Que trouve t-on dans la salle d’attente du psychanalyste ? Je n’ai pas fait une véritable enquête à ce sujet. Si vous pouviez compléter mes renseignements, je serais très intéressée. Quelles revues, quels journaux sont mis à la disposition des patients.
Ma question n’est pas innocente. Pour moi il s’agit bien en offrant à la lecture tel ou tel journal de la responsabilité sociale et politique du psychanalyste. Une solution serait un certain éclectisme : les quotidiens de tous bords côtoieraient les derniers livres des collègues analystes.
Ch. Melman avait -c’est une boutade- proposé qu’on offre aux toxicomanes la lecture de Lacan, c’est à dire une façon de les introduire à une éthique qui ne se borne pas avec les lois de la cité mais qui met en place un ordre supérieur qui est celui des lois du langage qu’à l’évidence le toxicomane trahit, pervertit, méconnaît.
Les psychanalystes auraient-ils le droit d’être dérangeants ? Dans le champ de la psychanalyse, les occasions de soulever des questions à propos de problèmes de société ou politiques ne manquent pas. Mais la plupart du temps, les problèmes une fois soulevés, les choses retombent.
Nous avions, je veux dire les responsables de ce site, après les résultats au référendum sur la constitution de l’Europe, eu l’envie de discuter sur le bien fondé de ce référendum, sur le sens à donner aux résultats, mais mous n’avions rien publié de ce que nous avions abordé. Nous avons eu peine à faire vaciller la limite, prétendue universelle, entre symbolique et réel et donc le symptôme illustré par le non. Nous aurions pu dire quelque chose de ce qui était repérable comme répétition avec l’élection présidentielle précédente.
La formule de Lacan "l’inconscient c’est le social" semblerait faire entendre que le complexe d’oedipe n’est pas la seule organisation de notre subjectivité. La famille ne serait pas la seule détermination de notre destin de sujet. Les psychanalystes dès lors, n’ont pas à limiter leur responsabilité à la sphère familiale, ils auraient à prendre en compte le champ social.
Lacan avec cette formule"l’inconscient c’est le social" va à l’encontre une fois de plus du moi fort de l’ego psychologie. Cet attachement que le sujet porte à sa personne n’est que l’attachement qu’il porte à l’image de l’autre qu’il introjecte, qu’il a introjecté dans la phase du miroir. C’est la référence paternelle qui a établi cette frontière entre symbolique et réel. Le psychanalyste dans la cure va tenter de la faire vaciller, de la déplacer, et pas seulement en abordant le traumatisme dans son caractère privé. Au-delà de cette sphère privée, serait-il sacrilège d’aborder des lois plus générales qui intéressent le sujet plongé dans le champ social, de manière à arrêter la répétition qu’engendre le traumatisme.
C’est ainsi que j’ai essayé d’aborder le problème de l’identité nationale en parlant du film "Caché" de Michael Haneke. Pour autant que la guerre d’Algérie a été un traumatisme pour beaucoup de français, on peut se demander quelle incidence elle peut avoir eu sur un sujet qui croit avoir tout oublié. Les lois de la cité valent pour tous et impliquent des frontières inévitablement hostiles vis-à-vis des autres. Ce film montrait bien comment la jalousie proprement oedipienne du personnage incarné par Daniel Auteuil s’était étendue à toute la sphère sociale et politique. Sa bonne conscience d’intellectuel, à la table de ses amis, masquait mal sa profonde culpabilité sur un autre plan.
Aurions-nous à prendre position sur des thèmes législatifs qui ont été profondément chamboulés ces dernières années par les assemblées de nos élus? Les psychanalystes ne se sont pas beaucoup prononcés sur l’autorité parentale conjointe et le fait que la fonction paternelle est maintenant partagée entre le père et la mère. Cette inégalité reconnue jusque-là au père n’avait-elle pas la propriété d’établir l’arbitraire du signifiant maître qui est, nous le savons, la condition d’exercice de notre désir? Que se passerait-il si nous détachions la loi de son rapport au père? Nous nous posons cette question depuis dix ans et nous sommes en train d’en constater les effets.
Lacan disait que le décalogue n’était rien d’autre que les lois de la parole. Les lois de la parole, qu’est-ce que c’est ? "Dans le discours psychanalytique, nous disait Charles Melman en 1995 au cours de son séminaire, il n’y a aucune réconciliation possible entre a et S barré, puisqu’au contraire l’objet ne peut émerger que si le sujet s’éclipse: c’est le prix de l’émergence de l’objet. Et, d’autre part, le sujet ne subsiste qu’à la condition que l’objet soit perdu".
Nous nous heurtons au fait que certains psychanalystes refusent toute référence structurale, toute idéologie et toute doctrine. Ce que Ch. Melman dans ce séminaire appelle le déclin des idéologies, c’est le fait de récuser le caractère langagier du lieu Autre. Un discours dogmatique est le seul qui évite,dit-il, la confusion de ce qui esquive la mise en place du réel.
La neutralité du psychanalyste, son retrait de la scène publique ont été fortement ébranlés, ces temps derniers, par les attaques des tenants des psychothérapies comportementales et l’obligation qui nous est faite par le législateur de déterminer publiquement qui est psychanalyste et qui ne l’est pas. Nous nous sommes aperçus que nous devions prendre position, faire valoir ce qui constitue nos principes. Les lois de la cité se réclament de valoir pour tous. L’exigence de l’idéal de neutralité est autre chose. Elle procède de la sublimation et nous inclinerait à renoncer à notre désir, à en faire sacrifice. Nous avons au contraire à prendre fermement position à définir ce que nous entendons par démocratie par exemple, même si ça dérange. Nous n’avons pas à refouler ou à forclore l’enseignement que nous a prodigué Lacan dans ses séminaires.
Je vous recommande de relire le séminaire de Charles Melman des années 1994-1995 intitulé Retour à Schreber, paru aux éditions de l’Association freudienne internationale.