En vue de cette journée exceptionnelle, où nous souhaitions tenir plusieurs fils qui tissent notre pratique de la méthode Françoise Bernard®, j’ai choisi de reprendre un moment particulièrement intéressant du séminaire que Françoise a conduit auprès de mes élèves de Quatrième cette année. J’espère que l’auditoire y trouvera en effet un intérêt ! Quant à nous il ne fait aucun doute que cet épisode inattendu, en nous forçant une fois de plus à inventer sur-le-champ une certaine pédagogie du détour, nous a permis de cerner un peu mieux ce qu’il en est des ressemblances et des différences pédagogiques entre l’enseignement « classique » et le séminaire Autographie-Projets de vie®. Nous avons été aidés dans cette réflexion par la présence inopinée d’un collègue qui a assisté et contribué à notre invention, et qui a donné ensuite son avis de pédagogue sur cette expérience marquée par l’urgence.
Il ne s’agit pas ici d’opposer deux approches pédagogiques pour désigner la meilleure, mais de mieux cerner la pertinence qui est la nôtre (celle de la méthode) afin de formuler à l’avenir, dans un effort de précision des termes, en quoi elle vient utilement – voire crucialement – compléter et soutenir la pédagogie mise en place par les enseignants au front des classes. Pour ce faire, nous tenterons une rapide différenciation entre pédagogie et psychanalyse, afin de garder à l’esprit que nos singularités pédagogiques sont en partie issues du sous-bassement psychanalytique de la méthode Françoise Bernard®. Nous constaterons que ces soubassements permettent une certaine éducation à la réalité psychique, et que cet aspect de la méthode est un argument de plus en faveur d’un dialogue et d’une coopération avec les enseignants que le cadre de travail les force souvent à négliger.
1 – Un fait divers moderne
« Un surveillant (amusé) : Alors Monsieur F., vous avez votre photo sur Facebook ?
F (tombant des nues) : Ma photo … ??? De quoi parlez-vous ? Je ne suis au courant de rien !…
Surveillant : Eh bien, oui, il y a une photo de vous sur la page Facebook de Samia, vous savez, la déléguée des 4B.
F : Ah non, je n’en savais rien … Comment est-elle arrivée là ?
Surveillant : Il paraît que les 4B ont pris des photos pendant votre cours, et aussi celui de Mme B., la prof d’Histoire. On l’a su parce que Samia s’en vantait dans la cour de récréation, vendredi, alors on est allés voir ce week-end… Vous n’avez qu’à demander à Y, lui aussi est allé voir… »
Revenu de sa surprise, F ., mon collègue de Maths, va trouver le Chef d’établissement pour en savoir davantage et s’enquérir de ce qui a été fait. Et aussi tenter de comprendre pourquoi on ne lui a rien dit à lui, premier intéressé, tout de même… Le chef d’établissement se montre rassurant : il n’y a plus de problème, Samia a reconnu les faits, on lui a demandé de présenter ses excuses aux 2 enseignants concernés et, bien entendu, il a été exigé de Samia qu’elle retire aussitôt les images incriminées – ce qu’elle a fait, lui assure-t-on.
Tout ceci, F. nous le rapporte 48 heures avant le séminaire, un matin devant la photocopieuse. Il reste perplexe, nous demande notre avis, et ose à peine évoquer l’idée d’une sanction, qui lui semblerait pourtant normale en l’occurrence. Je suis d’accord avec lui, et me sens interpellé dans ma fonction de professeur principal. Les collègues sont également choqués à des degrés divers. Certains se montrent furieux : comment se fait-il que l’administration ait traité cet incident sans en parler ni aux deux enseignants ni au professeur principal ? Pourquoi ce traitement à l’amiable, en quelque sorte ? Sans aucune sanction ? Les faits sont pourtant graves. Si on laisse faire jusqu’où cela ira-t-il ? Ce chef d’établissement n’assure pas sa fonction, pas étonnant que les élèves soient de plus en plus difficile à tenir…
Bref, cet incident provoque un tumulte du côté des professeurs, scandalisés par deux choses : d’une part les agissements des élèves, vécus comme des abus, des attaques graves contre la fonction et le statut d’enseignant. D’autre part, par le manque de réaction de la direction, soupçonnée de laxisme et d’abandon caractérisé. (une altercation entre un collègue et le Principal, le même jour, en sera le signe flagrant).
Je décide de parler avec Samia et toute la classe immédiatement, puisque nous avons justement cours ensemble.
Au cours de ces échanges (l’un dans la cour, avec Samia seule, l’autre en classe), il apparaît d’abord que l’idée était de s’amuser pendant les cours en employant le portable de Samia, et que quelqu’un a suggéré ensuite que Samia diffuse les images via Facebook. Ce qu’elle a accepté, toujours dans l’idée de s’amuser. L’image du professeur n’est apparue que par accident, un mauvais cadrage en somme, il n’y avait pas d’intention malveillante dans tout cela.. Samia, à qui j’annonce que je vais demander une véritable sanction au chef d’établissement, se montre désolée : elle ne savait pas qu’il était interdit de diffuser des photos de quelqu’un sans autorisation sur le Net, et surtout elle craint de perdre l’estime des professeurs qu’elle aime bien.
Sur le moment, moi-même choqué de ce qui s’est passé, j’ai du mal à croire à cette version innocente Difficulté supplémentaire pour Samia : le soir même se tient le conseil de classe des 4B auquel son statut de déléguée l’oblige à assister ! Mortifiée, Samia refuse d’abord de s’y rendre. Mais le soir venu, elle parviendra à surmonter ses craintes et, soutenue par deux interventions d’enseignants et celles de quelques camarades, elle pourra tenir sa place lors de ce conseil, au cours duquel personne n’évoquera l’incident « Facebook ».
2 – Pédagogie et psychanalyse : deux inconciliables
Avant de voir comment nous avons repris les choses en nous appuyant sur la méthode de Françoise Bernard, faisons un point sur ce qui distingue la pédagogie – au sens où l’entend l’Education Nationale – de la psychanalyse, sur laquelle se fonde en partie cette méthode.
Ce détour est légitimé par trois raisons :
– mon propre parcours d’enseignant, celui d’un pédagogue qui rencontre la psychanalyse, fait un bout de chemin avec elle et en retire quelques idées qui modifient sensiblement sa pratique pédagogique.
– l’histoire de la psychanalyse elle-même, qui a vu, dans les années 20- 40 nombres de pédagogues tenter une alliance entre l’approche pédagogique et l’approche psychanalytique des jeunes en apprentissage.
– l’épisode « Facebook » mentionné plus haut, car il a eu lieu en présence d’un collègue, lequel, questionné ensuite par Françoise Bernard, a eu des réponses « pédagogiques » qui montraient bien la différence entre les deux approches. Nous tenterons de les rappeler plus loin. Résumons à notre façon les différences irréductibles entre pédagogie et psychanalyse :
– le pédagogue s’adresse à la raison de l’apprenant. Pour le soutenir dans son effort de modification, le bon pédagogue va soutenir autant que possible le Moi de l’élève, prodiguer des encouragements, pointer les progrès dans la bonne voie cognitive. En bref, il se centre sur l’énoncé.
– le psychanalyste, lui, va s’intéresser à l’énonciation. Son travail va mettre en relief la subjectivité de son patient, ses fragilités, ses manques, et laisser entrevoir du coup la dimension inconsciente de cette énonciation, les effets du langage sur l’inconscient de l’analysant. En bref, il se centre sur ce dont personne ne veut rien savoir a priori.
– quant à la place du Savoir : pour le pédagogue elle est centrale, c’est cela qu’il transmet. Son savoir est objectif, donc transmissible, et bien sûr cette transmission est évaluable (en tout cas on exige de plus en plus de lui qu’il l’évalue). Les apprenants en savent moins que le professeur, tout le monde en convient, y compris les parents. Les mauvais élèves sont ceux qui refusent ce savoir ou ne parviennent pas à se l’approprier. Le mauvais prof est celui qui n’a pas trouvé le bon chemin pédagogique pour permettre à chaque élève de se saisir du savoir proposé.
Alors que l’analyste, sans rien faire, par l’effet du transfert, est mis en place de sujet-supposé-savoir par l’analysant. De cette place il devra à la fois jouer et se décaler afin que la cure se déroule. Pour faire bref, l’analyste aura tendance à « faire l’imbécile ». Moins il en sait, ou encore : plus il vide sa place de toute consistance de savoir, mieux l’analysant pourra avancer à la rencontre de son propre savoir insu.
– le transfert est donc soit ignoré par le professeur, soit compris comme un moyen de stimuler chez l’apprenant l’envie de bien faire et donc de travailler. Cet amour particulier sera éminemment conditionnel : tu te sentiras aimé quand tu travailleras bien, tu perdras l’amour du prof dans le cas contraire. Le pédagogue, étant donné son cadre et ses conditions de travail, ses missions et son éthique, n’aura que faire d’une interprétation du transfert dont il serait de toute façon incapable hors du colloque singulier de la cure (ou hors d’un dispositif spécifique comme celui du psychodrame). Le pédagogue va donc principalement ignorer la dimension singulière du transfert, et pourra en outre croire que l’élève s’adresse à lui comme à une personne.
Il n’y verra que confusément sa dimension d’adresse à l’Autre (au grand Autre selon Lacan).
Dans la cure analytique, disons pour simplifier que le transfert est interprété comme une adresse à l’Autre, qui rejoue des demandes d’amour archaïques. Demandes singulières, prises dans le discours particulier et les signifiants d’une famille particulière, dans une culture donné, à un moment donné…
On voit qu’il a toujours été difficile, voire impossible, aux pédagogues qui le rêvaient, de mettre en place à l’école une écoute de chacun qui soit « psychanalytique ». Les deux approches, une fois encore, sont inconciliables.
Pourtant, et c’est ce qui m’a intéressé quand j’ai découvert la méthode créée par Françoise Bernard, il existe des biais pour conjuguer pédagogie et psychanalyse, c’est- à-dire pour mettre en place, modestement et discrètement, certes, ce que j’appellerai « une éducation à la réalité psychique ». Je pense au dispositif du psychodrame, tel que pratiqué à la SEPT ; à toutes les formes de médiations culturelles et artistiques qui créent un espace d’expression du Sujet à mi-chemin entre conscient et inconscient ; à Drama, tel que je l’ai rencontré à Bruxelles comme outil de formation proposé par des analystes, et bien sûr aux séminaires Autographie-Projets de vie®.
Nous allons voir en effet comment notre invention, en ce début de jour 3 du séminaire, a permis cette éducation à la réalité psychique – ce qui du coup nous permettra de la définir.
3 – Réflexions et décisions : une invention à deux voix.
F.Bernard décide qu’en effet il faut prendre en compte cet incident. « Facebook » dont je viens de lui parler. Cela s’impose comme une évidence : pas question de faire comme si tout cela n’avait pas eu lieu, comme si cet émoi des uns et des autres n’existait pas.
Mais comment faire ? C’est dans le dialogue express entre nous que vont s’élaborer les modalités de cette prise en compte.
Nous partons de ce qui était prévu. Notamment, en début de jour 3, il s’agit de réactualiser le mythe raconté précédemment : comment dès lors tenir ce fil du « programme » et faire place à ce qui surgit et s’impose, avec toutes les apparences du hors sujet ? Est-ce à ce point hors sujet, d’ailleurs ?
Remarquons que voilà une situation et des questions que tout enseignant rencontre assez souvent dans le cadre de son cours.
Pour oser aborder le sujet, on va s’appuyer sur les invariants de la méthode : la pédagogie (par exemple ici : il faut re-raconter le mythe en début de séance) et les figures principales, qui assurent l’éthique de notre travail : Le Minotaure, Ariane, Thésée, et le Labyrinthe. Peu à peu – mais rapidement car le temps presse – s’élaborent entre nous des idées de consignes qui pourraient permettre de risquer un travail de réflexion sur « l’affaire du téléphone portable », sans renoncer à nos objectifs de la journée et sans que la surprise ainsi créée ne provoque un nouvel émoi, et le rejet de la part des élèves. Au contraire, notre défi est qu’ils se sentent suffisamment en confiance et pour avoir envie « d’y aller ». En somme, fidèles à la méthode, nous proposons aux élèves-Thésée d’entrer dans un nouveau Labyrinthe pour y affronter un Minotaure à définir, munis du fil d’Ariane de nos propositions pédagogiques.
Après avoir accueilli les élèves, ainsi que leur enseignant d’Arts plastique qui a demandé à rester (il n’avait pas retenu l’information selon laquelle ses élèves étaient avec nous ce jour là), Françoise entreprend de raconter le mythe. Puis elle enchaîne en douceur sur le hasard qui fait que cette histoire très ancienne nous concerne encore aujourd’hui… D’ailleurs, dit-elle, ce que je lui ai raconté tout à l’heure à propos des images prises sur un portable en est un bon exemple. Dans ce bref récit, elle a entendu une histoire de courage, et c’est pourquoi elle trouve cela intéressant et propose de partir de cela ce matin….
Sur le moment, j’ai vu le visage de Samia se fermer. J’ai craint sa réaction (« Vous êtes une balance » aurait pu convenir, non ?) – mais notre proposition a manifestement offert un cadre qui donnait confiance.
La voici : «Par petits groupes – à partir de cette histoire, inventez qui est Thésée, Ariane, le Minotaure et quel est le Labyrinthe. Imaginez le plan d’un scénario, comme s’il s’agissait d’un film qu’on va tourner, d’une pièce de théâtre que nous pourrions jouer cet après-midi… ».
Cette invention de consignes mobilise notre savoir-faire de pédagogues et c’est pourquoi, au vu des mimiques du groupe, nous reformulons les choses, continuant ainsi d’inventer, sur cette idée de plus en plus nette que le travail proposé va permettre aux participants de faire un mouvement de métaphorisation qui est si difficile à leur âge. Nous disons : « Quel est le Labyrinthe, aujourd’hui, en 2010 ? Ce n’est pas comme en 2000…Le Minotaure, où est-il ? Est-ce que c’est sa faute, ce qui arrive ? Qui serait Ariane ?… »
La mise en route est facile, les élèves se montrent très motivés, même s’ils doutent au début d’avoir bien compris la consigne. Thésée a accepté le fil tendu par Ariane et il entre dans le Labyrinthe en sachant qu’il n’y sera pas abandonné.
Pendant le travail, chacun des trois adultes passe de groupe en groupe, pour soutenir la réflexion, aider à comprendre ladite consigne, écouter….Mais aucun d’entre nous ne dit la même chose ni n’ écoute de la même façon. Les élèves, eux, se sont débrouillés pour penser, s’appuyant sur les consignes, sur leurs échanges, sur les paroles des adultes…. Après 15 minutes, nous sommes passés à la mise en commun, à la discussion en grand groupe. Le résumé des contenus de cette discussion suffit à constater l’impact de ce travail :
– il a été question des nouvelles technologies, pointées comme nouveau Minotaure par certains groupes, de Google et de Facebook, de ce qui est permis et interdit quant à la diffusion des images sur le Net. Deux anecdotes apportées par les adultes par association d’idées ont mis en évidence les risques liés à un manque de contrôle de ses informations par l’internaute lui- même, sans que cette mise en garde n’ait été un projet au départ.
– Tout un pan de la discussion a porté sur les conséquences de ce que nous faisons, conséquences pour soi et pour les autres. Certains élèves ont exprimé leur étonnement devant ces conséquences, ce qui nous a conduit à confirmer que l’incident n’avait pas procédé d’une envie de nuire à quiconque, mais bel et bien de l’envie de s’amuser, en bons ados modernes…au lieu de travailler !
– Un autre élément surgi spontanément nous a touché : les jeunes ont fait le constat qu’il n’y avait personne auprès d’eux pour leur apprendre une série de choses…sauf si les adultes s’y engagent délibérément, sans attendre une demande qui ne risque pas de venir puisqu’elle ne se sait pas !
– En toute honnêteté, les élèves de la 4ème B ne savaient pas qu’il était interdit de diffuser des images sur le Net sans en demander l’autorisation à qui de droit, ils n’avaient pas conscience des risques de Facebook et autres sites sociaux. Pour eux, il ne pouvait pas y avoir de mal à faire ça, puisque « tout le monde le fait ». Crûment, un groupe énonce : « Pourquoi se priver d’utiliser ces nouvelles possibilités, puisqu’on nous dit tout le temps d’en profiter, qu’on nous y incite sans arrêt ? »
C’est ainsi qu’en fin de discussion, un nouveau Minotaure apparaissait, sous les doubles traits de celui qui avait incité Samia à diffuser les images sur sa page Facebook et de celui – insaisissable, qui nous incite à jouir de tout ce que la technologie nous propose.
Puissante et profonde conversation, dans un temps pourtant très limité, pour une classe composée surtout de jeunes qui refusent le travail scolaire, ont peur des « intellos », et vont jusqu’à l’absentéisme chronique. Ce moment du jour 3 nous fera immanquablement penser à cette exclamation de Thomas, lors du jour 2 du même séminaire : « C’est la première fois que je pense pendant la journée !! ».
Il nous semble que se dessinent bien ici les contours d’une éducation à la réalité psychique. En effet, le savoir issu de ce travail est venu des élèves eux-mêmes. Or, ce sont les repères que l’on se construit soi-même qui ont quelque chance d’être les plus opérants. Ici, par le dispositif mis en place, on a fourni un chemin – un peu comme dans l’esprit socratique ? – pour que les élèves amènent leur « savoir insu »,
qui concerne une partie de « l’autre scène » : dans l’exemple vécu ce jour-là, les élèves ont découverts la prise dans la jouissance, avec l’incitation par le grand Autre, par le social, incitation qui leur échappait, dont ils se pensaient maîtres (Lacan parlerait du pousse-au jouir de notre société capitaliste moderne).
Bien sûr, l’objectif du séminaire n’est pas directement cette éducation-là. Elle se fait de surcroît. Mais qui d’autre s’en charge, dans le cadre scolaire ?
4 – Deux approches pédagogiques conciliables ?
La première différence réside dans le cadre : ici, un moment exceptionnel – le séminaire – contrairement aux cours dont la succession est parfaitement prévisible jusqu’au dernier jour. Le temps est celui de l’urgence, le contenu de l’ordre de la surprise. En classe, le professeur a préparé les contenus et les méthodes : la surprise d’un vécu de la classe serait reçue comme un trouble, il faudrait ensuite rattraper le cours, ou vivre comme une faute le fait de n’y être pas parvenu.
Le « programme » de notre jour 3 est davantage un contenant, une série d’étapes prévues pour créer un espace dans lequel les élèves mettront ce qu’ils voudront et ce qu’ils pourront. Nous serions bien en peine de dire à l’avance ce qui se sera passé lors de cette journée, pour chacun d’eux, en terme de transmission de savoirs.
Le « professeur est ici un intervenant extérieur, quelqu’un qui vient exprès pour nous, pour nous rencontrer. Il joue gros jeu, car il peut être facilement réfuté justement comme corps étranger. Mais sa venue crée du nouveau dans la routine du collège, et elle signifie un intérêt pour l’autre qui tend parfois à devenir illisible quand c’est toujours le même professeur, à la même heure, avec le même style.
Les points de ressemblances existent aussi, et permettent a priori un dialogue et une entraide entre les deux approches.
Par exemple, dans les deux cas il faut savoir où l’on va, c’est-à-dire disposer d’une méthode de travail qui permette d’atteindre certains objectifs. C’est pourquoi, en début de jour 3, nous commençons par le récit du mythe…même s’il faut traiter une terrible affaire de photos prises en classe et diffusées sur le Net ! Un professeur, dans sa matière, commencera peut-être rituellement par revenir sur les conclusions du cours précédent afin de faire lien avec ce qui va suivre. Mais si surgit un incident qui trouble la classe et réclame d’être traité par la parole, il ne saura pas comment faire sans renoncer à son cours.
Il ne s’agit pas de dire que toute surprise est facile, ni même possible, à accueillir lors d’un séminaire, mais il est clair que la méthode mise en œuvre le permet bien davantage. On a vu ici l’intérêt du détour par le mythe, ce dont ne dispose pas le professeur chargé de transmettre les savoirs d’une discipline.
Autre exemple. Dans les deux approches, il est important de faire réfléchir les élèves. Pour le séminaire Autographie-Projet de vie®, c’est le but principal, annoncé d’emblée : « Nous allons réfléchir ensemble ». Tous les enseignants souhaitent que leurs élèves réfléchissent au lieu d’âtre « scolaires », « d’appliquer sans comprendre ».
Dans la méthode, le cadre fourni pour que se développe une réflexion individuelle est le produit d’un croisement réussi entre conscient et inconscient, entre rationnel et irrationnel, entre imaginaire et réflexion raisonnée. Beaucoup plus que dans les cours habituels il sera en effet proposé de « jouer pour pouvoir penser », à partir du mythe lui-même présenté comme une histoire inventée pour pouvoir penser. Par là, la méthode de Françoise Bernard rejoint la démarche anglo-saxonne Drama et le dispositif du psychodrame, ou encore le sociodrame : méthodes dans lesquelles, à certains moments, le jeu, la représentation mettent à disposition des participants une aire transitionnelle où les idées vont se rencontrer plus ou moins consciemment et résulter en une nouvelle « vérité » dont chacun pourra faire quelque chose pour soi : un apprentissage, en somme.
Ou encore. Tout enseignant souhaite a priori que ses élèves « participent » ; la passivité, comme le chahut, sont bien lues comme des refus d’apprendre et mettent à mal le projet de l’enseignant. C’est la même chose au cours d’un séminaire : le refus de participer peut miner les efforts de l’animateur. Cependant, la méthode comporte à la fois un but (faire en sorte que tout le monde prenne au moins une fois la parole) et des outils jeux qui favorisent a priori cette participation.
Ne serait-ce donc que sur ces trois points – prendre en compte la surprise sans en être déstabilisé ; réfléchir ensemble ; améliorer la participation – il nous semble que la méthode Françoise Bernard® peut entrer en dialogue avec les questions des enseignants et proposer une réflexion innovante à ceux d’entre eux qui sentent qu’il est de plus en plus nécessaire d’accueillir autant que possible la singularité de chacun, sans pourtant jouer à psy ni abdiquer sur les exigences fondamentales de transmission.