Séminaire d’été 2016 – 26 août.
Pierre Coërchon, MC, L8, Impromptus. De la dissymétrie à l’irréductible.
Le titre de mon intervention est tiré de la façon qu’a Soury de nommer deux éléments distincts. C’est la question du rapport de Soury au deux, au travail avec Michel Thomé, et c’est encore la question de sa relation avec Lacan.
« Irréductible », c’est la façon dont Soury définit les coupures sur un tore. C’est-à-dire que finalement il leur attribue cet adjectif qui devient un substantif, une coupure sur un tore est irréductible, et ceci dans une relation de deux en opposition avec un trou, on vient de l’évoquer, avec un trou dans un tore que Soury repère, lui, ce trou comme réductible à une structure qui est toujours la même et qui vient mettre en place une constante structurale dont on a vu que cette constante était assimilable à la structure borroméenne elle-même, il y a là la figure du panier. Ce trou sur une unité, une surface unitaire qui est un tore, fait émerger quelque chose de la structure et, à cet endroit-là, Soury sépare les nominations puisqu’il nomme le trou de « réductible », il le qualifie ainsi, et il qualifie la coupure d’« irréductible ». Irréductible l’opposition, la démultiplication, parce que pour Soury les choses se passaient ainsi. Quand on lit un peu ses textes – Jean Brini m’a fait passer des extraits des ouvrages de Soury – Soury voit les choses, dans ses commentaires et dans ses écrits, comme finalement l’organisation, notamment dans un texte qui s’appelle « L’Unisson et le contre-point1 », pas du tout d’un point de vue musical mais point et contre-point de la façon dont Soury voit les choses. On voit ces choses très abstraites, en même temps elles contiennent en elles-mêmes la position éthique de chacun, elles sont très cliniques. Il y a une dissymétrie des deux postures, la posture de Lacan dans sa recherche, la posture de Soury dans sa recherche. Rien qu’en suivant le protagoniste de ce qui se déroule dans le séminaire, on ne peut pas dire qu’on est dans quelque chose qui est en dehors de la clinique puisque on pourrait dire que la structure de chacun des protagonistes est prise entièrement dans cette recherche et dans le témoignage qu’on peut en avoir de leur engagement respectif. Ils y sont tous les deux engagés ou tout du moins l’un et l’autre, ce qui fait que chacun peut s’y engager. Soury voit les choses sous forme d’une unité de base, le point ; quelque chose qui vient faire unité qui serait le point. Et puis ensuite, il sépare cela d’une deuxième entité qui serait le contre-point, et dans ce contre-point on aurait un effet de démultiplications à l’infini. On retrouve la réalité de Soury, enfin sa façon de voir le monde, pris entre cette radicalité de l’unité et cette démultiplication à l’infini. Par ailleurs, cela a été décrit et dit par Jean Brini ce matin en citant des phrases de Soury, à partir du trois, Soury va mal, à partir du trois, Soury dit qu’il est triste, il écrit qu’il est triste. Et tout ce qui pourrait se générer au-delà de ce trois, toutes les unités générées au-delà de ce trois, le rendent triste et il renvoie cela à la question de l’infini.
Je ne sais pas si je peux me permettre de citer l’anecdote que vient de me raconter Charles Melman, elle est très parlante me semble-t-il de la situation éthique distincte des deux personnages. Charles Melman me racontait comment Soury avait été le témoin et l’acteur d’un acte manqué de Lacan, c’est-à-dire dans un trajet en voiture, comment du fait de la vélocité, de Lacan, à un moment donné il y a eu un accident et le trajet s’est interrompu là de force, mais les deux protagonistes sont sortis indemnes de l’accident. Voilà ce qui rate d’un côté mais de l’autre côté, Soury, n’a peut-être pas le bénéfice et la chance de cette Tuchê-là. C’est-à-dire quand Soury s’essaye à quelque chose, notamment quelque chose qui concerne l’acte, et là-dessus son engagement va être tragiquement extrême, il vise, peut-être les prémisses de quelque chose qui pourrait s’originer d’un raté, mais son problème, c’est que malheureusement il a bien ficelé les choses pour que justement il n’y ait pas de place pour ce ratage.
Il y a une lettre, d’ailleurs qui corrobore le propos que je suis en train de tenir, une lettre de Soury qu’on trouve dans le recueil qu’a rassemblé Thomé des écrits de Soury2, il y a un manuscrit3 de Soury, juste avant son suicide, qu’il nomme comme ça, il écrit : « J’essaye le suicide ». Ce manuscrit, d’ailleurs séparé en trois parties, trois énoncés, séparés par des barres, et il est pris en même temps que la préparation de cet acte, il est pris dans un souci économique qui paraît incongru, c’est-à-dire qu’on se demande vraiment s’il croit à ce qu’il est en train de faire ou s’il n’est pas là en train d’opérer une expérience scientifique comme une autre. Dans la première partie de cet écrit, il dit qu’il va « essaye[r] le suicide ». Dans le deuxième élément, il dit « ou bien je réussis » et dans ce cas-là je laisse une somme à Michel [Thomé] pour qu’il règle les problèmes de leur cohabitation ou de leur collocation, de leur collocution, dans le même appartement, « ou bien je rate » et auquel cas je récupèrerai la somme. Et troisième élément de cet écrit, il dit : mais « c’est pas un cadeau ». Quoiqu’il arrive, sachez bien si jamais je réussis mon coup, la somme que je laisse, il ne faut pas prendre ça comme un cadeau, c’est vraiment pour régler l’économie du lieu et gérer les affaires du lieu. Voilà ce qu’écrit Soury avant de passer à l’acte, sachant qu’il a quand même assez techniquement et scientifiquement abordé la question aussi puisqu’il a réuni des informations pour, grâce à une sorte d’alambic improvisé, fabriquer du cyanure et, là aussi, il n’y a pas de raté dans la procédure. Ce sera avec le poison qu’il a fabriqué qu’il va aboutir jusqu’à la conclusion de son acte.
Dans les documents que m’a fait passer Jean Brini, il y a un autre élément qui nous rattache aux éléments cliniques, pour essayer d’alléger cette pseudo-abstraction topologique. C’est qu’il s’est suicidé dans un lieu, enfin ce sont des coupures de presse qui en rendent compte, qui se trouve à côté du Chesnay, près de Versailles, c’est un lieu qui s’appelle : Bois de Fausses- Reposes. « Fausses-Reposes » au sens de «faux» et j’ai fait une recherche pour savoir d’où venait cette nomination dans ce bois de Fausses-Reposes. C’était un bois de chasse royale où les animaux chassés se réfugiaient dans les fossés, où ils allaient avoir un « faux repos », derrière ils allaient avoir un « vrai repos » puisque le roi allait les chasser. Le fait de la nomination de ce lieu, je ne pense pas que ce soit anodin. Dans la coupure de presse qui relate la découverte du corps de Soury, le 3 juillet 1981, donc il aurait fait cela dans la nuit du 2 au 3, il est mentionné qu’à côté de Soury on avait les flacons de poison et puis on avait une carte topographique, ce qui laisse penser qu’il n’a pas choisi ce lieu au hasard.
Tout cela est écrit. Et en même temps Lacan, Marc Darmon en a bien parlé en évoquant la leçon d’ouverture du séminaire du Moment de conclure, de l’impossible du Réel, de l’impossible comme nécessité, c’est-à-dire en mettant en avant que la face symbolique du Réel c’est le symptôme et que ce symptôme est nécessaire.
C’est bien ce qui fait défaut à l’endroit de ce qui va se passer pour Soury, et dont on a me semble-t-il déjà l’écriture à l’ouverture du Moment de conclure. C’est ça le drame, ce que moi je qualifierais le drame de Soury. Le drame de Soury est déjà écrit par le nœud borroméen déborroméanisé qu’amène Lacan dans la première leçon du Moment de conclure. Et alors ce nœud, c’est celui qu’on a déjà largement évoqué, c’est le nœud que Lacan qualifie du « fantasme scientifique », donc c’est une réduction fantasmatique de l’Imaginaire d’une façon tout à fait spécifique et particulière. Et Lacan pose ce nœud et le définit, avec tous les risques subjectifs que ça peut avoir pour quelqu’un qui vient se ranger dans ce type d’engagement. À savoir que cela me paraît contemporain, Lacan dans cette première leçon évoque, Freud fait cela avec sa façon d’amener un certain nombre de concepts, en passe par une sorte de scientificisation de son idéation, de sa pensée ; Lacan, donc, évoque le concept de pulsion, ce qui vient réduire la portée du concept de pulsion. Les pulsions en tant que totalement sexuelles, Lacan a été net et tranché à l’endroit de l’ouverture de son séminaire, ce concept de pulsion chez Freud est réductible à un fantasme scientifique qui s’écrit selon la modalité du nœud qu’il nous amène. D’un nœud où le trou du Réel recrache le trou du Symbolique, recrache le Symbolique puisqu’il y a un entrelacs entre le Symbolique, un entrelacs trivial, un nœud olympique, entre le Symbolique et le Réel. Donc il y a une espèce de comble, de l’un par l’autre, c’est-à-dire là où on pense que les noms et les choses s’auto-originent dans cet effet de duo, de couple, de deux. Et Marc [ Darmon] nous avait dit que l’Imaginaire était alors je ne dirais pas accessoire, mais tu as dit un adjectif qui relevait du fait que l’Imaginaire dorénavant n’était pas indispensable. C’est vrai qu’il est dans ce nouage-là, il peut se défaire, très facilement, et sans aucune intervention, sans coupure. Et en même temps Lacan insiste sur le fait que c’est aussi la conception dramatique, tragique de Freud qui amène à ce type de nouage. Le complexe d’œdipe, la tragédie d’œdipe elle-même probablement amène à ce type de nouage, ce n’est pas forcément quelque chose d’hyper contemporain et d’hyper récent. Oedipe par exemple, quand il répond à la Sphynge, quand il lève l’énigme et qu’il apporte la réponse, c’est là où justement quelque chose d’une permission et d’un franchissement a lieu, qui va ensuite déclencher toute la tragédie. C’est ce type de réponse assez catégorique qui amène une distinction affirmative, le bon mot pour la bonne chose, une bonne façon de nommer les choses si ce concept vise à son extrême, d’avoir enfin le bon mot pour attraper quelque chose, d’avoir une prise sur le Réel, là il y a une prise symbolique qui serait presque moulée, pour le coup, moulée dans la structure-même du Réel, les deux se complétant parfaitement.
Dans ce nœud où le statut de l’Imaginaire, pour rester dans cette approche de la clinique, et des représentations qu’on peut avoir de la clinique, parce que après tout il faut bien qu’on essaye de ne pas l’abstraire, cet Imaginaire, comment il peut se relier. Et d’ailleurs Lacan l’évoque souvent, enfin il dit qu’il y a les pures écritures, les pures conceptions mathématiques, scientifiques, etc. Et puis il y a une pensée, une pensée qui revient, qui découle de ça, et une pensée et des conceptions qui découlent du fait de cette alliance particulière entre le Symbolique et le Réel, l’un complétant le trou de l’autre, en deux tores enchaînés. Dorénavant l’Imaginaire a ce statut tout à fait particulier qu’il est réfutable et Popper le repère bien puisqu’il définit lui-même, je pense Lacan pour écrire ce nœud s’appuie sur la définition scientifique de Popper, à savoir que dorénavant c’est vrai donc c’est représentable, c’est vrai, puisque c’est quand même là, c’est dans l’Imaginaire qu’on vient confirmer quelque chose d’une vérité dans la représentation, c’est vrai jusqu’à ce qu’une autre vérité advienne, c’est vrai jusqu’à preuve du contraire, c’est vrai jusqu’à ce que ça soit réfuté. Et en attendant cette vérité-là elle va agir et avoir un certain nombre d’effets et alors cette vérité-là, si toutes ces pensées issues de ce concept dans leurs effets, moi je dirais au fait que ça coince, il y a là un effet de pseudo coinçage que j’ai d’ailleurs, qui est là affiché, que j’avais présenté au mois de juin.
Un effet de pseudo coinçage, c’est-à-dire qu’on peut tout à fait, parce que là Lacan nous montre le désenfilement, la désistance, l’exfoliation de l’Imaginaire, comment l’Imaginaire sort de l’ex-sistence commune du nouage borroméen à trois mais en même temps la conception génère un appui sur l’Imaginaire, mais dorénavant cet Imaginaire est réfutable jusqu’à preuve du contraire. Et donc on peut voir ici, on peut aussi bien sortir l’Imaginaire que par exemple ici, il est en noir sur mon schéma, sortir l’Imaginaire que l’enfiler. On n’est pas du tout dans l’Épiphanie joycienne, on est bien dans le coinçage de l’objet, et non seulement on est dans un effet de coinçage de l’objet mais aussi de coinçage de deux jouissances : c’est-à-dire que le sens, dès l’instant où l’Imaginaire est coincé, l’objet a est coincé, la Jouissance Autre est coincée ici et le sens est coincé là. On a des effets de coinçage. Mais on n’a pas la stabilisation que nécessiterait le coinçage de la Jouissance Phallique, on n’a pas cet effet, garant, qu’aurait la Jouissance Phallique à cet endroit-là, puisque le Réel et le Symbolique à cet endroit, justement et du fait de ce dessus-dessous particulier-là, le Réel et le Symbolique s’enchaînent trivialement. À partir de là, l’Imaginaire peut être intégré, il peut coincer son objet et déterminer du sens, avoir des effets de sens, il peut avoir des effets de Jouissance Autre, mais tout ça dans une grande précarité clinique puisqu’il n’y pas un élément tiers qui viendrait dans la structure-même le stabiliser. Cet élément dont je parle, Lacan l’évoque dans la leçon I, puisqu’il dit qu’il ne comprend pas pourquoi Freud tire toute l’interprétation psychanalytique qui est la représentation mythique du côté de la tragédie, avec l’Oedipe, alors qu’il évoque le fait que la vie est comique, donc le garant de la vie serait le comique de l’affaire, quelque chose qui est hors sens, qui est là hors corps aussi, mais qui est le garant de tout cela et qui se dégonfle, aussi bien que peut se dégonfler le phallique, et qui est le comique de l’affaire dans l’effet de détente aussi incompréhensible, parce qu’il n’y a pas de sens dans l’affaire que ça peut avoir.. Et ce serait cela qui serait le garant de quelque chose dont manifestement Soury ne bénéficie pas. C’est-à-dire que les équivoques chez Soury, sachant que l’équivoque laisse forcément entendre cette dimension-là de la structure, les équivoques chez Soury ne sont que contradictoires, que duelles, que binaires. Michael G. Plastow nous avait amené une trinité que je trouvais très intéressante pour penser la structure aussi puisqu’il avait évoqué la trinité du sens, du contresens et du non-sens. C’est très intéressant parce que cette trinité elle est aussi en jeu avec le nom-même qui nous occupe nous aussi dans la psychanalyse, qui est un nom qui en passe par une négation, Inconscient comme irréductible, ce sont des nominations qui font valoir quelque chose de la négation, avec déjà en amont tout le travail de Freud autour de « la Dénégation », de la Verneinung. Il y a un jeu de négation qui a lieu dans cette affaire et il y a un jeu aussi de hors conscient, hors inconscient, hors non conscient, et ce jeu est quelque chose qui a, enfin cet élément structural probablement rejoint cette dimension du comique que souligne Lacan de façon très importante. Cette dimension du comique, elle peut paraître anecdotique. Elle est prise dans l’anecdote d’un acte manqué, par exemple, c’est ce petit rien ou l’événement dans la cure, le petit rien, le pas-tout, le petit rien qui change le tout – Pierre Marchal l’a très bien évoqué – ce petit rien qui change le tout mais qui laisse entendre qu’il se passe quelque chose, qu’il s’est passé quelque chose et qui est quelque chose de l’écriture subjective qui émerge à cet endroit-là et qui est un tout petit peu assuré, garanti, du point de vue structural, ce dont à mon avis ne bénéficiait pas Soury. Dans la distinction de Soury, quand il qualifie, par exemple dans la leçon VIII, cette dichotomie réductible/irréductible, il ne peut pas intégrer – et ce sera ma conclusion – il ne peut pas intégrer que dans le réductible qu’il a identifié, le trouage sur un tore, tout serait réductible à ça, il ne peut pas identifier, et incorporer à mon avis, l’irréductible qu’il y a à cet endroit… L’irréductibilité pour lui c’est l’infinité des coupures, c’est l’infinité des coupures sur un tore, l’irréductible pour lui, cela ne peut pas être les effets de ce trou, en tant que ce trou génère, «génère», je ne sais même pas si on peut dire cela, met en évidence la génération à partir du nœud borroméen à trois. Tu l’as montré, on l’a montré l’année dernière, comment un tore troué irréductible à l’un… Je ne sais pas comment l’on peut réduire l’un par rapport à l’autre, tout cela peut s’inverser, un nœud borroméen est réductible à un tore troué, un tore troué est réductible à un nœud borroméen à trois. Ce n’est pas évident mais c’est comme ça. Et cela, Soury ne peut pas l’intégrer, ce qui fait que le réductible, pour lui, ne peut pas contenir l’irréductible. Il y a un irréductible dans le réductible, c’est la réintégration du Réel ou du symptôme comme nécessaire, de la face réelle du symptôme, du « savoir y faire avec son symptôme », il y a quelque chose de l’ordre de l’impossible qui est à réintégrer à un endroit de la structure et qui est aussi en même temps que la vie, le garant de l’équivoque. Soury ne peut pas faire cela, dans sa nomination et dans sa façon de nommer les choses, et de venir distinguer les choses dans la réalité, dans sa réalité, et bien sûr son destin, à partir de là c’est déjà écrit, là le futur antérieur ne laisse pas place à l’accidentel de l’acte manqué, l’acte, à partir de là, est poussé dans son irréductibilité jusqu’à la réussite, sans le ratage, c’est-à-dire que lui il fait du langage un outil approprié.
Discussion
Pierre-Christophe Cathelineau – Un exposé extrêmement enseignant et formidable dans ses avancées. Je voudrais juste faire une ou deux remarques. Ce qui est assez remarquable dans votre exposé c’est l’homologie entre, je dirais, l’olympisme du Symbolique et du Réel, la Crachose, comme vous dites, le fait que c’est là-dessus qu’il a buté avec Lacan dans la discussion qu’il a engagée dans les travaux préparatoires sur le fait que le deux était en quelque sorte le point d’origine pour lui. Et puis, évidemment, ce que vous racontez et donc là on est tenté de dire qu’il y a un fil effrayant, entre – et vous l’avez bien montré- la nécessité à la fois dans le travail théorique et dans le destin personnel et social. Alors ce que ça m’inspire ce que vous dites c’est évidemment la tentation, qui est toujours la nôtre, de faire de la psychanalyse une science. C’est une tentation. Et en fait, vous nous mettez en garde contre cette tentation.
P. Coërchon – Il va là-dedans. Il va là-dedans jusqu’au bout et à mon avis en même temps il critique Freud mais c’est très ambivalent parce qu’en même temps il suit les pas de Freud à fond la caisse là-dedans aussi et jusqu’à aller à l’abord du Réel dans son dénouement aussi final puisque dans La topologie et le temps, on va quand même arriver à une nodalité borroméenne qui elle-même doit aboutir aussi à un dénouement. C’est ça qui est terrible aussi dans l’affaire.
P.-Ch. Cathelineau – Oui, oui, tout à fait. C’est-à-dire qu’on est là sur le fil, sur une espèce de ligne de crête, et au bord d’un précipice, parce ce que vous décrivez c’est un précipice, c’est-à-dire c’est effectivement la fin de l’équivoque, la fin de la possibilité même de la traversée de l’Imaginaire dans le nœud borroméen. Donc c’est quand même, enfin vous décrivez un risque qui est un risque et qui est aussi un risque pour nous.
P. Coërchon – Oui. Tout à fait.
Charles Melman – Ce qui est à l’œuvre dans tout travail s’appelle le pathologique. C’est à partir du pathologique que nous rencontrons aussi bien ce qu’il en est de la relation sexuelle que du cours de la pensée. Je pense qu’il ne semble pas que nous puissions, je dirai, refuser cette formule. Ce qui nous embarrasse avec le nœud borroméen, c’est que nous ne comprenons pas ce qui était le pathologique à l’œuvre chez Lacan lorsque comme un fou, il s’engage jour et nuit dans ces élaborations. Et, vous avez raison, Pierre [Coërchon], de montrer de quelle façon Soury va tenter, lui, le scientifique, d’essayer d’introduire sa place de sujet dans cette affaire, en ne voyant pas où se situe celle de Lacan, en y introduisant sa… une pathologie, je dirais, bien commune, en particulier par exemple dans ces discussions introduisant les notions de générateur ou dégénération, enfin toute une série de termes qui nous ramène, je dirais, sur le sol, sur l’autoroute commune. Ceci étant, je me permettrais d’ajouter un bref élément qui n’est pas seulement anecdotique à ce que vous évoquez, parce qu’il me semblerait injuste de penser, je dirais, d’aborder ce nœud borroméen dans ce qui serait ses conséquences maléfiques, même si effectivement nous avons de la peine à nous y situer comme sujet. Donc cet élément anecdotique n’est pas un secret : Soury était entré en analyse chez Lacan, pour de bonnes ou de mauvaises raisons, peu importe, peut-être provoquées par ce travail que je dirais collectif et où il pouvait peut-être se demander mais qu’est-ce qu’il cherchait, qu’est-ce qu’il voulait ce bonhomme et quelle était sa réponse, et à la date que vous situez très bien de son suicide, donc le 3 juillet 1981, (P. Coërchon – Avant la mort de Lacan) Voilà. C’est-à-dire que c’est le moment où il avait pu vérifier aussi bien dans l’élaboration du nœud qu’au cours de son analyse, que l’état physique de Lacan ne lui permettait plus, je dirais, d’être là. Et je me permettrais cette remarque finale, je dirais, à ce sujet «Fausses Reposes», pourquoi ne pas continuer ensemble, ailleurs. Voilà ce que je voulais ajouter à votre… (P.Coërchon – Socrate.) Oui, par exemple. Oui. Bien sûr. Bien sûr. Que ça ne s’arrête pas. Alors que c’était arrêté.
Transcription : Élisabeth Olla La Selve.
Relecture : Monique de Lagontrie, Érika Croisé Uhl, Louis Bouvet, Dominique Foisnet Latour.
Notes
1. Soury (Pierre), “L’unisson et le contrepoint”, Chaînes et noeuds, Oeuvres complètes, éditées par Michel Thomé et Christian Léger. Tome 3, document 43, p. 1.
2. Soury (Pierre), Chaînes et nœuds, Œuvres Complètes, éditées par Michel Thomé et Christian Léger. Tome 3, documents 139, 140.
3. Cf. : site de Patrick Valas, « Jacques Lacan, l’homme aux pantoufles du bois de Fausses Reposes. »