Phobies et surfaces d'inscription
09 novembre 2011

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LENOBLE Evelyne
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Phobies et surfaces d’inscription

Séminaire EPEP du 8 octobre 2011

 

 

Après les mises en perspective dessinées par notre collègue Jean-Marie Forget, nous vous proposerons dans ce présent texte, un petit détour du côté des enfants qui résistent aux apprentissages classiquement demandés par l’école, lire, écrire, compter…

Ce point de clinique présente en effet un intérêt tout particulier : cette épreuve, celle tout à fait commune qui consiste à mettre la langue dite maternelle à l’épreuve du scolaire, touche tous les enfants et elle interroge de façon exemplaire le nouage corps- langage -sujet et les formes d’inscription possibles dans ces différents registres.

 

Phobies et écritures

 

Si « la » phobie est une « maladie de l’espace », une « maladie de l’imaginaire »[1] et si les symptômes de structure phobique interrogent tout particulièrement certains points fondamentaux des théories psychanalytiques, tels que le refoulement, et l’angoisse de castration dans une perspective freudienne, et dans une perspective lacanienne un certain rapport au signifiant, à  la métaphore, et à la substitution, alors, il me semble que nous avons tout intérêt à aller saisir, dans leur complexité, les différents mouvements occasionnés par l’entrée dans la langue écrite. En effet, cette entrée peut être appréhendée comme une sorte de réaménagement architectural de l’espace subjectif : la trace, l’inscription constituerait les fondations, l’accès à la lecture et à l’écriture, serait l’aboutissement de ce nouvel édifice…

 

Ces hypothèses de travail, nous allons essayer de les mettre à l’épreuve de la réalité, à partir des éléments que nous apporte la clinique, repérables sur différents plans : celui bien sûr apporté par nos jeunes patients et la structure supposée de leurs symptômes, mais aussi le plan des institutions sociales, la façon dont elles sont structurées  et  la façon dont elles nous structurent.

 

Le passage à « la grande école », implique, pour chaque enfant de rejouer quelque chose de son entrée dans le langage, de sa confrontation à la langue, à ses codes. Le réseau de signifiants propre à chaque sujet parlant, et son cortège d’inscriptions corporelles (dans ses dimensions R, S et I)[2] sont grandement sollicités lorsque ce sujet entre à nouveau, par l’écrit, dans la langue qu’il s’est déjà approprié oralement. Si l’ouverture donnée par cette épreuve permet à l’enfant d’acquérir une bonne part de liberté, elle nécessite de supporter un certain nombre de pertes…

Une des hypothèses que j’aimerais apporter concerne ce que l’on pourrait appeler une « tentation phobique » face à l’épreuve de l’écrit. Cette tentation phobique viendrait comme une sorte de bricolage pour conjurer l’épreuve, en conjuguant détours, évitements et tentatives d’inscription à travers le symptôme  difficulté d’apprentissage, celui qui est actuellement repéré sous la forme « dys » : enfants dyslexiques, dysorthographiques, dyspraxiques, dyscalculiques etc…

Enfin, la situation d’apprentissage, de par le rapport mis en jeu concernant tout autant le savoir, que la figure du dépositaire et transmetteur de ce savoir, fait inévitablement jouer la question du transfert, point crucial pour la psychanalyse

Nous pouvons d’ailleurs rendre ici hommage au petit Hans qui interrogeait régulièrement son père sur le savoir du Professeur (Freud) dont ses parents étaient les élèves…

 

 

Rappel d’un contexte institutionnel particulier

 

En 2001, l’équipe de  l’UPPEA[3] (dont j’assure la direction), après réflexions et questionnements divers sur sa propre identité décide de se porter candidate, pour répondre à un appel d’offre tout à fait officiel : un plan interministériel « en faveur des enfants atteints d’un trouble spécifique du langage oral et écrit » rendu public à ce moment- là.

L’équipe s’appuie alors sur une solide expérience théorico-clinique en matière d’enfants en panne avec la pensée, cette expérience, nous la devons à Jean  Bergès. Notre candidature est lancée, puis retenue par les autorités compétentes…

Parmi les questions débattues à l’époque au sein de notre équipe, il y avait cette crainte de réduire la clinique, de dévier de l’analyse psychopathologique vers une pensée et des réponses opératoires, trop occupées du symptôme rebaptisé « trouble », et surdéterminées par la pression des instances scolaires, sociales et parentales.

C\’est-à-dire que la référence à la psychanalyse, très présente dans l’équipe, venait comme un temps d’arrêt, un questionnement – et c’est bien là son intérêt- lorsqu’il nous a  fallu répondre à cette demande émanant d’un discours officiel.

Finalement, nous avons décidé d’y répondre sans pour autant adhérer à  cette sorte de mystification nosographique que constitue la récente création de la catégorie diagnostique : « trouble spécifique des apprentissages » chez l’enfant.

 

Le début des années 2000 est alors marqué par une forte pression et des interrogations concernant ces « enfants dys », catégorie diagnostique en pleine expansion, selon la terminologie en vigueur.

Les associations de parents d’enfants « dys » tiennent une place décisive, elles demandent depuis longtemps à l’institution scolaire de formaliser et de proposer un régime particulier aux enfants « dys », pour éviter le plus possible les parcours chaotiques et douloureux d’élèves, réputés intelligents, mais dont l’avenir scolaire est plus que sombre…

C’est une véritable demande de reconnaissance, de nomination et de catégorisation de ces troubles « dys », et le moyen privilégié pour obtenir cette reconnaissance, principalement adressée à l’institution scolaire est celui d’une objectivation médicale, une catégorisation spécifique distinguant les enfants « dys » d’autres pathologies (celles dite « mentales » principalement), si possible en s’inscrivant du côté de la neurologie comme discipline reine du  spécifique . Un discrédit non négligeable est alors porté sur les abords dits psychopathologiques .

 

Les lignes de force traditionnelles organisant les champs pédagogiques, rééducatifs et psychopathologiques sont donc fortement ré-interrogées : des groupes de pression se constituent, les « psy » en tout genre, spécialistes de l’après-coup ne voient rien venir…et ne sont d’ailleurs pas vraiment conviés au débat

 

En 2011 : Dix ans après, que pourrait-on dire ?

Les lignes de force ont effectivement bougé…et l’architecture des systèmes de santé et d’éducation en a pris un sérieux coup. Après la phase de destruction à laquelle nous avons assisté, nous ne pouvons qu’espérer et contribuer à une phase de construction.

L’épidémie des « dys » est bien présente, elle n’a pas du tout été endiguée, elle serait même plutôt à placer sous le signe de l’inflation.

Les tenants de la psychopathologie, si malmenés au départ, restent dans la course, et l’abord neuropsychologique pur et dur appelé au chevet des petits « dys » s’est très vite heurté, lui aussi, à la résistance têtue des faits cliniques.

 

 

Actualité des phobies

 

Dans un tel chantier, on peut se demander en quoi les questions relatives à la phobie pourraient être convoquées ?

Hypothèse : par le biais du leurre, des mystifications destinées à enrober, à camoufler, à neutraliser (?) ce dont souffriraient les petits « dys » : des effets de violence immédiatement convoqués par la confrontation au symbolique. « La » ou « les » constructions phobiques, comme le rappelait JM Forget,  constituent une sorte de plaque tournante de la clinique, continuant à nous faire travailler autour des opérations de métaphore et de métonymie dans un paysage et un discours arasé, réglementé, codifié jusqu’à l’absurdité.

 

Dans ces paysages et discours apparemment « sans contradictions », où chaque « dys » aurait son traitement spécifique à disposition, nous pouvons repérer quelques motifs bien connus : la « pression » (sociale, parentale, scolaire…) exercée sur l’enfant,  la tension propre au « couple infernal » on ne peut plus actuel : demande de reconnaissance (de ce qui cloche)/évitement (toujours de ce qui cloche…), tension dont la résolution semblerait à chercher du côté de l’appel à  une objectivation des troubles « dys », nous délivrant enfin des arcanes du sujet, ou bien dans une dérive mortifère de la traditionnelle passion  nosographique chère à une certaine psychiatrie.

 

Du côté de la clinique, lorsque l’on regarde les demandes qui inondent notre équipe, les signifiants avancés pour les formuler sont bien entendu constitués par toutes sortes de « DYS », mais se déclinent également en divers TOC et THADA, voire en TED…

Si nous interrogeons le signifiant phobie, une seule entité a résisté à tous ces découpages, et non des moindres : « la » phobie scolaire…avec cette caractéristique bien particulière, qu’il semble bien dans ce cas précis, que l’espace scolaire au sens propre, au sens du lieu géographique de l’école elle-même, soit le lieu de condensation de l’angoisse et d’expression du symptôme, dont on nous dit souvent qu’il ne toucherait pas à l’appétence scolaire…il suffirait d’ailleurs dans ces cas là de faire l’école à la maison…

En revanche, pour ce qui en est des petits résistants à l’apprentissage, le mot phobie n’est quasiment jamais prononcé, sauf peut être pour les maths. Il n’empêche que  la conjugaison trouble « dys » / évitements et contournements en tout genre de la règle scolaire, ne cesse d’inventer des nouveaux modes de déclinaison: une vraie grammaire !

 

C’est donc à un petit exercice de grammaire que je vais vous convier, en commençant par  proposer un découpage possible, un alphabet, pour tenter ensuite de repérer des mots, des articulations, une syntaxe destinée à aider à un possible déchiffrage des réalités quotidiennes auxquelles notre pratique clinique nous confronte

 

Essai d’abécédaire appliqué à l’actualité :

 

à l’école :

–       réduction drastique voire disparition du système des RASED[4]

–       disparition des « classes de perfectionnement », « classes d’adaptation », « classes de transition etc…et  du système d’orientation qui va avec (CCPE, CCSD, instances du registre de l’Education nationale)

–       apparition et multiplication importante des CLIS, UPI et ULIS (classe dite « d’inclusion scolaire » pour les élèves  handicapés ) et d’un nouveau système d’orientation, qui n’est plus du ressort de l’Education nationale

–       apparition des « enseignants référents », « interface » entre l’école et la MDPH[5]

–       entrée en force des AVS[6] dans le monde scolaire

 

 

 

Dans le champ de la santé :

–       multiplication des diagnostics « dys » et des recours aux « Centres Référents pour les troubles spécifiques du langage », non pas tant du côté de la référence, que du côté d’une expertise destinée à prendre des décisions (orientation scolaires, mesures de compensation : 1/3 temps, ordinateur, aides financières…) afin que le système d’intégration, voire d’  « inclusion » prévu pour les élèves en perdition fonctionne…

–       triomphe de  l’approche catégorielle  de la clinique, qui se décline désormais exclusivement en troubles : de la communication orale, de l’attention, des acquisitions scolaires, qualifiés de « spécifiques » selon la CIM 10, mais pas selon le DSM…

–       à chaque trouble ainsi découpé, isolé, son remède, lui aussi menacé d’isolation sur fond de haute technicité 

–       passion galopante pour l’évaluation et les bilans, si possible chiffrés, désaffection pour les engagements thérapeutiques au long cours qui glissent progressivement vers le champ du handicap

 

Dans le champ du handicap :

–       élaboration et publication de la loi de 2005[7]

–       bouleversement complet du paysage et des modes de prise en charge pour les « dys »

–       inscription et reconnaissance MDPH indispensable pour déclencher et soutenir toute orientation en classe spécialisée, ou toute mesure de soutien désormais  assimilée à une « mesure de compensation »

–       développement des SESSAD (constitués de professionnels spécialisés pouvant intervenir sur le lieu scolaire) et des AVS (disposant d’une sensibilisation, mais pas d’une formation professionnelle spécialisée) accompagnant l’enfant ou le groupe directement en situation de classe

–       les mesures sociales à type d’aide financière sont désormais rapportées à l’enfant lui-même et non à l’acte de prise en charge

 

Quels mots former, quelle syntaxe utiliser avec un tel abécédaire ?

 

Tout d’abord un élément à remarquer : une structure ternaire pour organiser ce petit abécédaire, trois termes, trois forces en présence, trois registres d’appartenance, trois dimensions à l’espace, oserions-nous avancer « trois consistances » ?

Une logique ternaire semble toujours plus intéressante et plus propice à la mise au travail.

 

 

Lectures cliniques

 

Dans les aperçus  cliniques qui suivront, je m’attacherai, avec l’aide du petit abécédaire précédent, à dégager certains points, que chacun pourra retrouver sous une forme ou sous une autre dans sa propre pratique clinique. Ces configurations, devenues « classiques » nous aident à repérer ce qui se joue de la structure à différents niveaux, qui se répondent plus ou moins, avec l’hypothèse, qu’à chaque niveau, c’est bien la question de l’émergence du sujet qui doit guider le clinicien. Que pouvons-nous entendre de ce qui se dit, de ce qui s’écrit parfois dans un lieu et sur un support auquel nous n’avions pas pensé ?  Et pourtant, c’est là que le patient a trouvé une surface où inscrire quelque chose de lui, de sa vérité de sujet embarrassé dans un symptôme.

 

1er aperçu :

Un adolescent « non lecteur » est maintenu dans le circuit dit « normal » par la décision de ses parents : il fréquente une classe de collège correspondant à son âge, après tout un parcours d’école primaire où le monde scolaire semble s’être aménagé autour d’une position de résistance à l’entrée dans la langue écrite pour le moins impressionnante.

Etre collégien, et ne pas posséder la lecture, c’est un exploit…qu’il n’est pas si rare de rencontrer. Ce tour de force s’inscrit d’ailleurs parfaitement dans ce fameux discours sans contradiction cité dans de nombreux travaux actuels : un collégien ne sachant pas lire, où est donc le problème ??

En terme d’inscription sociale : aucun souci, le dispositif actuel prévoit une inscription officielle du symptôme « dyslexie sévère », transformé en une sorte de désavantage social qu’il s’agit de compenser dans une dynamique « d’inclusion scolaire ».

Mais en terme d’inscription subjective, jusqu’où ce non lecteur tiendra-t-il cette position de « retranchement », d’évitement  du monde des lettres ? Quelle valeur donner à cet état de fait ? Est-ce un symptôme ? Ou bien est-ce une tentative d’en constituer un ?

Quelle adresse, quelle surface lui permettrait-elle alors de s’inscrire ?

Si nous prenons le pari de traiter cette « dyslexie sévère » comme un symptôme, c’est- à- dire de le lire selon les repères théoriques de la psychanalyse, pourrait-on parler de phobie ? Comment se servir du dispositif actuel permettant l’inscription de ce symptôme en terme de « handicap reconnu » et trouver une ouverture pour entendre autre chose ? Une certaine aisance dans la lecture des trois forces en présence évoquées précédemment permet bien souvent de trouver du jeu…et l’insistance du symptôme non-lecture est en soi une demande à être lue, l’aperçu suivant en donne l’illustration !

 

 2ème aperçu :

 

Un « non lecteur confirmé » est assisté dans sa scolarité quotidienne par une AVS,  pour « compenser » son handicap, il bénéficie de multiples suivis rééducatifs et d’aménagements divers (temps supplémentaires pour les contrôles, dispenses divers de devoirs, recours à l’ordinateur en classe etc..), et semble figé dans ce dispositif. Son enseignant, probablement fort irrité par un tel régime d’exception, décide de prendre la situation « au pied de la lettre », en s’adressant  par exemple directement, en situation de classe, à l’AVS-secrétaire présente aux côtés de cet élève « handicapé ». L’élève, ainsi mis sur la touche, se sent exclu des échanges professeur – AVS, il enrage et manifeste son mécontentement… enfin un grain de sable dans le dispositif…Quelque temps après, cet élève « handicapé non-lecteur » se plaint que son AVS fait des fautes, et qu’il aurait de meilleurs notes s’il faisait ses devoirs tout seul !

Réussir une telle mobilisation est remarquable ; dans ce cas, chacun des acteurs correspondant aux « trois forces en présence » a joué sa partie, selon le dispositif prévu. Un décalage initié par l’un des protagonistes a permis une ouverture  : un événement subjectif s’est produit, sous forme de revendication à occuper sa propre place, et la suite ne s’est pas fait attendre, avec un certain humour…Dans ce cas, serait-on en présence d’une possibilité d’inscription signifiante de ce qui fait symptôme pour cet enfant-là ?

 

 

3ème aperçu

 

Un adolescent résolument phobique, et résolument fermé à toute forme de lien avec la langue écrite, fait incidemment remarquer à l’analyste qui le reçoit que les mots ne se prononcent pas toujours de la même façon selon la région d’origine du locuteur…C’est–à-dire qu’il met l’accent sur l’importance de la filiation et de l’origine dans la langue, lui qui ne veut rien savoir de ces choses-là. Interrogé alors sur ce qu’il pense des fameuses « lettres muettes » si fréquentes en français, celles qu’il faut tout à tour laisser tomber, puis remettre en circulation, ce jeune homme recourt à un exemple pour le moins imagé : il convoque dans son discours des couteaux, les  « Laguiole », que l’on prononce «Laïole » dans le Sud de la Francepuis il est pris de panique et demande à arrêter la séance. Il semble vraiment avoir à ce moment-là  une vision d’horreur sous les yeux, il est littéralement « interdit ».

Une sorte de collusion lettres / voix / couteau,  empêche tout travail de pensée, toute tentative d’organiser une surface d’inscription. Le travail de symbolisation destiné à rendre une lettre opérationnelle pour la lecture s’en trouve très sérieusement invalidé…

Ce jeune homme reste dans la sidération de pensée. Comment donc le dé-sidérer ?

En quoi la panique déclenchée par l’opération chirurgicale invariablement convoquée lors du découpage propre à la lecture alphabétique, peut-il se penser comme un symptôme phobique ?

 

 

Ces trois « aperçus » nous engagent à soutenir toute forme de dispositif  favorisant l’émergence  de « surfaces d’inscription » , quelque soit le lieu où se trouve ce dispositif (lieu scolaire, lieu du « handicap », consultation hospitalière spécialisée, cabinet du psychanalyste…)

 

Si l’on admet l’hypothèse selon laquelle la clinique est une écriture,  l’émergence de telles surfaces serait une condition pour donner forme et consistance à une sorte de noyau phobique  de la « non lecture », il en découlerait la possibilité d’une adresse puis d’une mise au travail de ce « noyau » jusqu’alors tout à fait inaccessible, voire inarticulé…

 

Lorsque l’on reprend les propositions théorico-cliniques que nous a laissées Jean Bergès, nous tombons sur ce qui était pour lui une évidence : « l’enfant écrit sur le corps de sa mère ».

Qu’est-ce que c’est que cette histoire ?

Est-ce qu’elle a à voir avec celle que des trois temps de l’opération de la métaphore ?

Pour rester dans le registre cher aux enfants en panne avec la langue écrite, nous prendrons les choses « au pied de la lettre », et voici ce que nous pourrions proposer :

–       le premier temps de l’écriture serait de constituer le corps de la mère comme surface d’inscription, c’est- à -dire qu’une certaine séparation est en place entre la feuille maternelle et le pinceau de l’enfant qui s’apprête à  tracer, entre « l’objet perdu » et le « sujet émergeant ».

–       le second temps serait de laisser une trace, de déposer quelque chose témoignant de la rencontre entre le pinceau et la feuille : c’est un acte moteur qui matérialise la disparité entre les deux principes différents séparés lors du 1er temps, l’objet perdu et le sujet émergeant s’écrivent et produisent quelque chose de nouveau.

–       le troisième temps serait de prendre acte de cette nouvelle production, c’est -à -dire de lire ces traces, de les ordonner, les doter de significations, bref de les transformer en lettres, ou en « caractères » : perte, refoulement substitution sont alors au programme.

 

 

Les positions d’évitement, d’angoisse, de recul devant la lettre si souvent rencontrées dans notre clinique, peuvent- elles être comprises comme d’essence phobique, au sens où cette organisation instable invente tout un montage autour d’un objet, transformé en  « situation phobogène »  pour re-jouer à sa façon un certain  trajet de symbolisation, sans passer par la perte ni le refoulement ? Serait-ce une tentative de constituer un travail de symbolisation par une voie métonymique, de continuité, d’étayage plutôt que du côté de la métaphore, où le processus de substitution implique coupure, perte, découpage ?

 

Et pour conclure ce travail préparatoire, et ouvrir un deuxième temps à nos réflexions, il me paraît intéressant de se demander, si, à l’inverse, le travail de la lettre, au sens le plus incarné qui soit, ne pourrait pas dans certains cas venir résoudre un symptôme phobique, c’est-à -dire constituer une surface d’inscription suffisamment stable et organisée pour apaiser les angoisses de perte et donner forme et consistance à un certain travail de la métaphore.

 

 

 

Evelyne LENOBLE

Octobre 2011