Séance d’ouverture du GIP – 2018-2019
07 novembre 2018

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VANDERMERSCH Bernard
Nos enseignements

GROUPE D’INTRODUCTION À LA PSYCHANALYSE

Séance du jeudi 4 octobre 2018

Ouverture

Nous allons lire ensemble cette année la seule cure d’enfant dirigée par Freud ou plutôt par le propre père de l’enfant « contrôlé » par le Professeur Freud. L’Analyse der Phobie eines fünfjährigen Knaben est rédigée en 1908 (cela fait 110 ans) et publiée en 1909. Ce n’est qu’en 1928 qu’elle est traduite en français par Marie Bonaparte. On sait aujourd’hui qu’il s’agit d’Herbert Graf qui devint à l’âge adulte un directeur de théâtre et metteur en scène d’opéra reconnu. On peut dire que Freud y expose la question qui l’occupera jusqu’à la fin de sa vie : Qu’est-ce qu’un père ? Plus que dans d’autres domaines, on peut constater qu’une théorie en psychanalyse ne peut pas tenir sans qu’elle recèle la trace du désir du théoricien. Ici le désir de Freud, accroché à la question du père. Le complexe d’Œdipe, bien sûr, que Freud a découvert en 1897 et qu’il servira tout cru à Hans mais aussi, et là ça a été critiqué comme infondé, ce mythe étrange, celui de Totem et Tabou (1912) où l’on assiste au meurtre du père de la horde primitive par les fils qui, loin d’en profiter pour prendre les femmes du père, y renoncent par culpabilité. Et l’un de ses derniers écrits publiés : L’homme Moïse et le monothéisme (1939) sur une idée tout aussi bizarre et qui lui valut une condamnation unanime : faire du père de la nation juive un égyptien ! Mais pourquoi faut-il donc que le père soit d’abord un mort assassiné et de plus un étranger ?

Les choses ne se présentent pas sur ce mode dramatique avec Hans. Son cheval mord mais ne meurt pas. Au départ il y a le souci de Freud d’obtenir une « démonstration plus directe » de ses hypothèses sur la sexualité infantile auxquelles il était parvenu par le traitement des adultes. Le père de Hans, Max Graf (1873-1958) est un critique musical, traducteur de Romain Rolland et éditorialiste à la Neue Freie Presse. Après que sa femme eut été en traitement avec Freud, il fut l’un des membres de la société psychologique du mercredi, devenue la Société psychanalytique de Vienne. Freud entretenait avec la famille Graf des relations amicales. Au dire de Max, il aurait même offert à l’enfant, pour son troisième anniversaire, un cheval à bascule. C’est presque trop beau !

Freud écrivit l’histoire du « Petit Hans » en juillet 1908 et adressa le manuscrit à Jung (rédacteur en chef du Jahrbuch für psychoanalytische und psychopathologische Forschungen) le 5 août. Mais ce n’est qu’en février 1909 qu’il fut publié.

Lors de la séance du 12 mai 1909 à la Société psychanalytique de Vienne, Freud reparla du Petit Hans. Max Graf participa à la discussion comme s’il ne s’était pas agi de son fils. Peu de temps après il se sépara de la mère de Herbert-Hans. Il se remariera deux fois. Il va publier dans une série dirigée par Freud Richard Wagner dans le « Hollandais volant » (Contribution à la psychologie de la création artistique). Ce n’est qu’en 1942, après la mort de Freud donc, que Max Graf se décidera à publier un petit texte que Freud lui avait confié en 1904 « Personnages psychopathologiques à la scène » en traduction anglaise avec quelques altérations. Texte suivi de « Réminiscences du Professeur Sigmund Freud » dans lequel Max Graf ne laisse percer aucune allusion sur le rôle que son fils a joué dans la diffusion des idées de Freud » (Jean Bergeret).

Herbert Graf, son fils, se présentera à Freud en 1922 comme étant le « Petit Hans ». Freud raconte sa visite dans un post-scriptum à son article de 1922. Herbert Graf a fait une belle carrière de metteur en scène d’opéra, puis de directeur artistique au Metropolitan Opera de New York, pour finir après bien d’autres fonctions directeur du Grand Théâtre de Genève.

Jean Laplanche dira que le « Petit Hans » a été le découvreur du complexe de castration… et le premier à formuler les « théories sexuelles infantiles ».

C’est un fait que Freud s’était déjà appuyé sur ce garçon pour rédiger son article Des théories sexuelles infantiles (paru en 1908) et déjà l’année précédente dans une lettre ouverte au Dr Fürst : « Sur les éclaircissements sexuels apportés aux enfants ? » où l’on voit Freud s’insurger contre la pruderie et la volonté de laisser les enfants sans réponse à leurs questions. Il y dit aussi que « la façon habituelle de faire – priver les enfants le plus possible de toute connaissance du sexuel pour, un beau jour, en paroles ampoulées et solennelles, les gratifier d’une déclaration seulement à demi sincère qui, de surcroît, vient le plus souvent trop tard – n’est malheureusement pas tout à fait la bonne. La plupart des réponses à la question « comment vais-je le dire à mon enfant ? » me font, à moi du moins, une impression si lamentable que je préfèrerais que les parents ne se mêlent pas du moindre éclaircissement… »

Je peux témoigner que dans mon enfance provinciale ce tableau assez misérable était encore d’actualité. Cet article est très indicatif du regard de la bonne société de l’époque sur la sexualité. Freud a très tôt été indigné par les cachotteries sur ce sujet. Dans une réception chez Charcot, lors de son séjour à la Salpêtrière, il entend le maître dire en a parte à son assistant Brouardel, et en sautillant comme un gamin : « Mais, dans des cas pareils (d’hystérie) c’est toujours la chose génitale, toujours… toujours… toujours. » Freud se dit alors : « Mais s’il le sait, pourquoi ne le dit-il jamais ? ». Ce souci de vérité, cette horreur du mensonge ou de l’hypocrisie parcourt toute son œuvre et en fait une part de son prix mais elle l’amènera aussi à quelques erreurs, dues sans doute à ne pas avoir pu distinguer le réel du vrai et notamment sa butée sur le complexe de castration comme indépassable, comme fait biologique.

Ce complexe de castration, justement, dont l’invention est attribuée à Hans par Laplanche, on verra que son analyste-père, si bien intentionné, aura bien peu favorisé sa résolution.

Ce père, donc, élève de Freud, va prendre des notes sur son fils puis lorsque la phobie va se déclarer d’une façon inopinée, c’est lui qui va diriger la cure avec les conseils du Professeur. On constate, avant l’apparition de la phobie, un vif intérêt de Hans pour le Wiwimacher. Pour lui tous les êtres vivants en ont un. Même Maman, quoique… « Maman, as-tu un fait-pipi ? – Bien entendu. Pourquoi ? – J’ai seulement pensé… »

À l’âge de trois ans et demi, deux évènements : le premier, la naissance de sa petite sœur Anna avec sentiments mélangés : jalousie, étonnement qu’Anna ne parle pas et que son fait-pipi soit encore si petit…

Le deuxième, c’est la menace de castration formulée en ces termes par sa mère : « Si tu fais ça, je ferai venir le Dr. A. qui te coupera ton fait-pipi. Avec quoi tu feras pipi alors ? – Avec mon popo ! (Podl, le derrière). » Malgré la tranquillité de Hans, Freud estime qu’il acquiert à cette occasion le complexe de castration qui prendra effet nachträglich, « après-coup ». En attendant Hans est un vrai « modèle de toutes les perversités » (Freud). Il est amoureux des filles, des petites comme des grandes, surtout celles de bon milieu, mais aussi des garçons. Il demande à sa mère de lui toucher son Wiwimacher : « Pourquoi tu n’y mets pas le doigt ?- Parce que c’est une cochonnerie ! – Qu’est-ce que c’est une cochonnerie ? Pourquoi ? – Parce que c’est inconvenant. – Mais ça fait plaisir !… ». Ce qui ne l’empêche pas d’acquérir le sentiment de pudeur et de rougir quand la petite fille le regarde. Tout a l’air de se passer à la satisfaction de ces parents si modernes, jusqu’au jour où la lettre de Max Graf à Freud commence ainsi :

« Honoré Monsieur le Professeur ! Je vous envoie de nouveau un petit fragment de Hans, malheureusement cette fois ce sont des contributions à une histoire de maladie…. »

Comme je le rappelais dans le texte introductif, le commentaire de l’analyse de Hans occupe une grande partie du séminaire de 1956-7 : La relation d’objet. Il constitue un temps essentiel de l’élaboration de Lacan quant à la fonction du père. Lacan va lire Freud avec une grille nouvelle qui différencie, plus clairement que l’appareil théorique de Freud ne le fait, trois registres de la subjectivité : réel, symbolique et imaginaire. Je vais en dire quelques mots parce que cela nous aidera à comprendre en quoi la cure de Hans par son père, si elle s’accompagne du retrait de la phobie, n’est pas tout à fait satisfaisante.

Je commence par le réel et pour dire que réel ne signifie pas réalité telle qu’elle apparaît familière. Réel signifie un peu ce qu’en physique Bernard d’Espagnat appelle réel voilé, c’est-à-dire ce que serait la chose en soi, au-delà de ce qui peut en être dit ou représenté. Cela peut vouloir dire aussi un peu plus : ce n’est pas ce qu’on ne peut atteindre pour cause d’insuffisance mais ce qui se démontre comme impossible en logique mathématique. C’est l’impossible de dire le vrai sur le vrai. Mais l’utilisation par Lacan de ce terme n’est pas toujours univoque.

Le symbolique n’est pas l’ordre de la symbolique qui fait correspondre une idée à une image. Le symbolique c’est l’ordre du langage dans son versant signifiant et non signifié, c’est-à-dire grosso modo, son aspect formel, purement différentiel et propre à se constituer en chaînes signifiantes. L’imaginaire est l’ordre de la représentation. Il est important de noter que ces trois registres de la subjectivité sont a priori indépendants l’un de l’autre. Aucun rapport entre une image acoustique et la signification qu’une langue lui donne. Maison se dit maison en français, house en anglais, casa en italien. Quant au réel, sa définition même donne à penser qu’il n’est ni symbolique, ni imaginaire. Et pourtant cela a l’air de tenir et nous avons le sentiment d’être à l’aise dans cette réalité interprétée et familière… quoique…

La phobie est sans doute le premier signe que cette aisance avec la réalité n’est pas sans devoir être payée d’un certain prix. C’est ce que Hans semblait avoir compris et que son père a dû oublier ou vouloir épargner à son fils.

La phobie est une introduction à la question de la fonction du père et Lacan, dans son commentaire utilisera ici l’expression père réel comme celui qui intervient réellement. On verra en tout cas qu’il est bien différent du père extraordinaire que Freud représente pour l’enfant qui va le rencontrer une fois pour le traitement.

Cette fonction du père est aujourd’hui mise en cause. Au nom de l’égalité entre toutes les femmes, en ce qui concerne le droit de mettre au monde un enfant – en acquérir un était déjà obtenu par voie d’adoption pour une femme seule – il est convenu que si l’on ne peut se passer d’un spermatozoïde pour avoir un enfant en attendant le clonage, on peut se passer d’un homme-père. On sent bien que cela met en cause les fondements d’une société patriarcale mais sans trop savoir où ça va. Penser que la sexualité humaine a à se fonder sur une loi naturelle est une méconnaissance et des lois de la nature et des lois du parlêtre. D’ailleurs quand Ciceron parle de loi naturelle, il s’agit d’une loi transcendante, donnée par dieu : « Et, je le cite, l’univers entier est soumis à un seul maître, à un seul roi suprême, au Dieu tout-puissant qui a conçu et médité cette loi ». Pour nous aujourd’hui, c’est plutôt l’idée de respecter la nature mais les modes de reproduction sont si divers et parfois extravagants dans la nature qu’on voit mal comment elle pourrait fournir un modèle. Ce qui ne facilite pas les recherches des enfants sur ce qui se passe dans le lit des parents !

Il y a en tout cas dans l’histoire de Hans un appétit pour subir la bonne castration, celle dont le père serait l’agent et qui lui confèrerait le droit à exercer sa sexualité. Le malentendu entre père et fils est que le père cherche à lui épargner l’épreuve que son fils semble appeler de ses vœux. Mais c’est peut-être trop dire. Vous jugerez par vous-même.