Ce qui spécifie notre condition humaine est d’être déterminée par le langage. La psychanalyse poursuit cette grande tradition de penser notre rapport au langage. Et penser le langage, c’est nécessairement penser la voix.
Cette dernière est essentielle dans l’organisation psychique du sujet, le sujet se constituant, aussi bien s’achevant, dans le commandement de la voix pourra dire Lacan.
Aujourd’hui cependant la voix semble se réduire aux bruits qu’elle fait ou à ses différents enregistrements. Nous ne pouvons pour autant en réduire l’abord à une sorte de naturalité de la parole.
Il y en a cependant d’autres approches : celle de la musique, celle du chant et de l’au-delà du chant comme l’avance Danielle Levinas dans l’un de ses livres (1). Il y a aussi celle de la littérature, il y a le poème, il y a celle de l’artiste comme le montre Geneviève Cadieux dans La voix lactée (2)…
Et il y a qui parle, il y a qui interprète, il y a qui écoute, il y a qui lit, il y a qui écrit… La voix est peut-être tout cela car elle est le langage.
Pour la psychanalyse elle est le support du signifiant mais aussi de la lettre, elle est un des objets (a) et participe aussi du “un”.
Dans la cure analytique l’analysant parle et le silence de l’analyste creuse le vide où la voix pourra résonner et revenir. La voix est aussi le support de l’interprétation analytique qui ne repose pas sur le sens mais sur l’équivoque signifiante, c’est-à-dire une torsion de voix.
Ainsi le désir de l’Autre se manifeste au niveau de la voix mais ne s’agit-il pas là du désir de l’Autre paternel ? Et Lacan pourra dire que c’est par la voix que s’opère la normalisation du désir dans les voies de la loi. L’essence du phallus symbolique est en effet une fonction de phonation. C’est la phonation qui transmet la fonction propre du nom, pourra-t-il avancer.
Ainsi le signifiant-maître tient son pouvoir de la voix. Il y a une dimension vocale de la chaîne signifiante. Charles Melman avance quant à lui que c’est elle qui découpe la chaîne signifiante en phonèmes, la voix étant cette instance une, celle du commandement, étant la voix comme au moins un de la parole. C’était déjà la préoccupation des grands textes anciens que la nature de cette instance.
La voix est en effet une dimension de la fonction paternelle. Dans la Bible déjà, il s’agit d’un Dieu qui parle sur le mont Horeb. D’ailleurs le shofar ne fait-il pas entendre sa voix ?
Derrière l’audition, il y a toujours la fonction paternelle dira aussi Lacan. C’est ce que nous pouvons déduire de notre clinique puisqu’il y a dans toutes les hallucinations une dimension auditive, indiquant ainsi un retour dans le réel de la forclusion de ce que nous pourrions appeler la voix du père. Et la psychose nous indique aussi qu’il y a des voix sans paroles et des paroles sans voix (3), c’est-à-dire qu’il y a une disjonction entre la parole et la voix.
Avançons que pour parler, il faut que la voix se taise car sinon elle sera toujours prête à resurgir dans la parole. Nous sommes tous occupés par nos voix.
La voix est donc un des objets (a), c’est-à-dire ce qui nous permet d’espérer faire accord avec le désir de l’Autre, ce qu’accomplit par excellence la voix de la diva, témoignage d’un accord parfait auquel il n’y a rien à ajouter, ce qu’accomplit aussi la voix du prophète …
Mais si la voix est le support du signifiant, elle est aussi à penser comme support de la lettre à ceci près qu’il n’y a pas de lettre sans qu’il y ait de « lalangue ».
La voix et la lettre, c’est aussi la question de la place de la voix dans le texte.
Lire à voix haute c’est introduire la voix dans la chaîne des lettres tandis que la lecture silencieuse est donner voix au texte lui-même.
Dans leur livre Le métier de Zeus, John Scheid et Jesper Svenbro nous rappellent que pour les romains il y avait une primauté de l’écrit, l’écrit de la loi, la Lex, alors que pour les grecs, civilisation orale, primait la recherche du nomos, la loi de la parole. Deux civilisations qui nous montrent les effets de la parole et de l’écrit quand ils sont séparés.
Une question surgit alors, celle de notre rapport aux textes et à notre propre texte inconscient, celui qui s’est écrit au lieu de l’Autre. L’inconscient ne parle pas, pour autant ne pouvons-nous pas dire qu’il y a une voix de l’inconscient et qui n’est pas celle réduite aux voix des profondeurs ?
Lacan dira que ni dans ce que dit l’analysant ni dans ce que dit l’analyste il n’y a autre chose que l’écriture. Si la psychanalyse donne à entendre, elle ne peut le faire que dans l’articulation de ce qui est dit et du dire, articulation aussi du corps et du langage.
Il y aurait alors à rendre compte cliniquement de ces différents abords…
Le colloque de l’automne le fera dans le champ de la clinique du bébé, de sa mère et de leur chant. Il aura pour titre : « Le bébé, l’Autre et la pulsion invoquante ».
Pour nous la question pourrait donc être celle-ci : la voix est-elle cette articulation de la parole et de l’écrit ?
Si nous voulons bien ne pas la réduire aux bruits qu’elle fait ou aux enregistrements de toutes sortes mais la remettre au compte de l’opération signifiante, comme le dira Lacan à Rome, alors la voix est libre… libre d’être autre chose que substance.