Qu'est-ce qui fait autorité pour un enfant aujourd'hui ?
22 novembre 2012

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REY Christian
EPEP

En 1942, Alexandre Kojève, dans le prologue à son ouvrage, La notion de l’autorité[1] fait cette remarque selon laquelle cette affaire d’autorité n’a guère été jusque-là objet d’études, de travaux. Ce n’est plus le cas aujourd’hui où, alors que l’autorité est déclarée défunte (en Occident), les études, colloques, ouvrages se multiplient. Et tout particulièrement dans le domaine de l’enfance et de la famille (N.B. : Mais le « vivre ensemble » dans une société d’adulte est aussi dépendant de cette question de l’autorité).

Dans nos consultations, la plainte des parents se dit sous cette forme stéréotypée et collective : « Il ne supporte pas le non ». Le « Il », désignant d’ailleurs des enfants de plus en plus jeunes. Le « non » (disons le S1, le signifiant maître) semble être devenu, d’une manière générale, insupportable aux nouvelles générations dans les familles actuelles.

Pourquoi ?

A qui d’ailleurs ce « non » est-il insupportable ? Et au-delà ou en-deçà du « non », qu’est-ce qui est devenu insupportable ? L’enfant moderne, ajouterais-je, est-il devenu décidément insupportable ? Et à cet égard, on ne peut que s’interroger à propos de l’inflation remarquable de ces « diagnostics modernes » dont on veut aujourd’hui affubler les enfants : quelle est cette évolution sociale qui vient transformer le garçon étourdi, instable, désobéissant en THADA ?

La mainmise des neurosciences et des laboratoires pharmaceutiques sur la psychiatrie ne suffit certainement pas à expliquer le succès de ces nombreuses nominations dont les sigles (composés de lettres) se sont substitués aux signifiants de la médecine pédiatrique (l’enfant nerveux…) ou de la pédopsychiatrie ancienne. Tout se passe comme si ces « diagnostics » venaient en lieu et place d’un « non » impossible à dire et à entendre ; l’autorité de la science comme procédant de nouveaux signifiants ou comme résultante des effets de ses objets manufacturés ? Et en tous cas comme substitut à l\’autorité du « non ».

Et à cette question du « dire non » ou de qui doit dire « non », Charles Melman répond la chose suivante à Denise Vincent qui l’interroge (verbatim publié sur le site Freud Lacan.com en date du 15/04/2008) :« Vous semblez croire que le rôle des parents est de savoir dire non. Vous n’ignorez pas pourtant que c’est le réel qui a cette charge… » (Réponse sans doute pas seulement Rousseauiste). Et Melman de poursuivre : « si les parents ont un rôle à jouer dans cette affaire, c’est plutôt en encourageant leur produit à ne pas se laisser intimider ni déprimer ». Ajout et précision qui ont, à mon sens, le grand intérêt de déplier le signifiant « autorité » en en déployant la polysémie : l’autorité pour autoriser par exemple ; grand intérêt enfin comme indication à nous déplacer d’une position et d’une réponse éducatives telle que celle impérieusement réclamée aux psys par des parents en grand désarroi.

Tous préambule et remarques nous invitant par nécessité à ajouter à notre question de départ, l’autre question supplémentaire : « qu’entend-t-on par autorité ? ». Et c’est une remarque de Winnicott dans Processus de maturation chez l’enfant[2] qui va nous aider à introduire rapidement ce deuxième problème. Winnicott s’interroge sur sa manière de conduire les cures et sur cette surprise qui est sans doute la sienne de s’entendre dire « de plus » à la suite d’une interprétation au cours d’une séance. Quand vient cette expression « de plus » en appui à une interprétation cela veut dire que « je deviens didactique » dit-il. Il précise aussi que ceci survient quand il est « fatigué ». Alors, et en lien avec cette remarque de Winnicott, question : qu’est-ce qui fait autorité dans une interprétation ? Ou en quoi l’interprétation ne saurait-elle être un enseignement ou une injonction éducative ? Ou bien encore qu’est-ce qui rend le « de plus » non nécessaire ?

En laissant de côté la question du transfert, nous nous proposerons de répondre grâce à l’aide précieuse du « signifiant Lacanien ». Soit, le signifiant comme ce qui représente le sujet pour un autre signifiant. Dernière définition qui peut, à notre sens, aussi décrire ce que Freud appelait « associations libres » avec ce que celles-ci viennent dire de la vérité d’un sujet et avec l’effet d’autorité qui, alors, est seul celui du signifiant (et précisément à ce qui se produit au sein du signifiant : une autre lecture par intervention de la lettre avec, cette fois, production de S1).

En conclusion de cet argument : l’autorité pour un enfant aujourd’hui a-t-elle tout simplement disparu ? Sinon ce qu’il en reste procède-t-il toujours du signifiant (cette fois du S1 comme agent) ? Et si ce n’est pas le cas ? De quoi d’autre ?

Enfin, et si d’une cure analytique on peut espérer une renégociation d’avec ces signifiants autoritaires, coordonnées de toutes nos équations subjectives, qu’advient-il aujourd’hui de la pratique de cure (avec un enfant ou un adulte) si l’équation subjective moderne rencontrée vient s’inscrire dans cette « Nouvelle économie psychique » dont nous parle Charles Melman ? Soit une subjectivité actuelle, cette fois soumise à d’autres commandements et à bien d’autres injonctions que celles des signifiants autoritaires.