SÉMINAIRE DE PRÉPARATION AU SÉMINAIRE D'ÉTÉ 2022 : L'ANGOISSE - LEÇON 18
03 avril 2022

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RABSZTYN Lucas
Séminaire d'été
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L’Association lacanienne internationale

Préparation au Séminaire d’Été 2022 – Étude du séminaire X de Jacques Lacan, L’Angoisse

Mardi 15 mars 2022

Président de séance : Jean-Pierre Rossfelder

Leçon 18 présentée par Lucas Rabsztyn

Texte

Je vous propose un petit parcours de cette leçon en relevant les quelques points qui m’ont paru importants, la compréhension que j’en ai.

Je dirais que c’est presque une leçon de biologie que nous donne Lacan. Mammifères, marsupiaux, monotrèmes, ornithorynques, libellules, lépidoptères, chordés, mante religieuse, pieuvre peuplent d’images son propos. Il va bien-sûr être question de la dialectique du sujet et du grand Autre, dont l’objet petit a est le reste. Tout cela dans le champ du désir, avec comme point de référence l’angoisse, un affect.

Alors pourquoi l’appel insistant à la biologie ? Il me semble que Lacan remet en cause, remet sur le métier les fondements imaginaires, les points d’évidence biologique auxquels nous pouvons attacher les observations psychanalytiques, voire nos observations de la vie. En effet il faut bien un substrat biologique. Cela se passe en dernier ressort dans le corps. Le nourrissage est un échange vital entre la mère et le nourrisson, l’acte sexuel au moins un frottement, la vision fait appel à des processus cérébraux complexes, et l’angoisse étant un affect, elle présente des manifestations somatiques. Lorsque je dis fondements imaginaires, je ne veux pas dire fantaisistes mais disons plutôt d’une trop grande évidence dont il faudrait peut-être se méfier.

Une remarque encore avant d’entrer dans la leçon, c’est qu’il y fonctionne, tout du long, l’image du gant retourné, ce qu’il y à l’intérieur peut passer à l’extérieur. Je crois qu’il faut l’avoir en tête. Lacan en parle en particulier à propos de l’objet phallique mais il me semble que c’est plus général.

Enfin, je trouve que cette leçon est très articulée, que Lacan procède pas à pas.

Comment procède-t-il ?

À l’aide du concept d’objet petit a, il se propose de continuer à compléter la liste des objets de la théorie freudienne – objet oral, objet anal, objet phallique ainsi qu’objet génital dont il conteste cependant l’homogénéité à la série précédente.

Nous venons d’en parler au sujet de la leçon précédente, il avait engagé l’œil en tant que miroir, par l’abord du bouddhisme, à son retour du Japon. Ici c’est en tant que petit a : quelque coupure survenant dans le champ de l’œil dont est fonction le désir attaché à l’image.

Dans une introduction qui reprend de manière détaillée son cheminement, il rappelle que le désir est lié à la fonction de la coupure, que c’est un reste qui l’anime, reste repéré dans la fonction analytique de l’objet partiel. Nous sommes donc au niveau de la pulsion. Mais, nous dit Lacan, autre chose que le désir est le manque auquel est liée la satisfaction. C’est la non-coïncidence du manque avec la fonction du désir en acte qui crée l’angoisse. Il y a donc deux points, celui du désir et celui de l’angoisse, qu’il s’agit de repérer à chaque niveau de la structuration du désir du sujet, et dont il va se servir dans la leçon pour développer d’abord la thématique de l’oralité (objet oral), puis la castration (objet phallique) et enfin l’œil en tant que petit a.

Alors pourquoi revenir sur l’objet oral ?

Lacan nous fait remarquer que si Freud a buté sur la castration, sur une impasse, elle reste de ce fait à expliquer. Il en fait une des visées de la leçon.

D’autre part dans la théorie analytique au moment de son enseignement il y a un reflux, comme il le dit, vers la recherche en dernier ressort du fonctionnement de la pulsion au niveau oral, alors que c’est le sexuel le point nodal de la formation du désir, tel que cela a été découvert et affirmé avec force par Freud. Il va même jusqu’à dire que la réduction à la pulsion orale fonctionne comme une métaphore de ce qui se passe au niveau phallique, qui de plus permet d’éluder l’impasse de Freud sur le complexe de castration.

Il se propose donc de revenir à la pulsion orale pour faire le passage vers le petit a fonctionnant comme (– ϕ), c’est-à-dire vers le complexe de castration.

Pour ce faire il reprend la thématique du nourrisson et du sein.

Quelques points :

– Si les lèvres fonctionnent dans la succion, si elles forment un bord, une coupure c’est que nous sommes sur le terrain de la topologie de l’objet petit a, nous sommes en terrain assuré nous dit-il.

– Les lèvres ont aussi pour fonction de découper les signifiants et en particulier les consonnes labiales (ma, pa, ba), nous sommes donc aussi au niveau de la parole, du signifiant.

– Derrière les lèvres il y a les dents qui renvoient à la thématique de la morsure, du morcellement et c’est justement ce que Lacan va tenter de dépasser en se servant de la biologie des mammifères.

– Au moment de la naissance la coupure se fait entre d’une part ce qui va devenir l’individu jeté dans le monde extérieur (le nouveau-né quoi) et ses enveloppes qui font partie de lui-même, qui en sont le prolongement à travers le placenta.

– Or chez certains mammifères moins évolués, le placenta est différent (les marsupiaux) et surtout chez d’autres (les monotrèmes) il n’y a pas de placenta du tout.

– Cependant chez eux la mamme existe et possède un fonctionnement particulier, c’est-à-dire que le petit est obligé de s’atteler pendant une huitaine de jours à déclencher la fonction de la mamme (l’afflux de lait) avec une dent dont il est pourvu à cet effet. Cela veut donc dire que la fonction de l’organe n’existe que si le petit existe et qu’il agit vers cet objet. Et inversement, le petit n’existe que si l’organe fonctionne, autrement il meurt. Par ailleurs cette mamme est plaquée sur le corps de la mère.

– Lacan s’en sert par homologie pour décrire le fonctionnement chez les mammifères plus évolués, dont l’homme. Cela fonctionne donc comme un petit a. C’est parce que le petit a est quelque chose dont l’enfant est séparé, d’une façon en quelque sorte interne à la sphère de son existence propre, qu’il est bel et bien le petit a.

– L’objet de la pulsion orale est le sein de la mère mais le point d’angoisse se situe au niveau de la mère. L’angoisse du manque de la mère, chez l’enfant, c’est l’angoisse du tarissement du sein. Le point d’angoisse ne se confond pas avec le lieu et la relation à l’objet du désir. Il y a donc deux points distincts originels dans l’organisation mammifère :

  • Le rapport à la mamme comme tel qui restera structurant pour la subsistance, le soutien du rapport du désir, pour le maintien de la mamme nommément (nous sommes bien au niveau de la parole pour Lacan : « mama ») comme objet qui deviendra ultérieurement l’objet fantasmatique.
  • Et d’autre part, la situation ailleurs, dans l’Autre, au niveau de la mère (et en quelque sort non-coïncidant, déporté) du point d’angoisse comme étant celui où le sujet a rapport avec son manque, avec ce à quoi il est suspendu, l’existence de l’organisme de la mère.
  • D’ailleurs on peut aussi penser à l’actualité et au gazoduc Nord Stream duquel dépendent l’Allemagne et quelques autres pays européens : l’angoisse n’est pas au niveau du tuyau qui arrive en Allemagne, elle est au niveau de l’autre derrière la frontière russe. Le gazoduc fonctionne aussi comme un petit a, objet de jouissance. Mais ce n’est pas le propos de la leçon.

Je passe sur le vampirisme, lien direct avec la source chaude de nourriture, mais nous n’avons pas le temps.

Dans une deuxième partie, pour faire le pas annoncé dans l’introduction, Lacan présente la situation de la castration, donc avec l’objet phallique, comme un renversement des points du désir et de l’angoisse par rapport à l’oralité. Il en appelle de nouveau à la biologie : le mécanisme de la tumescence et détumescence n’est pas en soi essentiel à l’orgasme, il y a des espèces chez lesquelles cela se passe différemment (par exemple le long-orgasme des libellules). Mais chez l’homme et les animaux analogues, il y a donc une disparition de la fonction de l’organe (disparation de la tumescence), tout comme la fonction de la mamme apparaît lorsque le petit la sollicite, l’érection apparaît lorsque le membre est sollicité.

J’ai eu un peu de mal à lire ce passage mais il me semble qu’on peut dire que si l’on se place d’un point de vue phallique, voire du point de vue masculin, on peut voir un fonctionnement inverse par rapport à celui de l’oralité, en suivant l’image du gant retourné. 

Le point d’angoisse n’est donc plus au-delà de l’organe mais c’est l’orgasme lui-même comme expérience subjective, on reste sur le plan subjectif. Cela permet de rejoindre la clinique : par exemple la possibilité de production d’un orgasme au sommet d’une situation angoissante recherchée comme telle.

Il y a dans ce passage des affirmations vraiment étonnantes et parlantes je trouve. Par exemple :

– Dans le fond de l’orgasme il y a quelque chose de la certitude liée à l’angoisse.

– L’orgasme comme réalisation même de ce que l’angoisse indique comme lieu, direction de la certitude.

– L’orgasme, de toutes les angoisses, est la seule qui s’achève réellement et c’est bien pour cela que l’orgasme n’est pas d’une atteinte si commune.

Donc que ce soit pour l’objet oral ou pour l’objet phallique les points d’angoisse et de désir ne coïncident pas.

Une troisième partie commence avec la constatation que fait Lacan que, puisque le désir n’est pas suffisamment bien articulé dans l’analyse freudienne (je pense ici à la distinction entre demande et désir, à tous les points sur le contre-transfert et le désir de l’analyste, à la distinction entre l’objet réel, imaginaire et symbolique), cela pose problème pour la fin de l’analyse qui bute sur le fait que le patient demande le phallus que l’analyste lui doit. En effet si la relation du désir à l’objet n’est pas clairement distinguée du manque auquel est liée la satisfaction, l’analysant attend de l’analyse et donc de l’analyste une satisfaction, une solution à tous ses problèmes. Et on le voit bien en analyse évidemment, si on a un bon analyste et si on y reste suffisamment longtemps pour s’apercevoir des effets de la parole, on voit bien que ce n’est pas l’analyste qui l’a (le phallus), même si on a pu le croire dans le transfert et que cela peut avoir un effet thérapeutique positif.

À ce moment de la leçon, se trouve une autre phrase intéressante et parlante : « nul phallus à demeure, nul phallus tout puissant n’est de nature à clore la dialectique du rapport du sujet à l’Autre et au réel par quoi que ce soit d’un ordre apaisant. » Cela fait un peu biblique je trouve, un commandement, une loi…

Pour autant, nous dit Lacan, on peut dépasser ce point difficile d’analyse indéfinie. Pour sortir du piège du « désir est illusion » (parce qu’il s’adresse toujours ailleurs, au reste : c’est la formule du fantasme S barré poinçon petit a), pour en sortir il introduit le nerf le plus secret du stade du miroir, l’œil en tant qu’objet petit a.

Pour finir, il fait encore appel à la biologie pour dire que l’œil est présent dans beaucoup d’espèces très différentes, mais sous une apparence anatomique qui ressemble à nos yeux à nous humains (souvenons-nous de l’anatomie comme coupure), yeux qui sont toujours deux donc il y a une symétrie à prendre en compte. Lacan revient sur le fait que l’œil est un miroir. Il semble abandonner ce point et s’attacher au fonctionnement de l’œil comme petit a : en effet dans l’espace sensible, celui que nous voyons, le seul point qui doive être exclu c’est l’œil lui-même, mais en même temps s’il n’est pas là il n’y a pas d’espace sensible.

Lacan s’attache alors à trouver les traces de la fonction exclue :

– Chez les mystiques qui recherchent la vérité derrière l’apparence visuelle trompeuse 

– En faisant remarquer que les animaux présentent des tâches comme des yeux dont la fonction est de fasciner l’adversaire (papillons)

– Dans le bouddhisme donc, avec ce qu’il appelle le point zéro, corrélatif du petit a, vers lequel la statue, l’image bouddhique, paupières abaissées qui nous préserve de la fascination du regard, qui nous épargne le point d’angoisse, et qui annule le mystère de la castration puisqu’elle n’est ni féminin, ni masculin

– Le point de désir et le point d’angoisse coïncident ici mais ne se confondent pas !