La clinique des psychoses est par excellence le lieu où la fonction de la lettre, dans son statut de trait, se donne à lire comme capable de faire qu’une réalité éclatée, en petits morceaux, puisse à nouveau se tenir et se proposer comme une : une réalité délirante certes, mais habitée et lestée par un point d’énigme. Telle est la condition. C’est là la thèse freudienne si nous savons la lire.
En effet celui-ci nous a appris comment le délire était à concevoir comme une construction capable de répondre à cet effondrement qu’est l’entrée dans la psychose. Et il nous en a donné, avec le dualisme schrébérien, une première architecture dans ses commentaires sur les Mémoires du Président Schreber.
C’est dans cette construction qu’il est possible d’y lire le jeu de cette lettre, réduite au trait, comme capable de mettre en place ce point d’énigme crucial au délire puisque c’est seulement de ce trou énigmatique que cette réalité peut se soutenir comme une.
Comment, dans cette clinique, se manifeste une telle fonction capable de soutenir ce point d’énigme? Où la repérer et la lire ?
Tout d’abord, avant d’illustrer ce que j’avance par quelques exemples cliniques, un premier élément central: cette fonction est vécue dans son fonctionnement comme xénopathique. C’est là la spécificité du fait psychotique. Au-delà de l’hallucination qui n’en est que le représentant, et dans l’hallucination, il y a la présence de ce trait qui commande, un trait étranger qui lui vient d’un Autre réel animé d’une intention aveugle dont il se soutient.
Si ici, dans l’hallucination et avec l’hallucination, ce trait se présente dans un réel injonctif il apparaît que dans d’autres formes où classiquement l’hallucination se fait absente, comme celle du délire interprétatif par exemple, celui-ci n’en est pas moins présent. Tel patient, qui sur sa route rencontre des "dahlias", lit dans cette rencontre le voeu de mort adressé par cet Autre énigmatique à son encontre. En effet explique-t-il : "dahlia" veut dire clairement "dalle il y a" et il y lit, ainsi, ce voeu mortifère, attribué à l’Autre, de le voir sous une dalle au cimetière. Comment rendre compte d’un tel montage et d’une telle lecture ? Quel est le trait qui supporte cette véritable opération logique de lecture sinon celui, purement signifiant, qui permet l’articulation de ce que nous pourrions appeler ce jeu de mot. En effet pour l’entendre il faut en passer par la parole et ce trait- ici, pour le patient, un véritable trait unaire réel- devient celui repéré comme le trait xénopathique qui permet de construire le lieu vide d’une signification énigmatique dont sa réalité délirante et interprétative se supporte. Mais que me veut donc cet Autre et pourquoi cette mort prescrite ? À cette énigme dont il est la réponse il a, dans la perplexité, à répondre.
Une autre illustration clinique permet de saisir en quoi la lettre et le trait qui la supporte sont essentiels à la constitution d’une réalité. Il peut arriver qu’un début de travail analytique, à l’occasion d’une interprétation qui porte sur la lettre par exemple, introduise cet analysant au champ de la psychose. Au-delà de l’insuffisance des entretiens préliminaires ce que nous retiendrons d’un tel épisode c’est comment le jeu sur la lettre et le trait qui la supporte viennent là rappeler au patient, et à l’analyste, que la fonction qui les met jeu n’est pas chez lui symbolisée et que sa réalité s’en trouve de ce fait non seulement brutalement remaniée mais éclatée. L’analyste peut devenir à cet instant, par exemple, un représentant de cette instance aveugle qui prend le commandement par le biais de ce trait. Il peut arriver aussi qu’une forme cicatricielle finisse par s’imposer en usant, en guise de continuité, d’une lettre du patronyme de son ancien analyste.
Au coeur de la construction délirante opère une fonction qui a à voir, manifestement, avec la structure du mot d’esprit et celle du rêve, tel que Freud nous l’a enseigné. À ceci près que dans la psychose cette fonction qui met en jeu la lettre et le trait qui la supporte n’est pas symbolisée et que celle-ci ne peut que s’imposer dans des modalités xénopathiques par le biais d’une signification énigmatique. Et dans ces modalités xénopathiques elle supplée ainsi au défaut de symbolisation de ce que J.Lacan a repéré comme étant le lieu de la métaphore paternelle, autre nom de cette fonction essentielle au parlêtre pris dans l’ordre du signifiant.