SÉMINAIRE DE PRÉPARATION AU SÉMINAIRE D'ÉTÉ 2022 : L'ANGOISSE - LEÇON 3
22 février 2022

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BROUWER DE Didier
Séminaire d'été
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Association lacanienne Internationale

Préparation au Séminaire d’Été 2022 – Étude du séminaire X de Jacques Lacan, L’Angoisse

Mardi 19 octobre 2021
Leçon 3 présentée par Didier de Brouwer
Discutant : Valentin Nusinovici
Transcription

 

Pierre-Christophe Cathelineau – Les nouvelles règles que nous nous sommes données pour ces soirées. L’idée c’est que chaque intervenant fait son intervention en un quart d’heure, en insistant sur les points saillants du texte et que chaque intervenant discute l’autre intervenant. Je ne serai qu’un président de séance qui dirai le temps qui passe et qui distribuera autant que faire se peut la parole. Je dis ça parce que la dernière fois la parole n’a pas vraiment circulé et donc je sollicite à l’avance tous ceux qui ont des questions, puissent-elles leur paraître naïves ou trop simples, je sollicite tous ceux qui ont des questions de les poser et de les poser en ligne si c’est possible, comme on le faisait autrefois, l’année dernière. N’ayez crainte, on voudrait essayer autant que faire se peut de dynamiser ce séminaire et de faire en sorte que ce ne soient pas que les organisateurs du séminaire qui prennent la parole mais que plusieurs personnes issues des assistants à ce séminaire puissent prendre la parole et discuter le séminaire. Voilà à peu près le cadre dans lequel nous travaillons. Didier de Brouwer, je vous passe la parole pour l’explication de la leçon III.

Didier de Brouwer ­­­– Merci, je vais essayer d’être le plus exhaustif possible et précis par rapport à cette leçon III.

Lacan commence la leçon par la nécessité dans laquelle il se trouverait de répondre à une question qui lui est posée : « on me presse d’en dire plus sur ce qu’on désigne comme un dépassement à accomplir », nous dit-il. En fait on trouve qu’il y a un hiatus entre l’identification telle qu’elle est présentée dans le stade du miroir et puis toute la théorie du signifiant qu’il nous a développée par après. Au fond c’est vraiment deux dimensions hétérogènes qu’il s’agit de mettre ensemble ou en tous cas d’interroger dans le hiatus que cela comporte. L’idée n’est évidemment pas du tout de réduire ce hiatus et Lacan précise bien entendu que cet écart, il s’agit plutôt d’en faire quelque chose c’est-à-dire que c’est dans ce lieu même de coupure que va s’inscrire progressivement l’objet a que Lacan fait valoir et au fond en faisant valoir l’apparition de l’objet a dans ce hiatus entre, on pourrait dire la dimension imaginaire présente dans le stade du miroir et la dimension symbolique de par la logique du signifiant, c’est toute la question du réel au fond qui va surgir à travers cette place de plus en plus importante que Lacan va donner à son objet a.

Alors il nous dit que ce message a été reçu déjà très difficilement dans des temps plus anciens puisqu’il parle déjà, il nous explique que déjà dans les « Propos sur la causalité psychique » de 1946, la question de l’imago était déjà largement débattue ; enfin c’était débattu à travers la question de l’imago freudienne qui est au fond, qu’est-ce que l’imago ? Une survivance imaginaire de relation à tel ou tel personnage. Imago, il ne parle plus tellement de ce terme qui est essentiellement dans la théorie freudienne.

Alors il est intéressant de relever que cette leçon aussi s’inscrit en réaction, en développement par rapport à un travail d’André Green auquel je n’ai pas eu accès mais qui est un travail très attendu par Lacan sur la question de la parade chez les animaux et qui s’inscrit probablement dans un débat ou en tous cas une discussion avec Lévi-Strauss à l’époque où il avait écrit La pensée sauvage. Je trouvais intéressant de ramener quand même que cette discussion s’inscrit aussi bien dans un débat avec un anthropologue comme Lévi-Strauss qu’avec un philosophe très en vogue à l’époque et très écouté, j’en parlerai plus tard, qui est Jean-Paul Sartre.

C’est bien dans ce hiatus aussi entre ces deux positions que Lacan va s’inscrire. Alors contrairement à Lévi-Strauss, Lacan ne fait pas le constat qu’il y a le monde, le monde qui est donné. Mais de ce que la découverte freudienne a frayé, ce monde c’est monté sur une scène que nous le faisons entrer et de ce qu’il y est entré en redescendent des sédiments, on pourrait dire, qui vont à leur tour reformuler le donné originaire du monde, qui est un donné mythique pour Lacan ; qui est un donné mythique aussi quelque part pour Lévi-Strauss puisque « ce que la culture nous véhicule comme étant le monde [qui] est  un empilement, un magasin d’épaves, de mondes qui se sont succédés », il n’y a pas de  Cosmisme à priori de l’objet.

Lévi-Strauss reprend lui-même dans sa discussion avec Sartre, vous savez qu’il y a un chapitre important de La pensée sauvage, qui est le chapitre IX, c’est d’ailleurs mis en commentaire dans le séminaire, qui comporte une discussion et une confrontation, un véritable disputatio entre Lévi-Strauss qui conteste l’opposition très nette que Sartre fait entre la raison analytique qui incomberait à la seule anthropologie et la raison dialectique valorisant l’Histoire avec un grand H, dialectique qui s’inscrit dans la pensée hégélienne, on pourrait dire, reprise par Marx et influençant grandement Sartre, seule à même au fond de faire advenir une vérité quelque part. C’est ce contre quoi Lévi-Strauss s’inscrit en faux, on pourrait dire. Lévi-Strauss nous dit dans La pensée sauvage, et en cela il est d’accord avec Lacan, on pourrait dire, « les super structures sont des actes manqués qui ont socialement réussi ». Je trouvais que la phrase valait la peine d’être citée. Actes manqués qui ont socialement réussi, je pense que ça fait parfaitement écho à ce que Lacan vient de dire que « le monde est un empilement, un magasin d’épaves de mondes qui se sont succédés ».

Alors hiatus, il y a d’ailleurs un schéma ici [fig. III-2] dans ce chapitre qui montre très clairement que Lacan va s’inscrire dans un écart, on pourrait dire, dans un hiatus ; hiatus, c’est une action d’ouvrir, en latin, de désirer avidement aussi un objet du désir ; je trouvais intéressant de relever qu’il y a deux traductions dans hiatus en latin, c’est-à-dire non seulement l’action d’ouvrir, une action très forte d’ouvrir et en même temps c’est aussi désirer ardemment. Et c’est donc entre deux démarches, qui est celle de la démarche du Cosmisme attribuée à Lévi-Strauss, c’est-à-dire il y a le monde et les structures que l’ethnologue va retrouver dans la manière dont les sociétés dites sauvages s’organisent, peuvent aboutir à déterminer, à trouver des lois qui sont inscrites dans la matière elle-même si pas dans le cerveau, et quelque part c’est ça le Cosmisme de l’objet, l’objet s’inscrit dans un tout dont on accepte l’hypothèse d’emblée, sans contestation. Ce contre quoi Lacan s’inscrit en faux. Alors que la démarche pathétique comme on le voit dans ce schéma, c’est le schéma de la figure III-2 qui est p. 53 dans mon édition et vous voyez que le chemin que va emprunter Lacan se situe entre le Cosmisme et le pathétisme, et que c’est bien à travers une praxis analytique, c’est-à-dire l’acte analytique, que quelque chose d’un objet complètement résorbé et éludé dans le Cosmisme et peut-être envahissant dans le pathétisme, c’est le seul chemin possible pour Lacan pour venir nous parler de cette véritable question que fait surgir l’angoisse dans le rapport à l’identification et dans le rapport au désir. C’est une voie moyenne donc qui est indiquée par une flèche vers cet objet qui est celui de l’angoisse.

Le développement suivant, je pense que c’est très fondamental, par quelle voie Lacan va-t-il aborder cette voie moyenne ? Alors J’ai parlé de la scène sur la scène, et il va faire référence au Hamlet de Shakespeare et reprendre ce qu’il a développé dans le séminaire VI sur Le désir et son interprétation. Alors il y a un moment tout à fait clé, je pense qu’on ne peut pas ne pas le développer ici, qui va conjoindre, justement pas conjoindre mais en tous cas montrer l’importance des deux axes qui nous sont présentés dans le schéma optique que Lacan reprend c’est-à-dire la ligne rouge en pointillés et la ligne noire en pointillés dans la figure III-4 et ce moment qui est tout à fait fondamental reprend évidemment la scène dans la scène où Hamlet a engagé une troupe d’acteurs qui vont mimer l’assassinat de son père le roi. Lacan nous fait remarquer deux choses. D’abord l’acteur qui va jouer le meurtre du roi est dans un rapport de doublure à Hamlet. Pourquoi doublure ? Parce que le personnage qui entre en scène et qui verse le poison dans l’oreille de ce roi de comédie s’appelle Lucianus, il est dans une position homologue dans la mesure où il est neveu du roi de comédie comme Hamlet se trouve neveu du roi félon. Il y a d’autre part, nous dit Lacan, comme détermination pour lever l’inhibition de Hamlet et enfin arriver à venger son père, il faut qu’il s’identifie, nous dit-il, à l’âme furieuse d’Ophélie. Au fond, Ophélie s’est suicidée, on pourrait dire, comme offerte aux mânes de son père, Claudius, cyniquement occis par Hamlet dans la scène du rideau. Il y a, nous dit Lacan, identification à l’objet du deuil, et cet objet est l’objet du désir comme tel, d’un désir que Hamlet méconnaît. Alors ça c’est évidemment un terme essentiel que cette question de la méconnaissance.

Le dernier point que je voudrais aborder parce que le temps passe déjà très vite, c’est deux points, la question de l’identification à l’objet du deuil et le rapport homologique de doublure. C’est-à-dire que quelque chose de la méconnaissance, si je puis dire, par rapport à son désir ne peut être franchi chez Hamlet qu’en gagnant sur l’image narcissique quelque part, c’est-à-dire cette confrontation à une doublure, on pourrait dire, doublure qui se trouve chez Lucianus et doublure qui se trouve en face de lui aussi dans la scène du cimetière avec Laërte qui est le frère d’Ophélie et avec lequel il y a une contestation de l’intensité du deuil que le frère vivrait par rapport au deuil que Hamlet réalise tout à coup par rapport à Ophélie.

Alors le dernier point que je voulais déplacer, déplacer non, que je voulais discuter, c’est évidemment ce schéma qui se trouve à la figure III-3 qui est assez particulier, le schéma je l’appelle en bosse de chameau, il y a une sorte de bosse de chameau et au fond que se passe-t-il dans ce schéma ? Tout l’investissement libidinal ne passe pas par l’image spéculaire, il y a un reste, nous dit Lacan. Alors je me suis beaucoup interrogé sur la raison de cette bosse de chameau et au fond la seule chose que j’ai trouvée c’est qu’à mon avis, ça correspond quelque part à l’éminence phallique, on pourrait dire, éminence phallique qui est évidemment l’image… le phallus ne peut s’inscrire qu’en creux, nous dit Lacan, c’est « une réserve opératoire », mais il est coupé de l’image spéculaire en tant que telle. On le voit bien évidemment dans ce schéma mais on ne peut pas dire que ce n’est pas uniquement le phallus qui est en cause ici mais qu’il y a quelque chose d’autre et qui comporte cet objet a.

Pourquoi, nous dit-il, cet objet a ? Il s’appuie au fond sur ce qu’il a déjà démontré dans ce qu’il appelle un trans-espace qui n’est plus l’espace de l’optique mais qui est l’espace de la topologie et dans ce qu’il a très bien décrit dans le séminaire que nous avons étudié l’année dernière (séminaire IX, L’identification) et qui est la découpe du cross-cap.

Dans la découpe du cross-cap, on avait vu qu’on avait la bande de Mœbius plus cet objet particulier qui va incarner l’objet a et qui est ce reste. Alors c’est bien à la place de l’unheimlich que Lacan vient d’inscrire cette place d’un réel, celui de l’objet a et c’est en s’appuyant sur ce trans-espace de la topologie qui mêle intuition et logique qu’il a construit toute la dialectique du sujet. Au fond, il fait partir une dialectique qui s’appuie sur un sujet parlant, c’est-à-dire qui essentiellement fait entrer le trait unaire, qui va faire entrer le trait unaire et qui se base sur une logique signifiante c’est-à-dire ce qui est retenu de l’objet qui est le seul trait unaire s’inscrivant, réel du trait unaire, toujours le même, un par un, nous dit-il, il faut bien partir d’un Un quelque part. S’il commence à parler, le trait unaire entre en jeu, dit Lacan, si l’homme commence à parler, le trait unaire entre en jeu. L’identification primaire, ce point de départ que constitue le fait de pouvoir dire un et un et encore un et c’est toujours d’un Un qu’il faut qu’on parte. Voilà ça c’est un point important parce que cette question du Un je trouve qu’il y revient beaucoup ultérieurement comme dans le séminaire Ou pire par rapport à cette logique du trait unaire et c’est toute la question du réel. Je m’en tiendrai là, j’ai peut-être un peu débordé mais je vais m’arrêter ici.    

Transcription Inès Segré