Questions sur la topologie des interprétations
14 août 1995

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VANDERMERSCH Bernard
Textes
Pratique de la psychanalyse

1. Les moyens de l’analyse sont ceux de la parole. Si l’analyse a renoncé
à l’hypnose, à la narcose etc. c’est que, pour Freud, il ne s’agissait
plus seulement de retrouver un souvenir, un événement traumatique
refoulé mais un désir refoulé. Du même pas
l’accent est porté sur la réappropriation par le sujet de son
désir :  » Le désir ne fait qu’assujettir ce que l’analyse
subjective.1  » Diriger une cure c’est maintenir le cap vers cette assomption
: Wo es war, soll ich werden. Quel est alors la part de l’interprétation
? Son mode, son temps, son lieu ? Que doit-elle viser ? Quelle doit être
sa structure ? Pour des raisons propres au champs analytique il ne peut y être
répondu de façon normative. Du moins pouvons-nous traiter la question
 » après-coup  » : une interprétation a eu de l’effet
: comment était-elle ?

2. La définition du dictionnaire Larousse de la psychanalyse selon
laquelle l’interprétation est une  » intervention de l’analyste
tendant à faire surgir un sens nouveau au-delà du sens manifeste
que peut présenter un rêve, un acte manqué, voire une partie
quelconque du discours du sujet2 « 
(R. Chemama) constitue un point
de départ communément admis. Remarquons qu’elle énonce
: un sens nouveau et non : le sens caché. L’auteur montre qu’avec Lacan
l’interprétation inverse le rapport signifiant-signifié : en agissant
sur le signifié avec ce sens nouveau, elle introduit le sujet en analyse
à l’équivoque du signifiant. Plutôt qu’un sens plus vrai
il s’agit d’apposer sur les significations le  » sceau du signifiant « .

3. Interprétation traduit le mot allemand Deutung mais son voisinage
sémantique diffère. Alors que l’allemand met l’accent sur la  »
mise au clair  » le français  » interprétation laisse
transparaître l’interpres latin :  » agent entre deux parties,
interprète, traducteur.  » Pres est inconnu mais on le rapproche
de pretium (prix), l’inter met l’accent sur la traduction :  » L’interprétation,
pour déchiffrer la diachronie des répétitions inconscientes,
doit introduire dans la synchronie des signifiants qui s’y composent, quelque
chose qui soudain rende la traduction possible, – précisément
ce que permet la fonction de l’Autre dans le recel du code, c’étant à
propos de lui qu’en apparaît l’élément manquant3.  »
Remarque : c’est parce que l’Autre est par structure incomplet que de l’interprétation
est possible. Interpréter n’est pas passer d’un code à un autre
code mais introduire quelque chose dans le code là où grâce
à ce manque dans l’Autre s’offre l’occasion et où malgré
cet apport ça continuera de manquer.

4. L’interprétation comme métaphore.

Quel est ce quelque chose qui doit être introduit dans la synchronie
des signifiants ?

Quelles sont les qualités structurales de cette  » chose  »
pour qu’elle soit acceptée par l’inconscient et qu’il y réagisse
? Bien sûr, il faut d’abord préciser que interprétation
ne s’adresse pas au moi mais tend à produire le sujet de l’inconscient
lequel est l’effet d’une identification mettant en jeu une structure de substitution
homologue à la métaphore. Aussi sommes-nous moins étonnés
que tel analyste (N. Reider) de ce qu’une interprétation significative
juste mais inopérante devienne efficace (c’est-à-dire soit acceptée
et ouvre sur un matériel jusque là recélé) lorsqu’elle
est proférée, de préférence spontanément,
par l’analyste sous forme métaphorique.

M. Safouan4 qui rapporte l’interrogation de cet analyste et celle d’E. Sharpe
pose à son tour la question :  » Comment se fait-il qu’un objet particulier,
par exemple le pénis ou le sein, s’avère impuissant […] à
épuiser le sens du désir ? Et comment se fait-il que, par le détour
de la métaphore, nous réussissions à accoucher des fantasmes
où le désir s’avère être néanmoins organisé
autour de ce même objet ?  »

Safouan dissipe d’abord l’illusion répandue qu’une métaphore
soit toujours un déplacement d’un sens propre, physique à un sens
imagé, psychique ou encore d’un sens originel (réel) à
un sens actuel. Pour lui le nerf de la métaphore résiderait dans
la substitution signifiante comme telle. Elle fait entendre un sens inédit
et non le  » sens propre  » comme semble le croire E. Sharpe.

Surtout Safouan montre les conséquences d’une telle croyance en un sens
propre. Elle revient à penser, sinon à dire au patient :  »
Tu dois savoir  » tandis que l’interprétation sous forme métaphorique
fait entendre un :  » tu peux savoir… qui veut peut savoir « .
Certes dans la mesure où l’objet cause du désir est un manque,
le don ou la demande concernant cet objet ne peuvent être que métaphoriques.
Une telle conception légitime l’interprétation, par jeux de mots,
calembours, etc.

5. Deux objections cependant surgissent : (R. Chemama5) Premièrement,
si la métaphore est dans la substitution signifiante comme telle, y a-t-il
une vectorisation du parcours du signifiant ? Est-il orienté ?
si les chaînes peuvent être parcourues indifféremment qu’en
serait-il alors de la vérité ?  » En quoi l’inconscient serait-il
plus digne d’être reconnu que les défenses qui s’y opposent dans
le sujet avec un succès qui les fait apparaître non moins réelles
?  » (Lacan in La chose freudienne).

Deuxièmement : l’énoncé interprétatif est-il seulement
caractérisé par sa structure métaphorique ? L’exemple de
N. Reider :  » L’aveugle n’a pas peur des serpents  » est de fait bien
autre chose qu’une métaphore (serpent pour pénis). C’est un proverbe,
une locution toute faite. R. Chemama, à partir d’une de ses propres interprétation
: Vous êtes mordu !  » montre qu’une telle interprétation  »
est à la fois, du point de vue du sens, équivoque, polysémique
et, du point de vue de la forme, insubstituable, intransformable. Or ce sont
là deux traits constitutifs de ce qu’est, sur un autre plan, l’écriture
poétique6.  »

6. La coupure énonciation-énoncé

Dans L’envers de la psychanalyse Lacan dit que l’interprétation
doit être un savoir en tant que vérité. Pour cela elle doit
jouer de la différence entre énonciation et énoncé.
Elle sera donc énigme et/ou citation. Il s’agit ici d’un problème
éthique, la vérité ne pouvant qu’être mi-dite sous
peine de se figer en savoir et ne produire qu’un déplacement de l’aliénation.
Ainsi l’énigme est un énoncé dont l’énonciation
est laissée à la charge de l’auteur du texte cité (ici
une phrase, un mot de l’analysant proférés dans un autre contexte).
L’apparente contradiction de la référence commune de N. Reider
et d’E. Sharpe à la métaphore (l’un étant  » pour  »
le sens figuré, l’autre pour le sens propre) est donc à entendre
plutôt comme pratique commune d’une coupure entre énonciation et
énoncé soit entre la chaîne inconsciente et la chaîne
signifiante effectivement proférée, coupure dans laquelle le désir
du sujet trouve son réduit.

Dans son graphe7, Lacan situe dans cet espace le fantasme soutien du désir
du sujet. Ainsi l’interprétation n’est pas simple substitution signifiante,
elle doit faire entendre, voire produire la coupure entre deux chaînes
ou plutôt deux lieux. Elle n’est pas non plus ouverte à tous les
sens. Tous les sens possibles ne sont pas capables de faire surgir les signifiants
à la question irréductibles qui ont introduit, bêtement,
le sujet à la question de son être. Le paradoxe noté plus
haut par Safouan que la désignation directe et savante de l’objet est
moins efficace qu’une expression toute faite et plutôt bête tient
à la nature de cet objet, cause du désir. Si cet objet a,
recélé dans le fantasme (S a), trouve son origine dans la coupure
signifiante, ce n’est que par une coupure homéomorphe qu’il pourra être
à nouveau produit dans la cure. Cette assertion repose sur l’hypothèse
d’un objet produit par coupure, ce qui ne se confirme bien que dans les agencements
névrotiques de la structure. L’interprétation par l’équivoque
signifiante ne saurait être la clé universelle. Son efficacité
dans la psychose se voit plutôt dans son pouvoir de déclencher
son éclosion clinique ou ne peut en effet y trouver entre le sujet du
signifiant S et l’objet cause du désir : a le minimum d’articulation
qui permettrait le jeu de l’interprétation.

Dans les structures perverses il s’agirait de trouver la forme topologique
de l’interprétation qui recélerait au sujet en le montrant de
façon mimétique, le clivage dans lequel il se tient pour échapper
partiellement à la dictature du désir. (cf Nusinovici, Jouissance
et transfert in Le Trimestre psychanalytique 1994, n°3).

7. Le nom propre

La cure analytique produit ainsi des signifiants irréductibles sans
plus de signification. Ceux-ci peuvent-ils être considérés
comme le véritable nom propre, la carte d’identité, le code du
sujet que le travail analytique n’a fait que déchiffrer ? Ou bien ne
sont-ils véritablement produits que dans la cure, même si après
coup ils apparaissent comme ayant toujours été déjà
là ?8

De la réponse à cette question dépend le type de responsabilité
de l’analyste dans l’interprétation et celle devant laquelle il laisse
son analysant. L’analyse ne doit-elle pas tendre sinon à la dépossession
de ce nom propre secret, secrètement chéri, du moins à
la reconnaissance que les éléments littéraux qui l’articulent
sont comme tels strictement équivalents à ceux de n’importe quel
autre sujet.

Si l’interprétation à forme bête, toute faite, se montre
la plus efficace n’est-ce pas qu’elle est la mieux faite à montrer ce
qui ne se dit pas : la bêtise du signifiant qui manipule notre destin.

Cette bêtise Freud nous la montre à l’envi dans l’histoire de
Hans qui appelait lui-même sa phobie : sa bêtise. Je reprendrai
pour l’occasion l’examen des effets de l’unique interprétation de Freud
à Hans au cours de l’unique consultation qu’il eut avec lui9.

8. La consultation du 30 mars 1908

Dans un premier temps Freud révèle à Hans qu' » il
avait peur de son père justement parce qu’il aimait tellement da mère
« . Puis dans un deuxième temps il reprend cette révélation
dans une formule devenue célèbre :  » Bien avant qu’il ne
vînt au monde, déjà j’avais su qu’un petit Hans naîtrait
un jour qui aimerait tellement sa mère qu’il serait par suite forcé
d’avoir peur de son père et je l’avais annoncé à son père.
 »

Le 2 avril on note la première amélioration réelle…
Quel est le ressort de cette efficacité ?

Le sens. – C’est le sens oedipien. Freud explique à Hans sa phobie
par la crainte d’une rétorsion des motions agressives contre son père
en raison de son désir pour sa mère. Ce sens, aujourd’hui galvaudé
était encore à l’époque virulent et pouvait bousculer.

La place où se tient Freud. – Le père de Hans est son élève
: il observe son fils depuis sa naissance pour faire progresser la psychanalyse.
Freud a soigné la mère.  » Il parle du Sinaï  » dit
Lacan et le petit Hans accuse le coup. On a d’ailleurs déjà noté
que le nom même du Pr Freud se trouvait inscrit dans le signifiant Pferd
de la phobie.

La forme de l’interprétation. – Il s’agit d’un énoncé
déclaratif sans aucune métaphore. Elle n’est pas pour autant banale.
D’une part elle est construite sur une formule syntaxique originale  » Bien
avant… déjà…  » qui introduit une connexion logique
et temporelle complexe entre deux propositions : Hans est déjà
dans l’Autre (Freud savait déjà) avant d’être au monde.
Il y avait donc dissociation entre l’inscription dans l’ordre symbolique et
l’ordre imaginaire de la présence physique au monde.

D’autre part elle s’exprime par une répétition : d’abord la révélation,
puis la révélation que cette révélation avait déjà
été révélée, soit un deuxième degré
de la révélation. Nous y voyons une monstration de la  » double
boucle  » nécessaire à la subjectivation.

9. Quelles sont ses effets immédiats ?

Le père prend le message pour lui-même. Il interrompt Freud :
 » Pourquoi crois-tu donc que je t’en veuille ? T’ai-je jamais grondé
ou battu ? – Oh oui ! tu m’as battu. – Ce n’est pas vrai. Quand ça
? etc.

Hans, à moins qu’il n’ironise, semble impressionné :  » Le
professeur parle-t-il avec le Bon Dieu pour qu’il puisse savoir tout ça
d’avance ?  »

Pourtant le 3 Avril, le lendemain de la  » première amélioration
réelle « , Hans dit à son père :  » Pourquoi m’as-tu
dit que j’aime maman et que c’est pour ça que j’ai peur quand c’est toi
que j’aime ?  » Difficile d’y voir la confirmation de l’interprétation
du Professeur ! Pourtant Hans l’a entendue mais dans un sens normatif non pas
comme ce qui se passe mais comme ce qui devait se passer.

Ainsi le 21 Avril : …  » Si c’est vrai, tu te mets en colère,
je le sais. Ça doit être vrai (Das muss wahr sein).  »

10. Cependant on va noter un autre phénomène à mon avis
fort remarquable. Entre la consultation du 30 mars et le 2 mai, date où
sera produit le mythe conclusif de la cure, va apparaître dans le discours
de Hans et de façon de plus en plus nette cette opposition logique :
 » Pas encore… déjà…  » sur le modèle
de la formule de Freud :  » longtemps avant que… déjà…
« . Cette formule qui permet d’articuler en une seule phrase des propositions
situées dans des temps de valeur différente n’existait pas avant.
On pourra trouver les sept occurences de cette structure logique dans le discours
de Hans dans un article paru dans le Bulletin de l’AFI n° .

Pour l’exemple je citerai la première du 4 avril :  » J’ai peur,
si je suis sur la voiture, que la voiture s’en aille vite et que je me tienne
dessus et que je veuille aller là sur la planche (la rampe de chargement)
et que je m’en aille avec la voiture.  »

La formule permet à Hans de dire la structure de la phobie. J’ai peur
de ceci :  » Je n’ai pas encore rejoint la rampe… déjà
la voiture m’emmène.  »

et la dernière du 21 avril :  » Tu n’étais pas encore
descendu de la passerelle et le second train était déjà
à Saint Veit,  » expression d’un appel inquiet au père voire
de reproche voilé comme dans la phrase qui suit : quand tu es descendu
le train était déjà là et alors nous sommes
montés dedans.

11. L’intervention de Freud semble donc avoir introduit dans le discours de
Hans une sorte d’opérateur logique, un  » pas encore… déjà
 » qui structure voire provoque un nouveau mode d’énonciation. Ce
connecteur logique pourrait être la matrice du futur antérieur
:  » il aura été  » que Lacan nous a désigné
comme la temporalité propre au sujet de l’inconscient.

On remarque qu’il ne s’agit pas de la répétition d’une ritournelle
signifiante. Le connecteur emprunte des constructions grammaticales variées.
Seule est constante l’articulation d’une anticipation.

Ainsi dans le premier exemple (4 avril) l’articulation logique n’est qu’implicite.
Le sujet exprime sa crainte d’être embarqué sur le wagon  »
wegen  » (à cause de ) son désir sans pouvoir revenir à
temps au point de départ (mais bien sûr il ne veut pas savoir que
c’est déjà trop tard).

Le 9 et le 10 avril c’est la tentation fétichiste, abandonnée
?, de la culotte. Encore au magasin il l’a déjà vue.
Elle n’est pas encore mise qu’elle est déjà salie…
Cette séance est remarquable par ailleurs par la classification bipartite,
à laquelle s’emploie Hans, d’une série de signifiants où
le loumpf (l’excrément) vient bizarrement se ranger avec le propre, le
neuf etc. attestant par sa bivalence du fonctionnement de la signifiance phallique
qu’il supporte.

Le 11 avril on retrouve la hâte et la peur mais aussi l’acceptation d’être
embarqué dans le train pourvu que son père y soit prêt lui
aussi, cependant que le 14 avril Hans s’amuse à reprendre quasi textuellement
la formule de Freud mais appliquée à Hanna.

Aucune de ces formules n’aboutit à une position conclusive : elles ne
qu’inscrire le paradoxe propre au désir. En tant que désir
e l’Autre il antécède et assujettit avant même que le sujet
ne vienne au monde.

Cette topologie du futur antérieur, Lacan l’inscrit, sur son graphe
du désir (Écrits p.) d’une simple inversion de la place de S de
la pointe vers l’origine du vecteur représentant l’intention subjective,
le phallus comme  » poisson  » crochant la chaîne signifiante
:  » effet de rétroversion par quoi le sujet à chaque étape
devient ce qu’il était comme d’avant et ne s’annonce : il aura été
qu’au futur antérieur.  »

Pourtant les choses sont plus complexes et Lacan surajoute à une première
chaîne correspondant à l’énoncé une deuxième
chaîne dite de l’énonciation ou encore de l’inconscient. Topologiquement
pour inscrire le futur antérieur il faut une courbe fermée. Quelle
que soit son orientation, comme sur le cadran de l’horloge, ce qui est à
venir a déjà été dans un tour antérieur.
D’autre part nous sommes fondés – de par l’enseignement de Lacan
lui-même et aussi la clinique la plus freudienne – à considérer
que les deux étages du graphe ne sont pas indépendants : lapsus,
symptômes montrent la possibilité du retour du refoulé.
Les deux flèches superposées sont à mettre en continuité
par une double boucle, coupure d’une bande de Moebius. Il n’y a qu’apparence
de deux faces.

12. L’intervention de Freud réalise le tour de force de cette double
boucle. Elle noue en une seule phrase deux tours correspondant à deux
temps de nature différente? Le premier, mythique, intemporel :  »
Bien avant qu’il ne vînt au monde… introduisant l’antécédance
de l’Autre où se profère une mystérieuse énonciation
:  » je savais déjà…  » ; l’autre, apophantique :
 » il avait peur de son père…  » qui introduit le sujet
aux prises avec son propre désir.

Tout se passe comme si l’interprétation freudienne fournissait la double
boucle, matrice topologique permettant la construction du nouveau sujet. En
les dissociant pour les réunir elle constitue le frayage d’une coupure
entre énonciation et énoncé.

13. La structure du mythe conclusif de la cure, le 2 mai, illustre cette coupure
:  » Tu sais : j’ai pensé quelque chose. Le plombier (Installateur)
est venu et avec une pince m’a d’abord enlevé le derrière et alors
il m’en a donné un autre et alors le fait pipi.

Il a dit : laisse voir ton derrière et j’ai dû me tourner,
il l’a enlevé et il a dit : laisse voir ton fait-pipi…  » Remarquablement
si le sens est identique au mythe du 11 avril (celui de la baignoire) selon
le père de Hans, sa structure est différente. A l’instar de l’interprétation
de Freud il contient une reprise annoncée par un :  » Il a dit  »
situant le lieu de l’énonciation. Quant à l’énoncé
:  » laisse voir  » c’est le même, mais cette fois à l’impératif,
que celui du rêve qui a suivi les  » éclaircissements  »
donnés par le père sur l’absence de pénis chez les femmes
:  » Alors j’ai vu maman toute nue en chemise et elle m’a laissé
voir son fait-pipi.  »

14. Notre hypothèse est donc que l’efficacité de l’interprétation
de Freud ne repose pas seulement sur la signification révélée.
D’ailleurs elle est fausse mais elle devrait être vraie : en ce
sens elle n’est pas prise de conscience d’un refoulé mais introduction
à un ordre symbolique normatif.

Mais cette introduction se fait par le biais d’un connecteur logique qui dans
sa structure même d’une double boucle prenant dans le même geste
énonciation et énoncé ou encore temps mythique, statique
et éternel, et temps imaginaire, linéaire, vécu, montre
la structure même du sujet.

Ce qui est montré, au delà du dit, renvoie à l’incidence
réelle du père, à quelque chose, comme le dit Lacan, qui
est déjà là dans le jeu de leurre innocent de l’enfant
avec le phallus imaginaire de la mère. Ce déjà là
que le père de Hans fait tout pour masquer, Freud le réintroduit
sans lésiner. La course infinie dans les chaînes signifiantes de
l’Autre est arrêtée par un fait massif : il y a du réel.
La jouissance de la mère concerne quelque chose qui était déjà
là. Elle-même est castrée et son désir est vectorisé
par le phallus. Hans s’emploie d’ailleurs parallèlement à parer
cette castration par les diverses facettes de l’objet a (loumpf)

15. L’intervention de Freud vaut-elle comme modèle ?

D’asséner ainsi la signification paternelle sans nulle métaphore
ou énigme elle peut surprendre. Elle s’adresse à vrai dire à
un enfant phobique par défaut de son père à faire la grosse
voix. Cependant il nous semble qu’elle est beaucoup plus complexe qu’elle n’apparaît
et qu’en quelque sorte elle introduit le cristal qui va servir de matrice pour
faire précipiter la solution sursaturée d’imaginaire dans laquelle
Hans s’ébattait.

Une phobie infantile est un stade quasi obligatoire de la subjectivation :
elle cède le plus généralement. Le thérapeute n’y
a pas toujours grand mérite. Peut-être le mythe ou la théorie
qui rationalise son intervention compte moins que son aptitude à inscrire
un impossible qui vient façonner l’Autre de telle façon que le
sujet puisse y loger. Bizarrement cet impossible qui s’énonce :  »
on ne peut l’être et l’avoir  » (le phallus) ne semble généralement
être introduit que sous couvert de l’autorité du père soit
par l’effet d’un interdit qui le masque.

L’intervention de Freud met largement à contribution cette fonction
paternelle. Grosso modo elle viserait à transformer le phobique en névrosé
(ce qui se produit le plus souvent spontanément). Peut-être ne
faudrait-il pas que nous en rajoutions sur ce point.

16. Si c’est bien la  » prise  » d’une structure qu’il s’agit d’obtenir
dans nos interprétations on pourra suivre ce que dit Lacan dans RSI le
11 février 1975.

 » L’interprétation doit produire un effet de sens réel.
Quel peut être le Réel d’un effet de sens ? Est-ce qu’il tient
à l’emploi des mots ou seulement à leur jaculation ? Autrefois
on ne faisait pas de distinction… on croyait que c’était les mots
qui port[ai]ent alors que si nous [considérons] la catégorie du
signifiant la jaculation garde un sens isolable. Le dire fait noeud. Derrière
le bla-bla il y a l’inconscient. De ce fait il y a déjà dans ce
que [le sujet] dit des choses qui noeud. Il y a déjà
du dire. Quand on a tressé le noeud d’imaginaire il existe.  »

On ne peut donc se passer pour faire noeud, de produire une signification.
Cette signification est nécessaire à l’existence du noeud
soit au réel du sujet. Peut-elle être quelconque ? Est-ce que tout
énoncé sorti de la bouche de tout Professeur aurait eu le même
effet structurant ? On sait par expérience qu’une interprétation
doit être un dire. Chez Freud elle l’était. Ce dont témoigne
sa structure qui au-delà du contenu fait appel à l’impossible
du  » pas encore… déjà là  » et permet à
Hans de nouer le réel de la jouissance sexuelle nouvellement apparue
au sens phallique imaginaire dans lequel il se débrouillait plutôt
bien jusque là.