Retour des journées : Devenirs de l'autorité et enfant moderne en analyse. Problèmes posés à la pratique
19 décembre 2012

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FORGET Jean-Marie
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Le juge Y. Lebideau a développé avec beaucoup de subtilité et de rigueur les lignes de force que révèle le droit de la famille. Les références au sexuel en sont évacuées ; les rapports de la différence sexuée des parents sont rabattus sur des rapports de dominants et de dominés ; le désir d’enfant devient un « projet d’enfant » ; l’autorité des parents devient évaluable en terme de compétence. Autant de  formulations qui révèlent l’infiltration insidieuse d’une économie de marché dans la conception des liens familiaux, éludant les repères qui puissent rendre compte de l’altérité qui sert d’assise à la légitimité de la place de chacun, qu’il soit père, mère ou enfant. Il est difficile de rendre compte en quelques lignes de la rigueur de la « lecture » qui a été ainsi proposée aux participants et qui faisait résonnance chez eux avec le manque de leviers symboliques qu’ils rencontrent dans les liens familiaux de la clinique actuelle. J.-P. Gasnier a complété ce tour d’horizon en développant les enjeux,  les conséquences et les avatars de ce que l’on désigne maintenant du terme de « parentalité ».

Les cliniciens ont eu le même souci de rigueur. Ils ont témoigné de l’engagement de leur pratique, dans la mise à l’épreuve de leur position subjective, rapportée à la structure de leur parole. Que ce soit l’introduction de Ch. Rey qui a déployé avec clarté l’intrication des questions posées, le travail de C. Brini, les réflexions de C. Tyszler, ou les développements de D. Janin-Duc. L’humain, comme l’a rappelé J.-P. Hiltenbrand en concluant ces journées, tient à ce qu’il doit au signifiant et au refoulement initial qui le fait « être de parole ». C’est à partir de l’autorité que les uns et les autres tirent de leurs propres signifiants que les intervenants nous ont montré ce qu’ils offraient à l’enfant, dans la fragilité d’une initiative discrète ou d’une interrogation juste. Cette attention ménageait, dans le temps d’une rencontre, un espace où l’enfant pouvait trouver une adresse qui lui permette d’engager sa propre parole et un franchissement inattendu. J.-L. Cacciali a soigneusement développé comment dans ce travail l’autorité de la voix s’exerce, du fait de son articulation à la signifiance. Elle remet sur le métier les articulations de l’enfant au désir de l’Autre, et à la fonction paternelle, comme outils pour rendre compte du trou de l’objet perdu.

L’autorité que le psychanalyste propose à l’enfant, mais aussi aux adultes qui lui sont proches ou qui sont sollicités par ses difficultés, est celle qu’il tire du signifiant et de son savoir inconscient. Elle permet à chacun de saisir la légitimité de sa place, comme un préalable à toute exigence à laquelle l’enfant puisse consentir. M. Lerude et A. Joos de Ter Beerst ont souligné les difficultés et les frayages auxquels s’engage le psychanalyste dans son travail avec l’enfant, l’adolescent, ou dans le travail mené sur la féminité d’une mère.

Ces interventions ont mis en avant de manière réitérée comment les adultes se trouvent mis à l’épreuve dans leur identité d’êtres de parole. Cl. Pouget a proposé un développement de cet exercice à partir de la place de l’enseignant, qui ne peut plus être pro-fesseur, mais peut faire jouer son autorité en introduisant une temporalité logique comme gage d’une altérité. V. Bellangé a souligné comment le recours à l’institution exige une articulation subtile entre une forme de radicalité et sa souplesse d’application dont la justesse se mesure dans l’après-coup.

J.-P. Lebrun nous a proposé ses interrogations sur les difficultés d’assise de la légitimité symbolique dans la vie sociale, qui rend difficile au sujet de trouver les leviers pour lui permettre, au sein de la famille de rendre compte de l’alternative présence/absence, et au sein de la cité de l’articulation singulier/collectif. Il soulevait l’hypothèse que puisse se développer dans la société les conditions analogues à celles que S. Freud et J. Lacan ont remarqué être corrélées à l’émergence d’une psychose, à savoir la nécessité de trois générations. Nous pourrions nous trouver ainsi dans un temps d’effacement des traces de l’altérité dans la structure langagière collective. Une autre hypothèse pourrait être que la possibilité d’un frayage original par lequel une référence à une position d’exception puisse émerger, entre le levier de la tradition et le refus du passé, entre le recours à l’exemple et le refus du modèle, entre la certitude et la prédestination, dans ces écarts que relève le travail de M. Revault d’Allonnes dont C. Tyszler a repris les grands axes. Comment « commencer à continuer », ou « continuer à commencer » ?

Les remarques de Ch. Melman nous ont rappelé que la mise en avant de la question de l’autorité ne doit pas nous masquer l’arrière-plan qui est la question de la mort. La clinique actuelle nous interroge en permanence sur le rapport des deux consistances que sont le réel et le symbolique. Si la nomination symbolique devient problématique pour le sujet, la position féminine ne relève plus de l’altérité mais du registre de l’étranger et la quête d’une femme vire facilement à la revendication. La revendication d’un idéal sexuel est loin de la question du « pas toute ». Le symbolique et l’imaginaire sont-ils noués, ou non ?

S’ils ne le sont pas dans la clinique actuelle, les exigences spécifiques du travail et de la place du psychanalyste se révèlent différentes de ce qu’elles sont quand c’est la disjonction du symptôme et du symbole qui est l’artisan de la vérité dans un discours structuré. J. Lacan a développé cette approche dans son séminaire sur le sinthome, comme l’a rappelé J.M. Forget.

Les exemples cliniques nombreux m’ont semblé souligner et insister sur ce travail d’artisanat à l’œuvre, qui nous enseigne. Quand le discours où se situe l’enfant est un discours inconséquent, le clinicien se confronte non plus à une disjonction entre le symptôme et le symbole, mais à un clivage entre la manifestation symptomatique qui n’est pas structurée en un symptôme et un discours inconséquent où le sujet n’a pas de place assignée. C’est là que se révèle le travail d’artisan nécessaire à l’enfant pour faire valoir sa vérité. Cet artisanat peut s’articuler à partir d’un appel au transfert, ou d’un transfert sauvage dont peut être chargé chaque adulte qui assume une position symbolique dans la vie sociale.

C’est dire que la vigilance est nécessaire à l’égard de la multiplicité des formes que peuvent prendre les manifestations de souffrance de l’enfant, qui quête les conditions de mise en place d’un transfert pour structurer un symptôme et faire émerger l’autorité d’une parole singulière.