Pourquoi une femme serait-elle obsessionnelle aujourd'hui ?
08 juillet 2003

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CHEMAMA Roland
Textes
Psychoses-Névroses-Perversions

De nombreux analystes ont fait état, durant les dernières années, d’un nombre croissant de cas de névroses obsessionnelles chez les femmes qui venaient les consulter. À quoi cela serait-il dû ?

L’hystérie a pu longtemps passer pour la façon privilégiée, pour une femme, de faire entendre son statut d’exception. Si une femme peut en venir à estimer qu’elle ne trouve pas sa place dans l’ordre phallique existant, si elle estime qu’on ne lui a pas transmis les insignes du pouvoir, elle peut en venir à chercher, la formule est de Lacan, un maître sur qui régner. Dans cette opération, que l’on qualifiera d’hystérique, hors de tout sens péjoratif, c’est sa subjectivité elle-même qui peut venir sur le devant de la scène. C’est, par exemple, devant un sujet qui souffre et qui témoigne de son sacrifice que le maître doit rendre les armes. Que se passera-t-il cependant dans un monde où la place du maître est moins assurée, où elle est dénoncée par le discours ambiant lui-même? L’hystérie peut bien sûr subsister, éventuellement en changeant de forme. Mais on peut également se trouver dans un autre cas de figure. Une femme peut déserter le terrain où elle pressent qu’elle ne trouvera pas de maître consistant à affronter. Elle peut non plus récuser ou refouler les signifiants du maître mais d’une certaine façon les ignorer, ou du moins ne pas s’y affronter. Cela veut dire qu’elle ne pourra plus se situer que par rapport à des chaînes de raisons dans lesquelles aucun signifiant ne peut venir constituer un point d’arrêt. Dans ce mouvement elle participera d’ailleurs de notre rapport moderne à un savoir pour lequel tout s’équivaut.

Or il faut relever que c’est dans un style obsessionnel qu’elle s’engage alors, puisque c’est l’obsessionnel qui tente d’articuler une suite d’énoncés obéissant à de strictes règles d’inférences, sans aucun terme qui puisse faire coupure. À ce compte la dimension de la subjectivité tend à être annulée. C’est cela qui semble prédominer aujourd’hui, même là où on ne s’y attendait pas, c’est-à-dire du côté des femmes.

Il faut d’ailleurs ajouter que dans les chaînes d’énoncés de l’obsessionnel, précisément parce qu’elles tendent à annuler toute expression subjective, comme si toute expression de la subjectivité pouvait être indécente, les pires indécences, les pires obscénités, vont se présenter, vont faire irruption. Nous trouvons cela dans nombre de cures féminines, mais je me demande si cela ne prend pas aujourd’hui une valeur particulière.

Il faut en effet spécifier ici la présentation de cette idée d’un signifiant qui ferait coupure, et dont le discours contemporain tente de s’affranchir. Pour l’analyste, il s’agit essentiellement du phallus, comme signifiant qui, dans l’inconscient, marquerait la différence des sexes. Or on ne peut nier qu’il y ait aujourd’hui un rejet de tout ce qui viendrait distinguer les sexes, accompagné d’un discrédit porté sur tout ce qui pourrait évoquer par exemple une affirmation masculine, mais aussi bien d’ailleurs une féminité.

Il est alors possible de saisir que là où la question de la sexualité et de la différence des sexes est en quelque sorte entravée dans son expression symbolique, elle va revenir sous une forme imaginaire. C’est le cas pour ces femmes qui se plaignent d’être envahies, contre leur gré, par des représentations obscènes, des idées qu’elles jugent éventuellement perverses, en tout cas inconvenantes. Il semble que dans bien des cas ces idées peuvent être entendues comme une façon de réintroduire du sexuel dans un monde où le phallus est forclos, où le sujet mâle est perçu comme plus ou moins impuissant, et en même temps de le faire dans le ton de la dérision. On peut à cet égard ce référer à une crainte obsédante assez étonnante, mais qu’on retrouve parfois chez certaines femmes, celle de se transformer en criminel sexuel. Souvent dans ce type de cas, le contexte laisse facilement voir qu’il s’agit de remettre en circulation un phallus dont le père notamment semble dépossédé, mais en même temps de le présentifier sous une forme dégradée. Est-il concevable de penser que cela se rencontre de plus en plus souvent aujourd’hui ?