Quelques remarques sur l’euthanasie
24 septembre 2023

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MAJSTER Nathanaël
Billets
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Quelques remarques sur l’euthanasie

Bientôt, dans une France économiquement faible et moralement chancelante un débat va refaire surface sur l’euthanasie. Une convention citoyenne brouillonne avait démontré, tout comme les sondages menés sur la question, la promotion populaire du droit de disposer de la vie. Cette volonté a été entendue par le pouvoir, l’art de gouverner n’étant plus celui d’adresser au peuple le message qui lui vaudrait unité, foi et courage, mais au contraire de recevoir les messages venus du peuple au travers des sondages et de les transformer en programme législatif – ce qui ne peut manquer d’inspirer ce sentiment de dislocation du corps social qui parait dominer aujourd’hui puisque ces messages sont bien évidemment contradictoires, sans limites quant aux jouissances revendiquées et que le procédé témoigne de l’affaiblissement historique de la fonction du maitre.

Sur l’euthanasie Il ne paraitra pourtant guère convenable de faire remarquer que nos concitoyens, avec l’allongement de la durée de vie, doivent attendre longtemps un héritage qui intervient maintenant bien tard (après 50 ans) et que l’envoi des personnes âgées dans des mouroirs collectifs atteste déjà de la volonté d’en finir plus rapidement avec une source de coûts qui dévore le patrimoine qu’attendent les forces vives et productives de la famille. Surtout que la nouvelle période de latence inventée par nos sociétés, après celle de l’adolescence, s’ouvre précocement avec une mise en « retraite » qui s’avère peu compatible avec le maintien durable des facultés cognitives, comme en témoigne l’envolée du nombre de cas de maladie d’Alzheimer, que notre maitre Charles Melman assimilait à la manifestation d’une carence dans l’exercice cérébral – le cerveau étant ainsi un muscle que la vie active seule entraînait de façon correcte. Le tableau peut donc sembler propice à ce qu’un outil supplémentaire soit proposé collectivement pour résoudre les impasses produites par la situation décrite à trop grands traits ci-dessus.

Disons d’abord qu’avant d’être un droit quelconque, l’euthanasie implique une double subordination.

Subordination de la médecine à l’Etat tout d’abord puisque les objectifs de réduction du coût de la dépendance rendent le médecin traître à son serment de ne pas nuire à son patient. La mise au service de la médecine par l’Etat n’a d’ailleurs jamais été compatible avec l’exercice de son éthique comme en ont déjà témoigné dans l’histoire les pratiques eugéniques transformant dans de nombreux pays les médecins en bourreaux des malades mentaux ou de déficients divers – ceci sans parler de la médecine nazie proprement dite.

La seconde subordination qu’imposera l’euthanasie concerne celle du vieux ou du malade à son entourage familial, et notamment à ses descendants directs. Faire dépendre un ascendant dont on attend héritage de la bienveillance de ses cognati relève d’un conflit d’intérêt dangereux à introduire dans les situations concrètes. Le respect – certes métaphysique – qui est dû à la sacralité du lien de filiation devrait également faire reculer devant la transgression que représente cette légalisation du parricide symbolique – puisque si le parent consent à sa propre suppression, comment ignorer qu’il est pour la génération qui suit, le dernier représentant de l’ancêtre de la lignée, le fonctionnaire du nom, celui qui oriente les conduites et la dette de la lignée, instance garante du maintien de la vie de celui qui est pourtant déjà mort puisqu’à son service. A ce titre l’euthanasie est une à mise à mort sociale et familiale du père mort. On n’aura jamais vu dans notre Histoire que la politique puisse ainsi devenir non pas ce qui unit et solidarise les familles dans le cadre d’une nation mais bien au contraire l’organisation d’une entente collective pour favoriser la mise à mort de l’instance sacrée qui fonde et cimente ces familles. N’est-ce pas une forme de délinquance collective ?

Cette dernière dimension m’évoque une histoire que l’on me permettra de rapporter. Il y a bien longtemps mon maitre s’occupait d’un homme alité depuis plusieurs années pour une douleur dorsale qui rendait impossible les mouvements normaux de sa motricité, ce qui avait eu pour conséquence de l’installer dans une situation de handicap assez grave, encore qu’aucun médecin n’eût pu trouver la moindre anomalie physiologique ou le moindre indice organique de l’origine de ce mal malgré des investigations étendues. La particularité de cet homme était qu’il avait eu une position importante dans le système du médicament français et je dois à la vérité de dire qu’il favorisait avec talent mais par des moyens frauduleux et mensongers l’introduction de ces médicaments sur le marché. C’était sa face sombre. Après un long été sans nouvelles nous avions appris qu’il s’était rendu en Suisse, accompagné par sa fille, afin de procéder à un suicide médicamenteux, suivi bien entendu – pourquoi bien entendu ? – de sa crémation. La talking cure avait échoué. Il habitait rue Edgar Quinet et j’avais, une fois, accompagné mon maitre lors d’une amicale visite dans un appartement lumineux dont les fenêtres donnaient d’ailleurs sur le voisinage calme du cimetière du Montparnasse. Cette histoire m’a toujours paru l’une des clefs qui pourrait aider à lire la poussée de l’époque vers l’euthanasie et le suicide assisté puisque la mise en place d’un immense marché autorisé pour des « médicaments », en réalité des poisons mortels, est l’un des aspects les moins décelés de l’affaire, tout comme le système de centres et cliniques qui en dépendront – tandis que le mensonge organisé sur les motifs de cette mise sur le marché (la « dignité » qu’il y aurait à décider de sa propre mort) rappelle ce qu’était précisément le rôle de ce brillant consultant qui paya en immolant sa vie à l’industrie pharmaceutique, et via les moyens offerts par elle, les fautes commises à l’endroit de la santé collective.

Un tout dernier point. Il parait que le gouvernement maintiendra deux digues à l’euthanasie. Le cas des mineurs et celui des malades mentaux.

Il est bien évident tout d’abord que l’on sait parfaitement que la construction de digues éthiques est l’un des aspects marketing des lois contemporaines – qui remettent à demain leur destruction progressive et progressiste.

Ensuite et c’est la difficulté, à partir du moment où est ouvert le droit à décider de sa mort pour des raisons liées à la douleur intolérable de la maladie ou à sa dégradation irrémédiable – pour quelles raisons refuser cette « dignité » aux mineurs ? Ne pourront-ils, demain, se plaindre de cette discrimination et réclamer le suicide assisté qu’on leur devrait ? Qui pour dire si une douleur est tolérable ou pas ? On verra ainsi les familles assister les jeunes dans leur « transition » digne vers l’autre monde. Quel « brave new world » s’ouvre ainsi à nous. N’en est-il pas de même pour les malades mentaux ? Pourquoi leur imposer de souffrir de façon atroce alors qu’on accepte d’en soulager le reste de la population ? On en viendra donc tout naturellement à leur ouvrir les voies de leur propre suppression, ce qui réservera une évolution sans aucun doute inattendue à la psychiatrie et à son utilité sociale.

Charles Melman avait l’habitude de dire que les psychanalystes – Freud et Lacan en premier – avaient toujours été du côté de la vie. Aux psychanalystes, dans le débat à venir, de dire si c’est vrai et pourquoi.  

Nathanaël Majster