Semblant homme, semblant femme
27 septembre 2008

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DHONTE-MÉDAN Isabelle
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"L’homme, la femme, n’ont aucun besoin de parler pour être pris dans un discours. Comme tels, ils sont des faits de discours…Or, il n’est de discours que du semblant" (9 juin 1971).

Voilà une des problématiques dans laquelle Lacan nous engage dans ce séminaire.

Homme et femme ne peuvent pas être réduits à des effets biologiques ou anatomiques. "Semblant homme, semblant femme" : faits de discours mais discours du semblant. C’est une assise bien déconcertante…et pourtant ; c’est le phallus articulé dans un discours. C’est ce que je vous propose de cerner.

C’est une assise bien déconcertante, d’abord du fait de l’ambiguïté du terme semblant

  • En suivant Lacan, nous écarterons du semblant la connotation de "parade" (20-1-1971)
  • Nous écarterons aussi la notion de "mascarade" que Lacan attache plus spécifiquement à la jouissance de la mère (Envers…11-2-70).

Dans les premières leçons, le sens ne se laisse pas facilement saisir du fait même de l’emploi de ce terme : semblant. Lacan l’emploie dans des phrases affirmatives ou négatives, mais, il peut aussi l’employer sous la forme de l’hypothétique négative…(c’est la forme employée dans le titre) quand il ne fait pas de jeux de mots !

C’est que "le semblant" fait partie de ces termes où l’on peut conjoindre le fond et la forme et en jouer. C’est ce que fait Lacan pour arracher le discours au sens commun.

Le semblant donne à penser à un type de négation où la vérité est impliquée.

Or, Lacan nous maintient sur ce bord que nulle vérité ne vient obturer, résoudre ce semblant.

Si nous suivons son conseil en prenant Lacan d’où il part, c’est d’abord en le prenant à partir de son dictionnaire : le "fameux" dictionnaire étymologique de la langue française de Bloch et von Wartburg. Qu’a-t-il retenu de ce qu’il y a entendu et qui a fait poids dans le choix de ce mot ?

On peut y lire : semblant ; une manière d’être, non une manière de faire, une manière d’être.

Manière d’être : une manière d’être homme, une manière d’être femme. Ne pourrait-on ajouter : un style, une manière de se présenter, d’être en représentation, de se faire valoir, de faire valoir ce qu’il en serait de son être.

Nous pouvons y entendre assez facilement l’usage que Lacan pouvait en faire dans la définition même du signifiant : le signifiant représente un sujet pour un autre signifiant qui lui ne le représente pas. Donc : un être de représentations, un étant représenté.

Nous sommes dans une discordance naturelle du signifiant lorsqu’il est pris dans discours mais, on peut être pris dans le langage sans être pris dans un discours. Un discours exige un premier rapport au signifiant- maître. S1/$.

Pour illustrer l’emploi du signifiant dans le discours, le meilleur exemple et le plus simple, est celui que donne Lacan au début de son enseignement : "je crains qu’il ne vienne  ! " autrement dit l’emploi de la négation discordantielle qui dit et cache la vérité…sur le désir. Et, Lacan souvent s’étonne : "Comment se peut-il que les choses soient aussi dites et aussi méconnues  ? "

Il me semble que nous avons une formule équivalente à cette forme dans le titre choisi pour illustrer le travail de ce séminaire D’un discours qui ne serait pas du semblant. Cette "position d’une Verneinung, note Lacan, implique l’existence de quelque chose qui est très précisément ce qui est nié" (13-1-1971). Autrement dit ce qui est nié c’est : un discours du semblant.

A partir de là, on pourrait sans doute convertir ce type de déni dont résulte : "semblant homme, semblant femme" comme la forme d’un voeu d’existence ainsi formulé :

Qu’il y ait un homme qui ne soit pas du semblant  !
Qu’il y ait une femme qui ne soit pas du semblant !
Homoinzin.. ! Au moins une  !

Disant cela on voit que surgit aussitôt tout à la fois l’attente de la divine, du divin, et de l’idole mais aussi une objection à la castration. (homme moins un)

Par cet artefact, on peut saisir qu’il n’y a de semblant qu’issu d’un discours. Le semblant est une topologie et une structure.

Voilà ce que manifeste l’emploi que Lacan fait du terme semblant comme signifiant.

Semblant homme, semblant femme est un rapport de signifiant.

Cela nous amène à considérer la place du semblant dans les quatre discours.

Cette place implique-t-elle un remaniement théorique  ?

Il n’y a pas de discours du semblant puisque "il n’est discours que de semblant" (9 juin 1971). Le semblant initie rétroactivement les quatre discours que Lacan a définis dans le séminaire de l’année précédente : L’Envers.

Une structure quadripartite : quatre discours, quatre places qui se déplacent dans un même sens. Discours du maître, de l’université, de l’hystérie et de l’analyste. Il y a donc un glissement des écritures. Chaque discours étant lui-même régi par des implications signifiées par des flèches.

Quelques remarques rapides sur les conséquences de cette place du semblant

– Dans ce qui apparaît comme le premier discours, le discours du maître, le signifiant-maître est mis en place d’agent, le S1. Cette place d’agent, est aussi la place du désir.

Or, Lacan affirme dans la leçon II "cette place non désignée encore, je la désigne du nom qu’elle mérite, la place du semblant".

L’ultime nomination devient pour Lacan la première nomination "celle que je n’ai pas encore nommée" : d’une certaine manière Lacan paraît déboulonner de la place d’agent le signifiant maître et ses effets de toute puissance …cela, et pour la pratique et pour la théorie :

C’est la place du semblant, la place que le signifiant-maître mérite.

– Que l’ultime devienne le premier cela n’efface pas ce qui a été dit : le semblant reste empreint de ce glissement métonymique de l’agent-maître vers le désir ou autrement dit : ce qui donne force au désir.

En soulignant ce mouvement, nous voyons comment Lacan tient, lui-même, un discours au plus près du discours de l’inconscient à savoir, ici, ce qu’il en a repéré et écrit dans la topologie du graphe. Le vecteur de la demande et du désir va à rebours du sens, crocheter le signifiant. Ce séminaire vient crocheter le précédent.

– Cependant, en faisant primer le discours du semblant comme étant l’arrière-fond de tout discours, Lacan déplace le poids du discours du réel de l’altérité vers le réel de la jouissance.(Pouvons-nous dire vers un réel du réel  ? ).

Ainsi, dans ce rapport à la jouissance pour l’homme et la femme l’interdit marque le lieu de la sexualisation de la différence organique (11 février 1970). La jouissance vise moins la transgression qu’à entretenir cette béance de l’entre-deux. En cela la jouissance est la marque du signifiant sur le corps dans son aspect de béance et de distance.

– Ma dernière remarque concerne la place de la vérité.

Le semblant souligne la place particulière de la vérité dans la disposition des 4 termes du discours (en bas, à gauche) : elle est fixée dans les dessous, à la même place dans tout les discours, invariablement.

Elle est le support de l’agent du discours mais elle est dans cette disposition de "sans retour" sur elle, selon ce qu’indiquent les flèches, c’est-à-dire selon une logique de l’implication. – pas de vrai sur le vrai -(cf. M. Darmon in Essais… p.347) "il n’y a d’enjeu que de ce qu’elle dit" : Elle, la vérité : elle parle. Peut-on la dire dans une exclusion interne ? La Chose, en quelque sorte, tout près et inatteignable.

Inatteignable, notamment dans le discours de l’hystérie puisque l’objet a – cause du désir – en place de la vérité, la confine dans ce semblant de rien.

Lacan, à la suite de Freud, prend ce discours comme guide de l’inconscient.

Sa subjectivité divisée, d’une part, par l’implication du signifiant maître se redouble, d’autre part, de cette faille : une vérité qui ne se fonde que de parler.

Et si elle est Autre c’est d’une altérité facilement ravalée par le discours politique ou religieux du maître. Nous pouvons aussi à ce sujet donner des exemples où "le semblant ne réfute pas le sang rouge" : je vous renvoie sur ce point à l’intervention de Ch. Melman à Clermont-Ferrand Aimons-nous encore les femmes  ? Où la place d’altérité de la femme – celle du pas-tout – dans un monde de consensus et de satisfactions immédiates, devient une place intenable et pour la femme et pour son partenaire.

Par ces quelques remarques, nous voyons comment le semblant est un signifiant empreint et de la force du désir et d’un certain rapport à la vérité : un rapport inatteignable.

Ainsi donc, comment peut-on, encore, d’une certaine manière être un homme ou une femme ?

Une rencontre est-elle possible  ? Pour cela, je vais suivre la leçon II (20 janvier 1971 p.37)

D’abord "L’identification sexuelle ne consiste pas à se croire homme ou femme, mais à tenir compte de ce qu’il y ait des femmes, pour le garçon, de ce qu’il y ait des hommes pour la fille". Tenir compte des différences.

Il y a un fait de culture qui est un fait clinique : il m’est arrivée de suggérer à un jeune homme, devant les affres que lui faisait subir sa jeune amie ; "c’est votre femme…" stupeur et protestations "c’est mon amie, ma copine"… "mais, peut-être que c’est votre femme…" et donc de lui signifier ainsi qu’il serait son homme, un homme. Pas facile.

Il est peut-être révélateur que ce terme de femme – c’est ma femme- tombe en désuétude. C’est une tentative de résoudre en l’annulant le rapport à l’altérité : tous des copains.

Ainsi donc, ce "faire homme, c’est faire signe à la fille". Ce faire signe : c’est la rencontre avec l’instance phallique. En effet, Lacan reprend d’un travail précédent les trois traits dont il qualifie le phallus :

  • signe du désir,
  • instrument et
  • présence.

Faire signe "à quelqu’un, dit-il, c’est faire signe de quelqu’un. Faire en sorte que ce signe l’assimile, que le quelqu’un devienne lui aussi signifiant" (Le Transfert 26-4-1969).

Il y a là, dans ce moment, conjonction et disparition du sujet dans une identification phallique. C’est une identification problématique dont Lacan souligne le mécanisme pervers parce relevant du même, du "m’aime" narcissique ou comme le faisait remarquer Ch. Melman dans une conjonction de semblables et pourtant différents, un mécanisme de type paranoïaque (Trimestre psychanalytique n°1 -1987).

Car, "Pour un moment, dit Lacan, dans cette identification, ils sont le phallus". Mais, pour un moment seulement…

Dans ce moment "phallique", la différence s’estompant, chacun reçoit de l’autre l’image de sa castration : il est certain que pour le garçon, c’est l’image de la faille, de cette prise entre le semblant de l’objet et la jouissance si nous nous reportons au discours de l’hystérie.

Là où il croyait tenir le phallus, l’homme se voit et se croit châtré, il rencontre la division au lieu de l’autre semblable et si différent dans son altérité. Les deux champs se séparent.

C’est "l’horreur de la vérité" impossible à soutenir de sa place à lui comme porteur du signe phallique. D’où un choix forcé.

Autrement dit, cette opération diffracte l’image. Cela libère un objet susceptible de convenir à son fantasme. C’est l’objection du fantasme : Plutôt que rien ; quelque chose,…

"Pour la fille, c’est la même chose, dit Lacan, mais ce qui les châtre, c’est qu’elles n’acquièrent qu’un pénis et c’est raté".

Autrement dit, cela rejoint sa problématique du corps : elle se voit là où elle n’est pas. C’est l’image de son manque qui vient à la place, à la fois la compléter et la décompléter. D’une certaine façon ce ratage, c’est son ratage, elle le sait. C’est la présentification d’un impossible, d’un réel dans l’autre. Son choix serait : d’y croire quand même.

D’où une position particulière par rapport à la présence – La présence qui avec l’organe et le signe est un autre trait du signifiant phallique. Une présence qui se réalise, qui prend consistance, dans l’absence.

La présence de ce presque rien, c’est quelque chose et même beaucoup puisqu’elle fait objection non pas au rien mais au grand Autre. C’est l’écriture de son fantasme : une tentative de résoudre sa division qui se manifeste dans l’expression d’un désir insatisfait.

  • Soit ce quelque chose peut l’arrêter dans son errance et lui offrir un bord, un toit, un heim,
  • Soit elle prend partie dans un tout ou rien et s’organise autour de ce point d’abîme dans une jouissance infinie. (peut-être celle des mystiques ou dans une parole qui fait fi de toute référence, une jouissance de rien, c’est-à-dire en dehors de la référence phallique).

Une telle parole ordonnée à partir du lieu de ce rien, viendrait ainsi ouvrir la béance que le phallus est chargé de venir obstruer. Dès lors, elle ne peut être entendue qu’avec angoisse par le partenaire. C’est ce que développe Ch. Melman dans son article du Trimestre psychanalytique n°1 "A propos d’infini actuel et d’infini virtuel" p. 140)

Il me semble que dans ces deux positions, dans cette rencontre, homme/femme, le rapport au phallus, est ramené dans sa diffraction à l’écriture du discours hystérique, ($/a) c’est ainsi que je lis ce savoir de quelque chose qu’elle sait : l’heure de la vérité ! Homme et femme sont pris dans les effets de ce discours.

Voilà toutes choses qui paraissent bien fragiles ! Et, pourtant…

Quelle est la part fondatrice de ce semblant ? Le semblant archaïque, le semblant comme origine de la parole.

Lorsque Lacan parle du semblant archaïque, nous pensons comme une évidence à la mère et à sa jouissance : c’est le partenaire inattendu.

Il me semble que, dans cette leçon II, Lacan évoque la rencontre homme/femme en levant l’ambiguïté sur la place du phallus dans son articulation à la jouissance

"Voilà le réel, dit-il, le réel de la jouissance sexuelle.

En tant qu’elle est détachée, comme telle, c’est le phallus, autrement dit le Nom-du-Père".

Ils sont le phallus pour un moment seulement. Le réel de la jouissance, lui, est sans fin.

Ceci m’a renvoyée des années en arrière lorsque Lacan donnait une sorte de définition du Nom-du-Père : "C’est le signifiant qui signifie qu’à l’intérieur du signifiant, le signifiant existe" c’est-à-dire que l’ordre qui régit le détachement, le renvoi d’un signifiant à un autre, c’est la loi de l’interdiction de la mère. Un arrêt.

C’est dans l’Autre, un signifiant essentiel. (Les Formations de l’inconscient 8 janvier 1958.) Or en reprenant le signifiant à partir du semblant, c’est l’objet a, représentant ce détachement, qui semble-t-il commande l’ordre signifiant dans une série de conjonctions et de disjonctions avec le phallus ? Il anime la jouissance dans le semblant.

N’est-ce pas ainsi qu’il poursuivra en disant : "le discours commence de ce qu’il y ait, là, béance" ? (17 Mars 1971 p.112). N’est-ce pas ainsi qu’il place la femme dans ce rapport pour l’homme à l’heure de la vérité dans cette leçon ?

Aussi lorsqu’il évoque un semblant archaïque, est-ce la mère ou la femme ? Ou la femme interdite comme femme ?

Et si elle n’existait pas ? Voilà la question qui lève le voile du refoulement, crée l’espace de l’inconscient et lance le pari à la manière de Pascal (p. 19 repris p. 152).

Pour que naisse le langage, il faut lancer la bobine.

Faire semblant d’être le phallus.

Pour conclure  :

Je souhaiterais conclure sur le jeu. Le jeu de la lettre, un jeu qui engage le sujet.

Il y a dans l’agglomération des lettres pour signifier l’un en peluce ou l’homoinzin une cocasserie qui pour moi m’a renvoyée à une hystérisation de la langue qui convertirait le sens interdit en non-sens, voire en une absence de sens.

Cette provocation envers l’ordre phallique engagent et le regard et la voix.

Il ne suffit pas d’entendre, il faut parfois écrire pour lever un voile.

Il ne suffit pas d’écrire, il faut parfois le parler.

Semblant homme, semblant femme, c’est tout ce jeu du mi-dire qui nous occupe dans la fantaisie, pas dans la tragédie, une respiration du sujet pour peu que, par le discours de l’analyste, nous coupions dans l’étoffe de la jouissance.

C’est là aussi la pratique que nous expose Lacan en se présentant à nous comme analysant.