, mais il y avait moins de chaînes de télévision ! (Rires).

M. Darmon — Oui, il y a une remarque très amusante dans le séminaire, c’est « Mannoni ne partez pas ! Vous allez faire… », d’ailleurs il l’avertit, « quand je vous demanderai de faire un travail, ne me racontez pas que vous avez autre chose à faire. » Et alors effectivement, Mannoni, présente dans la troisième leçon le résultat de sa recherche et Anzieu…

Alors Mannoni présente les résistances du point de vue géographique dit-il, c’est-à-dire sans tenir compte de l’aspect chronologique, mais il va décrire des résistances dans différents textes. C’est très étrange cette histoire de résistance chez Freud, puisqu’on peut dire qu’il y a des résistances propres à l’inconscient, c’est-à-dire plus on approche du noyau traumatique, là je parle des Études sur l’hystérie, plus les résistances augmentent, des résistances propres à l’inconscient. Il y a des résistances liées au transfert, il y a même des formules telles que « le transfert c’est la résistance ». Alors c’est intéressant parce que le transfert c’est aussi le moteur, le moteur de l’analyse. C’est à la fois ce qui permet de vaincre les résistances et c’est la résistance.

« Il ne faut pas croire, dit-il, (Mannoni, là), que ça concerne uniquement le transfert négatif » (M.-Ch. Laznik – bien sûr !), c’est-à-dire le transfert positif est une forte résistance. Mais « le Moi aussi, lui-même est une résistance ». Alors vous voyez l’inconscient, le Moi, et on trouve des formules telles que « le père est une résistance ».

V. Hasenbalg — C’est Anzieu qui le dit, non ?

Valentin Nusinovici — C’est Mannoni qui dit que Freud le dit, je ne sais pas où il l’a lu ?

T. Pitavy — ­­­­­Page 35.

V. Nusinovici C’est Mannoni qui dit que brusquement Freud s’interrompt dans un développement pour dire tout d’un coup « la résistance, [mais] c’est le père ! » Et Mannoni là il est en train de lire la leçon je ne sais plus combien des conférences d’Introduction, alors voyez, j’ai feuilleté un peu vite mais je n’ai pas trouvé le passage, mais j’ai peut-être pas lu assez attentivement, si c’est dans cette leçon qu’il arrive, par exemple sur l’Œdipe, ou sur je ne sais pas quoi, je l’ai lu en travers, un peu rapidement. Enfin apparemment ça devrait être là dans cette leçon… en suivant le plan de Mannoni.

M. Darmon — Oui, sur l’indication de Lacan il l’a inclus dans sa lecture,

V. Nusinovici — On voit très bien ! Au début de sa lecture à Mannoni, il y a L’analyse sans fin, après il y a L’introduction à la psychanalyse et puis après il y aura le Clivage du moi. On peut suivre son…

M. Darmon — Oui, ça couvre toute…

V. Hasenbalg C’est postérieur, après la deuxième topique.

V. Nusinovici — Oui, il ne tient pas compte de l’histoire, c’est intéressant. M. Darmon — Effectivement, ça résiste de tous les côtés. Et puis il oppose une conception, il combine une conception intrapersonnelle à transpersonnelle. C’est-à-dire en quelque sorte ce qui concerne l’intrapsychique est mis en acte dans l’extrapersonnel. C’est-à-dire la résistance, il part de l’idée de la résistance, comme résistance dans la communication entre deux personnes. Et cela débouche sur une conception phénoménologique que Lacan pointe comme telle.

Alors Anzieu, lui, s’est intéressé aux Études sur l’hystérie et au passage de l’hypnose à la psychanalyse. Alors on peut dire qu’entre l’hypnose et la psychanalyse, c’est justement la question des résistances qui apparaît, puisqu’en quelque sorte, dans l’hypnose il y a un refoulement des résistances. Or, les résistances contiennent toutes la névrose, c’est-à-dire qu’il est nécessaire de s’intéresser aux résistances comme objets, puisque tout est là. Alors il y a deux passages intéressants. Il y a un passage intéressant chez Mannoni, c’est quand il compare la lutte contre les résistances à la façon dont Protée et Ménélas se sont mesurés. Vous savez que Ménélas voulait obtenir de Protée des renseignements sur l’avenir puisque Protée avait ce don de clairvoyance, il pouvait dire l’avenir. Mais c’était très difficile d’obtenir de lui l’exercice de ce don, puisqu’il fallait le capturer pour le faire parler. Or c’était très difficile de le capturer parce qu’il pouvait changer de forme.

B. Vandermersch — Il était protéiforme !

M. Darmon — Il était protéiforme… (rires). Donc il pouvait prendre la forme d’un lion, d’un serpent, de l’eau, d’un arbre et Mannoni compare la résistance…

V. Nusinovici — C’est chez Freud.

M. Darmon — C’est chez Freud, oui-oui, il rappelle cette histoire. Freud rapproche la résistance de ces procédés. Pour Protée, c’est-à-dire simuler la guérison ou simuler l’imbécillité complète : « Il semble que l’analyste, dit-il, n’ait le choix qu’entre deux tactiques : ou agir comme Ménélas, appliquer les conseils de la nymphe, c’est-à-dire tenir ferme et Freud préconise ce moyen, accepter le défi, tenir tête, affirmer sans relâche qu’il s’agit d’une résistance, s’encourager lui-même ; l’autre moyen, c’est de faire que cette résistance soit remplacée chez le sujet par la bonne volonté, c’est-à-dire, on pourrait le croire, profiter du transfert positif. Une telle bonne volonté est quelque chose de tellement utile que Freud conseille de ne jamais toucher au transfert aussi longtemps qu’il ne s’est pas changé en résistance ».

M.-Ch. Laznik — Conseil que Lacan a largement suivi dans ses séances en tant qu’analyste. Il n’y touchait pas. Par contre dès que ça faisait résistance du côté du transfert négatif, il se donnait un mal de chien pour liquider ça ! Je l’ai vu s’excuser – et mes collègues de l’époque aussi – platement pour défaire un transfert négatif qui pouvait venir s’inscrire comme ça. C’était très précieux pour lui que le transfert positif reste…, ce que tu viens de lire, il se l’est appliqué à lui jusqu’au bout.

M. Darmon — Je cherche un passage…

B. Vandermersch — Enfin ce n’est pas tout à fait ce qu’il dit là quand même, Marie-Christine, parce qu’il dit « il ne faut pas y toucher », alors que lui il y touchait quand même Lacan justement.

M.-Ch. Laznik — Il ne l’interprétait jamais. Attention. Le toucher de l’époque…, on est dans un monde où on interprète le transfert. Je crois que ne pas y toucher c’est ne pas l’interpréter. Il l’utilise, il ne l’interprète pas.

V. Nusinovici — Il dit qu’il était ininterprétable, qu’on ne pouvait interpréter que la répétition, pas le transfert.

M.-Ch. Laznik — Mais tout ce monde interprétait le transfert à tire-larigot.

V. Nusinovici — Oui, mais c’est une découverte de Lacan.

M.-Ch. Laznik — Vous me dites ça parce que vous souhaitez que votre analyste dise ci ou ça ! Ça se fait encore dans les Écoles anglaises et ça se faisait énormément. Lacan jamais. Il n’y touchait pas. Sauf si ça tournait au vinaigre. Alors là il faisait n’importe quoi, il était capable de dire « Très cher, je suis marri », j’adore ces vieux mots sortis de la nuit des temps. « Vous m’en voyez marri ! » Et il n’y avait pas qu’avec moi… Que ça soit Winter, moi, toute la bande, on avait droit à des termes comme ça.

B. Vandermersch — Même avec les hommes ? Même avec les hommes il était marri !

M.-Ch. Laznik — Même avec les hommes. Winter, dans le livre sur la pratique de Lacan que Safouan avait publié, ce que, lui, a souhaité raconter sur la technique de Lacan, c’est un truc où Lacan s’est trompé, il est très en colère et Lacan va demander des excuses. Et ça c’est très Lacan. Il n’était pas question en aucun cas qu’il laisse fructifier un transfert négatif, parce qu’à ce moment-là pour lui ça servait comme résistance.

V. Nusinovici — Mais alors là on peut rappeler, tu l’as dit, mais la phrase même, dans Le début du traitement (2), là où le transfert est pris positivement, « le nom de psychanalyse ne s’applique qu’aux procédés où l’intensité du transfert est utilisée contre les résistances ». Ça coiffe même le fait que le transfert peut être une résistance mais voilà la définition de la psychanalyse c’est ça : « des procédés où l’intensité du transfert est utilisée contre les résistances ».

M.-Ch. Laznik — Dans un des derniers séminaires, je ne sais plus si vous l’avez trouvé par écrit mais je le vois le disant… il dit : « mes analysants font des progrès parce qu’ils m’aiment ».

M. Darmon — Oui. Mais Freud dit aussi que le transfert positif…

M.-Ch. Laznik — … peut servir de résistance.

M. Darmon — … est une résistance.

V. Nusinovici — Oui, bien sûr, il y a les deux versants, mais peut-être que c’est ça qui l’emporte finalement.

M.-Ch. Laznik — Oui mais c’est une autre chose, c’est qu’au milieu… ils en discutent entre eux, là dans leur cénacle, que l’analysant est en train de parler de quelque chose de son histoire, etc., tout d’un coup il s’arrête, il prend conscience de la présence de l’analyste et il se met à dire : vous pensez de moi…, ou vous allez dire que…, ou je pense que vous imaginez que… et ça, ça sert de résistance. Tout d’un coup l’analyste en tant que tel est repris en compte massivement comme ça.

Intervenante — La dénégation.

M. Darmon — Oui, alors à ce propos il y a…

M.-Ch. Laznik — Ça, je me demande si ce n’est pas dès le début qu’il se raconte une histoire comme ça ?

V. Nusinovici — Si, vous avez raison, leçon IV, juste après.

M. Darmon — Alors il y a un passage d’Anzieu, justement sur les diverses formes de résistances, il y en a quatre ou cinq indiquées par Freud, dès Les Études sur l’hystérie

V. Nusinovici — Il cite une page des Études (3) là.

M. Darmon — « — Les diverses formes de résistances, il y en a quatre ou cinq indiquées par Freud :

– le patient dit « Je croyais qu’une idée me viendrait, j’avais confiance en vous, mais je suis seulement anxieux, et rien ne me vient » ;

– ou encore, le manquement à la règle fondamentale : quelque chose lui serait venu à l’esprit, mais il ne le dit pas, car il le juge sans importance ou désagréable ;

– ou encore il utilise un subterfuge qui cache la résistance : « Je suis distrait par le piano qui joue dans la pièce à côté ; je ne peux penser qu’à ça »;

– ou encore il se met à parler longuement, mais parler sans émotion, et il parle d’une façon artificielle ; donc la résistance la plus subtile ;

– ou encore, la plus difficile des résistances, le patient se remémore bien le fameux souvenir pathogène, mais il le désavoue : « ce n’est pas moi qui m’en souviens, c’est comme si c’était vous, docteur, qui le disiez » ; ou encore « vous vous attendiez à ce que je le dise, et je le dis parce que vous vous y attendiez » ; « vous aviez sûrement pensé que j’allais y penser »;

– ou encore, une dernière résistance, alors l’ultime, qu’il indique dans un autre passage, c’est que ce souvenir n’est pas du tout reconnu comme souvenir ; c’est une impression vague, diffuse, imprécise, qui ne permet pas d’être rattachée à une scène, c’est le maximum d’une résistance. L’on comprend que Freud ait toujours cherché à reconstruire cette résistance dans ce qu’elle avait de plus subtil. »

Bon, dans le travail d’Anzieu sur Les Études sur l’hystérie, Anzieu remarque que ces résistances traversent des strates et que Freud évoque la métaphore des archives bien rangées. Et Lacan remarque, enfin développe cette métaphore de Freud pour l’opposer à une conception qui serait neurologique, c’est-à-dire que cette métaphore des archives, des liasses, est propre à traduire la matérialisation de la parole, non pas la matérialisation mythique des neurologistes mais les matérialisations concrètes où la parole se met à couler dans du feuillet manuscrit imprimé.

« Il y a quelque chose, dit Lacan, qui ne peut pas manquer de frapper. Même la métaphore avec la page blanche, le palimpseste, vient aussi à son tour, et est venue à la plume de plus d’un analyste ».

Il reste dix minutes pour discuter.

M.-Ch. Laznik — Est-ce que c’est dans cette leçon-là qu’Anzieu raconte qu’il a lu dans Freud que dans des moments de grande résistance Freud mettait la main sur le front de son patient. Et Lacan est très surpris, il dit mais où est-ce que vous avez lu ça ?

M. Darmon — Non, Lacan n’est pas surpris pour ça. C’est parce que Anzieu décrit le passage entre l’insistance verbale pour vaincre la résistance et l’imposition des mains et là, Lacan conteste l’ordre des…

M.-Ch. Laznik — Ah bon ! Moi, j’ai compris qu’il n’avait pas vu l’imposition des mains. D’accord.

M. Darmon — Non, non, parce que Lacan reprend le cas de Lucy R… C’est très amusant comme observation Lucy. Lucy (prononcé avec l’accent anglais), parce que c’était une gouvernante anglaise qui était employée par un directeur d’usine pour élever ses deux filles, la mère étant morte peu de temps avant. La mère avait confié les deux filles à Lucy. Et certainement c’est une patiente qui a dû lui être adressée par Fliess, puisqu’elle avait des problèmes de rhinite, accompagnés d’hallucinations olfactives. Voilà, donc elle arrive chez Freud comme ça… et c’est à propos de Lucy qu’il passe de l’hypnose à l’analyse proprement dite, puisqu’il n’essaie même plus de l’hypnotiser, mais il met la main sur les deux côtés du front et lui demande de se concentrer. Et la résistance est levée lorsqu’il écarte les mains. Et donc Lucy retrouve ses souvenirs, en résistant pas mal quand même. Il lui demande quelle est l’odeur ? — C’est une odeur d’entremets brûlé. — À quelle occasion ? — Eh bien, je venais de recevoir une lettre de ma mère et les enfants m’ont dit « c’est bientôt ton anniversaire », ils m’ont piqué la lettre. Et dans le jeu comme ça ils ont laissé brûler l’entremets. Au fond, Freud dit : « Est-ce qu’on va avoir une amélioration après cette retrouvaille de souvenir ? Eh bien, pas du tout ! L’hallucination olfactive se révèle prendre l’aspect d’odeur de cigares.

V. Nusinovici — Il dit : « cette odeur devait exister auparavant mais elle avait été dissimulée par celle de l’entremets brûlé ».

M. Darmon — Oui !… c’est-à-dire que celle de l’entremets brûlé est venue comme une couche superposée. Alors bon, je vous la fais courte ! Freud se lance, il dit ce n’est pas possible : « Vous étiez amoureuse du patron ! », et Lucy reconnaît qu’elle était amoureuse du directeur d’usine, son patron, mais qu’il y a eu divers événements qui se sont mis en travers. En particulier un dîner où un comptable, un vieux comptable, a voulu embrasser les filles et le père a dit « Non, on ne les embrasse pas ! » Et, autre souvenir : une visite encore d’une dame qui embrassait les filles sur la bouche. Et le père s’en est pris à Lucy. Il lui a dit : « Si vous voulez continuer à travailler chez moi, il ne faut pas que ce genre de choses se reproduise ». Voilà. Et à partir de là, elle fut guérie.

Valentin, je n’ai rien oublié ?

V. Nusinovici — Non, tu as très bien raconté. Mais c’est exquis partout. Pour dire, au point où tu en es, il lui dit : — « Continuez-vous à aimer le directeur ? » — Certainement, je l’aime, mais cela ne me fait plus rien. On est libre de penser et de sentir ce qu’on veut. » (Rires). À l’époque, pour le cigare, il ne le prend pas « transférentiellement », comme il le prendra avec Dora, il ne le prend pas « transférentiellement ».

B. Vandermersch — Il fumait peut-être le cigare aussi le patron ?

M. Darmon — Ils fumaient tous le cigare.

V. Nusinovici — Oui mais enfin bon, bien sûr qu’on est obligé de le situer « transférentiellement » aussi !

Oui, c’est merveilleux, absolument merveilleux.

M. Darmon — Bon, est-ce qu’il y a d’autres remarques ou questions ?

B. Vandermersch — Il faut relire les Studien über Hysterie… les Études

M. Darmon — Merci.

Transcription : Danielle Bazilier-Richardot, Elisabeth Olla-La Selve,
Dominique Foisnet-Latour, Monique de Lagontrie
Relecture : Élisabeth Olla La Selve, Monique de Lagontrie.
Notes :

1. Bulletin de l’Association Freudienne, n°1, novembre 1982

2. S. Freud, in La technique psychanalytique, 2004, PUF, p. 103.

3. S. Freud, Études sur l’hystérie, PUF, 2002, p. 225.